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Full text of "L'Allemagne nouvelle : 1863-1867"

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE 

1863-1867 



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BIBLIOTHEQUE SAINTE GENP^E^^^ 

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PARIS. - IMPRIMERIE DE E DONN.lOn 
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ANDREAS MEMOR 

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE 

1863-1867 



GUERRE DU DANEMARK 

ANTAGONISME DE LA PRUSSE ET DE L'AUTRICHE 

DISSOLUTION DE LA CONFÉDÉRATION 

GUERRE DE 1866 ET SES CONSÉQUENCES 




PARIS 
E. DENTU, EDITEUR 
Libraire de la Société des Gens de Lettres 



PiLAlS-ROÏAl, 15-17. 19, GALÏWE d'oBLÉANS 

1879 
loos droits et traduction réservés 



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€e livre est vrai d'un bout à l'autre. C'est son mérite aux 
jeux des uns, c'est son tort aux yeux des autres. L'auteur n'a 
pas voulu faire une histoire d'Allemagne; il s'est attaché à 
peindre les mœurs politiques de la période qu'embrasse son 
récit, bien plus qu'à tracer le détail de tous les actes et de tons 
les faits qui l'ont remphe. Ln illustre écrivain a donné pour 
titre à ses travaux : — « Documents pour servir à l'histoire de 
mon temps. » — Ce titre n'est plus à prendre et cependant c'est 
celui qui conviendrait par excellence à ces souvenirs, car ils 
sont tels que personne ne pourra désormais écrire l'histoire 
véritable de ces dernières années sans venir y puiser des docu- 
ments et des informations. On y trouvera des choses inconnues 
qui surprendront peut-être, elles sont toutes exactes. 

Pendant les années que nous passons en revue, l'Allemaguc 
a été indirectement mêlée à un grand nombre de questions qui 
se sont posées devant les Puissances européennes, telles par 
exemple que les conflits entre l'Italie et le Saint-Siège, l'organi- 
sation et la désorganisation des Provinces danubiennes, l'insur- 
rection polonaise, la révolte des Cretois et les aspirations 
helléniques. Xous les avons toutes écartées plus ou moins du 
cadre de ces souvenirs, car ces questions, sauf l'insurrectioji 

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L'ALLEMÂGNK KOUVELLE. 



polonaise de 1863, nous auraient entraîné loin de notre but,- 
qui est de peindre les choses d'Allemagne, d'étudier les diverses 
phases de la politique allemande, ses principes anciens el 
nouveaux, ses nouvelles coutumes, sa nouvelle manière, sa nou- 
velle jurisprudence, et de puiser dans celte étude les enseigne- 
ments qui doivent servir à notre éducation politique. 

Trop embrasser c'est mal étreindre ; voilà pourquoi il nous a 
paru plus utile et pratique de rester sur un terrain plus étroit, 
d'autantmieux que c'est le terrain voisin, celui où se sont passés 
les faits les plus importants de la politique contemporaine, 
celui où l'avenir nous ménage encore lesplus graves événements. 
Nous avons donc pris pour limites les frontières allemandes, 
et pour champ de nos études ces questions purement germa- 
niques où la Prusse, l'Autriche et les États Confédérés, d'abord 
unis contre le Danemark, plus tard unis les uns contre les 
autres ont déchiré l'ancien pacte fédéral pour y substituer • 
l'antagonisme naturel de l'hégémonie prussienne et de l'Empire 
Austro-Hongrois . 

Quelques observations d'un ordre moins sérieux, quelque* 
anecdotes puisées dans des notes ou des souvenirs aullientiques, 
quelques tableaux de la vie sociale et populaire s'interposent 
dans notre récit des cvônemcuts historiques. Ils étaient ainsi 
placés dans les mémoires d'où sortent ces pages, et nous 
avons cru devoir les conserver. Pour étudier une époque et 
une nation, il ne suffit pas de rechercher les principes, les 
doctrines et le langage des hommes d'État qui siègent dans le 
conseil des princes, et qui exercent tour à tour le pouvoir; il 
faut aussi descendre parfois dans la vie sociale des classes non 
politiques, car on y trouve souvent des éléments d'apprécia- 
tion qui redressent le jugement qu'on eût porté sans les con- 
naître. Combien de fois n'est-on pas forcé de convenir que les. 




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L'ALLEMAG>'E NOUVELLE. 



choses d'en bas valent mieux que les choses d'en haut ! Et 
puis c'est un repos. Car les événements dont nous allons suivre 
la trame ont dans leur enchaînement quelque chose de massif 
et de fatigant qui fait parfois désirer un temps d'arrêt dans 
une autre atmosphère. On n'aime guère à vivre longtemps 
dans les froides régions de la politique allemande, pour démê- 
ler cet écheveau d'intrigues et de manœuvres à l'aide desquelles 
se tisse le nœud gordien que le canon doit briser au dernier 
jour. C'est Machiavel moins l'esprit italien, flu et délie de 
son œuvre. Ce sont ses pages lourdes. 

Et cependant il faut, il faut absolument les connaître. Il est 
loin de nous le temps où il était permis de concentrer ses 
regards et ses travaux dans le cercle étroit des affections de la 
vie et des souvenirs de l'enfance. Il faut voir plus loin mainte- 
nant. Il faut voir par delà les frontières, car aujourd'hui rien 
n'arrête la force. Toute force est une menace, il faut l'étudier 
pour savoir se défendre. La vie d'un peuple est à ce prix. 

Aussi, nous l'avouons, en 'apportant notre part à ce travail 
d'instruction nécessaire, notre but, notre unique but est-il de 
bien faire connaître les principes et les doctrines de la poli- 
tique moderne ; où ils conduisent, les nouveaux devoirs qui en 
dérivent, et comment il convient de vivre en cet état aussi 
longtemps que cet état durera. 

Notre récit s'ouvre en 1863. L'Allemagne est tranquille pour 
le moment, mais les nuages montent à l'horizon. Cependant le 
voyageur qui traverserait l'Autriche, la Bavière et la Bohème, 
serait frappé de l'insouciance heureuse des populations. Dans 
la politique comme dans la nature le calme précède presque 
toujours les tempêtes. Profitons de cette embellie pour 
conduire avec nous le lecteur en la ville de Carlsbad. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE 



1863 - 1867 



Carlsbad en 1863. — Les Juifs de Gallicie. — La Grande-Ducnesse- 
Hélène de Russie. — Arrivée du Roi de Prusse. — M. de Bismarck et le 
Général de Manteuffel. — Juin et Juillet 1863. 






La petite ville de Carlsbad offrait alors un spectacle curieux ;. 
de toutes les parties de l'Allemagne, chacun y venait chercher^ 
les uns le repos de la vie privée, les autres un remède salutaire 
contre toutes les maladies qui sont en général la triste consé- 
quence des fatigues intellectuelles. 

La vie qu'on y menait alors gardait encore le caractère fa- 
milier et presque patriarcal qui distinguait naguère les mœurs 
allemandes, et qui, à vrai dire, leur donnait un charme qu'elles 
perdent de jour en jour. 

Il y avait dans l'air comme une atmosphère de calme, de 
bienveillance et de simplicité qui mettait à l'aise. Les rangs se 
mêlaient, les nationalités différentes se rapprochaient les rmes 
des autres, et toutes les divergences semblaient s'effacer pour 
un temps, devant la communauté des repas, des distractions et 
des sources minérales. 



L'ALLEMAGNE KOUVKLLE. 



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Dès le matin, aux premières heures du jour, on se retrouvait 
aux fontaines brûlantes où chacun, à tour de rôle, tendait son 
gobelet à de jeunes fdies vêtues de bleu qui se chargeaient de 
le remplir. 

L'égalité la plus parfaite, la véritable égalité, souriante, ai- 
mable et policée; régnait autour des sources salutaires. Chacun 
s'avançait en file, échangeant un salut avec les voisins dont le 
plus souvent on ignorait le nom ou la provenance, et dans 
cette foule courtoise on aurait eu de la peine à distinguer le 
prince du bourgeois, le ministre d'État du commerçant, le sou- 
verain de ses sujets. 

Un seul groupe tranchait par son isolement ou plutôt par son 
costume et ses manières dans cette assemblée cosmopolite. 
C'était le groupe des juifs de la Gallicie. 

_ Ils se tenaient à part, réunis par familles ou sociétés de cini] ou 
.six personnes des deux sexes, presque toujours présidées par 
un d'entre eux qu'ils entouraient ostensiblement d'égards et de 
respect. 

Les hommes portaient on général un chapeau mou à larges 
bords et une espèce de longue houppelande tenant le milieu 
entre la soutane et la redingote, d'étoffe noire pareille au las- 
tmg, mais qu'un usage trop prolongé et l'absence de soins 
rendaient luisante et graisseuse. Des deux côtés du chapeau 
pendaient deux longues mèches de cheveux tournées en vis et 
lustrées a l'huile. C'est à ces mèches, dit-on, qu'ils seront 
reconnus et tries au jour du jugement dernier ou à la venue 
du Messie. Aussi les mèches sont-elles de rigueur et regar- 
dent-ils comme infidèles ceux de leur 
s'abstiennent de les porter. 

Les femmes, au contraire, n'ont point de chevelure ; mais 

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noW i' d^""*^''«' <^»es la recouvrent de perruques en soie 
ZZuT ^ ™^''°'' ''"' simulent tant bien que mal des 

tlZ P'"'ï"^^^"^^ '« fr°»t et séparés par une raie. Là-dessus 
Zf. ZIT "'Pf'=^,.de bonnet à rubans, dépourvu d'élégance 
noire .tel ^'''''''''^^- ^a robe est généralement de soie 
nm.e avec une grosse boucle à la ceinture. Le hnge ne fait 



rs coreligionnaires qui 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



pas partie du costume, ou du moins il n'y paraît pas. Il en est 
de même de la propreté dont on ne découvre aucune trace. 
Mais en revanche les bijoux abondent, et l'on voit, dès six heu- 
res du matin, s'avancer à la source les matrones d'Israël avec 
des pendants d'oreilles de diamants, valant plusieurs milliers 
de francs, et portant sur de gros doigts frangés de noir des 
bagues étincelantes. 

Ces juifs de Gallicie, ou comme on les appelait, juifs de Polo- 
gne, vivent entre eux, et ne pai'aissent pas rechercher la com- 
pagnie des autres Israélites avec lesquels d'ailleurs ils n'ont 
pas de ressemblance. Ils adoptent tous la même source et 
quand ils s'en approchent il est rare de les voir donner aux 
filles bleues de Carlsbad le gobelet dont ils se servent. Ils des- 
cendent jusqu'au bassin et y puisent eux-mêmes l'eau bienfai- 
sante. Dans la journée ils disparaissent étonne les voit revenir 
que le lendemain aux heures matinales. 

Ce sont, à vrai dire, les maîtres de la Galhcie. Us ont entre 
leurs mains le monopole de toute espèce de commerce ; de 
telle sorte que rien, absolument rien, ne peut se faire sans 
leur concours. 

Le propriétaire foncier ne peut vendre ni ses bois, ni ses blés, 
ni son fourrage sans leur intermédiaire. S'il se révolte contre 
cette tyrannie, il se forme à l'instant une espèce de blocus autour 
de son domaine, et la communauté Israélite ne recèle devant 
aucun sacrifice pour écarter à tout prix l'acquéreur qui se pré- 
senterait en dehors des siens. 

De guerre lasse, tous les propriétaires se sont rendus, et le 
monopole leur appartient sans conflit; mais chose fort habile 
de leur part, ils n'en abusent pas. Tout au contraire, leur puis- 
sante organisation leur permet d'offrir souvent des condi- 
tions plus avantageuses que celles qu'on trouverait au mar- 
ché libre. 

Un jeune officier appartenant à une des familles princières 
de l'aristocratie viennoise venait d'être nommé à un régiment 
de cavalerie cantonné dans un des gros bourgs de la Gallicie. 

A peine arrivé, il se voit entouré de ces juifs graisseux qui 
viennent lui proposer leurs bons offices, pour tout, absolument 



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L'ALLEMAGiNE NOUVELLE. 



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tout, logement, noiuTiture, chevaux, équipement, voitures, elc, 
etc., fas et nefas. 

D'autres à figure respectable le prennent à part et lui dé- 
noncent successivement chacun des fournisseurs qui viennent 
de l'approcher. Ce sont, disent-ils, des misérables qui n'ont 
d'autre but que de le tromper et de l'exploiter. Eux seuls, pré- 
sentent les garanties sérieuses d'un commerce loyal. 

Étonné de cet empressement bruyant et tumultueux, et mis 
sur ses gardes par toutes les dénonciations qu'il a reçues, le 
jeune officier renonce au concours de la gent hébraïque, et 
forme le projet d'attendre quelque temps à l'hôtel jusqu'à ce 
qu'il ait pu se rendre compte lui-même des ressources de la 
localité. 

Alors commence pour lui une véritable série de tribulations 
dont on peut difficilement se rendre compte, si on n'a pas eu 
l'infortune d'en souffrir. Au bout de quelques jours, le maître 
d'hôtel lui annonce d'un air contrit qu'il a dû, à son grand 
regret, disposer de son logement. Ne pouvant supposer que 
Sa Seigneurie ne s'établirait pas en maison, ainsi que lo font 
tous les officiers de l'armée impériale et royale, il avait pris des 
engagements qu'il lui est impossible de rompre. L'officier s'em- 
porte, peine perdue! Il fait des offres avantageuses, c'est inu- 
tile ! Il double, triple, quadruple ses propositions qui deviennent 
exorbitantes, rien! dans huit jours il faudra partir. L'hôtel est 
à un juif qui sait ce qu'il fait. 

Le lieutenant se met en quête. Il est riche et il ne manque 
pas d'appartements vides qu'on peut louer ou meubler. Mais à 
chaque démarche il échoue. On vient de s'engager, ce n'est 
plus libre. Tous les appartements sont à des juifs qui savent ce 
qu'ils font. 

Et ainsi de suite, pour tous les détails de la vie. Veut-il ache- 
ter un cheval ? il ne peut en trouver; veut-il enfin de guerre 
lasse quitter cet endroit néfaste pour aller tenter fortune ail- 
leurs . il rencontre même pour son départ des difficultés inouïes. 
A moins ce qui est rare, qu'il ne soit dans le voisinage d'une 
station de chemin de fer, les chaises de poste se brisent dès 
quil en demande une, les relais manquent de chevaux et de 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



postillons. — Tout cela est à des juifs qui savent ce qu'ils 
font. 

Dès l'instant oùils'se sont aperçus que l'on voulait se pas- 
ser d'eux, toutes les rivalités, toutes les concurrences se sont 
effacées ; la communauté s'est unie pour défendre son mono- 
pole. Le malheureux qu'elle a frappé d'interdit devient comme 
autrefois l'excommunié du moyen âge. 

Et de guerre lasse, il se rend, comme avant lui se sont ren- 
dus tous les fonctionnaires, tous les habitants nobles ou pay- 
sans. 

Aussitôt la scène change comme par enchantement. Les loge- 
ments abondent, les chevaux arrivent de tous côtés ; l'officier 
n'a qu'à choisir, et en quelques jours, il est installé sinon bien, 
du moins aussi bien et à meilleur compte qu'il ne l'eût fait 
sans les grandes houppelandes du peuple d'Israël. 

C'est, comme on le voit, une race à part dans toute l'accep- 
tion du mot, orientale de mœurs et d'apparence, et n'ayant 
rien de commun avec les juifs riches ou aisés qui se ren- 
contrent dans le reste de l'Allemagne et les autres pays de 
l'Europe. 

Mais revenons aux promenades matinales de Carlsbad. Elles 
commençaient vers huit heures, et les bois de la côte se rem- 
plissaient alors d'étrangers groupés par familles ou par compa- 
gnies qui se retrouvaient plus tard sur les quais de la Tepel, à 
l'heure sacramentelle du premier repas. 

C'était un curieux spectacle que cet assemblage cosmopolite 
d'Autrichiens et de Hongrois, de Russes et de Polonais, de 
Prussiens, de Saxons et de Danois, d'Anglais en petit nombre 
et de Français encore moins nombreux. Chacun déjeunait en 
plein air, sur la promenade et en face du café où il avait pris 
son habitude. 

Devant l'Éléphant d'or, Zum goldenen Elephanten, se réunis- 
saient les sommités de l'aristocratie viennoise, et les grands 
personnages d'Allemagne et de Russie : le vieux prince Paul 
Esterhazy, les princes de Windisch-Grâtz, de Lichtenstein, de 
Dietrichstein, ainsi que les médiatisés du Nord, demi-souverains 
jouissant de prérogatives quasi royales dans de petits États dont 

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L'ALLEMAGNK KOUVELLE. 



l'étendue ne dépasse pas souvent celle _d'un domaine privé de 
moyenne importance. 

On y voyait aussi des archiducs d'Autriche avec leur aide de 
camp, portant, comme les généraux du pays, l'uniforme simple 
et pratique de la petite tenue autrichienne, et se mêlant aux 
voisins avec cette bonhomie pleine de prévenance et de dignité 
dont la famille impériale des Hapsbourg garde la tradition. 

Puis des ambassadeurs, des plénipotentiaires, des chambel- 
lans et même des généraux ou des ministres prussiens, ceux-ci 
boutonnés en noir, colletés en crin, serrés dans leur lévite, 
pohs, très-polis, mais souriant peu. 

_ Et au milieu de tout ce monde, il fallait voir courir de l'un à 
1 autre le baron de Wiesenbach, vieil habitué de la localité, 
tantôt gai et familier, tantôt sérieux et en position, suivant 
qu'il s'adressait cà une Altesse Impériale et Royale {Kaiserliche- 
Kômglwhe-Hoheitj, à une Altesse (Hûheit), à un prince ou un 
duc (Durchlaiit), à un ministre ou à un conseiller privé (Eœcel- 
lenz), a un conseiller de Cour [Hofrath), à un fonctionnaire do 
second ordre (Concfpist), à un rien du tout {Wohlgeboren\ 

Ce cercle de VÉUphant d'or n'était pas le seul dont les ha- 
bitues campaient ainsi en plein air, et un peu plus loin on en 
voyait un autre, A la Couronne d'or, {Ziim goldenen Krone) où 
se réunissaient de plus modestes personnages, tous ceux, en 
un mot, qui n'étaient pas de VÉUphant. 

Car l'iî/ép/îcmf avait do vieilles traditions, et chacun y retrou- 
vait pour ainsi dire le souvenir de ses aïeux. Depuis v^ingt-qua- 
re ans e prmce Esterhazy y venait prendre son café à la 
même table et par une galanterie du propriétaire fort bien 
Ts s?,ÎT' 1 "'''' ''°^^" souvenues armes de sa maison, pei„- 
eshnll ?"" ^'" apportaient, à l'ombre des platanes, 

r es Ï^d 'Z ' f ^^'"^ "''''■ ^'«'■^ '^•'^ talent de bons soû- 

les nèref. ''' 't'''""^'''^'^ ' «"parlait du temps passé, 
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T^-^oTTT^'-^T.'^''''''''''' '''''''''' ^I"^ avait précédé 
leui mort ils n avaient été empêchés d'v venir 

Cette année de < 863 appartenait encore à la série des an- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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nées calmes, où la vie de Carlsbad se continuait dans ses 
vieux usages ; les échos de la politique tourmentée et aiguë des 
années suivantes n'étaient pas encore venus troubler la vie 
paisible de l'étroite vallée de la Tcpel. 

Cependant on voyait déjà l'horizon politique s'assombrir 
graduellement et l'on pressentait l'approche des tempêtes. 

L'insurrection polonaise touchait à sa fin. Elle s'éteignait 
plutôt qu'elle ne s'apaisait, laissant en suspens pour l'avenir la 
phipart des questions ou problèmes qu'elle avait soulevés. 

La Diète de Francfort était divisée à ce point que l'Allemagne 
commençait à douter de sa valeur virtuelle. 

L'Orient était en proie à des soulèvements partiels que la di- 
plomatie paraissait impuissante à réprimer. 

Le Danemark, en voulant incorporer le duché de Sleswig à 
la monarchie danoise, avait provoqué une protestation collective 
de la Prusse et de l'Autriche. 

.A Berlin, le gouvernement luttait à coups de décrets royaux 
et anticonstitutionnels contre des Chambre liostiles qui contra- 
riaient ses plans d'organisation militaire. 

La France était engagée dans l'expédition mexicaine. 

Toutes les puissances s'observaient et voyaient avec quelque 
inquiétude s'avancer l'heure des solutions, c'est-à-dire l'heure 
critique où les tempéraments ne sont plus possibles, et où la 
discussion s'efface pour être remplacée par l'action. 

Parmi les hôtes illustres de Carlsbad se trouvait alors la 
grande-duchesse Hélène, veuve du grand-duc Michel de Russie, 
lequel était frère de l'Empereur actuel Alexandre IL Elle était 
née princesse de Wurtemberg, fdle du prince Paul de Wurtem- 
berg, dont les dernières années se sont écoulées en France, où 
il s'était retiré à la suite de dissentiments privés avec le Roi son 
frère. 

Cette princesse était d'un esprit supérieur et attrayant ; très- 
instruite et très-informée,s'occupant avec un intérêt presque 
ardent de toutes les questions du jour, et recherchant la con- 
naissance de tous les hommes distingués, quels que fussent 
leur nationalité, leurs opinions ou leur rang. Autant que l'in- 
formation, elle aimait la discussion, et son salon s'ouvrait faci- 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



lement à quiconque avait qualité pour y faire bonne figure. 

Elle prenait les questions par leur grand côté, et sansjamais 
s'oublier dans ses jugements, elle étonnait souvent son audi- 
toire par la franchise et l'indépendance de ses opinions. 

On discutait un jour devant elle (en juin 1863) les événe- 
ments de Pologne, et les avis se succédaient : les uns en faveur 
de la sévérité et de la répression absolue, les autres en faveur 
de la clémence et des tempéraments. « Mais le clergé, dit-elle, 
comment peut-il s'allier à des hommes qui se proclament révo- 
lutionnaires à outrance, socialistes sans religion, et qui repous- 
sent toute espèce d'autorité, aussi bien celle de l'Église et celle 
de Dieu que celle du souverain ? » 

« Madame , lui répondit-on, le clergé de Pologne a été vio- 
lemment jeté en dehors de ses voies habituelles et normales par 
la force des choses ou plutôt par la faute de ses persécuteurs. 

Les prêtres de l'Église catholique ont, pour condition néces- 
saire de l'exercice régulier de leur ministère, l'existence d'un 
hen hiérarchique avec le chef de l'Église. C'est là qu'ils doivent 
puiser les règles immuables de leur conduite chaque fois que 
des événements imprévus exposent leur conscience ou même 
leur intelligence à des épreuves extraordinaires. En rompant 
Yiolemmont ce lien, le gouvernement russe les a isolés dans la 
tourmente comme des navigateurs sans boussole au milieu de 
l'Océan. Leurs yeux ont en vain cherché la lumière du phare 
qui marque le chemin aussi bien dans la tempête que dans le 
calrae. 

La doctrine du saint-siége n'est jamais révolutionnaire et en- 
core moins sociaUste dans la nouvelle acception de ce mot. Si 
vous aviez en Russie, laissé tout le clergé catholique garder 
libres et intactes ses communications hiérarchiques avec les 
évèques et avec le pape, vous eussiez vu l'esprit du saint-siége, 
l'esprit de l'Église, guider tout le clergé dans la voie sûre, et 
vous en eussiez recueilli le bénéfice certain. — A César ce qui 
appartient à César, à Dieu ce qui appartient à Dieu. — Voilà le 
mot d'ordre qu'on eût envoyé de Rome au clergé de Pologne, 
et qui, tout on fortifiant la foi catholique, eût consacré l'obliga- 
tion des devoirs terrestres. Je ne crois pas que le gouvernement 
russe en eût souffert, et en tout cas, il eût évité de la sorte 



L'ALLEMAGN£ NOUVELLf, 



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bien des rigueurs inutiles dont le poids estlourd ci porter même 
après une victoire. » 

La princesse ne répondit rien ; mais quand vint l'iicure de se 
retirer, elle fit un signe k celui qui avait ainsi parlé et lui dit: 

« Sans aller peut-être aussi loin que vous, je partage un peu 
votre opinion, et quelques-unes de vos paroles m'ont impres- 
sionnée. Je veux écrire demain à Saint-Pétersbourg sur cette 
question. » 

Le fit-elle et qu'advint-il de cette circonstance ? On n'en sut 
jamais rien. 

La grande-duchesse Hélène ne brillait pas seulement par l'é- 
tendue de ses connaissances et par la sûreté de son intelligence, 
elle avait aussi la grâce du cœur, la bienveillance et l'amitié, 
qualités supérieures dont le souvenir rend sa mémoire très- 
chère à tous ceux qui l'ont bien connue. 

Vers le milieu du mois de juin (4863), il se fit un mouve- 
ment parmi les habitués de la promenade. Les chapeaux de 
feutre disparurent de la tête d'un certain nombre de messieurs, 
et furent remplacés par des cylindres hauts de forme et garnis 
au sommet d'une petite cocarde blanche et noire de la grandeur 
d'un écu. 

C'étaient les Prussiens qui attendaient leur Roi. Ils s'y étaient 
pris quelques jours à l'avance, car Sa Majesté ne parut que le 19. 

Il faisait un temps affreux qui durait depuis plus d'une se- 
maine et causait de grands soucis aux autorités locales. 

Carlsbad, comme les sous-préfectures de France, possédait 
un fonctionnaire civil orné de plusieurs conseillers ou employés. 
Il était d'ailleurs d'une politesse extrême, et paraissait croire 
■que le premier devoir d'un sous-préfet est de rendre sa sous- 
préfecture agréable. On l'estimait, on le trouvait empressé, utile, 
et on le recherchait. C'est un cas si rare, si exceptionnel dans 
les administrations contemporaines qu'il mérite d'être mentionné. 

Il y avait aussi un colonel qui commandait l'hôpital militaire 
et portait le titre de commandant de place. Il est mort, ce pau- 



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L'ATJ.EMAGNE NOUVELLE. 



vre colonel Sprengcr, et c'était bien le meilleur homme qu'onj 
pût voir, et aussi le plus obligeant. 

Cette visite du Roi de Prusse le bouleversait : t Que faire,] 
disait-il, en se frappant la tête, que faire en une ville comme 
celle-ci, sans garnison d'aucune sorte? Je n'ai que quelques m- 
valides à l'hôpital, et encore sans leur tenue, et je ne puis lesl 
placer en ligne sur le passage du Roi. Si au moins le gouvernej 
ment m'avait envoyé quelques compagnies d'infanterie pou^ 
établh- un poste à la porte de l'hôtel, quelques escadrons pouri 
l'escorte du Roi dans ses promenades quotidiennes ! Mais hélas « 
je n'entends parler de rien ! On ne m'a adressé aucune dépêi^ 
chc ! Mon Dieu ! mon Dieu ! à quoi pensent-ils donc à Vienne ! 
— Ach ! das ist schrecklich ! (Ah ! c'est affreux ! ) » Et il allait 
•de l'un à l'autre, répétant sur tous les tons ses amôres doléan- 
.ces. 

Pendant ce temps-là, le roi arrivait dans une modeste chaise 
de poste, et littéralement sans tambour ni trompette. La pluie 
qui tombait à torrents avait favorisé son incognito, etle 49 juin, 
il s'installait dans le premier étage de l'hôtel du Schild ou de 
l'ECU. 

L'installation du roi Guillaume dans les hôtels des villes d'eaux 
est partout la même. La veille de son arrivée, l'escalier dispa- 
rait sous un tapis vert, et les maixhes comme les paliers se 
couvrent de fleurs. Au premier étage, dans le corridor, se tien- 
nent deux chasseurs en petite tenue à peiné galonnée; la plu- 
part du temps, assis des deux côtés d'une table sur laquelle 
sont placés l'encrier, les plumes et le livre où s'inscrivent les 
visiteurs. Ce sont deux beaux hommes de grande et forte taille, 
à l'air plus martial que civil, car tout est grand et fort dans 
cet entourage princier, depuis le Roi lui-môme jusqu'au per- 
sonnel do sa suite. 

Le Roi est vêtu de noir, boutonné dans sa redingote et por- 
tant l'habit bourgeois avec moins d'aisance que la tunique ou 
la capote d'uniforme. Son chapeau de haute forme prussienne 
lui sied moins que le casque à pointe ou la casquette à visière 
sous lesquels son peuple a coutume de le voir. De fortes mous- 
taches lui donneraient un aspect sévère, presque dur, si ses 
manières avenantes et son sourire ouvert ne corrigeaient l'ox- 




cm 



10 11 12 



L'ALLEMAGNE KOL'VELLlî. 



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pression de sa physionomie. Il est sérieux, mais iialurellcment 
aimable, et tout en lui porte le cacliet d'une très-grande dis- 
tinction. Il est difficile de paraître plus Roi ou plus Empereur. 
C est le type de l'ancien chevalier d'armes à la haute stature et 
aux formes athlétiques. 

Autour de lui se tiennent cinq ou six personnages de sa cour, 
grands-maîtres, ministres, généraux, aides de camp, chambel- 
lans, dont le maintien cherche à se modeler sur celui de leur 
maître. Les uns y réussissent, les autres semblent des gendar- 
mes en bourgeois. Ils ne parlent guère en présence du roi, sauf 
M. de Bismarck, qui parle toujours, et le général de Maiiteu- 
ffel qui parle souvent. 

M. de Bismarck n'était pas arrive avec le Roi; i] ne lo rejoi- 
gnit que cinq jours plus tard. 

Dès Je matin. Sa Majesté se mêlait aux groupes, tout autour 
des fontaines, et causait ftirailièrement, mais brièvement, avec 
les personnes qui lui avaient été présentées. A deux heures le 
Roi dînait et invitait à sa table quelques personnages m'ar- 
quants. 

On y parlait peu d'affaires ou de politique. Au surplus, eu 
l'année de grâce 1863, les événements se préparaient plutôt 
qu'ils ne se succédaient. 

Les affaires de Pologne se discutaient encore sans se résou- 
dre et le Roi se bornait à en souhaiter la solution pacifique. Il 
désirait une conférence à Bruxelles et paraissait disposé à user 
de son influence sur la Cour de Russie pour l'amener à y con- 
sentir. 

Un matin on apprit à Carlsbad que la ville de Puébla avait 
été prise d'assaut. Sa Majesté, rencontrant à la promenade un 
des Français de la colonie, l'arrêta pour lui en faire compli- 
ment. « J'ai vu, ajouta le Roi, que parmi les défenseurs de la 
place il y avait d'anciens révolutionnaires, complices et amis de 
Mazzini ; ces gens-là sont toujours partout où il y a du mal à 
fau-e ; nous en avons beaucoup de cette espèce à nos frontières 
ci c'est un danger sérieux. » C'était sans doute une allusion au 
parti de Mieroslawski en Pologne, car à cette époque la crainte 



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L'ALLEMAGSE NOUVELLE. 



de la révolution et de la démagogie tenait le premier rang dao 
les préoccupations du gouvernement prussien. 
lib M de Bismarck, qui nétait encore ni comte m prince, 

P^ lancé dans les entraînements des alliances étrangères, concen_ 

' ■ trait sur cette préoccupation antidémocratique _ toute ardeuv 

f :' de son caractère . Il en parlait constamment et n avait pas d e^ 

!■-* pressions assez sévères pour qualifier l'opposition constitutioi| 

nelle du Parlement prussien. 

Le corps électoral, disait-il, ne représentait en Prusse que 
tout au plus un dix-septième de la population, et grâce a la 
mauvaise législation du pays, ce dix-septième était pour am 
dire exclusivement composé de bureaucrates a 1 esprit hostiit 
et prévenu. Au lien de citoyens, le suffrage n'envoyait que des 
professeurs et des pédants intraitables. 11 était absolument né- 
cessaire d'élargir le cercle des électeurs pour obtenir une 
Chambre plus nationale, moins dogmatique et moins hostilf 
aux prérogatives légitimes de la monarcliie. 

Quant au général de Manteuffel, il paraissait vouloir en finir 
plus rapidement et plus facilement. - « Quand les Chambres 
sont trop gênantes, on passe outre ou on les renvoie. » — C est 
ainsi qu'il s'exprimait, non pas officiellement, il est vrai, mab 
assez haut cependant pour qu'on l'entendît et qu'on s'en souvint 
C'était d'ailleurs au sujet de la loi iniUtaire que se produi- 
sait alors l'opposition de la Chambre prussienne, et il faut con- 
venir que la doctrine du général de Manteuffel a contribué plœ 
que tout autre chose à créer la force militaire de la Prusse. 
c'est-à-dire la seule et unique force de son pays. 

Le séjour à Carlsbad ne dépasse jamais quelques semaines 
On en sort reposé et fortifié pour l'année. 
Nous en verrons bientôt la prouve. 



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10 11 12 



Vienne en 1863. — Visile de M. Thiers. — l.es Journaux Viennois. — 
La Cour et la Société. — Mœurs populaires. — Les Ihéûlies. — Les 
bals par^souscriplion. 



11 est d'usage, en Allemagne, de compléter la saison de 
Carlsbad par une station de quelques semaines aux eaux de 
Gastein, en Bavière. 

Le Roi de Prusse s'y rendit vers le milieu de juillet et y 
reprit le genre de vie qu'il venait de suivre aux eaux de Bohême. 

L'Empereur d'Autriche y avait annoncé sa visite, et cette 
entrevue des deux souverains préoccupait vivement l'opinion 
publique.' 

De graves questions s'agitaient à l'intérieur autant qu'à l'ex- 
térieur. Tout se discutait encore, mais on sentait que l'heure 
des solutions s'approchait et que les discussions touchaient à 
leur terme. A vrai dire, tout était en suspens au mois de juil- 
let 1863 ; les affaires de Pologne entraient dans une phase 
presque critique; celles du Danemark devenaient de plus en 
plus sérieuses ; l'éternelle question d'Orient renaissait de ses cen- 
dres, et une foule de conflits partiels faisaient pressentir de plus 
graves complications ; mais plus que la Pologne, le Danemark, la 
Grèce etle Monténégro l'Allemagne Confédérée appelait l'attention 
des cabinets germaniques, et l'antagonisme de la Prusse et de 
l'Autriche s'accentuait chaque jour davantage à la Diète de 
Francfort. 



II 



18 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



La plupart des Élats confédérés étaient engagés dans la que- 
relle ; les uns, ceux du Nord, du côté de la Prusse -.les autres, ceux 
du Midi, du côté de l'Autriche ; et Vienne était devenue le centre 
de l'activité fédérale. 

Vers cette époque, un personnage français y fit son appari- 
tion et même une espèce de sensation : c'était M. Thiers. Il ve- 
nait, disait-on, visiter une dernière fois les grands champs, de 
Wagram et de la Lobau, et étudier par lui-même les questions 
étrangères qui allaient bientôt s'imposer à l'attention de l'Eu- 
rope entière. 

Bien qu'éloigné du gouvernement impérial de la France et 
dans une certaine mesure son adversaire politique, M. Thiers 
avait alors le sentiment complet de son patriotisme, et lo sou- 
venir de son passage à Vienne en 1863 restera comme un des 
épisodes les plus corrects de sa vie privée. 

C'est en effet un grand spectacle que celui d'un homme d'État,] 
descendu du pouvoir comme on en descend en France, c'est-à- 
dire avec ce cortège de calomnies et d'injures qui ne manqui 
jamais au vaincu, et sachant, malgré les agressions du bas pu- 
blic, refouler en son cœur la révolte des sentiments pour pla- 
cer l'honneur ou la gloire de son pays au-dessus de toutes Ici 
colères, même les plus légitimes. 

C'est un beau spectacle que l'oubli des griefs personnels e' 
des rancunes politiques quand on est en présence do l'étranger, 
Vienne le vit en 1863, car alors M. Thiers n'y parut pas comme! 
un homme de parti. Il y fut Français avant tout, discourant sans 
violence comme sans amertume et étonnant chacun par la mo- 
dération de son langage. 

Une de ses premières visites avait été pour l'ambassade de 
France; l'Empereur François-Joseph le reçut ensuite à son pa- 
lais d'été de Laxenburg ; le comte de Rechberg le vit plusieurs 
fois; et partout l'impression fut aussi considérable qu'inatten- 
due. 

M. Thiers n'était pas un inconnu à la cour d'Autriche et on y 
appréciait depuis longtemps sa haute intelligence, sa grande ex- 
périence, et cette prodigieuse activité d'esprit qui lui permettait 
de saisir rapidement toutes les questions qui surgissent ou q 



1 



L'ALLEMAGNE KODVJiLLE. 



19 



passent, et donnait à ses entretiens un charme particulier; on 
savait tout cela; mais on ne le croyait pas aussi tempéré, aussi 
impartial, aussi calme dans ses jugements qu'il le parut eu cette 
circonstance. 

Il arriva même à ce sujet une aventure plaisante dont on parla 
quelques jours. Une des grandes dames de la société viennoise, 
ennemie des régimes nouveaux, avait engagé M. Thiers dans 
l'espoir de l'entendre déblatérer contre la Cour de France et le 
Gouvernement impérial. Elle en avait fait la confidence à quel- 
ques amis et on se promettait une petite fête de scandale dont 
l'ancien ministre du roi Louis-Philippe était le principal attrait. 
Qu'on juge de la surprise et du mécontentement de l'aimable 
■ compagnie! II fut impossible d'obtenir du grand invité, ni un 
mot de critique ni un mot blessant contre le Gouvernement ou 
la famille impériale. 

Ce fut pour quelques dames du cercle une amère déception ; 
mais, en réalité, si on écouta avec moins d'intérêt le personnage 
de la soirée, on le quitta avec une estime plus sérieuse de son 
caractère. 

Car il ne faut pas s'y tromper ; les étrangers respectables ( il 
ne s'agit pas ici des démagogues cosmopolites qui n'ont pour 
patrie que les brasseries où ils pérorent ) , les étrangers respec- 
tables écoutent quelquefois avec un mahn plaisir les Français 
qui insultent et attaquent devant eux le Gouvernement de* la 
France, mais ils ne les estiment pas et sont souvent les premiers 
à en faire bonne justice. 

Sous le règne de Louis-Philippe, alors que la Cour de Russie 
témoignait pour celle de France un éloignement marqué. Leurs 
Majestés impériales recevaient volontiers des Français non pré- 
sentés par l'Ambassadeur, ce qui est contraire aux usages quand 
les relations sont amicales entre les deux pays. 

On raconte qu'un jour le comte de *** ayant été engagé à une 
soirée, l'Impératrice s'approcha de lui et, ne connaissant pas ses 
opinions exaltées, lui demanda des nouvelles de la reine Amélie 
et des princesses. 

« Madame, répondit le comte de''*'^, il m'est impossible d'en 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



donner à Votre Mcajesté : j'allais à la Cour avant 1830, mais, de 
puis lors, je ne vais pas à la basse-cour. » 

L'Impératrice se recula comme blessée, et, se tournant ver 
un chambellan qui la suivait : 

« Prenez le nom de cet homme, lui dit-elle, et qu'il ne pa 
raisse plus ici. « 

Et cependant les opinions de cet homme étaient alors beai 
coup mieux vues à Saint-Pétersbourg que celles des partisans 
du nouveau rSgne. 

A l'époque dont nous parlons maintenant, c'est-à-dire en 1 863, 
le sentiment anti-français n'existait pas à la Cour d'Autriche. 
L'Empereur et le Gouvernement se rapprochaient visiblement 
de la France, mais cela ne datait pas de très-loin, et une partie 
de la société viennoise se tenait encore sur la réserve. 

Il ne fallait pas remonter bien haut pour retrouver dans les 
règlements militaires la défense de porter l'ordre de la Légion 
d'honneur. Il s'était même produit k ce sujet, quelques années 
auparavant, un incident qui avait failli être la cause d'une com- 
plication entre les deux Cours. L'Empereur François-Joseph, se 
promenant avec son aide de camp sur les remparts de la ville, 
avait été subitement attaqué par un individu armé d'un poi- 
gnard et n'avait dû la vie qu'au dévouement du capitaine O'Don- 
nell, qui s'était précipité entre Sa Majesté et l'assassin. 

Tous les souverains avaient tenu à donner à ce jeune offlcier 
un témoignage de leur satisfaction, et l'ambassadeur de France 
lui avait remis de la part du sien la croix de commandeur. 

A sa grande surprise, le comte de Bourqueney s'aperçut quf 
le capitaine ne portait jamais la Légion d'honneur, et après in- 
formations prises, il constata que l'autorisation nécessaire n« 
lui avait pas été donnée. Des explications furent demandées, el 
eomme elles laissaient à désirer, l'ambassadeur dut déclarer qui 
si le règlement n'était pas modifié, il se verrait oblige de de- 
mander ses passe ports. 

On était maintenant bien loin de cette attitude presque hoslite 



i 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



21 



et les deux Gouvernements entretenaient les meilleures rela- 
tions, mais il existait toujours dans un certain parti, des vieux 
préjugés anti-français dont on retrouvait parfois encore les 
symptômes. 

Les uns regrettaient la prépondérance militaire qui avait ex- 
clusivement dominé en Autriche jusqu'après la campagne d'Ita- 
lie ; 'les autres, au contraire, d'opinions parlementaires, voyaient 
avec dépit s'établir et prospérer en France un régime autori- 
taire dont ils redoutaient l'exemple. 

Et de ces deux opinions distinctes, les sympathies françaises 
faisaient en quelque sorte les frais. 

Sans la guerre d'Italie, disaient les réactionnaires, nous en 
serions encore au temps du régime militaire, et toutes les idées 
nouvelles que le Gouvernement accepte aujourd'hui avec tant 
d'imprudence dormiraient sous le boisseau. 

Sans l'exemple de l'Empire, disaient les révolutionnaires, nous 
aurions repris après Solférino l'œuvre inachevée de 1848. Et le 
fonctionnement régulier de la constitution de 1 8o2 leur causait 
de grandes colères. 

Donc, comme on le voit, celui qui sans souci de sa dignité 
personnelle eût voulu déblatérer contre la France, contre l'Em- 
pire et son Gouvernement, celui-là eût trouvé, dans les salons 
comme dans les cafés, un auditoire sympathique pour écouter 
.ses griefs. 

La société viennoise offrait alors un contraste très-remar- 
quable. 

D'une part, la bonne compagnie, celle de la Cour, conservait 
encore, dans toute leur rigueur absolue, les anciens privilèges 
et les anciennes règles qui marquaient dans l'Empire le rang et 
les conditions de la noblesse. 

De l'autre, la bourgeoisie jusqu'alors si retirée, si secondaire, 
commençait à s'élever par son influence parlementaire. Elle 
donnait des minisires pour les choses de l'intérieur et se forti- 
liaitparune alliance intime avec les israélites devenus nom- 
breux et puissants. 

A de rares exceptions près, les juifs de Viennne tenaient tous 
los journaux entre leurs mains, et bien que la presse viennoise 



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L'ALLIÎMAGNE .NOUVELLE. 



n'eût pas grande influence hors de la capitale, cependant elle 
entretenait dans le public un esprit de critique et quelquefois de 
résistance avec lequel le Gouvernement devait souvent entrai 
en compte. 

Une des feuilles les plus répandues, die Presse {la Presse), 
appartenait à un ancien boulanger qui avait gagné quelque' 
argent à Paris à faire des petits pains viennois. 11 avait changé' 
de commerce et s'en trouvait bien, car son journal avait pris le 
premier rang et lui rapportait de beaux bénéfices. Ce n'était pas 
un homme politique, mais un homme d'affaires, et sa ligne de 
conduite dépendait exclusivement des tendances de l'opinion 
publique dont il s'attachait à rester le fidèle Interprète et l'hum- 
ble serviteur. Ses collègues racontaient qu'il faisait lui-même 
assez bon marché de ses opinions privées : « Quand on entre 
dans son bureau, disaient-ils , il est inutile de se fatiguer à de 
longs discours, il faut avoir son portefeuille à la main. Z*"* 
jette un coup d'oeil ; si le portefeuille est garni, il écoute. Puis, 
avant de répondre, il regarde bien ce qui en sort, et c'est alorSi 
mais seulement aloi-s, qu'il donne sa réponse. » 

Longtemps l'heureux boulanger vécut ainsi du fruit de sei 
labeurs, mais un jour vint où la discorde se mit dans les rangi 
de ses mitrons. 

Parmi ces derniers, se trouvait un jeune écrivain véritabl 
ment lettré et dont la plume faisait le journal. Son père éta 
un Français réfugié à l'étranger à la suite de condamnation 
politiques. Le jeune E..., né en Allemagne, avait voué à l'anciei 
berceau de sa famille une de ces haines implacables qu'on n 
rencontre que chez les néophytes de la naturalisation étraw 
gère. C'en était venu à ce point, disait de lui le correspondant 
de l'Indépendance belge, qu'il ne buvait pas de Champagne parci 
que c'était un vin français. 

En revanche, il était libéral et même révolutionnaire a] 
besoin. 

Le journal die Presse avait pris fait et cause pour l'insurrei 
tion polonaise; non point, il est vrai, de manière à se compro-' 
mettre ou à perdre ses appuis et ses protections, mais il s'étaii 



I 



L'ALLEMAG^JE NOUVELLE. 



23 



montré sympathique à la Pologae et avait bien mérité des Polonais 
Ceux-ci voulurent en témoigner leur reconnaissance à son di- 
recteur et un jour, l'ancien boulanger de Paris vit s'arrêter devant 
la porte de sa villa quatre jolis chevaux de fiallicie, envoyés au 
nom d un comité insurrectionnel. Ils venaient de prendre place 
dans les écuries de la direction, lorsqu'arriva tout ému le rédac- 
teur E réclamant sa part et demandant à son patron de lui 
céder deux de ces coursiers. 

• Que se passa-t-il alors dans les bureaux de l'établissement? 
Il tant croire que le directeur et la rédaction ne purent s'enten- 
dre ; car, à quelques jours de là, on vit circuler à Vienne l'an- 
nonce d'un nouveau journal ayant pour titre : . Die nnce Frêie 
Presse» (la Nouvelle Presse libre-), et pour directeur M. E... Même 
foimat, mêmes caractères, même composition, mêmes rédac- 
teurs. Le titre seul était changé ; mais les deux mots qu'on y 
avait ajoutés valaient tout un acte d'accusation. C'était une dé- 
nonciation et une critique. 

« Nous quittons la vieille Presse, d'abord parce qu'elle est 
vieille, et ensuite parce qu'elle n'est pas libre, et nous en fon- 
dons une qui sera jeicne et qui sera libre. » 

Le public le comprit ainsi, et les quatre chevaux de Gallicie 
devinrent, pour l'heureux boulanger, un présent fatal qui mar- 
qua l'heure de sa décadence. 

Tout ce que perdit la vieille Presse, Die alte Presse, comme on 
l'appela depuis, la Nouvelle Presse libre le gagna, et comme 
après tout, le jeune E... joignait un talent véritable à une fort 
bonne entente des afTaires commerciales et pécuniaires, son 
journal ne tarda pas à prendre une place importante parmi les 
feuilles de la capitale. 

A l'époque dont nous parlons, les journaux de Vienne étaient 
encore autrichiens, et, sauf quelques exceptions de circon- 
stance, la politique étrangère y était discutée à un point de vue 
national et patriotique. Le célèbre fonds des reptiles n'avait pas 
encore exercé sur les journalistes sa puissante influence, et cela, 
par une bonne raison, c'est qu'il n'existait pas encore. 

Ce fonds, comme on le sait, fut créé plus tard, après la 



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L'ALLEMAGNE. NOUVELLE. 



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guerre de 1866, avec tous les biens et les revenus des princi 
allemands dépossédés, savoir : le roi de Hanovre, l'électeur 
Hesse et le duc de Nassau. 

Mais ce qu'on ignore généralement, c'est l'origine du nom 
lui a été donné, et sous lequel il est aujourd'hui désigné. 

C'est M. de Bismarck qui en est l'inventeur. Parlant un jour 
devant le Reichsrath de Berlin des princes dépossédés, le chan- 
celier s'emportait contre les résistances que suscitait en Alle- 
magne le parti des anciens souverains. « Il faut, disait-il, enlever 
à ces reptiles tout moyen d'entretenir leur propagande anti- 
prussienne, et c'est à lutter contre leurs manœuvres que seront 
désormais employés ces fonds qui leur ont été pris et ■"• 
leur seront point rendus. » 

Le mot resta, mais le public, moins passionné et moins injusl 
que le ministre prussien, en détourna le sens, et au lieu de 
l'appliquer aux princes, il en fit une injure aux écrivains payés 
de ces deniers confisqués. 

Les reptëes, ce fut désormais le nom des publicistesà la solde 
de la chancellerie prussienne ; légion nombreuse et bien orga- 
nisée, dont les mercenaires sont répandus dans tous les pays 
d'Allemagne, d'Europe et d'Amérique, recevant avec leurs sub- 
ventions les ordres de Berlin. 

Le mot avait été créé pour les princes, le public l'a donne 
aux valets. 

Ce fonds des reptiles fit des prodiges, c'est-à-dire des for- 
tunes, dans une certaine partie de la presse viennoise. Il s) 
forma de nouveaux courants d'opinion dont quelques journaux 
se firent les organes ardents, et, vers la fui de 1866, on put 
constater que la Nouvelle Presse libre, au lieu de rester libre, 
était devenue prussienne. 

Ceci explique pourquoi, en 1874, on vit M. E..., moins 
jeune, mais plus doublé, devenir l'ami et le correspondant des 
hommes de la gauche avancée dans les Chambres françaises. 

M. de Bismarck écrivait le 23 novembre 1873 au comte d'Ar- 
nim une lettre dans laquelle nous relevons le passage suivant: 

— « ;/ n'eut pas de notre intérêt de faire sortir la France de Is 






L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



25 



situation p-écaire où la tiennent la division des partis et l'insta- 
bilité de ses institutions. Cet état anormal qui épuise et paralyse 
ses forces convient à notre politique. La République française trou- 
vera très-difficilement un allié parmi les États monarchiques. » 

Il fallait donc faire durer la situation précaire, c'est-à-dire 
favoriser de ses sympathies, non pas les intransigeants qui com- 
promettent cet élat anormal où la France s'épuise à la grande 
satisfaction du chancelier prussien, non pas les extrêmes qui 
mènent à la réaction, mais ces habiles de la circonstance qui 
font durer l'état anormal par leurs tempéraments opportuns, 
qui entretiennent la situation précaire à laquelle on s'intéresse 
tant à Berlin, qui écartent les solutions, et font en sorte que 
l'instabilité des institutions puisse continuer à paralyser les 
forces de la France. 

C'est à ce mot d'ordre que dut obéir la presse enrôlée dans le 
camp des reptiles, et l'on sait si elle a été docile. 

Mais revenons à l'an 1863. Nous l'avons déjà dit, la presse 
était encore autrichienne, bien qu'en partie elle fût déjà vénale. 
C'était une industrie, un commerce plutôt qu'une puissance 
politique. Elle ne devint vraiment influente et dangereuse que 
le jour où la lutte commença entre la grande Allemagne de 
Berlin et l'Allemagne de Vienne. 

En présence du développement progressif de la bourgeoisie et 
de la finance autrichiennes, l'aristocratie conservait encoi-e l'en- 
semble de ses traditions telles que les avait connues le siècle 
passé. Quelques lois nouvelles avaient modifié, il est vrai, les 
rapports de la noblesse avec les populations rurales ; les corvées 
n'existaient plus, les règlements de chasse avaient été révisés, 
mais la séparation des classes était encore aussi complète et 
aussi absolue que dans le temps passé. 

La société noble, la haute société, comme on l'appelait, se 
composait exclusivement des familles qui avaient le droit d'aller 
à la cour, et ce droit constituait à lui seul un état civil connu 
sous le nom de Hoffâhigkeit, substantif qui dérive de Hoffâhig, 
capable d'aller à la Cour ou admis de droit à la Cour. 

Pour les femmes, ce droit est le privilège exclusif de la nais- 
sance et il faut pour l'établir un certain nombre de quartiers du 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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côté paternel et du côté maternel. 11 se perd par une mésal- 
liance. 

Pour les hommes, le droit d'aller à la Cour s'établit de deux 
manières; d'abord par la naissance et ensuite par les fonctions 
militaires et les décorations. 

11 se donne tous les ans deux ou trois fêtes de (^our, générale- 
ment un bal, dit Hofball ou un concert dit Hof-concert, mais on 
n'envoie ni cartes ni invitations. 

Un avis parait dans le Journal officiel, inséré par le Maréchal 
de la Cour, prévenant du jour, de l'heure et de la tenue, et 
adressé ainsi collectivement à toutes les pereonnes qui sont 
UûffûMg, c'est-à-dire admises à la Cour. 

Pour les hommes, ce sont : les grandes charges de Cour et 
d'État, les conseillers privés avec le rang d'Excellence, les cham- 
bellans et aussi toute personne décorée d'une croix autrichienne 
quel qu'eu soit le degré, même celui de simple chevalier. 

Tous les officiers depuis le grade de sous-lieutenant peuvent 
aussi se présenter à la Cour, du moment qu'ils sont revêtus de 
leur uniforme. 

Pour les femmes, le droit d'admission ne s'établissant que 
par la naissance et se perdant par les mésalliances, il résulte 
de la stricte exécution de cette règle des conséquences assez 
curieuses. 

En premier heu, l'accès de la Cour si facile, si ouvert pour les 
hommes de tous grades et de tous rangs, devient au contraire, 
pour les femmes, d'une difficulté si grande que le nombre des 
dames de Cour est fort restreint. 

La position du mari, quelque élevée qu'elle soit, ne confère 
aucun droit à son épouse, en sorte que rien n'est plus fréquent 
que de voir paraître à la Cour des ministres et des généraux 
dont les femmes et les filles n'y sont pas admises. 

Mais si le mariage ne peut conférer le rang de Cour à une 
femme, il peut lui enlever celui dont elle jouissait avant de 
s'allier cà un époux qui n'est pas hoffuhig de naissance. Une 
femme, veuve ou demoiselle, née dans les conditions de l'hojfâ- 
higkeit, et allant à la Cour, épouse un général qui lui aussi y est 
admis, non pas par droit de naissance, mais en vertu de son 



I 



L'ALLEMAGNE 'NOUVELLE. 



27 



grade. Par le seul fait de son mariage, la nouvelle épouse cesse 
de devenir hoffâhig et ne peut plus accompagner à la Cour son 
mari qu'elle y rencontrait avant lo mariage. 

Ce règlement avait jeté le désespoir dans l'âme d'une veuve 
polonaise de Gallicie, qui, riche et /io;f«/(!g de naissance, avait 
épousé un des ministres. Elle ne pouvait en prendre son parti, 
et confiait volontiers sa tristesse et son dépit aux diplomates 
amis de son mari qui fréquentaient son salon. 

— îS'est-ce pas vraiment une règle offensante, disait-elle un 
jour à l'un d'eux, car enfin, monsieur le ministre, je suis d'une 
des premières familles de la Gallicie, et vous m'avouerez qu'il 
est assez étrange, quand on a au moins dix quartiers, de ne pas 
être admise à la Cour? 

— Ah! madame, lui répondit le ministre étranger, la lune a 
été mieux traitée que vous, car elle n'en a que quatre, et on lui 
a donné sa place dans le firmament. 

L'Empereur, il est vrai, pouvait, par un décret spécial, per- 
sonnel et motivé, créer une exception en faveur de certaines 
personnes, mais ces exceptions étaient fort rares. 

On en fit une pour la femme du maréchal Hess; une aussi, 
pour la princesse de Metternich, baronne de Leykam, seconde 
femme du prince grand-chancelier et mère du prince actuel. 
Depuis quelques années elles deviennent, dit-on, un peu plus 
fréquentes. 

Cette règle de Cour se reflétait dans les usages habituels do la 
noblesse, de telle sorte qu'il existait à Vienne une société exclu- 
sivement composée de personnes jouissant des privilèges de 
Yhoffûhigkeit et où les autres ne pouvaient pénétrer. 

Cette coutume était tellement entrée dans les mœurs, ou 
plutôt elle y était si ancienne, qu'elle ne soulevait ni discussion 
ni ressentiments. 

Chacun se réunissait aux siens, chacun vivait avec les siens ; 
les bals, les soirées, les dîners se succédaient, et le plaisir avait 
deux camps, qui rivalisaient de gaieté, d'élégance et d'entrain 
sans avoir l'air de vouloir se jalouser ou se combattre. 

De temps en temps, -il se faisait une fusion sur un terrain 
neutre, par souscription, ou pour des œuvres charitables. Alors 



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^KttSÉiÉii 




28 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



mÊÊ 



les rangs se mêlaient; depuis les archiducs jusqu'aux plus petits 
marchands de la ville, tout le monde s' entr' aidait, se réunissait 
et se saluait cordialement. Car, à côté de ces séparations qui 
semblent tenir des siècles passés, il existe entre les diverses 
classes de la population un germe d'union et de solidarité qui ne 
se voit pas ailleurs, et qui, en maintes occasions, se traduit par 
un rapprochement patriotique. Lespassions haineuses qu'engen- 
drent l'orgueil et l'envie n'ont pas encore porté leur détestable 
fruit et armé les uns contre les autres les citoyens de l'Empire. 
C'était autrefois une petite ville que Vienne, fermée de tous 
côtés par d'anciens remparts devenus avec le temps des prome- 
nades ombragées. Du côté extérieur s'étendaient, à la distance 
réglementaire, les glacis militaires, tels qu'on les faisait alors 
pour la défense des places. 

Puis après les glacis, venaient d'immenses faubourgs qui 
allaient chaque jour s'agrandissant , de sorte que la ville close 
était comme l'ancienne cité de Londres ou l'Ile Saint-Louis de 
Paris, le centre d'une grande circonférence. 

Depuis quelques années déjà, les remparts disparaissaient 
l'un après l'autre ; ils se nivelaient avec les glacis, et formaient 
de grandes avenues bordées de chaque côté par d'énormes 
maisons que la spéculation élevait avec une rapidité vraiment 
surprenante. 

Les anciennes portes restaient encore debout , mais comme 
des souvenirs, ainsi que sont restées sur nos boulevards la 
porte Saint-Denis et la porte Saint-Martin. Les bastions histori- 
ques gardaient leurs noms, mais la ville était ouverte, et rien 
n'en défendait plus l'accès. 

Au surplus, si l'accroissement de la population et le dévelop- 
pement progressif du commerce et de l'industrie avaient rendu 
cette transformation nécessaire, on n'avait rien perdu du côté 
militaire, car les anciennes fortifications ne répondaient plus 
aux nouveaux moyens d'attaque de l'artillerie moderne et 
n'eussent pas servi en cas de guerre. ' 

En 1863, la transformation était en pleine exécution ; de tous 
côtés on ne voyait que ruines et terrassements. Le coup d'oeil 
n'était pas beau, mais on pouvait déjà prévoir que de tous ces 



I/ALLEMAGNE KOL'VKLLR. 



décombres sortirait bientôt une des plus belles villes de l'Europe. 
A mesure que disparaissait un rempart ou un bastion , le 
peuple de la ville transportait ailleurs ses habitudes de prome- 
nades, non pas sans quelques regrets, ni sans quelques critiques 
mais avec cette facilité et cette bonhomie qui lui sont propres et 
qui le distinguent de la plupart des autres populations citadines. 
S'il ne se mêlait au caractère viennois un peu trop d'insou- 
ciance, on pourrait le citer comme un modèle de philosophie 
pratique dans l'art de bien vivre. 

Tout change avec le temps, et peut-être à l'heure où nous 
écrivons, quelques traits de ce tableau se sont-ils modifiés au 
contact des grandes passions et des grosses convoitises que 
l'esprit démagogique et révolutionnaire souffle sur les nations. 
C'est possible, mais nous sommes certain que le fond du carac- 
tère viennois est encore le même. 

Facile dans ses relations, sans haine, sans envie, travaillant 
pour vivre plutôt que pour gagner, et très-amoureux de tous les 
plaisirs, le peuple de Vienne ne se prive pas pour amasser. Dès 
qu'il a assuré les repas de la semaine, il n'hésite pas à dépenser 
le reste en théâtres ou en parties de campagne. 

Il se contente de peu et partage volontiers ce qu'il a. L'ivresse 
n'est pas son défaut, et on rencontre rarement ce type affreux de 
l'ivrogne sohtaire se balançant sur ses jambes avinées à la porto 
des cabarets, loin de sa demeure et de sa famille. 

L'ouvrier viennois a ses défauts sans doute, et nous en parle- 
rons peut-être ailleurs ; mais il n'est pas ivrogne, il n'est pas 
solitaire, il n'est ni haineux ni envieux ; il est gai , sociable, 
aimant à s'amuser et modéré dans ses goûts. Et tout cela mis 
ensemble en fait un citoyen généralement heureux et certaine- . 
ment beaucoup meilleur que la plupart des autres. 

L'orgueil, l'envie et la haine sont les vrais dissolvants de la 
société, à tous les degrés de l'échelle sociale. 

Quand la haine envieuse s'est emparée d'une population, elle 
la dessèche, la flétrit et empoisonne son travail aussi bien que 
son repos. Les citoyens s'éloignent et se séparent ; un abîme se 
creuse entre les classes riches et les classes pauvres, les hommes 
deviennent mauvais, mauvais à ce point qu'ils trouvent plus de 






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il 



IMÉMÉÉÉII 



30 



L'ALLEMAGNE KOUVKLLE. 



IV 



plaisir dans le malheur de leurs voisins que de satisfaction dans 
la prospérité commune. 

Mallieur aux nations que l'orgueil envahit, aux peuples qui 
vivent dans la révolte habituelle, aux peuples qui détestent, qui 
envient, qui blasphèment, et qui ne savent plus ni aimer ni obéir! 
Ce sont vraiment des peuples esclaves, car rien n'est plus près 
de la servitude que ces gonflements d'orgueil. Ils finissent tou- 
jours par im affaissement servile, et plus s'est élevée la vani- 
teuse présomption du révolté, plus il descend dans la bassesse 
de ses soumissions, quand une fois il a trouvé son maître. 

Aussi c'est un grand bonheur pour les peuples d'Autriche et de 
Hongrie d'avoir su jusqu'à ce jour se préserver de cette infalua- 
tion si commune ailleurs. L'étranger qui les visite une première 
fois et qui assiste aux réunions populaires est toujours frappé 
de l'expression heureuse des physionomies et de la gaieté parfois 
bruyante, mais presque toujours honnête, qui anime les gens 
de la ville aussi bien que ceux de la campagne. 

Nous ne prétendons pas qu'en ce pays les masses soient 
inaccessibles à toutes les tentations, à toutes les passions, à 
toutes les tromperies au moyen desquelles on les soulève et on 
les égare dans les auti-es contrées. Non ! On y peut faire le mal 
comme ailleurs, mais il faut se donner plus de peine et le fonds 
s'y prête moins qu'ailleurs. 

Avec la disposition naturelle des Viennois pour le plaisir et les 
distractions, il va sans dire que les théâtres sont nomljrcux. Ils 
ont pris dans ces derniers temps un grand développement et se 
rapprochent de plus en plus par le nombre, par le répertoire et 
par la mise en scène, des spectacles de Paris. 

En •186!, dans l'ancienne petite ville, il y en avait moins 
qu'aujourd'hui et ils portaient encore le cachet du temps passé. 
On les distinguait on deux classes, les théâtres de la Cour et ceuï 
qui, tout en s'appelant théâtres impériaux et royaux, n'étaient 
pas cependant théâtres de la Cour (Hof-Theater). 

Ces derniers étaient le théâtre de la Burg (1) et le théâtre de 

(1) Théâtre do la ^urg{litirg-Thêaler). Burg est, le nom donné à Vienne 
à la résidence impériale. On dit la Burg (prononcez bourguc), comme 
0*1 dit en France Les Tuileries et Théâlre de la Burg, comme on eût pu 
dire Théâtre des Tuileries. 



L'ALLEJfAGKE NOUVKLLK. 



3) 



l'Opéra. La Burg répond au Théâtre-Français de Paris , les 
acteurs y sont impériaux et roj^aux, ce qui s'indique par la pré- 
sence de deux énormes K, placés en toute occasion devant leurs 
noms, sur les affiches ou sur les cartes. Le premier de ces K veut 
dire Kaiserlkh (Impérial), le second veut dire Kœniglich (Royal), 
de sorte que les actrices de la Burg ajoutaient toujours à leurs 
noms les indices suivants : 

« K. K. Hof-Schaûspielerinn, » c'est-à-dire : actrice de la Cour 
Impériale et Royale. 

Cela correspond au titre anciennement en usage de comé- 
diens ordinaires de l'Empereur. 

A l'Opéra c'étaient les K. K. Hof-Singerinn, chanteuse de la 
Cour Impériale et Royale, et K.K. Hof-Ballerinn, danseuse de la 
Cour Impériale et Royale. 

La Burg était le théâtre classique par excellence ; on y gar- 
dait sur la scène les belles traditions ; on y parlait en général 
un bon allemand, celui de Schiller et de Goethe. Les acteurs 
étaient tous distingués, et aucune scène d'Allemagne ne pouvait 
rivaliser avec ce petit théâtre si pauvre d'apparence, si riche en 
artistes de premier ordre. 

La salle était étroite et longue, à peine décorée et faiblement 
éclairée. C'était un ancien manège attenant au château et accom- 
modé aux besoins du théâtre. La ventilation y était défectueuse 
ou pour ainsi dire nulle ; on y arrivait facilement et on en 
sortait de même ; c'était là, sous le rapport matériel et pour la 
sécurité des spectateurs, le seul avantage de cette construction 
surannée. Rien pour l'élégance, presque rien pour la propreté. 
Quant aux décors et à la mise en scène, il est difficile d'imaginer 
quelque chose de plus primitif etde plus conventionnel. 

Et cependant dans cette enceinte presque sévère à force 
d'être longue, simple et vieille, le public viennois se portait 
toujours avec empressement, attiré par le talent considérable 
des acteurs et le choix du répertoire. 

Les pièces de Schiller étaient les grandes favorites, puis celles 
de Shakespeare, dont les traductions allemandes sont parfaites. 
Quelquefois il paraissait une œuvre moderne et allemande, mais 
il faut le dire, ce n'était pas fréquent, et les jeunes auteurs 



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V 



32 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



iV-. 



trouvaient plus commode et plus lucratif de se livrer au plagiat 
des scènes étrangères. 

Et pourtant ce n'était pas le côté brillant du théâtre viennois. 
Parfaits dans les scènes allemandes, les artistes se sentaient 
mal à l'aise dans les pièces parisiennes, où chaque mot se sou- 
ligne et reçoit de l'auteur un sens qui souvent n'est pas celui 
du dictionnaire. Et puis tous ces noms de forme latine se prê- 
taient mal aux accents germaniques. Adrienne Lecouvreur 
devenait Hâtriaine Laicoufraire, Bernard devenait Pernharde, 
Bijou devenait Pichou et ainsi de suite ; et ils y allaient avec 
grande confiance, ne se doutant même pas que ce pût être mal 
sonnant. 

Treùmann, le célèbre comique, tour à tour comme Molière, ac- 
teur, régisseur et propriétaire de théâtre, était fort instruit dans 
son art et se piquait de placer à propos, dans ses réparties de 
scène, des phrases françaises; il le faisait quelquefois avec assez 
de succès, ce qui ne l'empêcha pas un jour de faire éclater do 
rire les étrangers de la salle du Karl-Theater en disant ces 
mots : 

« Ich binwie Molière, chez bran man pienoù chez les truffe. » (1) 

L'opéra était excellent. On n'avait pas encore construit la salle 
actuelle, qui est sans contredit une des plus belles d'Europe, 
mais sous le rapport du chant et de la danse l'Opéra de Vienne 
pouvait rivaliser avec tous ceux des grandes capitales. 

Trois ou quatre autres théâtres dans les faubourgs attiraient les 
Viennois par la variété et l'entrain de pièces populaires, la plu- 
part tirées de la scène française, et chacun d'eux possédait 
quelque acteur en renom. Au faubourg an der Wien, la célèbre 
Gallmeyer dont le jeu fin et spirituel , rappelait celui de , 
Mlle Déjazet, recevait chaque soir les ovations frénétiques d'une i 
salle comble. Car le théâtre, à Vienne, fait partie des habi- 
tudes quotidiennes. La représentation commence de bonne heure, ' 
a. sept heures au plus tard, et dépasse rarement dans sa durée , 
l'heure de dix heures ou de dix heures et demie. 

(1) Je suis comme Molière, je prends mon bien où je le trouve. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



33 



Le théâtre ne s'arrête jamais, pas même dans les plus tristes 
circonstances, et la seule concession qui se fait alors aux tris- 
tesses publiques ou aux prescriptions religieuses consiste dans 
le choix des pièces que l'on adapte autant que possible au sen- 
timent du moment. C'est ainsi que le jour des morts, au 2 no- 
vembre, tous les théâtres de la capitale, sans exception, don- 
nent tous la mèmepièce : « Der Mùller und sein Kindv, « le meu 
nier et son fils », drame lugubre et mélancolique, où le crime, 
l'exil, l'abandon, la ruine et la misère se déroulent dans une 
série de tableaux saisissants, devant un public souvent ému jus- 
qu'aux larmes. C'est le jour des morts; on ne rit pas au théâtre 
ce jour-là, on y pleure, mais on y va. 

Un ancien usage qui, dit-on, tend à disparaître aujourd'hui, 
mais qui était alors en pleine vigueur, exerçait sur la durée des 
théâtres populaires une influence décisive. Toutes les portes des 
maisons se fermaient régulièrement à dix heures, et cette heure 
une fois dépassée, il fallait donner dixkreutzer au concierge qui 
les ouvrait, soit pour sortir, soit pour entrer. Et tel était sur la 
masse du puplic l'effet de l'habitude ou des dix kreutzer, que la 
plupart du temps on voyait la salle se vider petit à petit à l'appro- 
che de la limite réglementaire, quand bien même la pièce n'était 
pas achevée. 

Les heures des repas se prêtaient d'ailleurs à celles du théâtre, 
car elles diffèrent sensiblement des nôtres. En général, on dîne 
à une heure et on soupe avant de se coucher. Dans la haute so- 
ciété on ne dîne jamais plus tard que six heures. 

11 serait trop long de donner ici la nomenclature ou la descrip- 
tion de tous les divertissements publics qui sont en si grande 
vogue dans la capitale autrichienne ; ce serait un chapitre 
assez curieux comme étude de mœurs publiques, mais qui ne 
pourrait offrir d'intérêt que par l'abondance des détails et la 
précision de l'étude. Ce travail , car c'en est un, nous entraîne- 
rait trop loin. Aussi nous bornerons-nous à parler des grands 
bals par souscription qui se renouvellent périodiquement chaque 
année et sont pour ainsi dire passés à l'état d'institutions. 

Il y en avait environ une douzaine dont neuf qui revenaient 
chaque année régulièrement et à la même époque, c'est-à-dire 



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34 



L'ALLEMAGNE KOVVELLE. 



en janvier et février. Les trois autres étaient moins certains et 
on pourrait dire moins classiques. 

Les neuf bals annuels se suivaient généralement dans l'ordre 
que voici : 

i" Bail der Horern der Mediùn : c'est-à-dire le bal des audi- 
teurs de la médecine, ou des étudiants en médecine. 

2° Concordia-Ball, le bal de la concorde, donné par les journa- 
listes et autres écrivains de la presse périodique. 

3° Bail der HOrern der Rechte, le bal des étudiants en droit. 

i° Bail der industriellen Gesdlschaften, le bal des Sociétés in- 
dustrielles ; on l'appelait aussi le bal des ingénieurs. 

5° Ber Kùnsiler Bail, le bal des artistes. 

6» Ver Bûrger Bail, le bal des bourgeois de Vienne. Il était le 
plus important, et nous en parlerons plus loin. 

7° Der Studentem Bail, le bal des étudiants, ordinairement 
patronné par quelques grandes dames de la Cour dont les fils 
fréquentaient les écoles. 

8° Bail der Vntersiùtz der Juristen, bal pour la caisse mutuelle 
des juristes ou hommes de loi. On l'appelait aussi Juristen Bail 

9° Hesperus Bail, ou le bal des gens de lettres. 

Les comités chargés de l'organisation de ces fêtes, qui 
avaient toutes un but de bienfaisance, commençaient toujours 
par envoyer une députation à la Cour, aux Archiducs et Archi- 
duchesses et aux principaux personnages. C'était une ancienne 
tradition qui se conservait d'année en année, et les invités de 
distinction se faisaient le plus souvent un devoir aussi bieD 
qu'un plaisir de se rendre à l'invitation. 

Le plus beau de ces bals était celui des bourgeois de Vienne. 
11 avait lieu dans les grandes salles de la Redoute, dépendances 
du château impérial de la Burg et reliées par d'immenses corri- 
dors au palais et aux appartements de la Cour. L'Empereur mettait 
gracieusement ce vaste local à la disposition du syndicat. 

L'une des salles servait pour la danse, et l'autre pour les sou- 
pers ; car ces fêtes ont toujours de minuit à une heure un inter- 
valle consacré à des repas assez substantiels. 

L'une des tribunes latérales était réservée pour l'Empereur qui 
y paraissait , vers neuf heures, avec l'Impératrice et toute sa 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



33 



Cour. Leurs Majestés descendaient ensuite dans la salle, en fai- 
saient le tour et se retiraient après une heure de séjour. Les Ar- 
chiducs y venaient en grand nombre, aussi bien au bal des 
bourgeois qu'à tous les autres, toujours en uniforme, la tenue 
civile n'existant pas en Autriche pour les officiers, quel que soit 
leur grade ; mais sans aucune étiquette et mêlés à la foule des 
souscripteurs ou invités. 

Ces grandes têtes Yiennoises de la bourgeoisie, des arts et de 
l'industrie étaient fort populaires et donnaient sous plus d'un 
l'apport un tableau Adèle de l'état social du pays. Ce n'était pas 
la fusion des classes, mais l'union des classes, résultat plus 
pratique et plus utile que le nivellement théorique et impossible 
des doctrinaires de l'égalité moderne. 












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Confcdcralion Gornsanique. — Antagonisme fédéral de l'Autriche el de 
la Prusse. — Projets de Réforme fédérale proposés par M. de Beust, el 
unanimement rejetés. — Menaces de la Prusse. — Visite de l'Empe- 
reur d'Autriche au Roi de Prusse. — Dernier congrès des Souverains 
Confédérés à Francfort en 1863. 



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Pendant le séjour du Roi de Prusse à Carlsbad (juin <863), il 
avait été convenu que l'Empereur d'Autriche irait lui rendre 
visite quelques semaines après à Gastein. 

En conséquence, François-Joseph s'y rendit le 3 août pour 
saluer son oncle et passer vingt-quatre heures en sa compagnie. 

C'était une simple visite de courtoisie, mais il s'y fit de la 
grande besogne et cette date marque dans l'histoire le point de 
départ de la politique qui aboutit à la guerre austro-prussienne 
en 1866. 

Il n'entre pas dans le cadre de ces souvenirs d'y placer l'his- 
toire de la longue rivalité de la Prusse et de l'Autriche, mais 
il est impossible de bien comprendre ce qui se passa dans l'en- 
trevue des souverains sans remonter à l'origine du conflit, car à 
partir de ce jour les divergences prirent un caractère beaucoup 
plus défini et plus précis qu'elles ne l'avaient fait jusqu'alors. 
^ La Confédération germanique représentée par la Dicte de 
Francfort était une institution créée pour le statu quo et pour 
l'immobilité. 



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10 11 12 



L'ALLEMAGNE .NOUVELLE. 



37 



!:ile pouvait empêcher de défaire, mais elle ne pouvait pas 
faire. Chacun des princes qui y étaient représentés jouissant du 
droit de veto, une seule voix suffisait pour annuler les déli- 
bérations. Il fallait donc l'unanimité et sans elle rien n'était 
possible. 

L'idée qui avait inspiré et dicté le pacte fédéral était l'hypothèse 
d'un accord permanent entre les confédérés ou du moins entre 
les plus puissants d'entre eux. Tant que cet accord avait subsisté, 
sinon dans tous les détails du moins dans les questions les plus 
importantes, le système avait fonctionné sans encombre ; mais 
du jour ofi l'un des confédérés semblait vouloir se séparer des 
autres ou dominer les résolutions fédérales, la Diète, sans pou- 
poir exécutif et dépourvue de tout moyen d'action pour main- 
tenir ses résolutions, devenait impuissante et par cela même 
frappée de discrédit. 

On en avait eu des exemples si frappants à l'occasion des 
difficultés de la Hesse électorale en 1860, que chacun des confé- 
dérés sentait la nécessité d'une réforme. 

Le premier à en donner le signal fut M. de Beust, alors Saxon 
et ministre des affaires étrangères du roi de Saxe. Les affaires 
étrangères à Dresde laissent dos loisirs à ceux qui en portent le 
léger fardeau ; aussi l'activité du secrétaire d'État se concentrait- 
elle sur les affaires allemandes en général, c'est-à-dire sur la 
Confédération germanique. 

Il fit un plan de réformes habile, ingénieux , mais au fond 
superficiel, peu étudié et peu praticable. 

Tous les États en firent l'éloge, les uns poliment comme l'Au- 
triche, les autres avec ironie comme la Prusse ; mais tous furent 
unanimes à le renvoyer à son auteur en l'accompagnant de cri- 
tiques qui. n'en laissaient plus rien subsister. 
Ce document parut le 1 5 octobre 1861. 

Il ne manquait certainement ni d'à-propos, ni d'un certain ta- 
lent de combinaison, mais il se heurta dès le premier jour contre 
des intérêts, des droits et des faits dont il n'avait pas suffisam- 
ment tenu compte. C'était plutôt un essai préliminaire qu'une 
étude sérieuse. 
2 Cependant il était manifeste que le projet avait pour but d aug 



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38 



L'ALLEMAGNE NOLVI-XLE. 



monter l'importance des petits États de la Confédération au dé- 
triment des grandes Puissances, et celle qui devait, plus que 
toute autre, faire les frais des nouvelles réformes était précisé- 
ment l'Autriche, l'Autriclie qui, six ans plus tard, devait voir ses 
destinées confiées à celui qui, en 1861, lui portait les premiers 
coups. 

M. de Beust proposait une assemblée fédérale, dont dépen- 
daient, comme annexes, une administration fédérale militaire el 
une chancellerie fédérale, puis à côté de cette triple institution, 
une assemblée de députés et enfin un tribunal fédéral. 

Dans l'assemblée fédérale, composée de représcutants des gou- 
vernements allemands, l'Autriche et la Prusse ne figuraient que 
pour une voix, tout comme les petits États de Bavière, de Saxe, 
de Hanovre, etc., etc., de telle soi-te que chacune des deux 
grandes Puissances pesait d'un dix-septième dans les délibéra- 
tions de l'Assemblée qui comptaient dix-sept représentants. 

Un tel projet n'était pas sérieux. 

Mais ce qui le complétait au point de vue aulricliien, c'est qu'il 
enlevait à l'Autriche la présidence d'honneur qui lui avait été 
décernée par l'Allemagne entière depuis 1815, et la remplaçait 
par un alternat avec la Prusse, dans des conditions également 
désagréables pour les deux gouvernements. 

Cependant l'Autriche était beaucoup plus maltraitée que la 
Prusse et, à vrai dire, le projet Beust la faisait descendre au se- 
cond rang. 

La Prusse, en effet, devait envoyer à l'assemblée des déoulés, 
des mandataires nommés dans les deux Chambres de sa Diète, 
tandis que 1 Autriche devait les choisir exclusivement dans ses 
provinces allemandes. 

Cette différence avait alors une portée considérable, parce .juc 
d un cote elle donnait aux provinces non allemandes de la Prusse 
droit de cite dans la Confédération germanique et que de l'aulre 
de l'iutricir P«'''5"^Pto"'ement les provinces non allemandes 

Enfin tout cet édifice compliqué devait être portatif, c'est-ù- 
.urequ 11 devait se transporter alternativemenl à Raîisbonne 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



3!) 



SOUS la bannière autrichienne et à Hambourg sous la bannière 
de Prusse. 

C'était vraiment s'éloigner de Charybde pour tomber en Scylla, 
et il était facile de prévoir que l'Allemagne ne s'accommodei'ait 
guère de cette Diète voyageuse, plus encombrée de formalités que 
ne l'était déjà celle de Francfort, et ne répondant ni aux aspira- 
tions sérieuses du parti progressiste ni aux ambitions contenues 
des gros confédérés. 

Aussi de tous côtés la Saxe vit-elle affluer les réponses néga- 
tives, et bientôt il ne resta plus du projet de M. de Beust que le 
souvenir des refus qu'il avait provoqués. 

C'est qu'en effet ces refus étaient bien autrement importants 
que le projet lui-môme, car ils contenaient le programme du 
conflit qui allait désormais se poursuivre pendant des années 
])0ur finir par une guerre intestine. 

La Prusse, tout en félicitant avec un peu d'ironie M. de Beust, 
Saxon, de l'activité diplomatique qu'il déploie sur le terrain des 
questions allemandes, pose en principe la distinclion à faire entre 
les Puissances allemandes dont elle prend la tète et les Puis- 
sances qui, comme l'Autriche, n'appartiennent à la Confédéra- 
tion que pour une partie de leur territoire. 

Entre les premières elle veut une fédération restreinte et 
exduiive; et pour les secondes elle admet des liens internatio- 
naux dont elle se réserve d'examiner la nature et surtout la 
réciprocité. 

En un mot, c'est l'exclusion de l'Autriche de la patrie allemande. 

Enfin, dit le Cabinet de Berlin, nous voyons dans le projet 
Beust un édifice bien plus artificiel et Meni~ilus compliqué que celui 
que nous avons devant 7ious (1 ). 

Quant à l'Autriche, son l'efus est encore plus catégorique que 
celui de la Prusse. Elle repousse toutes les innovations du mi- 
nistre saxon, tant pour l'alternat de la présidence que pour les 
combinaisons qui servent de base à l'organisation d'un pouvoir 
exécutif fédéral ; mais surtout et avant tout le Cabijiet de Vienne 
proteste contre l'idée d'une union restreinte do certains États 

(I) Dépêche de M. de Bernslorff au ministre de Prii.sc ii l'resJ ', du 20 
décembre 1861. 



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40 



L'ALLEMAGNIî NOUVELLE. 



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allemands sous un seul chef fédéral, et y substitue celle d'une 
garai.tie donnée par tous de toutes les possessions allemandes et non 
allemandes de V Autriche et de la Pnisse, c'est-à-dire l'entrée de 
tout l'Empire d'Autriche dans la partie utile et pratique du pacte 
fédéral (1). 

Ainsi posée, la divei-gence prenait les proportions d'un conflil 
et, comme il arrive toujours dans la première période de ces 
luttes internationales, des flots d'encre inondèrent aussitôt toutes 
les chancelleries allemandes. 

Chacun se mit en campagne, et le 2 février 1862, le cabinet 
de Vienne, profitant de l'ascendant traditionnel qu'il avait encore 
conservé sur la plupart des États confédérés, parvint à grouper 
autour de lui la Bavière, le Hanovre, le Wurtemberg, le grand- 
duché de Hesse et le duché de Nassau, pour faire adresser à 
Berlin une note identique sur la question.de la Réforme fédérale. 
Entraînée par le mouvement général et aussi par la défiance 
qu'avait soulevée l'apparition non déguisée des prétentions prus- 
siennes, la Saxe elle-même dut adhéfer plus tard aux notes 
identiques du 2 février comme le firent aussi les deux duchés de 
Mecklembourg et celui 'de Saxe-Meiningen. 

Cette démarche collective devait marquer dans les annales 
germaniques. Il en résultait en effet deux déclarations impor- 
tantes : 

T.a première : que les États signataires considéraient l'idée 
prussienne d'une union restreinte comme incompatible avec la 
Confédération germanique et entraînant de fait sa dissolution. 
L'a seconde : qu'ils étaient prêts à ouvrir des négociations 
avec la Prusse, dans le but d'arriver aux réformes désirables, 
tout en prenant pour base le maintien de la Confédération fédé- 
rale qui existait et qui réunissait toute rAllemaçjn". 

On prit quinze jours à Berlin pour répondre aux noies iden- 
tiques du 2 février. La réponse fut courtoise mais très-explicite 
et sans concession. On peut en juger par la phrase finale que 
nous reproduisons textuellement. 

« Par conséquent, l'importance réelle de la démarche qui a ou 

(1) Note autiicliienne envoyée à Dresde le Si novembre 1861. 



I 



L'ALLEMAGNE NOaVELLE. 



lieu par la remise de la cote identique ne peut être que celle-ci : 
C'est que le Cabinet de Vienne a voulu faire connaître d'une 
manière décisive l'attitude négative qu'il entendait prendre 
contre tout acte sérieux de la Prusse en faveur de la réforme 
fédérale. » 

Cette accusation n'était pas entièrement fondée. L'Autriche 
ne repoussait, pas à priori les réformes fédérales par cela même 
que la Prusse en prenait l'initiative, mais elle ne voulait à aucun 
prix admettre le principe de l'union restreinte qui ne tendait à 
rien moins qu'à l'exclure de l'Allemagne. 

Le Cabinet de Vienne, alors dirigé par le comte de Rechberg, 
attachait un tel prix à organiser contre ce système une véri- 
table ligue germanique que, pour obtenir l'identité des notes 
remises à Berlin il n'avait pas hésité à se départir en cette cir- 
constance de la régularité traditionnelle et officielle de ses rap- 
ports avec les autres Cabinets des États confédérés. Pour être 
parfaitement sûr du secret, il n'avait rien écrit aux envoyés au- 
trichiens accrédités près des Cours d'Allemagne et les avait laissés 
dans l'ignorance de son entreprise. 

Celui qu'il en avait chargé était un jeune conseiller de légation, 
le comte de Blome, Danois d'origine, devenu gendre du comte 
Buol (ancien ministre des affaires étrangères), et depuis long- 
temps déjà au sei'vice de l'Autriche. 

Le comte de Blome était allé visiter successivement chacune 
des chancelleries et s'était entendu secrètement avec elles pour 
la rédaction de la note commune, son identité et surtout la si- 
multanéité de sa transmission. 

Pour qui connaît la force de la tradition, et la puissance des 
habitudes dans les sphères politiques de l'Autriche d'alors, cette 
dérogation aux règles consacrées témoigne combien, de son côté, 
le Cabinet de Vienne mettait d'importance à cette démai'che. 

Il s'agissait en effet, pour lui, de prendre les devants sur la 
Prusse et de resserrer les liens qui unissaient l'Autriche à l'Alle- 
magne, avant que la Prusse ne parvînt à les rompre. 

« En cessant d'être Allemand, disait le comte de RécJÂei'ai ''et,\ 



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L'ALLEMAGNK KOUVELLK. 



d'avoir comme tel clans la Confédération germanique le rang 
auquel il a droit, l'Empire perdrait son principal élément de 
force ponr le présent et pour l'avenir, et ses provinces alle- 
mandes ne tarderaient pas à lui échapper pour devenir avec le 
temps les éléments d'un Piémont septentrional. » 





C'était prévoir l'avenir d'un peu loin, car voici maintenant près 
de dix ans que l'Empire d'Autriche n'est plus dans la Confédéra- 
tion, et ses provinces allemandes ne lui ont pas encore échappé; 
il est certain toutefois que cet état de choses contient en lui- 
même le germe de complications qu'il était sage de prévoir et 
(lu'il sera peut-être, avant peu, nécessaire de combattre. 

Mais tout en insistant pour le maintien du pacte fédéral, le 
Cabinet de Vienne en reconnaissait les défauts, et proclamait la 
nécessité de faire sortir la Diète de Francfort de l'état de torpeur 
où elle était réduite depuis quelques années. IL fallait lui donner 
l'élément vital, c'est-à-dire un pouvoir exécutif défini et limité 
qui put se concilier avec la souveraineté des Confédérés. Œuvre 
difficile, mais non pas impossible. Difficile, parce que le pouvoir 
exécutif do la Dicte devait, quelles que fussent son organisation 
et ses attributions, enlever une certaine part de souveraineté à 
chacun des confédérés. 

Il s'agissait donc pour les États confédérés, ou plutôt pour 
les Princes confédérés, de sacrifier à la cause commune une 
portion de leur puissance souveraine et de leur indépendance 
absolue, et ce sacrifice, pour ainsi dire nul et plus fictif que réel 
pour les petits princes ou les petits États, devenait très-réel et 
très-grave pour les grandes Puissances. 

Cependant l'Autriche se déclarait prête à le faire, non pas <à la 
Prusse, il est vrai, mais à l'Allemagne. 

La Prusse, au contraire, tout en reconnaissant la nécessité des 
reformes, les voulait à son bénéfice. 

Peut-être était-ce la conviction de l'inipossihiUté d'une solu- 
tion pratique et prochaine qui donnait à l'Autriche le courage 
d en proclamer la nécessité et celui do se déclarer prête à en 
subir les conséquences. 

Toujours est-il que la démarche collective dont l'Autriche 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



avait pris l'initiative eut pour résultat de mettre la Prusse 
on demeure de préciser d'une façon catégorique le but de cette 
agitation mal déflnie que depuis quelque temps elle entretenait 
en Allemagne. 

Toutes les questions fédérales se ressentaient de l'attitude 
incertaine du Cabinet de Berlin. Depuis longtemps déjà le con- 
llit Hessois eCit été réglé si le désaccord des grandes Puissances 
n'avait compliqué l'affaire au lieu de la résoudre : — « Dès que 
nous sommes d'accord, disait-on à Vienne, c'est-à-dire dès que 
nous nous rallions aux propositions de la Prusse, elle change 
aussitôt son programme, et met en avant d'autres propositions 
toutes différentes. » 

Aussi était-on arrivé à cette opinion, qui d'ailleurs était jusli- 
liée par les événements, que le Cabinet de Berlin, espéranl 
trouver avec le temps, des occasions plus propices, voulait abso- 
lument tenir ouverte la question de la réforme fédérale, pour 
s'en servir à ses Ans. 
Et c'était la vérité. 

Cet état de choses se prolongea pendant toute l'année 1862, 
sans amener aucune modification sensible dans la situation 
respective des deux grandes Puissances allemandes. 

Vers la fin de l'année, l'Autriche ayant soumis à la Diète un 
projet de réformes comprenant la réunion d'une assemblée de 
délégués des divers États fédérés, et ces propositions ayant été 
renvoyées par la Diète à l'étude d'un comité spécial, le Cabinet 
de Berlin sortit tout à coup de la réserve qu'il observait depuis 
quelque temps et M. de Bismarck eut avec le comte Karolyi, 
ministre d'Autriche à Berlin, une explication dont la vivacité fit 
entrer la question dans une phase plus aiguë. 

Passant des remontrances aux menaces, il déclara que non- 
seulement il refusait d'examiner à Francfort les propositions 
autrichiennes, mais que si la Diète persistait dans sa résolution, 
la Prusse se retirerait de la Confédération et considérerait comme 
définitivement rompus les liens fédéraux dont l'Autriche cher- 
chait à altérer le caractère. 
En mêm.e temps le baron de Werther, ministre de Prusse à 



44 



L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 




Vienne, était chargé de tenir au comte de Rechberg un langage 
des plus énergiques, pour ne pas dire agressif. 

« En se séparant de la Diète, la Prusse, dit-il, entendait main- 
tenir néanmoins ses garnisons dans les places fédérales. 

K Le Cabinet de Berlin ne se dissimulait pas les complica- 
tions, peut-être même les conflits qui devaient en résulter, mais 
il était résolu à empêcher à tout prix l'adoption du projet de 
réforme autrichien. 

« Au surplus, l'heure était venue de s'expliquer sans détours. 
Il se faisait depuis quelque temps par le cabinet de Vienne uu 
travail d'opposition occulte et continu, qui avait pour but et 
pour résultat de miner sourdement l'influence de la Prusse et 
sa légitime prépondérance dans le nord de l'Allemagne pour y 
substituer celle de l'Autriche. 

« Le Gouvernement prussien ne pouvait plus tolérer davan- 
tage le développement de cette politique hostile. 

a Sa dignité, ses intérêts, son existence même comme grande 
Puissance, et surtout comme grande Puissance allemande, lui 
faisaient un devoir et même une nécessité de sa prépondérance 
dans le nord de l'Allemagne. 

<c L'influence, l'activité et l'autorité de la Prusse devaient 
désormais s'y exercer, non pas en première ligne, mais seules et 
sans rivales. 

« La Prusse était donc décidée à les défendre à tout prix, et 
en taisant part de cette résolution au Cabinet de Vienne, le 
haron de Werther était chargé de demander des explications 
lormelles sur les vues ultérieures elles déterminations finales 
de 1 Autriche. » 

Il ne les obtint pas, et en vérité il ne pouvait pas se flatter de 
les obtenir, car dans son impatience, M. de Bismarck s'attaquait 
a un fantôme qui troublait ses rêves d'avenir, plutôt qu'à la réa- 
lité. i>( avait-il pas, en eft'et, dans le mécanisme de la Diète elle- 
même le plus sûr moyen d'empêcher l'adoption des réformes 
tant redoutées, et fallait-il tant de bruit pour combattre des pro- 
positions que la Prusse pouvait anéantir à Francfort par le seul 
veto de son mandataire? 

4- 
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L'ALiEMAGSE NOUVELLE. 



4S 



C'était un procès de tendance qu'il faisait à l'Autriche, bien 
plus qu'une opposition légitime sur le terrain fédéral; et le 
comte de Rechberg refusant de le suivre dans cette voie, se 
retrancha dans la légalité de sa procédure pour répondre à son 
interlocuteur. 



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«. Le Cabinet de Berlin, dit-il, ne peut nourrir sérieusement et 
sincèrement la pensée qu'il est entré dans les vues de l'Autriche 
de forcer la volonté de la Prusse au moyen du mécanisme fédéral 
et de lui imposer un projet de réforme qu'elle repousse. 
D'ailleurs le voulût-elle, on sait bien à Berlin que c'est chose 
impossible. 

« L'Autriche n'avait aucun intérêt à sortir de la légalité. Elle 
ne recherchait ni un accroissement de territoire, ni un accroisse- 
ment d'influence, mais elle était résolue à maintenir, à con- 
server et à défendre dans leur intégrité tous les droits qu'elle 
tenait des traités existants. 

« Si le Cabinet de Berlin constatait avec amertume que son 
influence s'effaçait là où, selon lui, elle devrait régner toute 
seule, il fallait en voir la cause précisément dans le contraste 
qu'offraient aux yeux de l'Allemagne l'attitude correcte résolu- 
ment prise par le gouvernement autrichien et l'attitude incer- 
taine, presque agressive, récemment inaugurée par le Gouver- 
nement prussien. 

« Les États du Nord n'avaientpu entendre sans en être alarmés 
les déclarations imprudentes échappées au ministre du Roi en 
plein Parlement; ils n'avaient pas vu sans crainte développer 
à la tribune ces théories d'absorption et ce besoin d'agrandisse- 
ment territorial, signalés à l'Europe comme une condition vitale 
de la monarchie prussienne. 

« Si le Cabinet de Berlin rassurait sérieusement les États alle- 
mands sur la portée de ces déclarations, il retrouverait aussitôt 
son influence légitime en Allemagne, et il la retrouverait cà la 
grande satisfaction de l'Autriche, qui certainement ne cherche- 
rait ni à la balancer ni à l'affaiblir si elle se développait dans de 
semblables conditions. » 

Les choses en restèrent là pendant quelques semaines, puis 
la Diète de Francfort écarta par un vote négatif les propositions 
dont elle était saisie. 

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Ainsi que nous l'avons déjà dit, cette solution négative était 
prévue de part et d'autre, car elle était la conséquence forcée 
du mode de votation fédérale. 

Vers la fin de janvier, il se fit une tentative de rapproche- 
ment. Le comte de Thuii, ministre d'Autriche à Saint-Péters- 
bourg, en avait pris l'initiative en proposant une entrevue entre 
le comte de Rechberg et M. de Bismarck. Il ne fut pas donné 
suite à ce projet, mais il devint l'occasion d'un échange d'idées qui 
se fit sous une forme moins acerbe qu'auparavant, bien que cha- 
cune des Puissances y maintint la position prise avant le dcrniei' 
incident. 

M. de Bismarck insistait pour que l'Autriche retirât spontané- 
ment le projet dont elle avait saisi la Diète, et de son côté le 
comte de Rechberg se déclarait prêt à retirer le projet si le Cabi- 
net de Berlin consentait à prendre part en dehors de la Diète, 
mais avec l'Autriche et les autres Étals allemands, à des confé- 
rences ayant pour but d'introduire l'élément représentatif dans 
le pacte fédéral. 

En consentant à cette discussion extra-fédérale, la Pi'usse 
aurait ainsi donné à l'Autriche le moyen de justifier le retrait do 
son projet. 

Elle ne le fit pas, et, dans sa réponse, le cabinet de Berlin, 
tout en indiquant vaguement les principaux traits d'une réforme 
très-radicale, ne manqua pas d'ajouter que tous les projets 
seraient irréalisables aussi longtemps qu'ils ne pourraient pas 
être discutés par un parlement composé de députés d'États pure- 
ment allemands, et non d'États où les populations allemandes 
sont mélangées avec d'autres races non allemandes. 

« Avez-vous donc oublié les Polonais du duché de Posen que 
vous narez jamais pu germaniser? répondait-on aux déclara- 
tions de 13erlin ; vous aussi \ous avez le mélange des races dans 
la monarchie prussienne, et vous semblez l'ignorer. ,. 

Puis on opposait aux velléités radicales de M. de Bismarck, 
dans les affaires allemandes, les tendances absolutistes et rétro- 
grades de sa politique intérieure, et le Cabinet de Vienne s'cnga- 



L'ALLEMAGNE KOUVELLI- 



47 



g-cail vis-à-vis de l'Allemagne à suivre et même à dépasser les 
propositions prussiennes, pourvu que la Prusse les formulât. 

C'est ainsi que l'Autriche, prenant avantage de toute occasion, 
s'attachait à assurer sa position morale et politique vis-à-vis des 
États allemands, se faisant l'interprète de leurs besoins et de 
lem^s vœux et resserrant avec eux les liens du pacte fédéral à 
mesure que la Prusse menaçait de les rompre. 

Dès qu'une démarche collective avait échoué, on en annon- 
çait une autre, et chaque fois la Prusse était mise en demeure 
de s'y adjoindre ou de présenter elle-même son système de 
réforme. 

Telle était la situation au moment où l'Empereur François- 
.(oseph se rendit, le % août 4863, à Gastein pour y saluer le Roi 
(le Prusse. 

On avait pris à Vienne une grande résolution ; on s'était décidé 
à faire appel aux Princes confédérés et à les convoquer tous à 
Trancfort en congrès souverain sous la présidence de l'Empereur 
d'Autriche. 

L'Empereur devait profiter de sa visite à Gasteni pour faire 
d'abord au Roi de Prusse une première invitation verbale et lui 
[•émettre en même temps le nouveau projet do réforme fédérale 
sur lequel le congrès allait être appelé à se prononcer. 

Cela se fit ainsi le 3 août, et l'Empereur ayant remis au Roi un 
mémoire préparé à cet effet, il lui déclara qu'un congrès de 
princes se réunirait le 16 à Francfort dans le but de reviser les 
bases de la constitution fédérale. 

Un directoire de cinq princes devait se trouver désormais à 
la tête de la Confédération. La Diète germanique continuerait à 
délibérer sur les affaires courantes, mais on devait établir une 
première Chambre composée de tous les souverains confédérés 
se réunissant périodiquement, et une seconde Chambre compo- 
sée de délégués des différentes Diètes allemandes et pourvue 
d'attributions délibératives. 

En même temps l'Empereur exprima au Roi son désir et sou 
espoir de le voir prendre part au congrès princier. 



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48 



L'ALLEMAGNE ^'O^JVELLE. 



Mais quelles que fussent ses instances, qui se renouvelèrent 
jusqu'à trois fois dans la même journée, François-Joseph ne put 
obtenir l'acquiescement du Roi, et s'il n'essuya pas un refus ab- 
solu, il n'emporta de ces entrevues qu'une réponse dilatoire 
dans laquelle le Roi Guillaume déclarait qu'en tout cas un con- 
grès de princes ne pourrait jamais être convoqué avant le 
1er octobre, à cause des travaux préparatoires qu'il nécessi- 
tait (1). 

Toutefois, dans la soirée et avant le départ de l'Enipereur, 
un aide de camp vint porter au Roi une invitation officielle au 
congrès de Francfort pour le 16 août, datée du 31 juillet, et 
pareille à celles qui avaient été adressées aux autres priuces. 

Le 4 août, François-Joseph était de retour à Vienne, et le soir 
même il y recevait la réponse négative du Roi Guillaume. 

Cependant si le Roi déclinait l'invitation, il ne déclinait pas la 
discussion, et il proposait que les questions sur lesquelles les 
souverains de toute la Confédération auraient à se prononcerai! 
futur congrès fussent préalablement discutées et arrôlées dans 
des conférences ministérielles. 

En réalité, c'était peut-être plus pratique ; mais ce genre de 
discussion ne répondait pas aux vues de l'Autriche, et d'ailleurs 
toutes les invitations étaient faites et acceptées. Il n'était plus 
possible de reculer. 

En conséquence, l'Empereur d'Autriche partit le 16 pour 
Francfort. Il était accompagné de sa maison militaire, commandée 
par le premier aide de camp général, comte de Crenneville, et 
de sa chancellerie qui comprenait les premiers fonctionnaires 
du ministère des Affaires Étrangères. Le comte de Rechber? 
avait précédé Sa Majesté de trois jours. 

Voici la liste des princes ou chefs d'États qui avaient répondu 
à l'invitation Impériale : 

Le Roi de Ravière, le Roi de Saxe, le Roi de Hanovre, K' 
Prince Royal de Wurtemberg, remplaçant le Roi son père, trop 
âge pour se déplacer ; le grand-duc de *Bade, l'Électeur de Hesse, 
le prince Henri des Pays-Bas. pour le duché de Luxembourg, le 

du 14 août ms? *'• *•' '''^""'■'•■•' «"taron de Werther à Vienne, en date 




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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



4J 



duc de Brunswick, le grand-duc de Mecklembourg-Schwérin, 
le duc de Nassau, le grand-duc de Saxe-Wcimar-Eisenach, le 
duc de Saxe-Meiningen, le duc de Saxe-Altenbourg, le duc de 
Saxe-Cobourg-Gotha, le grand-duc deMecklembourg-Strélitz, le 
grand-duc d'Oldenbourg, le prince héréditaire d'Anhalt-Dessau- 
Cœthen, le prince de Sctiwarzbourg-Sondershauscn, le prince de 
Schwarzbourg-Rudolstadt, le prince de Liechtenstein, le prince 
de Waldeck et Pyrmont, le prince de Schaumbourg-Lippe, le 
prince de Reuss, branche cadette; les villes libres de Lubeck, 
Francfort, Brème et Hambourg, représentées par leurs bourg- 
mestres respectifs; en tout, y compris l'Autriche, trente États 
confédérés. 

Il ne manquait que le Holstcin et le Lauenbourg, dont l'ab- 
sence s'expliquait par le conflit de l'Allemagne avec le Danemark, 
et deux ou trois petits princes de branches cadettes représentés 
parles chefs de leur maison. 

C'était donc, sauf la Prusse, toute la Confédération germa- 
nique. 

Cette réunion devait marquer dans les fastes de l'Allemagne 
confédérée, car elle fut la dernière de ce genre, et il n'est pas 
probable que les États qui la composaient aient jamais une autre 
occasion de voir leurs princes délibérer en commun sur les 
destinées de la patrie allemande. 

Au surplus, depuis la guerre de 4.^66 et les conséquences 
forcées de la suprématie prussienne, depuis la création d'un 
Empereur d'Allemagne, siégeant à Berlin, une médiatisation 
virtuelle et effective a réellement frappé tous les princes qui 
seraient appelés aujourd'hui à siéger dans un congrès allemand. 
On a pu leur laisser les châteaux et les chambellans, mais on 
leur a pris leur souveraineté, et en vérité plus d'un particulier 
dans ses domaines privés, jouit d'une aisance et d'une autorité 
supérieures à la leur. 

Le Congrès de '863, ouvert le 7 août par un discours de 
l'Empereur d'Autriche, et tenu sous sa présidence, se termina 
le 1" septembre par un dernier discours Impérial. 

11 avait tenu dix séajjg^^^tlîtHt lesquelles la majorité, mais 



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1/ALLEMAG.NE KOUVELLR. 



non l'unanimité, s'était prononcée pour les propositions autri- 
cluennes. 

Celui qui s'était pour ainsi dire mis à la tôte de l'opposition 
était le grand-duc de Bade, gendre du Roi de Prusse, et qui 
commençait déjà à se poser en Allemagne comme l'agent 
princier des Yolontés et des aspirations de son beau-père 

Le -l"-- septembre, jour de la clôture, il remit au congrès une 
déclaration finale qui fit une certaine sensation, non pas tant 
par le vote contraire qui en était la conclusion, que par la forme 
étrange et insolite de sa rédaction. C'est un document curieui 
par sa phraséologie et qui restera comme un des derniers spé- 
cimens du vieux style des chancellerie? passées. 

On y voyait entre autres des choses de ce genre : 

« Les conditions auxquelles je subordonne donc ma coopcra- 
tion a la réforme, se résument ainsi : 

« Je ne vote pas pour les articles 3 et 5; 
« Je ne vote pas pour l'article 8 ; 
« Je ne vote pas pour l'article 16; 
« Je ne vote pas pour l'article 1 4 ■ 
« Je ne vote pas pour l'article 9 ; ' 
« Enfin, je vote contre la totalité du 
soumis. )) 



projet qui nous est 



Raïe i?f * !" ''''™' ^^^ conditions auxquelles le grand-duc de 
Bade subordonnait sa coopération. 
Ce fut l'incident comique du Congrès 

de nonve! ^T''\T: *°"' '"' '"^"^'^'■''^ '-^^aient en vain sollicité 
clôZe r f '=°"'^î^°ration du Roi de Prusse. Le jour de la 
te no,', ^^ ^ "^ ^ '°*'° '^"^ '"i adressèrent une lettre collee- 
ewSner "' '°^''^T'^^'' ^^ ^^^«"It^t de leurs travaux et lui 
de ia^on ?^°'-"'^'''^^^'P'"'^"'*^'''^'' «^-^ considération. Comme 
documen'rui?"''rf ""^ ^''""^•"^"'^ «^^ ^ade manqua à ce 
tion en ; Tp ^""^ ^' P°^"^ ^° '^•^P^^''^ ^e nouvelles explica- 
lion. entie la Prusse et les confédérés 

M^tèrcJ''"-'''''T' '^''°" t'»"*^^^ '«^^ clauses du projet 
"^Slon's ""' '''"''' ^"' ^^ --' i-P- les principal 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Il y en avait trois que la Prusse repoussait péremptoirement^ 
et auxquelles elle substituait les propositions suivantes : 

1" Le droit de veto pour la Prusse et pour l'Autriche, relati- 
vement à une guerre fédérale qui ne servirait point à repousser 
ime attaque contre le territoire r'e la Confédéralion. 

Dans le projet autrichien, le Cusws belli était du ressort du 
conseil fédéral et il n'était pas question de veto. 

2» La parfaite égalité des droits de la Prusse et de l'Autriche,, 
([uant à la présidence et à la direction des affaires fédérales. 

Dans le projet autrichien, la présidence était maintenue à 
l'Autriche comme dans le pacte fédéral existant depuis 1815. 

3° Une représentation nationale issue d'e/eciions directes, d'après 
le chiffre de la population des différents États, et jouissant 
d'attributions plus étendues que colles formulées dans le projet. 

Cette proposition assurait la prépondérance de la Prusse. 

Si ces trois points étaient admis par l'Autriche, mais dans ce 
cas seulement, le Roi de Prusse consentait à convoquer des 
conférences ministérielles pour préparer les travaux qui seraient 
ensuite soumît à la sanction défmitive des souverains alle- 
mands (1). 

Ainsi donc, le résultat pratique du Congrès de t'ranofort avait 
été d'amener la Prusse à préciser dans un document authen- 
tique ce qu'elle entendait parla réforme fédérale. 

A partir de ce jour, il devint manifeste que les deux grandes 
Puissances ne parviendraient jamais à s'entendre sur les ques- 
tions allemandes. 

Elles pouvaient s'allier en vue d'une action commune en dehors 
du terrain fédéral, mais sur le terrain fédéral elles étaient dé- 
sormais rivales et môme ennemies. 

Quant aux autres gouvernements fédérés, ils savaient mainte- 
nant à quoi s'en tenir, et il ne leur restait plus qu'à se placer 
dans un camp ou dans l'autre. 

Déjà à Francfort, la Bavière, la Saxe, le Hanovre, le Wurtem- 
berg, le duché de Nassau, s'étaient rapprochés de l'Autriche à 



(1) Réponse du Roi do Prusse, datée du 29 septembre 1863, à la lettre 
collective des princes allemands, du !«• septembre 1863. 



.';2 



I/ALI.EMAGNE NOUVELLE. 



ce point de faire naître l'idée encore précoce d'un accord restrciiil 
entre ces États. D'un autre côté, l'Oldenbourg, le Mecklemboiirg- 
Strelitz, et les villes libres, se sentant menacés par la politique 
prussienne, s'éloignaient de son orbite, et venaient à l'Autriche, 
de sorte que le Cabinet de Vienne pouvait à bon droit se féliciter 
d'avoir groupé autour de lui un parti considérable prêt à If 
soutenir contre les projets agressifs de la Prusse. 

Telle était la situation de l'iUlemagne après le Congrès Je 
Francfort et au mois d'octobre 1863. Elle portait en elle-même 
le germe d'un conflit inévitable et qui ne pouvait se termiiiei' 
que par la défaite de l'une des deux grandes Puissances ger- 
maniques. 

A partir de ce moment, la guerre contre l'Autriche fut arrêtée 
d'une manière irrévocable dans l'esprit de M. de Bismarck, cl il 
en commença tous les préparatifs. 

Nous verrons plus tard par quelles voies détournées il sut 
arriver à ses fjus. 



lY 



L'Insurrection Polonaise. — Essais de médiation de l'Angleterre, 
de la France et de TAutiiche. — La Prusse appuie la Russie. 



Nous sommes en octobre 1863; les deux grandes Puissances 
allemandes se sont rencontrées et se sont mesurées sur le ter- 
rain de la Confédération germanique. 

Elles y ont constaté leur antagonisme et leurs forces, et ont 
reconnu que désormais leur accord n'était plus possible, en tant 
que confédérées. 

Ce n'est pas une rupture. Elles ont posé leurs réserves pour 
l'avenir. D'autres questions leur sont communes ; elles les trai- 
teront ensemble pour elles et pour l'Allemagne. En dehors du 
terrain fédéral, l'Autriche et la Prusse sont alliées ; on les verra 
même bientôt étroitement unies. 

Singulière union qui appellera sous les mômes drapeaux et 
dans une guerre commune deux nations destinées fatalement à 
se combattre à bref délai, deux armées qui s'observent et s'étu- 
dient pour apprendre à se détruire un jour ! 

C'est ainsi que le conflit de l'Allemagne avec le Danemark 
devait servir de prélude à la guerre austro-prussienne. 

Mais n'anticipons pas sur la marche des événements. Nous re- 
viendrons en son temps sur la question danoise. 

U s'agit mainteaant de la Pologne. 



Il 



.Il-- . .-■«fiiéiim-'iii 



Si 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 





De môme que nous l'avons fait pour la question fédérale, il 
nous faut jeter un regard rétrospectif sur les années précédentes 
SI nous voulons bien apprécier l'étrange solution qui termina, 
selon les uns, qui ajourna selon d'autres la lutte des Polonais 
contre les Russes. 

Au commencement de l'année 1861, le gouvernement russe 
ayant redoublé de rigueur dans l'administration des provinces 
polonaises, les chefs de la nation résolurent de prendre les ar- 
mes pour se soustraire à ces persécutions, et s'occupèrent sérieu- 
sement de chercher au dehors le secours des autres Puissances. 

Ils pensèrent d'abord à l'Autriche, et il est probable qu'ils se 
ussent résolument jetés dans ses bras si, à cette époque, l'Au- 
triche eût été en position de les recevoir et de leur donner une 
place dans son organisation politique. 

Mais la monarchie autrichienne était alors en pleine transfor- 
mation. 

INl absolu, ni constitutionnel; ni centralisé, ni fédéral; ni slave 
m allemand, le gouvernement autrichien cherchait son point 
a appui et ne le trouvait pas. Il vivait en quelque sorte du mé- 
contentement général et de la rivalité des races de l'Empire dont 
ment ^'^* °"'^°''*' parvenu à satisfaire une seule compléte- 

D'ailleurs, l'attitude de la GaJlicie lui avait appris à connaître 
les Polonais, et on savait à Vienne à quoi s'en tenir sur la vraie 

n-;r ''"-Tf °'''^' '''^''''^^«"- Si les Polonais venaient à l'Em- 
pire, ce n était pas pour y rester, mais pour y attendre. 

Leur mouvement vers 1 Autriche n'était qu'un moyen contre 
a Kuss.e, e une étape sur la route de l'indépendance absolue, 
but constant et unique de tous leurs actes. 

Les chefs polonais hésitaient. ' 

iets s^Z?r',^-'''/°'''"^°''P''' <=ompa'-ant le nombre de ses su- 
auxpZw? '^««^"«i^ands de- l'Empire, allait-il donner 
SuLce Z """' ^'^''"^«^iques une part proportionnelle d'in- 

rierrs'fvaricrvSr^"^^"^^ ^^-^^ '^^^ ^^^ '^ - ■■'«^"--' 

lemLf innoT'o™'? ''"*''''"''' '' ««"vernement dans un par- 
lement viennoi. ou les nationalités s'effaceraient devant le Etre 



1,'ALLK.MAG.NK KOUVKLLE. 



unique de citoyen de l'Empire? Alors il valait mieux pour eux 
rester à l'écart. 

De toute manière le plus sage était d'attendre. Us attendirent. 

Le Cabinet de Vienne, de son côté, ne se sentait pas entraîné à 
seconder un mouvement dont il ne pouvait apprécier, bien clai- 
rement, que les dangers; car en se déclarant pour les Polonais, 
il entrait en guerre avec la Russie. 

Quant aux autres Puissances, elles n'avaient encore rien fait 
qui indiquât, avec quelque certitude, le rôle qu'elles se réser- 
vaient vis-à-vis d'une insurrection polonaise. 

Cependant le mouvement insurrectionnel s'organisait dans le 
Uuché de Varsovie. De tous les points de la campagne on accou- 
rait autour des chefs de l'insurrection, et lorsque commença 
l'année 1863, la Pologne en armes était soulevée pour son 
indépendance. 

Nous n'avons pas l'intention de raconter ici les péripéties de- 
l'insurrection polonaise. Malgré des prodiges de valeur et quel- 
ques succès partiels, la Pologne, peu organisée, sans armes et 
sans argent, ne pouvait lutter longtemps contre les forces supé- 
rieures de la Russie. Tôt ou tard elle devait succomber. 

Seule entre toutes les Puissances, la Prusse s'était pour ainsi 
dire empressée d'offrir à la Russie le concours de ses forces mi- 
litaires, et la Russie avait répondu très-froidement à ces propo- 
sitions. Les diplomates russes ne se gênaient pas pour exprimer 
l'opinion de leur gouvernement sur cette offre d'intervention, 
que M. de Balabine, ministre deRussie à Vienne, qualifiait d'inu- 
tile et inopportune. 

A vrai dire, le Cabinet de Pétersbourg ne tenait pas à exter- 
miner les rebelles; il cherchait, au contraire, à pacifier les pro- 
vinces soulevées, au moyen de tempéraments acceptables de part 
et d'autre. 

La France, l'Angleterre et l'Autriche s'étaient spontanément 
chargées de cette œuvre de médiation; mais comme chacune 
(les trois Puissances apportait à l'œuvre commune des préoccu- 
pations particulières, l'action combinée se perdit et s'affaiblit 
flans une série de dépêches et de protocoles pour venir, en fin 
de compte, aboutir à l'envoi de trois notes semblables, sinon 



m 



illl» I 



iiit 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



identiques, qui furent inutiles avix Polonais, blessantes pour la 
Russie et complètement inefficaces quant au but que les Puis- 
sances étaient censées poursuivre en commun. 

La correspondance des Cabinets, l'échange non interrompu 
des notes et des projets de protocoles durèrent pendant près de 
dix mois ; jamais il ne put s'établir entre les trois médiateurs une 
identité de vues ni de langage, et le Cabinet de Pétersbour? 
resta, en définitive, maître de la situation. 

Aussi cette longue campagne diplomatique serait-elle entière- 
ment dépoui'vue d'intérêt, si l'on ne trouvait dans la controverse 
des Cabinets des révélations curieuses qui donnent lieu à de sin- 
guliers rapprochements, quand on les met en présence des fails 
de la politique contemporaine. 

Au mois de février 1863, il s'agissait de demander à la Russie 
de revenir, en faveur des Polonais, aux anciennes stipulations 
libérales concédées en 1815 par l'Empereur Alexandre P"'. 

Le comte de Rechberg était sollicité à la fois de Paris et de ^ 
Londres pour que le Cabinet de Vienne joignît ses instances à 
celles de la France et de l'Angleterre. Il s'y prêtait de bonne 
grâce et avait provoqué dans ce but un entretien officiel avec le 
ministre de Russie. 

La réponse fut catégorique et remarquable. Elle peut se ré- 
sumer ainsi : 

M. deRaladine déclara que jamais son gouvernement ne con- 
sentirait à rétablir en Pologne le régime consacré par les ancie»! 
traités, et qu'on considérait à Pétersbourg que l'adhésion de 
l'Empereur Alexandre I" à ces engagements avait été la plus 
grande faute de son règne. 

« D'ailleurs, ce qui eût été possible, disait-il, sous le gouver- 
nement absolu et personnel des prédécesseurs de l'EmporcW 
actuel ne l'était plus sous son règne. Alexandre II ne pouvail 
créer pour la Pologne une situation exceptionnelle ; il ne pou- 
vait y inaugurer un régime constitutionnel sans faire aussitôt Us 
mêmes concessions au reste de l'Empire. 

« Les libertés dont la Pologne était appelée à jouir, et que 
l'Empereur Alexandre avait la ferme intention de lui donner, 
devaient être communes à tous ses sujets, et c'était précisénienl 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



57 



pour ne pas comprometli-e l'ensemble des institutions libérales 
dont il désirait doter ses peuples, que l'Empereur de Russie ne 
consentirait jamais à procéder par voie d'exception, sous la 
pression d'une révolte intérieure ou d'une immixtion étran- 
gère. » 



Tel était le langage du ministre de Russie au mois de février 
1863. C'est ainsi qu'on répondait à Pétersbourg à l'intervention 
officieuse, c'est-à-dire verbale, des Puissances occidentales en 
faveur des Polonais. 

Quatorze ans plus tard, eu février 1 877, la Turquie faisait une 
réponse identique aux mêmes Puissances et à la Russie interve- 
nant en faveur des chrétiens de la Bulgarie ; et la Russie se sou- 
venant peut-être du résultat négatif des anciennes promesses de 
l'Empereur Nicolas, rejetait avec dédain les décrets libéraux et 
constitutionnels que le Sultan octroyait à ses peuples. 

Il est également curieux et instructif d'examiner l'attitude des 
trois Puissances en septembre 1863, alors qu'elles avaient perdu 
lout espoir de s'entendre avecla Russie. 

Celle de l'Angletei're est surtout remarquable, car elle offre 
le contraste frappant d'une grande violence de langage jointe à 
Mlle déclaration formelle d'inaction, sinon d'impuissance. 

Loid Russell avait débuté, en effet, par établir en principe 
que dans aucun cas le gouvernement de la Reine n'irait plus loin 
que ne vont les conseils et les pourparlers. 

Puis, cette réserve une fois posée, il envoyait à Paris et à 
Vienne un projet de dépêche, destiné à recevoir l'adhésion des 
Cabinets respectifs et se terminant par la déclaration suivante : 
— « Les droits de la Pologne, disait-il, et les droits du Czar sur le 
territoire polonais, sont inscrits dans le même acte de 1815 ; ils 
forment un tout inséparable ; donc, tant que l'empereur Alexan- 
dre n'aura pas fait ce qu'il doit faire pour que les droits de la 
Pologne soient respectés et mis en pleine vigueur, les droits de 
la Russie sur le territoire polonais n'existent pas et ne font pas 
partie des droits internationaux reconnus par l'Europe (I). » 

11 était difficile de parler avec plus de précision et plus d'éner- 

(1) Dépêche de lord Russell à lord Napier, du H août 1863. 



■MiÉià 



HMiailrkiiH 



mm 



L'ALLEMAGNlî KOUVELLE. 



gie. Mais il manquait à ce langage sévère, presque liautain, lU 
caractère essentiel. Il était sonore, il était habile, à un certain 
point de vue; en réalité il n'était pas sérieux. 

Le comte de Rechberg, que l'on pressait d'adliérer à cette 
formule de condamnation, s'en défendait avec ténacité et appré- 
ciait ainsi à sa juste valeur le document de lord Russell : 

« Le Gouvoniement britannique s'étant mis par ses déclara- 
tions formelles à l'abri de tout entraînement belliqueux, s'étant, 
pour ainsi dire, lié les mains et engagé à la paix, cherchait à 
dépasser ses alliés par la sévérité de ses paroles. De cette façon 
il échappait aux conséquences de son langage et s'assurait néan- 
moins devant l'opinion publique le bénéfice d'une attitude pins 
énergique en apparence que celle des autres Puissances. 

« La France pouvait peut-être le suivre sur ce terrain pour 
empêcher que la situation ne fût faussée par des apparences 
trompeuses à l'avantage exclusif de celle des trois Puissances 
qui dès le début n'avait voulu rien entreprendre. 

« Mais ce que la France et l'Angleterre pouvaient déclarer im- 
punément, l'Autriche ne le pouvait dire sans s'exposer aux plus 
graves conséquences. 

« Si en effet le gouvernement autrichien s'associait aux décla- 
rations de lord Russell sur la déchéance de la Russie en Polo- 
gne, la guerre civile éclatait aussitôt en Gallicic, le parti polo- 
nais entrait en lutte avec les Ruthcncs, la frontière russe était 
violée et la guerre avec la Russie devenait inévitable. 

« Quinze jours après une déclaration semblable, les armées 
seraient aux prises, et l'Autriche ne voulait pas s'exposer seule 
a d aussi graves éventualités. 

« Si on voulait s'en tenir à des paroles, le Cabinet de Vienne 
les trouvait trop violentes. Si on voulait aller plus loin, il de- 
mandait jusqu'où on voulait aller, ce qu'on voulait faire, com- 
ment on le voulait faire, et quelles garanties on lui donnerait 
pour 1 excès de dommages et les sacrifices qu'il aurait à suppor- 
ter aans cette action commune dont il devait former l'avant- 
garde. » 

Le Cabinet de Vienne faisait d'ailleurs observer avec assez de 
justesse que les déclarations de lord Russell avaient le tort im- 



4 



L'ALLIÎMAGNE NOUVELLK. 



59 



raense de reconnaître gratuitement à la Russie en Pi.Iogne pré- 
cisément la position qu'elle désirait y prendre. 

Car ces traités que le Cabinet britannique déclarait lettre 
moWe du moment qu'ils n'étaient pas intégralement observés 
la Russie, de son côté, prétendait aussi qu'ils avaient été annu- 
lés et anéantis par la première insurrection polonaise. 

Elle préférait de beaucoup s'appuyer sur le droit de posses- 
sion par victoire ou par conquête, qui la laissait libre de ses 
actions dans le pays vaincu, plutôt que sur les anciens traités 
qu'elle ne cherchait pas à défendre. 

■ Feu le comte de Nesseirode avait écrit des volumes pour obte- 
nir le résultat que les déclarations de lord Russell venaient spon- 
tanément offrir à Saint-Pétersbourg. 

Maigre ces otijoctions, le Cabinet britannique persista pour le 
rond, sinon pour la forme, dans ses premières propositions, et 
le 20 octobre 4863, lord Russell envoya à lord Napier, à Saint- 
Pétersbourg, une dépêche destinée à clore une des correspon- 
dances les plus inutiles et les plus stériles qu'auront à enregis- 
trer les annales diplomatiques du dix-iieuviôme siècle. 

Une phrase, une seule, placée à la fin de ce document, y rap- 
pelait la solidarité dos obligations réciproques consacrées par 
les traités. Elle était ainsi conçue : 

. Le gouvernement de Sa Majesté a prouvé dans la dépêche 
du M août et dans les dépêches précédentes que les droits de la 
Pologne sont niscrits dans le môme acte qui constitue l'Empereur 
de Russie Roi de Pologne. » 

Huit jours après, lord Napier répondait que le prince Gort- 
chakotî avait lu cette dépêche à haute voix sans faire aucune 
remarque, et avait été heureux d'y ti'ouvcr la preuve des dispo- 
sitions amicales du gouvernement de la Reine. 

Ainsi se termina par la réponse ironique et en fin de compte 
victorieuse du chancelier de Russie, la campagne diplomatique 
.entreprise par les trois Puissances en faveur de la Pologne. 

La France, en dernier lieu, avait adhéré dans une certaine 
mesure aux dépêches finales de lord Russell, Elle eût mieux fait 
peut-être de s'en abstenir, car elle recueillit une part de leur 



60 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



insuccès, et sans servir la Pologne, mécontenta inutilement Ir 

Russie. , , 1- -„ „„ 

L'Autriche, nous l'avons vu, s'était prudemment retirée a» 

moment où les Puissances s'engageaient. 

I a Prusse avait profité de l'occasion pour resserrer des lieof 
déjà fort étroits, et se créer des droits à une reconnaissanci 
dont elle espérait profiter dans l'avenir. 

L'espoir était fondé et la prévision d'une grande habileté, 
A partir de ce jour, en effet, l'alliance des deux souverains. 
irrévocablement scellée, devint pour la Prusse un appui constant 
dans toutes ses entreprises, et contribua puissamment a en assura 

Ig succès. 

Quant aux Polonais, on cessa d'en parler. C'est le sort de 
vaincus quand leur défaite ne se lie pas aux intérêts mateneli 
de ceux qui les protègent. 

Malheureux les peuples qui n'ont d'autres ressources que H 

sympathie des nations étrangères ! ; 

Pendant le cours de cette longue controverse qui avait du» 
près de trois ans, la chancellerie de Russie avait déployé auta< 
d'activité que de talent, défendant contre les Puissances « 
qu'elle considérait comme le droit absolu de l'Empereur etf> 
général de toutes les monarchies. 

Il n'est pas sans intérêt de rappeler aujourd'hui quelques-ui^ 
de ces arguments naguère invoqués par la Russie, et depuis lof 
invoqués contre elle par la Porte Ottomane. 

C'est ainsi que l'on rencontre dans le mémorandum russe * 
7 septembre 1863 plusieurs propositions qui reparaissent presq» 
textuellement dans les documents orientaux de 1877. 

En voici quelques exemples : 

11 s'agissait de mesures à prendre pour le rétablissement « 
l'ordre et de la sécurité en Pologne. Les Puissances avaient in* 
que certaines réformes, et elles en réclamaient l'exécution imW 
diate. <■ 

La Russie répond par ces mots : 

« Il estindispensable,avanttout, que la rébellion soit dompf 
et le respect de l'autorité rétabli. Il n'y a pas un Gouveraernej 



L'ALLEMAGNE NOOVELLE. 



61 



ca Europe qui ait procédé autrement ; pas un qui ait admis la 
possibilité d'une concession devant la révolte en armes, t 

Plus loin le chancelier ajoute : 

« Du moment où les insurgés polonais (bulgares '?) qui pillent, 
pendent, assassinent, torturent, ravagent et terrorisent leur pays 
seraient considérés comme défendant ce qu'il y a de plus sacré 
dans le cœur des hommes, les idées de patrie, de nationalité et 
de religion, il serait parfaitement inutile de discuter sur les 
notions de droit fondées sur les traités. Il n'y aurait plus qu'une 
question de force, entre les gouvernements qui possèdent des 
populations de races et de religions différentes et les peuples 
aspirant à se débarrasser de tous les liens créés par l'histoire et 
par les traités. » 

Plus loin encore : 

<i Le sentiment public n'aurait pas été induit en erreur sans le 
crédit moral que les insurgés (de Bosnie, d'Herzégovine, de Bul- 
garie?) ont puisé dans l'attitude et l'intervention diplomatique 
des Puissances. » 

Puis enfui : 

« Le Gouvernement russe (ottoman ?) est d'avis que d'après 
l'expérience acquise, les réformes ne peuvent pas être appliquées 
en présence de l'insurrection en armes, qu'elles doivent être 
précédées du rétablissement de l'ordre et que, pour être efficaces, 
elles doivent émaner directement du pouvoir souverain, dans la 
plénitude de sa force et de sa liberté, en dehors de toute pres- 
sion diplomatique étrangère... Les fauteurs de l'insurrection 
pèsent sur l'opinion publique de l'Europe par le spectacle d'une 
lutte dont ils s'attachent à multiplier et à aggraver les calamités, 
tandis que d'un autre côté, en prolongeant le désordre, ils ôtent 
au gouvernement russe (ottoman?) la possibilité d'adopter et 
d'appliquer des mesures de pacification morale qui répondraient 
à ses propres intentions, non moins qu'aux désirs des Cabinets 
et aux sentiments de l'opinion publique. 



! 

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':{l| 



6"2 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



'^n 



« Si une puissance, disait en terminant le chancelier de Russie, 
encourageait oii tolérait un élat de choses aussi anormal, c'est 
<|u' alors, sous l'apparence d'une action diplomatique et légitime, 
elle poursuivrait la réalisation des vœux les plus extrêmes for- 
mulés par les insurgés et conduisant au renversement des trai- 
tés et de l'équilibre européen. » 

Voilà ce qu'on écrivait à Saint-Pétersbourg, eu 1863 (1). 

Nous ne voulons pas établir un parallèle entre les événements 
de Pologne et l'insurrection des provinces ottomanes, mais il se 
dégage de ces rapprochements de bien graves enseignements, et 
quand, après un espace de dix-sept ans, on voit les mômes argu- 
■ ments servir contre ceux qui les ont invoqués pourtour défense, 
et répudiés par les Puissances qui en faisaient pour ainsi dire 
l'expression du droit public, on se prend malgré soi à douter 
(les axiomes de la politique. 

Qu'est donc la vérité des hommes, s'il suffit de quelques 
années pour en déplacer les principes et en changer l'exprès- 
-sion ? 

Qu'est donc le droit des gens, s'il consacre à de si courts 
intervalles des jurisprudences aussi contraires? 

Que valent donc les traités internationaux, si la force seule 
en fait l'efficacité? 

A ces questions qui se posent d'elles-mêmes aux esprits 
sérieux, il a été fait une réponse mémorable et solennelle dans 
le Parlement d'Allemagne : 



« La Force prime le Droit. 



I 



Nous en verrons la preuve à mesure que nous avancerons 
dans notre récit. 

A l'époque où nous sommes arrivés, le Droit avait encore une ' 
■certaine valeur ; on ne le brisait pas brutalement, on le contour _ 
nait à coups d'arguments et de controverses. 



(1) Mcaiorandum da Chancelier de Russie adressé aux Chanccllories 
.dos Puissances, !e 7 septembre 1863. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



63 



C'était comme un dernier hommage aux traditions du passé 
avant de les répudier bruyamment. 

Et puis, il y avait longtemps que les forces ne s'étaient mesu- 
rées en Europe. Pour proclamer que la Force prime le Droit, il 
faut être bien sûr d'être le plus fort. 

Les deux années qui suivent serviront à cette épreuve. 

La question fédérale est suspendue, la Pologne est abandonnée 
et vaincue ; c'est le Danemark qui va devenir l'objet exclusif des 
préoccupations et des convoitises de la Prusse. 

Malheureux Danois! les premiers à faire la riste expérience 
des nouveaux principes du droit des gens ! 



Conflit entre le Danemark et l'Allemagne jusqu'à l'avéncment 
du Roi Cliristian IX le 18 noyembre 1863. 



Depuis plus de douze ans, le conflit entre le Danemark et l'Al- 
lemagne existait à l'état de permanence. 

La Diète de Francfort et presque toutes les chancelleries 
d'Europe discutaient, dans des conférences et dans des proto- 
coles, les prétentions opposées des parties intéressées. 

Des traités avaient été conclus, des abdications ou renoncia- 
tions avaient été diplomatiquement consenties et enregistrées, et 
il était presque permis d'entrevoir le règlement définitif de cette 
interminable querelle, lorsque la mort du roi Frédéric VII vint 
remettre tout en question. 

A partir de ce jour, toutes les prétentions se réveillèrent, et le 
conflit entra dans une phase nouvelle. Il ne servirait à rien de 
raconter ici toutes les péripéties de ce différend. 11 restera dans 
r histoire comme un monument de confusion, oii les artifices et 
la mauvaise foi forment la base de l'édifice. Tout ce qui avait été 
solennellement reconnu fut absolument répudié ; toutes les pro- 
messes furent violées ; tous les engagements furent rompus. 

Quelques lignes suffiront pour donner une idée de la situation 
au moment où Christian IX, duc de Sleswig-Holstein-Sonder- 
bourg-Glucksbourg, succéda à Frédéric VII, le 15 novembre \ 863, 



^ 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



65 



en vertu du protocole de Londres du 8 mai 1852, et de la loi de 
succession danoise du 31 juillet 1853. 

Frédéric VII régnait sur le Danemark et sur les Duchés. On 
entendait par Duchés, le Sleswig, le Holstein et le Lauenbourg. 

Le Sleswig était danois. II l'avait été de tout temps, et bien 
qu'il eût une constitution spéciale, c'était, à proprement parler, 
une province danoise. 

Le Holstein et le Lauenbourg étaient des pays allemands, et à 
ce titre faisaient partie de la Confédération germanique. 

De telle sorte que le Roi de Danemark était représenté à la 
Diète de Francfort comme duc de Holstein et duc de Lauenbourg. 

Il existait d'autre part certains liens politiques et administra- 
tifs entre le Sleswig et le Holstein qui établissaient une union 
bilatérale des deux Duchés. Pour certaines choses, ils ne for- 
maient qu'un Etat ; pour d'autres, ils conservaient leur indivi- 
dualité. 

Cette situation complexe était le produit des successions de 
branche ducale à branche ducale, et comme un legs posthume 
des temps féodaux, se continuant encore au milieu d'institutions 
et de mœurs nouvelles qui s'adaptaient mal à un système aussi 
suranné et aussi compliqué. 

La séparation complète du Sleswig et du Holstein se serait 
accomplie naturellement et promptement, sans l'opposition 
constante de l'Allemagne qui voyait dans l'union des duchés une 
porte par laquelle elle espérait passer pour étendre sur le 
Sleswig les droits fédéraux qu'elle exerçait en Holstein. Déjà, en 
1848, le Parlement germanique, se faisant l'interprète plus sin- 
cère que prudent des convoitises allemandes, avait tranché la 
question en décrétant l'incorporation du Sleswig à l'Allemagne. 
Mais on avait compté sans les Danois qui ne voulaient pas céder 
le pays à la Confédération, et sans les Sleswigois qui n'y vou- 
laient pas entrer. L'Allemagne recourut à la force, envoya une 
armée qui fut battue, et le résultat de cette campagne infruc- 
tueuse fut de détruire en principe ce qui restait de l'union tra- 
ditionnelle des deux duchés. 

Si le Sleswig était historiquement, de droit et de fait, un pays 
danois, il n'est pas moins vrai qu'un nombre considérable de 

4. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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grands propriétaires, Allemands d'origine et de sympatliie, s'y 
étaient établis depuis plus d'un siècle, et formaient un parti 
puissant, toujours hostile au Danemark, et s'appuyant sur l'Al- 
lemagne. 

D'autre part, le Holstein, d'où venaient ces familles non da- 
noises, faisait grand bruit des droits traditionnels qui l'unis- 
saient au Sleswig, de sorte qu'il s'était créé entre les deux 
Duchés un état complexe devenu une source de difficultés inex- 
tricables. 

Le Danemark avait une constitution libérale, et le parti da- 
nois qui avait remplacé à Copenhague les féodaux du Holstein-, 
voulait étendre au Sleswig les institutions danoises. Le peuple 
sleswigois ne demandait pas mieux que de les accueillir, mais 
l'aristocratie allemande les repoussait avec persévérance, s'ap- 
puyant dans sa résistance sur les liens administratifs qui unis- 
saient les deux Duchés. 

C'est ainsi que la Confédération germanique trouvait, quand 
cela lui convenait, un prétexte pour s'immiscer, au nom du 
Holstein, dans les affaires du Sleswig. 

Après bien des luttes dont il serait trop long et peu utile 
de donner ici le récit, on était pour ainsi dire, de guerre lasse, 
arrivé en 1 832 à un premier traité signé à Londres par les 
grandes Puissances, et auquel la plupart des princes allemands 
avaient adhéré tour à tour. Ce traité de 1882, marquant une 
des phases principales de ce conflit séculaire, il est nécessaire 
de rappeler ici les circonstances qui l'accompagnèrent, ainsi que 
la situation politique qui en fut le résultat. 

Le roi de Danemark Frédéric VH n'avait pas d'enfants et 
voyait s'éteindre en lui la descendance directe de Frédéric lU. 
11 crut devoir aller au-devant des difficultés que ne manque- 
raient pas de susciter, à son décès, les prétentions nombreuses 
qui se lèveraient pour partager sa succession. En conséquence, 
il fit appel aux grandes Puissances européennes et leur demanda 
de régler, d'accord avec lui, l'ordre de succession à la couronne 
de Danemark, en prenant pour base l'intégrité et l'indivisibilité 
de la monarchie danoise. 

Des négociations s'ouvrirent à Londres et aboutirent, le 8 mai 



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L'ALLKiMAGNE NOUVELLE. 



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1852, à la signature d'un traité qui prit le nom de Traité de 
Londres et reconnut comme successeur de Frédéric VII et prince 
royal de Danemark S. A. Christian de Sleswig-Holstein-Sonder- 
bourg-Glucksbourg. 

Pour faire bien apprécier la portée et la signification de cet 
acte, rappelons-en le préambule et les principales dispositions : 

Les parties contractantes étaient à Londres au nombre de 
•sept, savoir: Le Danemark, l'Autriclie, la Prusse, la Russie, la 
France, l'Angleterre et la Suède. 

En tète du Traité se trouvait le préambule suivant qui en dé- 
finissait la cause et le but : 

« Considérant que le maintien de l'intégrité de la monarchie 
danoise lié aux intérêts généraux de l'équilibre européen, est 
d'une haute importance pour la conservation de la paix, et 
qu'une combinaison qui appellerait à succéder à la totalité des 
Etats actuellement réunis sous le sceptre de S. M. le Roi de Da- 
nemark la descendance mâle, à l'exclusion des femmes, serait 
le meilleur moyen d'assurer l'intégrité de cette monarchie (les 
souverains ci-dessus dénommés), ont résolu, à l'invitation de 
Sa Majesté danoise, de conclure un traité afin de donner aux ar- 
rangements relatifs à cet ordre de succession un gage addition- 
nel de stabilité par un acte Ai reconnaissance Européenne. » 

L'article i" constatait que les hautes parties contractantes 
s'engageaient d'un commun accord, dans le cas du décès du roi 
Frédéric VII sans héritiers directs mâles : — « à reconnaître à 
Son Altesse le prince Christian de Sleswig-Holstein-Sonderbourg- 
Glucksbourg et aux descendants mâles issus en ligne directe de 
son mariage avec Son Altesse la princesse Louise de Sleswig- 
Holstein-Sonderbourg-Glusksbourg, née princesse de Hesse, le 
droit de succéder à la totalité des Etats actuellement réunis sous 
le sceptre de Sa Majesté le Roi de Danemark. » 

L'article 3 stipulait que — «. les droits et les obligations réci- 
proques de Sa Majesté le Roi de Danemark et de la Confédéra- 
tion germanique concernant les duchés de Holstein et de Lauen- 
bourg, droits et obligations établis par l'acte fédéral de 48-15 et 



i 



68 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



par le droit fédéral existant, n'étaient pas altérés par le pré- 
sent traité. » 



Deux faits importants étaient donc établis, reconnus et sanc- 
tionnés par les Puissances contractantes, savoir : 

1" L'intégrité de la monarchie danoise. 

2° Le droit de succession de Christian IX à la totalité des 
Etats de cette monarchie. 

En même temps, par l'article 4, les Puissances contractantes 
se réservaient — « de porterie traité du 8 mai 1852 à la connais- 
sance des Puissances en les invitant à y accéder. » 

La communication eut lieu aussitôt après la ratification du 
traité et cet acte solennel reçut, bientôt après, les adhésions sui- 
vantes : 

Le Roi des Belges, le Roi des Deux-Siciles, la Reine d'Espagne, 
le Roi de Grèce, le Roi de Hanovre, le Roi des Pays-Bas, la Reine 
de Portugal, le Roi de Sardaigne, le Roi de Saxe, le Roi de Wur- 
temberg, l'électeur de Hesse, le grand-duc d'Oldenbourg, le 
grand-duc de Toscane qui donnèrent leur plein assentiment. 

Le Roi de Bavière, le grand-duc de Bade, le grand-duc de 
Hesse-Darmstadt, le grand-duc de Mecklembourg-Schwerin, le 
grand-duc de Saxe-Weimar, réservèrent leur adhésion jusqu'à 
ce que la question eût été discutée et résolue à la Diète de 
Francfort. 

Il existait aussi une certaine réserve dans l'adhésion de la 
Saxe qui ne voulait pas anticiper sur la résolution de la Dicte de 
Francfort; mais néanmoins M. de Beust, alors ministre des 
affaires étrangères de Saxe, écrivait le 9 décembre 1832 que le 
gouvernement du Roi n'hésitait pas à déclarer son assentiment, el 
le Danemark répondait par une dépêche du 4 mars 1 8S3 que 
cette accession étant considérée comme complète et satisfaisante, 
était acceptée par le Roi. 

D'un autre côté, bien que la ligne d'Augustenbourg eût déjà 
renoncé au Sleswig par des actes antérieurs de 1721 et de 1786, 
le duc Chrétien-Auguste d'Augustenbourg conclut le 30 décem- 
bre 1852 un arrangement avec le roi Frédéric VII, par lequel il 
abandonnait toute espèce de droits, de propriétés, ou de récla- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



69 



mations, moyennant des compensations pécuniaires fort consi- 
dérables. 

Le duc d'Oldenbourg, ayant aussi renoncé à ses droits éven- 
tuels par un acte du 28 mars 1 854, on put dès lors considérer 
ta succession paisible de Christian IX au trône danois comme 
parfaitement assurée. 

Il restait bien, comme un point noir à l'horizon, l'absence d'ad- 
hésion de la Confédération germanique, dans son ensemble; 
mais les inconvénients de cette réserve fédérale paraissaient 
largement compensés par ce fait que, sauf des exceptions pour 
ainsi dire insignifiantes, chaque État allemand avait adhéré en 
principe au traité de 1 852. 

D'ailleurs, il était difficile d'obtenir de la Diète in plénum, 
une résolution quelconque ; la Constitution fédérale ne s'y prê- 
tait pas, puisqu'il suffisait de la mauvaise volonté du plus petit 
de ses princes pour en suspendre les décisions. 

L'Europe avait donc passé outre, et le monde politique tenait 
la question pour résolue. 

Ainsi se trouvait écartée une éventualité fort menaçante pour 
le Danemark et aussi pour la paix européenne. 

C'était, du moins, l'opinion générale; l'avenir démontra, dix 
ans plus tard, combien cette confiance était illusoire. 

Si le traité de Londres avait réglé l'ordre de succession en 
Danemark, il n'avait apporté aucun changement aux relations 
réciproques des duchés de l'Elbe avec le reste du royaume, et 
du Danemark avec l'Allemagne. 

Aussi, pendant les onze années qui s'écoulèrent de 1852, jus- 
qu'à la mort de Frédéric VU, ce ne fut qu'un conflit permanent 
entre l'Allemagne et le Danemark, tantôt sous forme de discus- 
sions interminables, dans lesquelles les réclamations et le 
réponses se succédaient à de longs intervalles, tantôt, sous 
forme de menaces et de provocations réciproques, au milieu des- 
quelles les Puissances intervenaient plutôt pour tempérer le 
débat que pour le faire cesser. 

Ainsi que nous l'avons dit plus haut, il y avait, dans le Sles- 
wig, un nombre assez considérable d'Allemands holsteinois 
qui trouvaient de grands avantages àjl'union sleswig-holstei- 



I 



70 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



noise, et en '1851-82, le roi Frédéric VII avait, bon gré malgré, 
dû stipuler à leur égard certains engagements dont l'Autriche 
et la Prusse avaient pris acte, tant en leurs noms qu'au nom de 
la Confédération germanique. 

Le gouvernement danois se trouvait donc avoir vis-à-vis de 
l'Allemagne des obligations de deux natures différentes ; les unes 
fédérales pour le Holstein et le Lauenbourg ; les autres, inter- 
nationales pour les Allemands du Sleswig. 

A partir de ce jour, l'Allemagne n'eut d'autre but que de con- 
fondre ces obligations en un droit unique d'immixtion dans les 
affaires des Duchés de l'Elbe. Elle y travailla sans relâche. 

L'idée d'un Sleswig danois (ce qui était cependant la vérité 
et le droit) fut absolument rayée du programme allemand, et 
on ne connut plus à la Dicte de Francfort qu'un Sleswig-Holsteie 
et un Lauenbourg, sur lesquels la Confédération prétendait 
exercer ses droits confondus. 

C'était, comme on le voit, la négation des principes qui avaient 
servi de base au traité de 4 852. 

Aussi pouvait-on prévoir que, partant d'un point de vue aussi 
diamétralement opposé, le Danemark et l'Allemagne ne s'en- 
tendraient jamais. 

Les années se succédèrent, creusant de plus en plus l'abîme 
qui séparait les deux adversaires, et quand survint la mort de 
Frédéric VU, le conflit était, depuis plusieurs mois déjà, entrf 
dans cette période aiguë, qui précède en général les résolutions 
extrêmes. 

La situation se compliquait encore d'un élément qui exerça 
sur la conduite des Puissances allemandes une influence pré- 
pondérante. 

C'était la rivalité de la Prusse et de l'Autriche sur le terrain 
fédéral. 

iSous avons déjà vu comment cette lutte d'influence et d'au- 
torité avait abouti à une scission complète dans les affaires gef 
maniques. Mais l'antagonisme fédéral n'excluait pas l'alliancû 
pour une action commune à l'extérieur. 
^ Tout au contraire, à mesure que s'avançait imminente et fatale 
l'heure de la séparation, l'heure du déchirement de leurs liens 



I/ALLEMAGNE NOUVELLE. 



71 



fédéraux, la Prusse et l'Autriche affectaient de s'unir plus étroi- 
tement dans leur hostilité contre le Danemark. 

Il suffit de suivre avec attention la marche intermittente de 
la question danoise, et d'observer l'attitude des cabinets de 
Vienne et de Berlin, au milieu de toutes les péripéties de ce con- 
flit, pour acquérir la conviction qu'à partir de 1861, les deux 
grandes Puissances allemandes n'ont plus considéré le diffé- 
rend avec le Danemark qu'au point de vue exclusif de leurs 
intérêts et de leur situation en Allemagne. 

La Diète de Francfort, en leur confiant le mandat germanique, 
avait habilement exploité leurs ambitions rivales. 

Cela était surtout vrai pour l'Autriche, qui de fait n'avait 
absolument aucun intérêt à défendre ni en Sleswig, ni en 
Hoistein, ni en Lauenbourg. 

Pour la Prusse c'était autre chose, et il entrait dans toutes 
les convenances de sa politique de créer au Danemark une 
situation difficile et même impossible dans les duchés de l'Elbe. 

Persuadé que la Confédération germanique touchait à la fin 
de son organisation surannée, le Cabinet de Berlin était parfai- 
tement résolu à en poursuivre jusqu'au bout la réforme, à son 
bénéfice. 

Or, les duchés de l'Elbe, une fois détachés du Danemark, 
gravitaient par la force des choses dans l'orbite prussien. 

Aussi la Prusse s'avançait-elle sans crainte dans la question 
danoise, et elle ne tempérait sa marche que pour ne pas froisser, 
trop ouvertement, avant l'heure propice, les- habitudes du 
raoïule politique et les principes du concert européen. 

LAutriche, au contraire, n'avait qu'une seule préoccupation: 
elle ne voulait pas laisser à la Prusse le monopole du mandat 
fédéral. 

Il n'est pire situation, pour un État secondaire, que lorsque 
deux grandes Puissances se font la guerre sur son dos. Ce fut le 
véritable malheur du Danemark. 

Au commencement de l'année 1862, le Cabinet de Vienne ne 
faisait pas grande difficulté d'avouer sa répugnance pour toute 
mesure de contrainte ,\ l'égard des Danois. Il se bornait à de- 
mander l'exécution d?» engagements pris en 1852. Il admettait 



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72 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



parfaitement que le SIeswig devait rester étranger à tout liei 
fédéral et que la Confédération germanique n'avait aucun droil 
à exercer sur son territoire ; mais, disait-il : 

« Lorsque la couronne de Danemark se trouvait défait dépos- 
sédée du SIeswig par l'insurrection et n'y exerçait plus aucuni 
autorité, ce sont les Puissances allemandes et' notamment le 
forces de l'Autriche qui la rétablirent dans ce Duché. 

« Le Danemark prit alors, vis-à-vis de la Confédération, cer- 
tains engagements à l'égard de ses sujets allemands. Pourquoi 
les méconnaît-il aujourd'hui? 

« L'Allemagne qui les a reçus a le droit et le devoir d'en 
exiger l'exécution. ,> JÉI 



En somme, le Cabinet de Vienne ne demandait que ce que la 
France, l'Angleterre, et môme la Suède conseillaient au Dane- 
mark. 

Quant au Holstein, il était loin de porter à la défense de ses 
droits la même chaleur que le Cabinet de Berlin, et il donnait à 
entendre qu'une fois l'Allemagne désintéressée en SIeswig, 
l'Autriche prendrait le rôle de médiateur. 

Cependant telle était l'importance qu'on attachait, à Vienne, à 
ne pas se laisser dépasser par la Prusse sur le terrain fédéral 
que lorsqu'il fut question, quelque temps après, de répondre 
aux propositions danoises, toutes ces nuances s'etfacèrent et les 
deux Puissances remirent à Copenhague une note identique. 
Ceci se passait en février 1862. 

Deux mois après cette démarche collective des deux Puissances 
allemandes, lord Russell crut le moment opportun pour provo- 
quer, sinon une intervention, du moins une immixtion de la 
France, de l'Angleterre et de la Suède en faveur du Danemark. 

« Le gouvernement de la Reine, disait-il, propose maintenant 
que les gouvernements d'Autriche et de Prusse et le président 
aeia Diete de Francfort soient priés de déterminer : 

• 1 . Ce qu'ils entendent par les engagements du roi de Dane- 
mark envers l'Allemagne, en ce qui concerne le duché de 
SIeswig ; 



L'ALLEMAGNE KODVELLE. 



73 



« 2. Sous quels rapports le roi de Danemark peut être consi- 
déré comme ayant violé ces engagements ; 

« 3. Si, en obligeant le Danemark à respecter les engagements 
allégués, les puissances en question, nommément l'Autriche, la 
Prusse et la Confédération germanique, ont on vue de détruire 
ou de diminuer en quelque façon l'intégrité de la monarchie 
danoise ? 

« Si, ajoutait-il, le gouYernement de l'Empereur des Français 
consent à ce que ces questions soient posées, des instructions 
conformes seront envoyées aux ministres de S. M. à Vienne, 
Berlin et Francfort ( 1 ) . » 

C'était, comme on le voit, une invitation directe à la France de 
s'associer à une espèce de mise en demeure catégorique. 

Avant d'y répondre, M. Thouvenel, alors ministre des Affaires 
Étrangères de France, voulut pressentir l'accueil que rencontre- 
rait une semblable démarche auprès des Cabinets interpellés, et 
bien lui en prit, car il put se convaincre facilement que la ques- 
tion n'était pas encoi-e arrivée à un degré de tension suffisant 
pour qu'il y eût quelque chance d'obtenir des puissances alle- 
mandes d'en préciser les termes. 

Loin de se prêter à cette simplification du débat, l'Allemagne 
paraissait au contraire vouloir rester à tout prix dans le vague 
des anciennes revendications. 

« En précisant les choses d'une manière aussi tranchée que 
le suggère le Cabinet britannique, on s'exposerait, disait le 
Cabinet devienne, à faire ressortir les aspérités du débat au dé- 
triment des chances encore possibles d'un accommodement. » 

Fin de non-reccvoir déguisée sous un prétexte insuffisant. 

Le fait est que le langage do lord Russell était ou trop osé ou 
trop naïf. Il ne pouvait pas ignorer que le conflit danois était 
depuis longtemps entretenu par l'Allemagne dans un but qu'il 
ne convenait pas aux puissances allemandes de déclarer ouver- 
tement. Dès lors, que pouvait-il espérer de ses questions embar- 
j'assantcs? 

(1) Dépêche de lord Russell, datée du Foreign-Office le 16 avril 1865. 

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74 



L'ALLEMAG?(E KOUVELLE. 



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Depuis longtemps déjà l'Allemagne refusait de préciser les 
engagements dont elle réclamait l'exécution pour le Slcswig. 

Pourquoi ? 

Parce qu'elle se réservait d'étendre ses exigences, le cas 
échéant, et qu'elle voulait cà tout prix que la question restât 
ouverte ; 

Parce que si, les engagements une fois précisés, le Danemaii 
les remplissait ou démontrait qu'il les avait remplis, la Confédé- 
ration perdait, par ce fait, son droit d'ingérence dans les affaires 
du Sleswig; 

Parce que le but de la Diète germanique était d'arriver, grâce 
à ces droits d'ingérence et aux liens réciproques des Duchés, à 
remplacer le Sleswig par un Sleswig-Holstein faisant partie de 
la Confédération ; 

Parce que le Sleswig était pour l'Allemagne, et notamment 
pour la Prusse, une annexion de première utilité, et qu'il fallait 
l'obtenir per fm mit nefas. 

Voilà ce que voulait l'Allemagne, et ce que la Prusse voulait 
par l'Allemagne. 

Pouvait-on l'ignorer à Londres ? 

Pouvait-on l'avouer à Francfort? 

Aussi la démarche suggérée par lord Russell n'était-elle pas 
pratique, et plus d'un homme politique l'attribua, quand elle fut 
connue, au désir de la voir figurer, quand même, dans la collec- 
' tion du Blue-Book de l'année. 

On refusa de s'y associer aussi bien à Paris qu'ailleurs, et il n'y 
fut donné aucune suite. 

Peu de temps après, l'accord austro-prussien faillit se rompre, 
malgré tous les sacrifices que faisait le Cabinet de Vienne dans 
le but de ne pas laisser la Prusse s'avancer sans l'Autriche. 

Les puissances ne purent s'entendre sur la rédaction d'une 
note qui devait être remise à Copenhague le 28 août 1862. 

C'était une alliance sui generis que celle de la Prusse et de 
l'Autriche, et si on met hors de cause les sentiments personnels 
des deux souverains, on peut la définir ainsi : « Deux ennemis 
qui se tiennent par la main pour se surveiller et s'arrêter iini- 
ttiellement. » 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Or, les Prussiens avaient, dans cette combinaison anormale, 
un grand avantage sur l'Autriche ; ils avaient les coudées fran- 
ches et ne craignaient pas de soulever autour d'eux les passions 
populaires. 

A Vienne, au contraire, le seul mot de nationalité causait de 
véritables alarmes. C'était l'idée dangereuse qui menaçait de tous 
les côtés à la fois l'Autriche de 1863. 

EnYénétie, la nationalité Italienne. 

En Hongrie, les nationalités Magyare et Croate. 

En Bohème, les Slaves ou Tchèques. 

En Gallicie, les Polonais. 

Tous mécontents, tous plus ou moins prêts à se détacher d'un 
o-ouvernement qui paraissait vouloir les ignorer ou les prendre 
pour des Allemands. 

Le Cabinet de Berlin, qui connaissait parfaitement cette situa- 
tion presque critique, avait à dessein introduit dans sa réponse 
au Danemark des considérants qui s'appuyaient sur les droits 
na'ionaux des Allemands du Sleswig. Il savait qu'à Vienne on ne 
le suivrait pas sur ce terrain et espérait ainsi se dégager, jusqu'à 
un certain point, d'une solidarité qui déjà lui paraissait plus 
gênante qu'avantageuse. 

Cependant la rupture n'eut pas lieu, et tout en évitant dans 
sa note de se prononcer sur ce que la Prusse appelait les 
droits-nationaux, le comte de Rechberg réussit à maintenir 
l'accord apparent des deux puissances. 

Toutefois, à partir de ce moment, il affecta dans son langage, 
de se prononcer plus ouvertement qu'il ne l'avait fait jusqu'alors 
en faveur de l'intégrité absolue de la monarchie danoise, lais- 
sant percer quelques doutes sur les intentions de la Prusse à 
cet éo-ard, et se rapprochant sensiblement de l'idée d'une nou- 
velle intervention des puissances non allemandes. 

Le 30 mars 1863, Frédéric VIT rendit une ordonnance royale 
pour régler la position constitutionnelle du duché de Holstcin. 

Quinze jours après, l'Autriche et la Prusse remettaient à 
Copenhague une protestation identique contre cet acte du sou- 
verain. _ 

Le gouvernement devenait impossible. A chaque résolution 







L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 





souveraine succédait une protestation étrangère, et l'esprit de 
résistance, fomenté dans les Duchés par les encouragements el 
l'appui du dehors, mettait chaque jour la monarchie danoise 
dans un péril de plus en plus imminent. 

C'est ainsi que s'écoulèrent les premiers mois de \ S63 jusqu'au 
jour où la crise ayant atteint ses limites extrêmes, il ne resta 
plus aux parties dissidentes d'autre ressource que d'en appelerà 
la-force. 

Vers le milieu de septembre, l'exécution fédérale était résolue 
en pinncipe, et de part et d'autre on ne discutait pas. 

Le 1"' octobre 1863, la Diète décréta l'occupation du Holsteiii 
et du Lauenbourg par des troupes allemandes. Le mandat d'exé- 
cution était donné à l'Autriche,- la Prusse, la Saxe et le Hanovre. 
6,000 hommes de Saxe ou de Hanovre devaient entrer dans les 
Duchés et en prendre possession ; l'Autriche et la Prusse étaient 
invitées à -tenir prêtes des forces supérieures pour les soutenif 
en cas de résistance. 

A ce moment se produisit un dernier effort de l'Angleterre en 
faveur de la paix. 

Lord Russel proposait : \ " que les affaires financières et lé- 
gislatives du Holstein et du Lauenbourg fussent désormais ré- 
gies conformément aux principes fédéraux; 2° que les ques- 
tions internationales en litige, c'est-à-dire ce qui concernait le 
Sleswig, fût soumis à la médiation de puissances amies non alle- 
mandes . 

La Diète, saisie de cette proposition le 29 octobre 1863,1a 
renvoya aux comités réunis. 

On savait ce que cela voulait dire. 

De son côté le Danemark, écoutant les conscUs des puissances 
étrangères, entrait largement dans la voie des concessions et 
étendait considérablement les prérogatives des États du Holstein 
en matière de fmances . 

Le 14 novembre, l'envoyé danois déclarait à Francfort que soi) 
gouvernement s'engageait désormais à ce que : « les lois fman- 
cieres fussent soumises à la sanction des États holsteinois * 
telle manière que cette sanction eût à s'étendre sur toute la part' 
de contribution du Holstein aux affaires communes, soit qu'il 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



s'agît de dépenses à prélever sur les recettes spéciales du Duché, 
soit qu'il s'agit de dépenses à couvrir au moyen de la part du 
Uolstein dans les recettes communes. » 

« Sous la réserve nécessaire, ajoutait-il, de l'accomplissement 
des obligations incontestables du Duché envers le Royaume , » 

Cette dernière concession du Danemark était le résultat d'une 
négociation dont l'Angleterre avait pris l'initiative à Berlin, et à 
laquelle M. de Bismarck paraissait s'être prêté avec un certain 
esprit de conciliation. 

M. Buchanan, alors ministre d'Angleterre en Prusse, avait 
suggéré, d'une part, la suspension de l'exécution fédérale, et de 
l'autre un statu quo provisoire impliquant pour le Holstein une 
autonomie presque complète avec la condition qu'aucune nou- 
velle mesure de fmaiice et d'administration ne serait mise en 
vigueur dans le duché allemand sans le consentement de ses 
Étals. 

On exceptait toutefois de cette clause le payement de la quote- 
part afférente au duché dans les intérêts de la dette nationale. 

Le Danemark avait adhéré, et M. de Bismarck, de son côté, 
avait accepté ces propositions comme pouvant servir de base à 
des négociations ultérieures. 

Les rapports de M. de Quaade, ministre du Danemark à Ber- 
lin, rendent compte de ses fréquentes conférences avec M. de 
Bismarck, qui déclarait lui-même que le seul moyen de terminer 
le conflit était de donner au Holstein une situation autonome et 
indépendante dans la monarchie danoise, et de réunir sous une 
même constitution le duché de Sleswig et le royaume de Dane- 
mark. 

C'était le programme de M. Hall, autrement dit, ce qu'on ap- 
pelait alors le programme de l'Eider. 

Jamais, à aucune époque, on n'avait été aussi près de s'en- 
tendre, car une fois le Danemark et la Prusse d'accord, l'Au- 
tiiche n'aurait soulevé aucune difficulté, et la Diète de Francfort 
n'aurait pu maintenir son décret d'exécution fédérale en pré- 
sence d'un arrangement qui lui donnait toutes les satisfactions 
légitimes. 












L'ALLKMAGSIÎ NOUVELLE. 



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La coiisLiUilioji qui fui promulguée le 18 novembre 1 863, n'est 
autre chose que le résultat des pourparlers que nous venons de 
mentionner, et la communication faite à la Diète de Francfort, le 
'14 novembre 1863, en était le préambule et l'annonce. 

Frédéric VII mourut le lendemain, 18 novembre. 

La mort-du Roi devint aussitôt le signal d'un revirement com- 
plet. Le 14 au soir, tout paraissait marcher vers une conclusion 
pacifique ; le 1 5, à la même heure, tout était rompu et déchiré. 

Il n'est pas sans intérêt, comme étude de mœurs politiques, 
de suivre les premières phases de cette nouvelle situation, ne 
fùt-co que pour constater avec quelle aisance chaque Prince ré- 
pudia les traités et les engagements antérieurs qui gênaient ses 
convoitises. 

Le premier qui donna le signal fut le duc Christian-Auguste 
de Sleswig-IIolstein-Augustenbourg, celui qui avait, par un acte 
solennel, reaoncé à tous ses droits le 30 décembre '1832. 

Ce n'était pas une renonciation ordinaire, car l'acte du duc 
Christian était une vente tout autant qu'une renonciation, et si 
la cession de droits réguliers en faisait la partie principale, cette 
•cession politique était accompagnée de longs inventaires et de 
■clauses nombreuses où les terres, les gens, les bœufs, les autres 
animaux, ainsi que le matériel des exploitations, étaient détail- 
lés et estimés par le menu ; et le duc Christian-Auguste d'Au- 
gustenbourg avait reçu du roi de Danemark, en échange de sa 
renonciation, la somme de 3 millions de thalers, soit 11,230,000 
francs. 

Malgré ce traité, ou plutôt malgré ce marché, le duc d'Augus- 
tenbourg n'hésita pas un instant, et vingt-quatre heures ne s'é- 
taient pas écoulées depuis la mort du Roi que, le 16 novembre, 
il faisait publier dans toute l'Allemagne une nouvelle cession de 
ses droits au Sleswig-Holstein en faveur de son fils, le prince 
Frédéric. Elle était datée du château de Primtenau. 

Le même jour et à la même heure, le prince Frédéric d'Au- 
gustenbourg adressait une proclamation aux habitants du duché 
pour leur annoncer que, s'appuyant sur l'acte de son père, il 
prenait le gouvernement du Sleswig-Holstein et du Lauenbourg. 

De son côte, le Grand-Duc d'Oldenbourg, bien qu'il eût adhéré 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



19 



au traité de 1852, et renoncé, par un acte du 28 mars 185i, re- 
levait ses prétentions sur le Lauenbourg. 

Quant aux princes allemands qui n'avaient pas adliéré au 
traité de 18B?, ils se déclaraient ouvertement pour le prince 
d'Augustenbourg. 

Le duc do Saxe-Cobourg-Gotha, sans se concerter avec per- 
sonne, avait reconnu le prince Frédéric d'Augustenbourg comme 
duc de Sleswig-Holstein, et sommé tous les princes de la Con- 
fédération germanique d'en faire autant. 

Le grand-duc de Bade allait plus loin encore. Non-seulement 
il reconnaissait le prince Frédéric comme duc de Sleswig-Hols- 
tein ; mais à la demande de ce dernier, il autorisait le représen- 
tant badois, à la Diète de Francfort, à s'y constituer comme 
mandataire et représentant du nouveau souverain allemand. 

Au surplus, la majorité des princes confédérés se prononçait 
pour le prince Frédéric. Sa cause devenait tout à coup popu- 
laire en Allemagne, et personne ne mettait plus d'empressement 
à s'y rallier que ceux qui, en 1 832, avaient adhéré au sacrifice, 
si bien payé, des droits qu'il faisait revivre. 

En Danemark, les choses suivaient leur cours régulier. 

Christian IX, par la grâce de Dieu, Roi de Danemark, Duc de 
Sleswig, deHolslein, de Lauenbourg, etc., etc., montait sur le 
trône, et annonçait son avènement à ses sujets et à toutes les ' 
puissances par des lettres royales du <! 6 novembre. 

Deux jours après, le 18, il publiait officiellement la loi fonda- 
mentale destinée à réaliser le plan discuté à Berlin sur l'initia- 
tive de l'Angleterre. 

C'était une constitution commune au royaume de Danemark 
et au Sleswig. 

Tout ce qui concernait le Holstein était laissé en dehors ou 
réo'i provisoirement par des dispositions transitoires, dont le 
caractère essentiellement temporaire laissait la porte ouverte à 
l'accord projeté. 

En lisant ce document avec attention et impartialité, il est im- 
possible de ne pas reconnaître que cette fois, du moins, la Cou- 
ronne de Danemark était bien véritablement allée au-devant des 
réclamations allemandes et ne marchandait pas les concessions. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 




Malheureusement, les temps avaient changé. Ce qui était Lod 
le U, du vivant de Frédéric VII, ne l'était, plus le 18, après sa 
mort. 

La Prusse protesta contre la constitution du 1 8 novembre, 
dont M. de Bismarck avait, quelques jours avant, pour ainsi dire, 
approuvé les bases. L'Autriche, comme de raison, se hâta de 
protester avec la Prusse. 

Pour trouver la vraie cause de ce revirement des puissances 
allemandes, il faut uniquement la chercher dans leur situation 
respective vis-à-vis de l'Allemagne. 

Leur rivalité sur le terrain fédéral avait atteint la limite ex- 
trême. A vrai dire, ce n'étaient plus des puissances rivales, c'é- 
taient des adversaires, presque des ennemies. 

Chacune d'elles voulait être populaire en Allemagne, pour y 
devenir prépondérante. 

Si la Prusse, acceptant les concessions du Danemark, entrait 
avec lui dans la voie des accommodements, elle ne pouvait le 
faire que sur la base du traité de 1852, et à l'instant même 
elle se trouvait en opposition avec presque toute l'Allemagne, 
dont quelques princes n'avaient pas accepté le traité de 1882, 
et dont les autres répudiaient ouvertement leurs engagements 
antérieurs. 

Or, la Prusse de 1863 n'était plus celle de (852. Elle voulait 
désormais la première place dans la Confédération, et, pour l'ob- 
tenir, il fallait, d'une manière ou d'une autre, rompre le fais- 
ceau des forces qui lui faisaient obstacle. 

Il fallait créer une situation nouvelle, où l'Autriche perdît les 
avantages traditionnels qu'elle possédait sur le terrain fédéral. 
Il fallait l'entraîner hors de la Diète, loin de Francfort, et la 
faire seconde, elle qui jusqu'alors avait été première. 

Mais pour arriver à ces Ans, on n'avait que la question da- 
noise et du jour où cette question devint un des expédients de 
la politique prussienne, il fut décidé qu'ehene serait pas résolue 
avant d avoii- porté ses fruits. 

Donc M. de Bismarck protesta contre la constitution octroyée 
le 18 novembre par le nouveau Roi, et accusa le gouvernement 
danois d avoir manqué de bonne foi 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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11 est curieux de relever les points sur lesquels reposait Fac- 
cusation du Cabinet de Berlin. 

On se rappelle que le 1 i novembre, c'est à-dire la veille de la 
mort de Ferdinand VII, l'envoyé danois à Francfort avait fait à la 
Diète une communication portant que le Cabinet de Copenhague 
consentait à étendre les prérogatives des États du Holstein en 
matière de finances. 

Cette communication se terminait par la phrase suivante : 

« Le gouvernement royal n'a pas besoin, sans doute, d'ajouter 
qu'une extension aussi considérable de la compétence des États 
holsteinois ne peut naturellement avoir lieu que sous la réserve 
nécessaire des obligations incontestables du duché envers le 
royaume, et à condition que les États sauront profiter loyalement 
des attributions qui leur ont été conférées de la sorte, et ne re- 
fuseront point les sommes nécessaires à la marche d'un gouver- 
nement régulier. » 

Or, ces sommes nécessaires à la marche d'un gouvernement 
régulier signifiaient la quote-part proportionnelle du Holstein 
dans les dépenses de la marine, de la liste civile qui devait être 
fixée pour la durée du règne, et de la dette publique. 

Le Cabinet de Berlin découvrit alors que la participation à la 
dette publique était à ses yeux la seule dépense commune né- 
cessaire, et qu'en y ajoutant la marine et la liste civile, le Dane- 
mark avait voulu provoquer la rupture des arrangements con- 
venus. 

De quel côté était la bonne foi? 

La réponse n'est pas difficile, mais elle se dégagera avec bien 
plus d'éclat des événements qui vont suivre. 






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La Guerre du Danemark. — La Conférence de Londres. — 
Du 13 novembre 18G3 au 26 juin -1834. 



L avènement de Christian IX, loin d'avoir apporté un élément 
pacifique dans le conflit dano-allemaud, avait tout au contraire 
rendu la situation plus grave et plus difficile. 

Sans parler des prétentions nouvelles du duc d'Augusten- 
bourg appuyé par les princes allemands, les deux grandes 
puissances, la Prusse et l'Autriche, avaient repris en main leurs 
anciennes exigences et paraissaient plus disposées à les étendre 
qu'à les restreindre. 

Il est vrai qu'elles écartaient péremptoirement les prétendants 
étrangers et que, fidèles au traité de 4852, elles reconnaissaient 
les droits du roi Christian sur le Danemark et les duchés; mais 
elles réclamaient de ce souverain des concessions politiques et 
admimstratives qui équivalaient presqu'à une abdication de 
I autorité royale sur les territoires en litige. 

Nous avons vu plus haut sous l'empire de quelle pensée le 
Cabinet de Beriin, et à sa suite le Cabinet de Vienne, s'étaient 
brusquement arrêtés dans la voie de la conciliation. 

Comment se fait-il que tout en se montrant désormais intrai- 
tables envers le Danemark, ils affectent néanmoins de rester 
sur le terrain du traité de .1832 et de reconnaître toujours les 
droits exclusifs du roi Christian sur les duchés de l'Elbe ? 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



83 



Est-ce par respect pour la foi des traités ? Les événements 
vont bientôt démontrer ce que pèse la foi des traités dans la 
politique allemande. 

Non ! ce qui retenait les deux grandes puissances dans leur 
fidélité aux conventious de Londres, c'était la crainte commune 
de la démocratie qui commençait à s'agiter de nouveau en 
Allemagne. 

Le parti libéral avait pris en main la cause d'Augustenbourg. 
De tous côtés, il s'organisait des réunions démocratiques dont 
le prince Frédéric était le héros. 

C'était aussi un mouvement national, car il s'agissait de faire 
rentrer dans l'Allemagne un territoire jusqu'alors tenu par le 
Danemark. Tous les princes libéraux se ralliaient à l'entraîne- 
ment du public ; ils en prenaient la direction et s'avançaient 
dans la campagne démocratique sans paraître se soucier de la 
Prusse réactionnaire ni de l'Autriche indécise et inséparable de 
la Prusse. 

Or, en ce temps-là, le gouvernement prussien était en lutte 
ouverte avec le parlement ; la constitution était suspendue ; 
l'absolutisme militaire le plus complet remplaçait les lois poli- 
tiques et administratives ; l'impôt se prélevait par l'armée, mais 
la nation ne le votait pas . 

De son côté, l'Autriche repoussait chez les divers peuples de 
l'Empire toute expression d'une idée nationale. Le nom même 
de nationalité était banni du langage officiel et politique. On 
poursuivait à Vienne cette chimère d'un parlement unique où 
les Hongrois, les Slaves, les Polonais, les Croates, les Transyl- 
vains oubliant leurs langues, leurs traditions, leur histoire, leurs 
coutumes et leurs privilèges, viendraient siéger en Viennois, 
sous la présidence d'un Viennois . 

Le programme libéral de la petite Allemagne était donc la 
négation hardie et dangereuse des principes qui animaient les 
gouvernements de Prusse et d'Autriche, et ils s'unissaient pour 
le combattre. 

Le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, connu pour ses idées libé- 
rales, était assez mal vu à Berlin et à Vienne, et on ne pardon- 



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84 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE' 



nait pas au prince Frédéric d'Augustenbourg de s'être plaeé 
sous son patronage. 

Au surplus, il n'était pas le seul. Déjà, nous l'avons vu, le 
grand-duc de Bade s'était prononcé en sa faveur. La Bavière en 
avait fait autant ; la Saxe, sans se prononcer ouvertement, lais- 
sait voir ses préférences et prenait ses mesures pour répudier, 
en temps utile, son adhésion de 1852 aux droits du Danemark 
sur les duchés. 

Toute l'Allemagne, en un mot, excepté les deux grandes puis- 
sances, entrait dans le mouvement national ; des corps francs 
s'organisaient pour envahir les duchés, et le prince Frédéric 
d'Augustenbourg, marchant d'ovations en ovations, devenait 
rapidement le favori des peuples germaniques. 

L'Empereur d'Autriche avait été, assure-t-on, personnelle- 
ment blessé de l'isolement dans lequel l'avaient laissé les 
princes qui, sans entente préalable, avaient pris l'initiative de 
la candidature d'Augustenbourg. Aussi, était-il bien décidé à 
s'en expliquer ouvertement avec eux. 

On n'admettait pas à Vienne qu'il appartint aux petits 
princes, ainsi qu'on les nommait, de prendre dans une question 
extra-fédérale ou mixte comme celle de la succession en Sleswig, 
une résolution spontanée, et de prétendre entraîner à leur 
suite les grandes puissances allemandes . Il ne pouvait, disait- 
on, dépendre du duc de Saxe-Cobourg-Gotha de mettre l'Alle- 
magne en guerre avec le Danemark et de susciter des hostilités 
dont, après tout, la charge ne pèserait sur lui que d'un poids 
insignifiant et retomberait en entier sur les grandes puis- 
sances. 

Vers la fm de novembre, le prince Gortchakoff proposa une 
tentative de conciliation. Il offrait la médiation des puissances à 
Copenhague et demandait la suspension de l'exécution fédérale 
jusqu'à ce qu'on connût le résultat de la démarche. Bien que 
l'Angleterre s'y fût ralliée, ainsi que les autres puissances si- 
gnataires du traité de 18ô2, la proposition resta sans effet. 

A la même époque, la Saxe commença à donner à l'Autriche 
et à la Prusse d'assez sérieuses inquiétudes. Il y avait trop de 
popularité à acquérir en Allemagne en se ralliant au mouve- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



8b 



ment libéral pour que M. de Beust pût résister à la tentation. 
Aussi donnait-il depuis quelque temps des signes non équi- 
voques de son désir de répudier les engagements auxquels il 
avait souscrit, au nom de son gouvernement, le 9 décem- 
bre 1852. 

Le Cabinet de Vienne s'en efîrayait d'autant plus que dans le 
cas, devenu fort probable, pour ne pas dire presque certain, de 
l'occupation du Holstein par des troupes fédérales, c'était la 
Saxe qui devait la première entrer en campagne, et on craignait 
fort la propagande saxonne en faveur du prince Frédéric . 

Cette préoccupation était telle que l'Autriche fit une démarche 
auprès des puissances non allemandes pour leur demander 
d'insister à Dresde sur l'observance du traité de 1852. On 
déclarait en mènie temps que, si la Saxe ne se prononçait pas 
dans ce sens et si les troupes saxonnes, en occupant les duchés, 
préjugeaient par leur attitude la question de succession, les 
deux grandes puissances allemandes prendraient part conjoin- 
tement à l'occupation dans le but avoué de réserver les droits de 
la couronne de Danemark. 

On se montrait alors à Vienne et à Berlin, en quelque sorte, 
plus jaloux de ces droits que le Danemark lui-même, et on pré- 
tendait que le roi Christian était dominé et pour ainsi dire ter- 
rorisé par le parti Scandinave à ce point d'avoir perdu le libre 
exercice de sa volonté. 

L'occupation du Holstein par les troupes fédérales était repré- 
sentée comme une mesure conservatrice dont il serait le pre- 
mier à recueillir les avantages. 

Sur ces entrefaites, il se passa à Vienne un incident qui n'é- 
tait pas de nature à avancer l'heure de la conciliation. 

L'exécution fédérale avait été votée par la Diète, mais comme 
le demandaient la Prusse et l'Autriche, c'est-à-dire sans rien 
préjuger sur les droits du Danemark et sans que l'acte fédéral 
eût un caractère d'hostilité déclarée. 

Se conformant aux usages traditionnels qui règlent les rap- 
ports internationaux des Cours souveraines, le Roi de Danemark 
avait envoyé le contre-amiral d'Irmingher auprès de l'Empereur 
François-Joseph pour lui notifier son avènement au trône. 



8G 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 






Après trois jours datteute, leuvoyé danois dut repartir sans 
avoir été reçu. 

Ce refus, contraire à tous les usages, prenait dans les cii'- 
constances où il s'elTectuait une proportion et une signification 
que rien ne justiliait. Aussi fut-il, pour ainsi dire, unanimcmenl 
desapprouve. C'était agir en ennemi au moment où l'on décla- 
rait a 1 Europe entière qu'on n'était pas en guerre. 

En vain le comte de Recliberg chercha-t-il à en adoucir la 
lorme; 1 entrevue finale du ministre et de l'envoyé danois ne 
pu laisser au Cabinet de Vienne aucun doute sur la portée de 
cette inutile provocation. 

On racontait qu'en prenant congé, le comte de Rechborg avail 

oDserve que les circonstances étaient plus fortes que la volonté de 

iimpereur, que Sa Majesté regrettait infiniment de ne pouvoir 

1 ecevoir en ce moment le contue-amiral d'Irmingher, mais qu'Elle 

espérait que le différend actuel une fois aplani, Elle aurait rocca- 

sion de le revoir et de lui en témoigner alors toute sa satisfaction. 

, -, ?"°\f contre-amiral avait aussitôt répondu : « La manière 

cjoutj ai ete reçu à Vienne me fait désirer, monsieur le ministre, 

ae ny jamais remettre les pieds. » Et deux heures après, il 

eoait parti par le chemin de fer. 

Quelques jours après, le Cabinet de Vienne s'émut du blâme 

rèHv'îf''r''r''^^" '"* acte irréfléchi, et il voulut en atté- 
nuei 1 effet par des explications tardives. 

car rpï!i '^' T"?'' ^'"''^y'^ '^^'^™«' disait-il, avait été motivé 
Sets'/ eV " ^r ' '°^ ^''"'"''^'^ I^ *^°a" ««« droits du traité 
enter:.p ."-,'* "ï"" '" ^•'^"'^ "''^tait pas exécuté dans son 
entie , ces droits ne pouvaient être reconnus par l'Autriche .. 

vaut enr"f!>'L°'*f" P^' ''°"^'^""' et quelques mois aupara- 
Set va, ' '' '^'''"^* "' ^''^""^ -^ -^" conteste liii- 

efferrefusÏT'''''"^'^'^''" ^i^^e^"°" P^'^'^^i^^- " avait, eu 
celui' ci décL •,' ^'T'' "" ^""ê'^^e du comte Russell, lorsque 

- pouvait sépUr^L'insdt iit^L^"™" '" '"^ "°'°"""^' " 

de'léveitf cTso" '"'"'' '^ ^'•'""^ ^^e P°--t donc manquer 
leveiller ce souvenir; aussi n'eut-elle d'autre effet que de 



L'ALLEMAGNE PvOLVELLE. 



87 



mettre en évidence l'inconséquence de sa politique, et de dé- 
montrer une fois de plus jusqu'à quel point il existait pour les 
mêmes choses deux poids et deux mesures. 

Au moment où l'envoyé danois s'éloignait de Vienne, parais- 
sait l'ordre de départ du contingent autrichien pour l'exécution 
fédérale dans les duchés. 11 était de 25,000 hommes, et se com- 
posait de quatre brigades d'infanterie, une brigade de cavalerie 
et sept batteries d'artillerie. Le feld-maréchal-lieutenant (géné- 
ral de division) baron de Gablenz en avait le commandement, e^ 
les deux armées de Prusse et d'Autriche étaient sous les ordres 
du prince Charles de Prusse. 

Donc, au l»"- janvier 1864, on était à la veille d'une entrée eu 
campagne. Trois puissances s'unissaient pour écraser le Dane- 
mark. 

La Prusse, impatiente d'essayer contre les Danois son nouvel 
armement destine plus tard cà combattre et à vaincre l'Autriche , 
l'Autriche entraînée à la guerre par la crainte de perdre en 
Allemagne la prépondérance qu'elle croyait y posséder encore ; 
et eu troisième lieu les petits Etats allemands représentant l'i- 
dée nationale, et heureux de placer en évidence leurs petits 
contingents à l'ombre des bataillons austro-prussiens et aux 
frais des grandes puissances. 

Jamais lutte plus inégale ni moins glorieuse n'avait encore 
pris place dans les annales guerrières de l'Europe. 

Aussi le Cabinet de Vienne en avait-il le sentiment et appelait- 
il de tous ses vœux une solution quelconque qui lui permit de 
déposer les armes. 

L'idée d'une nouvelle conférence se présentait naturellement 
à son esprit, et tous ses efforts tendaient à y rallier la Prusse 
et les puissances étrangères. 

Cependant les faits de guerre se succédaient, et déjà les Da- 
nois et les Allemands se battaient dans les territoires envahis. 
Il n'était plus question de l'occupation fédérale ; la Prusse et 
l'Autriche, voyant la direction de la campagne sur le point de 
leur échapper et de passer aux mains de la démocratie alle- 
• mande, s'étaient ouvertement substituées à la Diète et avaient 
resserré les liens qui les unissaient. 




88 



L'ALLEMAGNE KOUVKLLE. 



Le Sleswig était occupé à titre de gage à la suite du refus 
par lequel le Roi de Danemark avait répondu à un uUimatuni 
austro-prussien, et les deux grandes puissances augmentaieiil 
leurs armements dans des proportions considérables. 

Quant à la Saxe, elle avait, avec non moins de résolution, 
absolument répudié ses anciens engagements et s'était ralliée 
à la candidature du prince d'Augustenbourg comme souverain 
du Sleswig-Holstein. 

IVL de Beust avait même déclaré devant le Parlement saxon 
que le traité de 18B2 était déjà abandonné par l'Autriche etls 
Prusse, ce qui était inexact. 

Toutefois, cette assertion jointe à l'ensemble des circonstances, 
étant de nature à entraver les négociations qui se poursuivaicnl 
pour la réunion d'une conférence, le cabinet devienne compril 
la nécessité de leur opposer ,"une déclaration catégorique d'ac- 
cord avec la Prusse et d'en informer les puissances étrangères. 
Pour la première fois peut-être, depuis l'origine du conflit, on 
sut clairement à Paris et à Londres ce que les ennemis du Da- 
nemark voulaient lui imposer. La déclaration pouvait se résu- 
mer ainsi : 



« Reconnaissance explicite du traité de Londres, c'est-à-dire 
des droits du Roi de Danemark sur les duchés de Sleswig, de 
Holstem et de Lauenbourg. 

Execution par le Danemark de ses engagements antérieurs, 
savoir : 

1° Non-incorporation du Sleswig dans le royaume de Dane- 
mark ; ce qui impliquait le retrait delà constitution du 18 no- 
vembre ; 

• T, ^°"*°f^='ition de la langue allemande comme langue offi- 
cielle dans la partie allemande du Sleswig ; 

3° La non-danisation du Sleswig allemand, c'est-à-dire le rap- 
pel a un ensemble de mesures destinées à combattre et détruire 
le germanisme dans les populations rurales du duché. » 

Tel était le programme sur lequel J'Autriche et la Prusse 
s étaient mises d'accord. 
Que devenaient après cela les déclarations de M. de Beust au 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



89 



Parlement saxon ? Il dut revenir sur son premier langage et il 
le fit non sans amertume. « Un rapprochement, disait-il, entre 
la majorité fédérale et les deux grandes puissances sera toujours 
impossible aussi longtemps qu'elles continueront à soutenir le 
protocole de Londres (1). » 

Pendant ce temps, l'agitation démocratique faisait de grands 
progrès, et déjà on évoquait dans les réunions les souvenirs de 

1848. 

Le prince d'Augustenbourg suivant à courte distance la marche 
des troupes allemandes, recueillait à l'arrière-garde des ovations 
nationales dont le caractère politique devenait inquiétant. 

H 11 est d'un intérêt européen, disait-on à Vienne, d'arrêter ce 
mouvement qui se propage en Allemagne et crée une situation 
pleine de dangers , à laquelle il faut opposer une prompte solu- 
tion. Les princes et les cabinets des États secondaires en ont 
déjà perdu la direction ; ils sont à la remorque d'un parti pour 
qui la question des duchés n'est qu'un prétexte, mais dont le 
but véritable est l'unité démocratique d'une Allemagne révolu- 
tionnaire. • 

11 y avait du vrai dans ces observations ; mais alors, si cet 
état de choses offrait de tels périls, pourquoi l'avoir fait naître 
en Imposant au Danemark des conditions impraticables ? 

N'était-il pas étrange de voir l'Autriche exiger dans les pro- 
vinces danoises le rappel de mesures qu'elle pratiquait elle- 
même dans ses pays non allemands ? 

Est-ce que les Tchèques et les Slaves ne reprochaient pas au 
Gouvernement Impérial d'avoir décrété en Bohême, en Moravie 
et en Gallicie, précisément ces mêmes mesures vexatoires qui 
poursuivaient depuis l'école Jusqu'au tribunal et même jusqu'à 
l'église ceux qui n'avaient pas adopté et appris la langue et les 
usages de l'Allemagne ? Est-ce que les Polonais du duché de 
Posen ne faisaient pas le même reproche à la Prusse? 

Le fait est que l'Autriche commençait à s'apercevoir, trop tard 
mallieureusement, qu'elle avait fait fausse route. 
Sa popularité, sa prépondérance allemande, auxquelles elle 

(d) Discours aux Chambres saxonnes, 5 février d864. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 




aval tout sacrifié, lui échappaient de tous les côtés à la fois, 
et elle se voyait fatalement entraînée à la remorque dW 
alliée qui ne lui inspirait ni confiance ni sympathie. 

Elle se voyait fatalement obligée de concourir à une œuvre 
mal justifiée, dont elle ne pouvait recueillir que des désavantages. 

tar la Prusse seule était appelée à bénéficier de la cam- 
pagne, et déjà on entrevoyait clairement à Berlin tout le parti 
qu on pouvait en tirer. 

Aussi le prince Charles de Prusse déployait-il une véritable 
ardeur, et les troupes s'avançaient comme si elles marchaient à 
la conquête de tout le territoire danois. 

On n'était encore qu'au mois de février, et déjà le Sleswig 
était dépasse. Déjà les troupes allemandes occupaient une partie 
du Jutland. ' 

En vain cette violation des promesses antérieures, cet en- 
vahissement du Danemark proprement dit, provoquèrent-ils 
ae la part de l'Angleterre et des autres puissances des remon- 
trances et des protestations. 

« C'est un accident de guerre,,, répondait-on de Berlin. 

«Un va l'évacuer très-prochainement,» disait-on à Vienne. 

Mais on y resta et on n'en sortit qu'à la paix. 

Et pendant que le Cabinet de Berlin engageait de plus en plus 

acuou militaire, il se rapprochait secrètement de l'Allemagne 

en inforinant les petits États qu'il ne fallait pas prendre au pied 

con.Pnf' M "°^^' identiques qu'il envoyait à Londres, de 

conceit avec 1 Autriche, pour protester de sa fidélité au traité de 

nrolnln'î^"*", P,°'"' *' ™°™'°' " ^« ^'■«y^" engagé ; mais la 
pi olongalion de la guerre, l'intervention d'une puissance étran- 
ge e pourraient modifier la situation, et il était permis d'entre- 

ch!e ïanoiTe '' ^"'^ '^'P'°' '^' ^'""^'^''^ '^' '^ '"°°^^- 

mieiÎgtmer'"""" P»^"««ienne, dont se découvraient les pre- 

situitimfnhî f ^"'^'^'7°"J°"'"« •' Il est difficile de concevoir une 
situation plus fausse et une politique plus malheureuse. 
Liée par une convention militaire avec la Prusse, elle se 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



91 



voyait euLrainée malgré clic à poursuivre une entreprise dont le 
but était déjà à ses yeux non-seulement atteint, mais presque 
dépassé. 

De là une hésitation croissante dans son attitude et un em- 
barras marqué dans son langage. 

Le Cabinet de Vienne avait vu avec regret l'occupation du 
Jutland. 11 l'avait expliquée comme le résultat accidentel de cer- 
taines dispositions stratégiques. Le 22 février, il déclarait for- 
mellement à l'Angleterre et à la France « que la Prusse et 
l'Autriclie ne continueraient pas à occuper le Jutland. » 

Aussitôt on expédie de Berlin le général de Manteuffel. Il reste 
vingt-quatre heures à Vienne, voit l'Empereur et le comte de 
Recliberg, et repart après avoir conclu un accord pour l'occu- 
pation prolongée du territoire acxidentellement envahi. 

ce L'ordre d'évacuer le Jutland sera donné à condition que les 
Danois s'engagent à ne pas en sortir pour attaquer les alliés. » 

C'est-à-dire que le Jutland sera occupé jusqu'à ce que les Da- 
nois aient mis bas les armes. 

Et à quelques heures de distance les puissances étrangères 
recevaient de Vienne cette seconde déclaration si contraire à la 
première. 

Quant au général de Manteuffel, son langage était net et 
précis : 

« Il faut, disait-il, faire la part des nécessités et comprendre 
que la guerre est la guerre; quand une fois le boulet est tiré, 
il faut qu'il arrive, et on ne peut pas l'arrêter en chemin. J'es- 
père que les puissances étrangères ne vont pas nous gêner dans 
nos mouvements ; c'est le meilleur moyen d'en fuiir plus tôt. » 

Raisonnement d'une logique incontestable 1 

En effet, l'Autriche, la Prusse, la Saxe et le Hanovre s'étaient 
armés contre le Danemark. La Prusse et l'Autriche surtout 
avaient mis en mouvement des forces si considérables, propor- 
tionnellement à celles des Danois, que la résistance héroïque de 
ce malheureux peuple ne pouvait s'expliquer que par l'exalta- 
tion du patriotisme. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Au spectacle de cette lutte inégale, l'Europe comniençail à 
s'émouvoir. 

« Laissez-nous, répondaient les Prussiens, laissez-nous l'é- 
trangler à notre aise. Il soufTrira moins longtemps. « 

Mais l'Europe n'avait pas encore atteint le degré de philoso- 
phie internationale auquel elle devait bientôt arriver, et quand 
un peuple agonisait sous ses yeux, elle ne gardait pas le silence 
imperturbable qui depuis lors est devenu sa règle. 

La doctrine de non-intervention s'était bien élevée presque à 
l'état de principe dans le nouveau droit des nations, mais si on 
n'agissait plus, on parlait encore. 

Dans le même temps que le général de Manteuffel était à 
Vienne, lord Russell y faisait parvenir une proposition de 
confôcence sans suspension des hostilités, invitant la Diète à s'j 
faire représenter (23 février). 

Rien ne pouvait convenir davantage à l'Autriche ; aussi, loul 
ce qui lui restait d'influence sur son alliée fut-il employé pour 
obtenir son adhésion. 
Les deux puissances acceptèrent. 

Malheureusement il surgit une difficulté qui ne permit pas de 
donner suite à la proposition anglaise. 

Le Danemark avait mis pour condition de son adhésion que la 
conférence prendrait pour base de ses délibérations les stipula- 
tions de 1851 et de 1852. 

La Prusse et l'Autriche n'y faisaient aucune objection, mais 
la Diète de Francfort refusait péremptoirement de se faire re- 
présenter si cette base servait de point de départ aux négo- 
ciations. 

Or, sans la coopération de la Diète, il était impossible d'arri-. 
ver à un résultat sérieux et pratique ; on en avait fait la triste 
expérience pendant les dix années qui venaient de s'écouler. 

Le projet de conférence fut donc ajourné, mais il avait donné 
heu à des pourparlers entre les deux grandes puissances alle- 
mandes et les puissances étrangères, notamment la France et 
l'Angleterre. 
De part et d'autre on s'était expliqué, et, à cette occasion, 




cm 



10 11 12 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



93 



I - Tabinets de Berlin et de Vienne avaient une fois de plus con- 
r mé leurs déclarations antérieures, ainsi que la limite de 
leurs revendications. 
T 'inlé^rité de la monarchie danoise était toujours assurée et 

oaraiitie- 

° Oiielque précises que fussent ces déclarations, on leur oppo- 
« 't les proportions considérables que prenait la guerre et leur 
rveloppenient quotidien. D'un autre côté, le Cabinet de Vienne 

nouvait ignorer que l'attitude de la Prusse était moins nette 
^ la sienne. Et cependant, la mission du général de Manteuf- 
n ne venait-elle pas de resserrer les liens de leur solidarité? 

A ces observations le Cabinet de Vienne répondait de manière 
à lever tous les doutes. 

„ M de Bismarck, disait-il, est engagé avec nous par des 
HWarations aussi formelles que les nôtres. Ce serait faire 

ureà son gouvernement et à lui-même que d'en suspecter la 
^"icérité • mais si, par impossible, les intentions du cabinet de 
Berlin venaient à changer, il nous resterait alors un moyen 
suprême que nous n'hésiterions pas à prendre ; ce serait de 



rompre 



toute action commune, de rappeler nos troupes et de 
refiiser notre-concours et notre sanction. Il y va de notre hon- 
neur • après ce que nous avons dit à la France et à l'Angleterre, 
nous n'hésiterons pas.» 

A. ce lansage irréprochable au point de vue de la droiture 
nolitique, il ne manquait que deux choses ; la résolution et le 
pouvoir de le mettre en pratique. Mais il est surtout remar- 
quable à ce titre, qu'on y voit déjà le germe des dissentiments 
qui devaient graduellement conduire, deux ans plus tard, à la 
o-uerre entre la Prusse et l'Autriche. 

" Après un mois de nouveaux pourparlers, lord Russell fit le 
21 mars une seconde proposition ainsi formulée : 

,, Réunion immédiate d'une conférence sans suspension des 
hostilités et sans bases préalablement fixées. » 

L'Vutriche accepta avec empressement, et, quelques jours 
après, toutes les adhésions nécessaires, y compris celle do In 



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94 



L'ALLEMAGNE KOUVI-LLE. 



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Diète de Francfort, étaient transmises au Cabinet lirilaii- 
nique. 

C'était à Londres que devait se tenir la conférence. Elle élail 
convoquée pour le 20 avril 1 864. 

^ Les puissances représentées étaient le Danemark, la Prust 
l'Autriche, la Confédération germanique, la France, l'Anglt- 
terre, la Russie, la Suède et Norwége. 

Le choix du mandataire de la Diète avait soulevé à Francfe; 
un débat fort animé. M. von der Pfordten, délégué bavarois, 
était le candidat des petits États, c'Qst-à-dire du parti alternai»] 
libéral. Son programme était net et absolu. Il devait, à lapit 
mière séance, demander la reconnaissance immédiate du pw 
Frédéric d'Augustenbourg comme Duc de Sleswig-Holstein, ei 
dans le cas d'insuccès, se retirer des déhbérations. 

La Prusse et l'Autriche lui opposèrent M. de Beust, qui avail 
prépare cette candidature en se rapprochant du parti d'Augii;- 
tenbourg sans cependant rompre ouvertement les attaches qœ 
lui créait son passé avec les grandes puissances. 

_ C'était de leur part un véritable sacrifice, car on ne l'aimail 
m a Vienne, ni à Berlin. Son amour de la popularité, donlli 
recherche guidait souvent son langage et sa conduite, inspirai! 
une certaine méfiance aux puissances alliées; mais, après 
tout, il était encore moins compromis et moins doctrinaire 
que M. von der Pfordten. Avec M. de Beust, on discuterait; 
avec le délégué bavarois, la conférence se serait séparée à Iî 
seconde séance. 

Aussi la nomination du ministre de Saxe fut-elle considérée 
comme un succès pour la politique austro-prussienne. 

Au moment où va s'ouvrir, sous la présidence de lord Russdl, 

a dernière de ces conférences quasi européennes, il est intérêt 

ITJIT ' r"-^«"I«"^«'it ''attitude que prennent te 

PO ïion .?'' r^°°1r' ' ''"PP^' "' c°"<^.iJiation, mais les dis- 

ToùtTe m r''"''''' ''''' '' P'^^^^°t^"t ™ Congrès, 
rence était d? '°"'^r''''^ ^ue le premier devoir de la confé- 
ternes d'„l."'r°'-' ''' ''°'^''''- P°"^^it-°^ discuteriez 
a t sur ircir '."'^r' P™'^i«°"^«. l^endant que lesang- cou- 
lait sui les champs de bataille ? '■ . " 



I 



L'ALLEMAGNl! NOUVELLE. 



Mais pour conclure une trêve, il fallait établir une ligne de 
démarcation entre les combattants. Ce fut seulement le 9 mai 
c'est-à-dire vingt jours après leur première réunion, que les 
plénipotentiaires purent tomber d'accord sur une suspension 
d'hostilités dont les termes furent rédiges de la manière sui- 
vante : 

,< Il y aura suspension d'hostilités sur mer et par terre à dater 
du \% mai pour l'espace d'un mois ; 

« Le même jour le Danemark lèvera les blocus ; 

n. La Prusse et l'Autriche s'obligent, pendant la suspension 
des hostilités, à ne pas_ entraver, dans les parties du Jutland 
occupées par leurs armées, le commerce, ni les communications, 
ni la marche régulière de l'administration; à ne point lever de 
contributions de guerre, mais à payer, au contraire, tout ce qui 
serait fourni aux troupes allemandes, qui continueront seule- 
ment à occuper leurs positions stratégic[ues actuelles ; 

« Les parties belligérantes conviennent qu'elles conserveront 
leurs positions militaires respectives sur terre et par mer, 
et s'interdisent de les renforcer pendant la durée des hosti- 
lités ; 

« Notification officielle en sera faite aux commandants des 
forces belligérantes de terre et de mer par les gouvernements 
respectifs (l). « 

La trêve était d'un mois, et ce n'est k vrai dire qu'à partir du 
12 mai que commencèrent à Londres les négociations pour le 
rétablissement de la paix. 

L'Autriche restait fidèle à ses déclarations antérieures. Elle 
demandait l'exécution du traité de 18SJ et des engagements qui 
l'avaient accompagné. 

Le Cabinet de Vienne regrettait que la trêve fût si courte. II 
eût voulu un armistice de quatre mois avec l'obligation de 
dénoncer un mois à l'avance la reprise des hostilités. 

En un mot, il voulait sérieusement et sincèrement la paix. 

Une période de quatre mois lui paraissait nécessaire pour 
que la Conférence pût donner à ses travaux la maturité que 

(1) Prolocole n» 3. Séance du 9 mai lSi64. 



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■MiâiÉl^^A^ÉÉiÉttik, 



96 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



réclamait une solution durable et définitive du conflit da» 
allemand. 

Il craignait que la Conférence, pressée par le temps, rédif 
à hâter ses délibérations, ne fût obligée de s'arrêter à quelf 
résolution provisoire, et en tout cas il prévoyait qu'avant quiw 
jours on devrait de nouveau poser la question d'une prolonji 
tion de l'armistice. 

Le programme de l'Autriche était toujours le môme. S'af 
puyant sur ses anciennes déclarations et sur quelques méiwi 
res subséquents fournis par des hommes considérables fr 
duchés, le Cabinet de Vienne demandait l'invalidation desp» 
, tentions du duc d'Augustenbourg et en dernière analyse ! 
retour à l'ancien ordre de choses avec des garanties cap* 
d'assurer définitivement aux duchés le Ubre exercice de leH' 
droits constitutionnels et de leurs droits administratifs. 

C'était, comme on le voit, une modalité de l'union persot 
nelle en la personne du Roi avec la séparation administrative!' 
politique. 

Tel était le programme de l'Autriche au 12 mai, et il estl» 
de fixer les dates, parce que nous allons assister à de telsreti 
rements et à de telles infidélités qu'il devient curieux de mar 
quer l'intervalle qui sépare ces évolutions. 

On paraissait croire à Vienne que la Prusse tenait encof 
compagnie à sa docile alhée. 

Cependant quelques doutes commençaient cà se glisser d* 
les esprits, et l'on se préoccupait d'une combinaison surlaquel' 
certains indices avaient appelé récemment l'attention de* 
diplomatie autrichienne. Le Cabinet de Beriin s'était sensi* 
ment rapproché du dMc d'Oldenbourg, et certains bruits l 
représentaient comme disposé à appuyer ses prétentions « 
vertu d'un accord secret avec ce prince qui assurerait en cas* 
succès une compensation territoriale à la Prusse. 

Ces rumeurs avaient d'ailleurs pris assez de consistance po»' 
engager le Cabinet de Vienne à les signaler à l'attention i>- 
autres puissances. 

Exemple frappant de la confiance réciproque qui présidail' 
l'alliance intime des grandes puissances allemandes! ~ 



I 



L'ALLEMAGNI! NOUVELLE. 



97 



Au surplus, le doute n"était plus possible. 

De même que l'Autriche voulait la paix, la Prusse voulait la 



guerre. 

L'Europe entière le savait. 



A Vienne seule on voulait l'ie-norer 



encore. 

Le Cabinet de Berlin avait pris son parti. 11 venait à Londres 
avec la volonté de faire échouer les négociations, de recom- 
mencer les hostilités jusqu'à l'épuisement du Danemark; de 
dicter les conditions de la paix et en définitive d'annexer à la 
Prusse le Holstein, le Lauenbourg et une partie du Sleswig. 

C'est à l'exécution lente et méthodique de celte entreprise 
que nous allons assister. 

Aussi pendant qu5 le comte de Rechberg se flattait encore 
d'une communauté de vues avec M. de Bismarck, ce dernier 
avait-il déjà donné au comte de Bernstorff, à Londres', l'ordre 
de répudier le traité de 1852. 

Quant au Danemark, il avait compris l'impossibilité de con- 
server d'une manière utile et profitable ces territoires allemands 
oii l'ingérence de la Confédération lutterait sans cesse contre 
l'autorité royale. C'était une porte toujours ouverte aux empié- 
tements d'un adversaire infatigable. Il valait mieux la fermer, 
dût-on pour y arriver se résigner à de grands sacrifices. 

L'Angleterre voulait la paix le plus tôt possible. Elle se sen- 
tait envahie petit à petit par une solidarité morale et politique 
qui, d'un moment à l'autre, pouvait l'entraîner plus loin que ne 
vont les paroles, les conseils et même les menaces. C'est contre 
cette éventualité que ses hommes d'État travaillaient avec 
ardeur. Ils soutenaient la validité du traité de Londres, mais en 
même temps ils ne refusaient pas de le discuter si son maintien 
intégral était reconnu impossible. 

La France moins engagée dans la question que ne l'était la 
Grande-Bretagne avait. pris, dès le début, une situation parfai- 
tement définie. M. Drouyn de Lhuys l'avait ainsi résumée dans 
une dépêche adressée le 4 avril 1864 à l'Ambassadeur prince de 
la Tour d'Auvergne : 

« Si le rétablissement pur et simple des transactions de 1851 

6 






.^..^li^tÊÊÊÊiÊitÊÊÊÊiÊMÊÊm 



98 



l/ALLEMAGMii K OUVELLE. 



et -1853 est reconnu possible, nous le soutiendrons de préférene 
dans la mesure des obligations qui résultent pour nous dutral; 
de Londres. Mais s'il s'agit de décider du sort des populatioii 
nous restons entièrement .libres de nous prononcer pour !(• 
arrangements qui nous paraîtront le mieux répondre à leur; 
vœux. » 

L'Allemagne représentée par la Confédération germanift 
autrement dit la Diète de Francfort, avait en quelque sorte pr£- 
jugé la question par la reconnaissance du prince Frédéric dl«- 
gustenbourg comme Duc de Sleswig-Holstein.Pour elle,letrrf 
de 1852 n'existait pas. 

^ Son délégué M. de Beust était chargé d'en contester la ni 
dite en )864, après avoir adhéré jadis comme ministre de San 
à ces mêmes stipulations qu'il lui fallait maintenant combatlrt 
à Londres. 

Ainsi donc à l'ouverture des conférences pour le rétablisse- 
ment de la paix, l'Autriche était en réalité la seule puissa»' 
qui parût tenir absolument aux transactions de 4 851 et* 
1852. 

Elle ne tarda pas à sortir de cet isolement. 

Les conférences de Londres se prolongèrent jusqu'au 25 juin 
et se terminèrent sans résultat. 

Nous n'entrerons pas dans le détai de ces longues et stéi* 
négociations, mais il est nécessaire d'en résumer en quelqDî^ 
lignes les phases successives avant de passer au récit des évé- 
nements qui en furent la conséquence. 

Dès le 12 mai, les positions respectives se dessinent : 

Le plénipotentiaire prussien déclare, en effet, que les puiS' 
sances allemandes regardent désormais — « le terrain de la dis- 
cussion comme entièrement libre de toute restriction résultaiil 
d'engagements qui peuvent avoir existé avant la guerre, ent« 
leurs gouvernements et le Danemark. » 

C'est la répudiation formelle du traité de 1852. 

Or, le même jour, à Vienne, le comte de Bechberg considé- 
rait le traite de 1852 comme devant servir de base à la solutioB 
pacjuque. 



I 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE, 



99 



Comment expliquer ce désaccord entre ladoctriiie autrichienne 
professée à Londres et celle qu'on développait à Vienne ? 

C'est qu'à Vienne, le traité de 1852 était en effet ia base 
désirée, sinon la base obligatoire, et tout en le déclarant pé- 
rimé, pour ne pas rompre l'entente austro-prussienne, on se 
flattait encore de l'idée d'y revenir indirectement sous forme 
d'union personnelle des territoires. 

La déclaration austro-prussienne ne pouvait manquer de 
soulever dans la conférence une longue discussion; elle dura 
deux séances et n'eut d'autre résultat que de mettre en évi- 
dence une divergence complète d'opinion entre tous les 
membres, quant à la validité des. engagements résultant du 
iraité de 1852. 

Laissant de côté la question de principe sur laquelle il était 
impossible de s'entendre, le comte Russell avait demandé aux 
plénipotentiaires des puissances allemandes, de formuler les 
conditions qui leur paraissaient de nature à rétablir et à ga- 
rantir la paix. 

Mis en demeure de se prononcer, le comte de Bernstorff et 
le comte Apponyi indiquèrent alors comme garanties néces- 
saires : 

« L'autonomie complète des Duchés avec des institutions 
communes et une entière indépendance sous le rapport poli- 
tique et administratif, afin d'éviter les complications qui se 
renouvelaient depuis douze ans. 

« Quant à la question de succession, elle restait ouverte, la 
Diète n'ayant fait qu'en suspendre la solution sans se pronon- 
cer sur les droits du Roi de Danemark (1). » 

« Donc, dans la pensée dos Cours de Vienne et de Berlin, il 
s'agissait de rendre les Duchés complètement indépendants 
sous le rapport politique et administratif, et de laisser sub- 
sister un lien dynastique entre les Duchés et la monarchie 
danoise ; mais de subordonner ce lien dynastique à ia décision 
que la Diète de P^rancfort porterait sur la validité des titres du 
Roi Chrétien IX, en sa qualité de duc de Holstein (2). » 

(1) Protocole ii" S. Séance du 17 mai 1861-. 

(i) Annexe au protocole n" 12. Séance du 23 juin 1SG4. 



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Ifc^t 



100 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Or, on savait déjà, et les puissances allemandes mieux que 
tout autre, que la Diète s'était prononcée contre le Roi Chré- 
tien IX. , 
Le programme austro-prussien manquait donc à la fois et de 
clarté et de franchise, et M. dé Beust saisit avec empressemeol 
l'occasion de le faire ressortir, en déclarant au nom de la 
Confédération germanique, — « que la majorité de la Diète refu- 
serait son adhésion à tout arrangement qui, même sous une 
l'orme éventuelle ou conditionnelle, rétablirait une union eatre 
les Duchés et le Danemark. » 

Le refus péremptoire des Danois de discuter sur ces bases, 
mit fin à la première combinaison proposée par les Allemands 
en vue de rétablir la paix. 

Onze jours s'écoulèrent,, pendant lesquels les Cabinets de 
Vienne et de Berlin négocièrent activement pour préparer leur 
changement de front, la Prusse poursuivant invariablement la 
ligne préconçue de ses intérêts particuliers, l'Autriche entraînée 
à sa remorque comme un satellite plutôt que comme une 
alliée. 

Et cependant on commençait à mesurer à Vienne la profon- 
deur de l'abîme vers lequel la fatalité semblait pousser l'Empire. 
Les projets d'annexion nourris à Berlin devenaient de plus 
en plus inquiétants. L'Autriche cherchait des appuis partout; 
à Saint-Pétersbourg, à Londres, à Paris. Tout, plutôt que les 
annexions prussiennes ; tout, même la démo'cratie allemande 
dans les Duchés ; et le prince d'Augustenbourg, jadis si peu 
sympathique au gouvernement autrichien, devint son candidat 
le jour où l'Autriche crut pouvoir, grâce à lui, empêcher les 
Duchés d'entrer dans la Prusse. 

Quant à M. de Bismarck, il laissait faire. N'était-il pas assure 
de pouvoir, à un moment donné, rompre la conférence, conti- 
nuer la guerre et réduire en fumée les programmes antérieurs! 
On se mit donc à l'œuvre; on commanda des Mémoires à des 
jurisconsultes aussi dociles qu'éminents, et on fit revenir en 
lumière ces droits indestructibles du duc d'Augustenbourg, quii 
comme le phénix, renaissaieirt sans cesse de leurs cendres. 
Droits de premier ordre, droits incomparables, tant de fois 



L'ALLEMAGNK KOUVELLIÎ. 



101 



de 



cédés, tant de fois vendus, taat de fois payés et toujours 

valables! 

Le 28 mai, la conférence de Londres ne vit pas sans surprise 
les plénipotentiaires allemands lui soumettre une nouvelle pro 
o^lion demandant « la séparation complète des ducliés de 
Sleswig et de Holstein du royaume de Danemark et leur réu- 
• g2 uji seul État, sous la souveraineté du prince hérédi- 
taire de Sleswig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, » c'est- 
à-dire le prince Frédéric d'Augustenbourg qui, déclara le 
comte Apponyi, « peut non-seulement faire valoir le plus de 
droits à la succession dans lesdits Duchés, et dont la recon- 
naissance par la Diète germanique est assurée en conséquence, 
mais qui réunit aussi les suffrages indubitables de l'immense 
majorité des populations de ces pays (i). » 

Dans l'intervalle Je quinze jours, l'Autriche avait changé pour 
ainsi dire du noir au blanc. Tout ce qu'elle repoussait alors, 
elle l'acceptait aujourd'hui, eUe le proposait. 

L'héritier légitime de la souveraineté dans les Duchés était le 
prince Frédéric d'Augustenbourg. 

La Prusse et l'Autriche le déclaraient le 28 mai 1864. Mar- 
quons encore la date, car avant peu nous assisterons à des 
évolutions nouvelles. 

Cette seconde proposition des alliés allemands fut combattue 
par la Russie et écartée par les Danois en des termes qui n'en 
admettaient même pas la discussion. 

Lord Russell, voyant alors que l'on ne pouvait attendre des 
puissances belligérantes qu'elles posassent elles-mêmes des 
conditions de paix acceptables, offrit à la conférence de soumettre 
à ses délibérations une troisième proposition ainsi conçue : 

« Séparer entièrement de la monarchie danoise le Holstein, 
le Lauenbourg et la partie méridionale (allemande) du Sleswig, 
la ligne de frontière ne devant pas être tracée plus au nord 
que l'embouchure de la Slei et la ligne du Dannewerke ; 

« Pas de forteresses sur le territoire cédé à l'Allemagne ; 

« Arrangement équitable de la dette publique et renonciation 

(1) Protocole n° 6. Séance du 28 mai 1864. ^ 



.- If illKi 



102 



L'ALLEMAGNE JNOUVELLE. 



de l'Autriche, de la Prusse et de la Confédération germanique 
a tout droit d'ingérence dans les affaires intérieures du Dane- 
mark ; 

«En dehors du Traité de paix, il devait être convenu que la 
destinée future du nouvel État ainsi créé, savoir : le duché de 
HoJstein, le duché de Lauenbourg et la partie méridionale du 
duché de Sleswig, qui devait être annexée au duché do Hols- 
tein ne serait pas réglée sans le consentement des populatioHs; 

-' L indépendance du royaume de Danemark devait être placée 
sous la garantie des grandes puissances européennes (1). » 

Ce plan avait été préalablement communiqué aux représen- 
tants des puissances neutres qui lui avaient donné leur adhé- 
sion. 

Les plénipotentiaires allemands en acceptèrent le principe, se 
reservant le droit de revenir sur l'examen de quelques question? 
de détail dans les clauses de l'arrangement projeté. 

Les plénipotentiaires danois consentirent à en référer à Co- 
penhague. 

Le 2 juin, le Roi de Danemark déclarait que si réellement 
les puissances de l'Europe abandonnaient le traité de Londres, 
U ne s opposerait pas à une cession de territoire dans le but de 
rétablir la paix, et qu'il acceptait en principe la proposition de 
lord Hussell, se réservant de discuter la ligne des nouvelles 
frontières qui résulteraient de ses sacrifices. 

Il ne restait donc plus, comme on le voit, qu'à s'entendre 
du Sleswi"'' ^^ '^'""'^'"''''^'"'"^ '^l'^i devait séparer les deux parties 

La première ligne adoptée par le Gouvernement danois avait 
ete tracée un peu au sud de celle de la Slei et du Dannewerke, 
proposée par lord Russell. 

t.f' ™ T)'''; ''^^^' '^' plénipotentiaires de Prusse et d'Autriche 
traçaient la leur par Apenrade et Tonder 

bPhiL!!rf '"'"' ?'' '*'"'' frontières une zone qu'aucun deSj 
belligérants ne voulait abandonner f 

tlT/Z^^S,'''"V'''''''°''''' '' •^P'^'érencc, une circo.J 
tance qui ne doit pas être passée sous silence. 

(1) Protocole no e. Séance du 28 mai 1864. 



L'ALLIiMAGlNE KOm'KLLE. 



lûj 



Désespérant de pouvoir mettre d'accord les Danois et les Alle- 
mands, lord Russell perdit patience, et il chargea lord Cowley, 
Ambassadeur d'Angleterre à Paris, de proposer à M. Drouyn de 
Lliuys d'établir un accord entre la France et l'Angleterre sur le 
tracé d'une frontière qu'elles soutiendraient comme un uUi- 
matum (O- 

C'était un retour aux anciennes pratiques qui avaient si mal 
réussi lorsqu'il s'agissait de la Pologne. 

Que proposait en effet lord RusscU? 

Une simple démonstration maritime. 

Mais si l'Angleterre pouvait à son gré, grâce à sa position in- 
sulaire, limiter ses opérations et s'arrêter après quelques coups 
de canon, il n'en était pas de même pour la France qui, par le 
seul fait d'un acte belliqueux, voyait ses frontières menacées 
par tous ses voisins du continent. 

« Avant le résultat regrettable, écrivait M. Drouyn de Lhuys, 
qu'ont eu nos démarches dans l'affaire de Pologne, Fautorité des 
deux puissances n'avait subi aucune atteinte ; elles pouvaient 
l'exposer sans hésitation. Mais aujourd'hui des paroles non sui- 
vies d'effet et des manifestations vaines seraient fatales à leur 
dignité. » 

On demandait donc à Paris, avant de s'engager, si l'Angleterre 
était disposée à suivre jusqu'au bout les conséquences de son 
iutervention. Proposait-elle une véritable alliance ofTensive et 
défensive, comme pour la "guerre de Crimée? 

La réponse ne vint pas et la France ne s'engagea pas. 

Cependant on approchait du terme fixé pour la durée de la 
trêve. Elle fut, non sans peine, prolongée jusqu'au 26 juin. 

Plusieurs propositions dues à l'initiative des neutres furent 
successivement soumises à la conférence, mais elles restèrent 
toutes sans résultat. 

Les Danois étaient arrivés à la dernière limite des conces- 
sions possibles. Il y a pour les nations des sacrifices qu'elles 
peuvent subir quand la force les impose, mais qu'elles ne peuvent 

(1) Dépêche de M. Drouyn de Lhuys au prince de la Tour d'Auvergne, 
à Londres, datée de Paris, le 10 juin 1864. 



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104 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



4 



consentir aussi longtemps qu'elles sont encore debout. Le 
Danemark était allé jusque-là. 

Quant aux Allemands, s'ils admettaient, le 20 juillet, la mé- 
diation d'un tiers, du Roi des Belges, par exemple, ils refusaiettl 
d'en faire un arbitre et se réservaient toute liberté après sa 
sentence. 

Il n'y avait donc aucun espoir d'amener les belligérants à 
transaction équitable. 

La conférence le reconnut et se sépara le 23 juin. 

Le 26 juin, les hostilités recommencèrent. 

C'était ce que voulait la Prusse et le but que M. de Bismarcl 
poursuivait depuis le commencement des négociations 



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10 11 12 



i 



VII. 



Guerre du Danemark. — Trêve de six semaines. — Entrevue du Roi de 
Prusse et de l'Empereur d'Autriche à Carlsbad on -1834. — Reprise des 
hoslililés. 



k 



Pendant que la Conférence de Londres s'épuisait en efforts 
infructueux et approchait du terme de ses délibérations, le Roi 
(ie Prusse se disposait à retourner aux eaux de Carlsbad et l'Em- 
pcrour d'Autriche à l'y rencontrer. Ce n'était plus à Londres, 
mais dans les montagnes de la Bohême qu'allait se décider le 
sort du Danemark. Aussi Carlsbad avait-il changé d'aspect; il y 
régnait une sorte d'agitation fébrile, fatigant cortège des souve- 
rains barrière qui s'élève partout sur leurs pas entre la nature 
vraie' et la nature conventionnelle où la destinée les oblige à 
vivre. 

Le Roi avait retardé son voyage et n'était attendu que le 18. 
Voilà donc quinze jours d'avance, quinze jours de calme! Profi- 
tons-en pour courir les environs et faire quelques-unes de ces 
promenades incomparables auxquelles la petite ville de laTepel 
doit son renom presque autant qu'à ses eaux alcalines. 

Tout est légende en ce joli pays de collines boisées et de ro- 
chers entourés de sapins; tout jusqu'à la source même d'où 
jaillit le Sprudel. 
' L'Empereur Charles lY était à la chasse avec une suite nom- 




106 



L'ALLE.llAGXK NOUVELLii. 



breuso dans les bois presqu'impénétrables de cette région encore 
sauvage et depuis longtemps déjà ses chiens couraient, sans 
pouvoir le forcer, un cerf magnifique attaqué dans la matinée, 
Tout à coup, au moment où l'animal épuisé était cerné par les 
chiens, il gagne une roche voisine, fait un bond prodigieux et 
disparaît dans l'espace. Un seul chien l'avait suivi dans cet élan 
téméraire. Tous- les autres s'étaient arrêtés sur les bords de l'a- 
bîme où l'Empereur et les chasseurs ne tardèrent pas à les re- 
joindre. 
^ Après de longs détours sur les flancs abruptes de la montagne, 
l'Empereur parvint, non sans peine, à descendre dans l'étroite 
vallée que surplombait la roche où le cerf avait disparu. Queltc 
ne fut pas sa surprise en trouvant au pied du rocher, le cerf et 
le chien noyés et presque consumés dans un bassin naturel 
d'une eau bouillante et minérale qui semblait sortir de la mon- 
tagne. Prévoyant tout le parti qu'on pouvait tirer de cette dé- 
couverte, il fit étudier et analyser la source par son médeciu 
Paul Bayer, et bientôt, suivant ses conseils, il s'en servit pour le 
traitement d'une maladie dont il souffi-ait depuis longtemps. La 
guerison fut radicale et l'Empereur, autant par reconnaissance 
que, pour le bien de ses sujets, fit bâtir une ville au pied de la 
montagne et un château au-dessus du rocher d'où le cerf avait 
sauté. 

C'était en 13«4. La ville est restée, c'est Carisbad. Le château 
a disparu et l'emplacement de ses enceintes se nomme le ScJiloss' 
flerg^ (Mont du Châteauj. Quant au rocher, il a gardé le nom 
traditionnel de Hirschensprung (saut du cerf), et c'est un des 
Sites les plus curieux et les plus fréquentés par les habitants de 
la petite vallée. On y monte par une rampe des plus pittores- 
ques et ce n'est pas sans surprise cju'après une assez longue as- 
cension, on voit précisément à ses pieds le point d'où l'on est 
parti pour s'enfoncer dans la montagne. Pour ôter au vovageur 
1 envie de suivre l'exemple du cerf de Charles IV, on lui offre du 
cale et on lui joue de la musique aussi longtemps qu'il est sur la 
pme-forme. C est le seul inconvénient de ce magnifique point 

On ne finirait pas s'il fallait donner le récit de toutes les belles 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



107 



histoires de guerre ou de chevalerie qui se rattachent aux ruines 
dont le pays est remph. Il est nKinifeste que la plupart des châ- 
teaux ont été bâtis jadis les uns contre les autres d'abord, et en- 
suite un peu contre tous ceux qui ne les habitaient pas. Leur 
situation toujours stratégique l'indique suffisamment. Mais de 
tous les alentours, le site le plus curieux est certainement celui 
nui porte le nom do Hans-Heiling-fehen, (Rochers de Hans- 
Heiling). 

Qu'on se figure un étroit vallon resserré entre les flancs de 
deux montagnes boisées, et dans lequel coule VEger, petite 
rivière profonde et rapide dont la Tepel de Carlsbad est un 
des affluents. Le lit de VEger occupe tout le fond de ce ravin 
pittoresque qui se proton^ sur une distance de trois ou quatre 
idlomètres, ne laissant entre la rivière et la montagne qu'un 
petit sentier à peine large de quelques mètres et praticable seu- 
lement pour les ânes ou les piétons. Et encore ce sentier 
n'existe-t-il que sur la rive droite de l'Eger, car de l'autre côté 
l'eau se trouve encaissée par des pentes abruptes. De droite et 
de gauche s'élèvent des sapins séculaires jusqu'à moitié chemin. 

Là sur la rive gauche, la forêt s'éclaircit et du milieu des 
bois surgissent des roches longues et effilées affectant des 
formes bizarres, et se suivant dans un ordre particulier. C'est, 
dans des proportions beaucoup plus grandes, quelque chose 
comme les célèbres pierres granitiques de Carnac dans la Basse- 
Bretagne. Le plus haut de ces monolithes est isolé en avant des 
autres, puis viennent deux roches un peu moins grandes, sur 
une même ligne, puis trois, quatre et ainsi de suite ; et l'en- 
semble de ces pierres dont la base se perd dans la verdure des 
bois offre un coup d'œil vraiment singuUer. Vu d'en bas, sur la 
rive opposée, au fond d'une obscure vallée avec les reflets mysté- 
rieux du fleuve et les ombres qui se prolongent au soleil ceu- 
chant, ce groupe est bien fait pour la légende. 

Aussi, est-ce une histoire populaire que la noce de Eans- 

Edling. 

Hans-Eeiling, un jeune et beau berger, gardait un jour son 
troupeau sur les bords de l'Eger. La chaleur du jour était grande, 
les eaux basses, et le troupeau s'engageant dans le lit du fleuve 



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■108 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



l'avait traversé pour aller chercher l'ombre sur l'autre ris 
Quant au berger il s'était endormi dans une des cavités del 
montagne. Soudain, un bruit aftreux le réveille en sursaut;c'K 
l'orage qui s'avance des plaines voisines, et déjà l'Eger roulei 
pleins bords ses flots agités. Les eaux montent rapidement! 
Hans-Heiling est bientôt séparé de son troupeau par un torrei 
infranchissable. En ce moment une voix sort des flots, lapto 
belle et la plus douce voix qu'il fût possible d'entendre ; il écoi 
en tremblant ses accents enchanteurs et soudain dans la bi 
des ondes lui apparaît une femme d'une beauté surnaturelle. C'S 
la nymphe de la forêt. « Viens, lui dit-elle, viens à moi, bai 
berger, et je mettrai bien vite un terme à tes soucis. Viens,âii 
moi, et non-seulement tu retrouvftras ton troupeau, maisjeli 
comblerai de mes dons. » 

Pouvait-on résister à tant de charmes et à tant de bonlt 
Hans-Hèiling courut à la Nymplie et l'aima tendrement. Elle ti( 
fidèlement sa promesse, car non-seulement il retrouva sont» 
peau, mais comme elle l'avait dit, elle le combla de touslesdoiï 
qui se peuvent posséder sur terre. Un superbe château bâtif 
ses soins lui servit de demeure ; de nombreux serviteurs p# 
naient ses désirs ; il vécut dans le luxe et la richesse, n'ayii 
rien à envier aux princes les plus -heureux et les plus puissant* 
Et la jolie nymphe l'aimait de plus en plus d'un amour pi' 
sionné. 

Et lui, malgré sa beauté, sentait parfois son sang se glacerdP 
ses veines, quand doucement elle l'attirait près d'elle et le sei- 
rait dans ses bras. Son âme s'inquiétait, et sa conscience l< 
faisait des reproches. Il était tourmenté par l'idée de cette unie 
surnaturelle avec un être des mondes enchantés et qui n'a«l 
rien de terrestre. Et quand à l'aurore il voulait lui co* 
ses tourments, elle disparaissait dans les airs ; il étendait la mail 
et sa main frappait le vide ; il appelait et la réponse ne Yenai 
pas. 

C'était la nuit, longtemps après le coucher du soleil 
raissait l'épouse mystérieuse. 

Un soir qu'Hans-Heiling l'attendait à la lueur des étoiles, «« 
écho plamtif parut traverser la forêt; un souffle humide pas* 



quel 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



109 



sur sa chevelure ; il fut malgré lui saisi d'un trislc pressentiment, 
et l'épouse ne vint pas. Il l'attendit jusqu'au jour mais sans la 
voir. Ce fut une tristesse, et cependant Hans-Heiling n'en souffrit 
pas autant qu'il devait en souffrir. Et l'heure de midi étant venue, 
il (it amener son cheval favori, noir h la crinière d'argent ; et s'é- 
lanl élancé sur le coursier fougueux, il sortit de la forêt parcou- 
rant la plaine pour chasser de son esprit les pensées qui le tour- 
mentaient. 

Au détour d'un chemin son regard s'arrêta sur une fille de la 
vallée, grande, belle, et qu'entouraient de leurs prévenances 
des serviteurs nombreux. Elle leva la tête et se mit à sourire. 
Hans-Heiling salua et s'éloigna. 

Le soir, l'épouse mystérieuse ne parut pas; mais Hans- 
Heiling dormit toute la nuit et reprit son cheval dans la mati- 
née. Au détour d'un autre chemin il retrouva la belle fille de la 
vallée qui sourit encore et il la salua de nouveau. Puis s'appro- 
chant, il descendit de cheval et au moment où il allait lui adres- 
ser la parole : « Je vous attendais. Seigneur, lui dit-elle, car 
vousm'aiinez et je vous aime. » 

A peine eut-elle dit ces mots qu'Hans-Heiling sentit en son 
cœur une flamme qui lui rendit la joie et le bonheur, et tenant 
par la main son noir coursier, il suivit sa bien-aimée à la demeure 
de son père auquel les fiancés firent leur demande qui fut 
agréée. 

Quelques jours plus tard, le château de Hans-Heiling se~rem- 
plissait de nouveaux hôtes ; c'étaient les parents de la fiancée et 
quelques châtelains des alentours qui venaient assister au ma- 
riage ; et quand les portes du palais s'ouvrirent, on vit s'avan- 
cer le cortège des époux se dirigeant vers l'église. En tête mar- 
chait un appariteur de haute taille, orné de ses plus beaux vête- 
ments, puis le curé de la paroisse qui devait unir les fiancés"[à 
l'autel, puis Hans-Heiling et sa bien-aimée, et derrière eux le 
groupe des parents et des invités. 

Soudain un bruit épouvantable remplit la forêt et la vallée, 
l'ouragan se déchaîne, le tonnerre éclate et l'éclair sillonnejes 
deux, les flots de l'Eger sortent en bouillonnant du lit de la 
rivière et debout sur les vagues ccumantes, la nymphe au regard 

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L'ALLEÎIAGNE P^OUYnXE. 



courroucé, les cheveux épars flottant au vent de la tcmpèlt. 
étend les bras, pousse un cri déchirant et s'élève dans les nue. 

A peine a-t-elle disparu que le calme se rétablit. Le château 
de Hans-Heiling s'est abîmé dans la montagne ; lui-même, s! 
fiancée et tout le cortège de la noce sont changés on pierres gri' 
nitiques. 

Ils sont là depuis ce jour, tels que les a surpris et frappésli 
vengeance de la nymphe. Le temps, auquel rien ne résiste, i 
exercé ses ravages sur ces statues séculaires, mais il en a res- 
pecté les formes les plus apparentes, et on retrouve encore dai): 
celles qu'il a épargnées les ressemblances des principaux per- 
sonnages de la noce de Hans-Heiling. 

Telle est la légende de la vallée. On y croit ou on n'y croil 
pas, mais on ne la discute pas. C'est ainsi qu'il faut l'aire m 
toutes les légendes. 

On nous pardonnera d'avoir consacré au domaine de la l'écrit 
le' temps que nous ont pris Hans-HeDing et ses amours ; rien» 
nous presse d'ailleurs ; le Roi de Prusse n'arrivera que le 18(1 
nous avons encore quinze jours devant nous. 

Aussi allons-nous les employer en véritables touristes. Ref& 
nous donc à Carlsbad ; il y a de quoi nous occuper dans cepeS 
espace, long tout au plus d'une demi-lieue de pays et à peine 
large d'un kilomètre. 

La promenade {die alte wi'ese) commence à se garnir; Licntiil 
nous y verrons arriver les princes et les princesses des màm 
étrangères; pour le moment ce sont encore les vieux haljitué; 
qui tiennent le premier rang. 

Le Prince Paul Esterhazy, vrai type du grand seigneur, tou- 
jours aimable et souriant, plein de bon sens et d'un esprit facile- 
Rien n'égalait sa popularité et il savait s'en servir. Il venait» 
Garisbad depuis vingt-quatre ans, un mois chaque année. Une 
fois il se cassa la jambe dans son appartemesit, n'y revint p 
l'année suivante et mourut peu de temps après à quatre-vingl- 
quatre ans. Les médecins le citaient comme un avertissement à 
ceux qui paraissaient fatigués de leurs visites successives. 

Non moins âgé, mais bien différent, le-Prince ***. Il ne man- 
quait pas d'une certaine distinction. Cependaat d'autres Irail-' 




10 11 12 



L'AI.M^SIAGNK NOUVELLE. 



111 



(le son caraclère étaient encore plus niarquants.il venait aussi 
tous les ans à Garlsbad et avait mèuîe en maintes occasions con- 
tribué par quelque libéralité aux embellissements de la petite 
ville. On lui en était assez reconnaissant, mais la reconnaissance 
(les municipalités est de brève durée si on ne l'entretient pas 
par de fréquentes aubaines. 

Le Prince '** la croyait éternelle. Le lendemain de son arri- 
vée il était encore au lit, quand une musique matinale se fit 
entendre sur la place. 11 se lève précipitamment et voit passer la 
milice défilant sous ses fenêtres. Fort ému, il s'habille à la 
hàle, descend et se dirige aussitôt vers l'iiôtel de ville. Chemin 
faisant, il rencontre toutes ses anciennes connaissances et leur 
fait part do ce qui vient d'arriver. « En vérité, leur dit-il, ces 
habitants de Carlsbad sont de bien braves gens; mais ils au- 
raient dû me prévenir. Je voulais arriver incognito,' je n'ai pas 
réussi; à peine ont-ils connu mon arrivée que !a milice a pris 
les armes et est venue me rendre honneur sous mes fenêtres. 
Malheureusement je n'étais pas encore levé et je n'ai pu leur en 
témoigner ma reconnaissance. Aussi vous me voyez très-pressé 
eu ce moment, et je vous quitte pour aller à l'hôtel de ville dire 
tous mes regrets au syndic et le prier de s'en faire l'interprète 
auprès de la population. » 

Il n'alla pas si loin, car un ami bienveillant s'attacha à ses 
pas, et f ayant pris à l'écart lui exphqua, à sa grande confusion, 
(tue la prise d'armes de la milice avait pour but de rendre les 
derniers devoirs à un pompier mort l'avant-veille. 

Quand il sortait après le dîner, il allait souvent sur la place de 
l'hôtel de Saxe où la musique se faisait entendre de quatre à 
six heures. 11 y avait fait placer un banc circulaire autour d'un 
gros tilleul, et venait s'y asseoir avec quelques amis. Un jour il 
voit le banc vide et entouré d'un cercle d'auditeurs qui se tien- 
nent à distance. « En vérité, dit-il à ceux qui l'accompagnaient, 
ces habitants de Carlsbad sont de bien braves gens, voyez le res- 
pect qu'ils me témoignent ; ils savent que je viens d'habitude 
m'asseoir sur ce banc et aucun d'eux n'a voulu s'y placer avani 
innn arrivée. « Et s' adressant à deux ou trois de ses voisins : 
« Approchez, leur dit-il, venez vous asseoir, il y a de la place, 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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l'ailes comme moi. » En ce moment une forte odeur de pein- 
ture l'avertit que le banc est enduit d'une couleur encore 
fraîche ; il veut se lever ; ses vêtements s'attachent aux planches; 
un violent effort les déchire et il s'éloigne déconfit pour gagner 
au plus vite son domicile et y changer d'habit. 

Quand les choses en sont à ce point, la vie s'écoule assez dou- 
cement dans les satisfactions qu'on se donne à soi-même. TelW 
le sort du bon prince, et plus tard, quand, au déclin de ses 
jours, il reçut de l'Empereur le coUier de la Toison d'Or, il 
étonna le télégraphe impérial et royal par une dépêche ainsi 
conçue, adressée au régisseur de son domaine : A 

« L'Empereur m'a conféré la Toison d'Or. Je vous élève ai) 
rang de Hofrath. Faites peindre la Toison sur mes portraits. » 

La dépêche fit du bruit en son temps, car, à vrai dire, ce 
rang de Hofrath qu'il conférait au régisseur était divertissant, 
et il parut, dans un des journaux humoristiques de Vienne, une 
caricature représentant un propriétaire et son portier, avec ces 
mots : « Portier, mon ami, je viens d'être décoré et je t'élèw 
au rang de concierge ». Quant au régisseur du prince, fidèle à 
sa consigne, il fit peindre la Toison d'Or sur tous les portraits 
de son maître et même sur l'un d'eux qui le représentait ï 
l'càge de dix ans, c'est-à-dire cinquante-cinq ans avant qu'il n'eût 
reçu l'ordre. Il en résultera un jour quelque confusion dans 
l'histoire. 
^ La pr£mière semaine de juin était passée ; on s'approchait 
visiblement du jour solennel et déjà l'Éléphant d'or {\) voyait sa 
haute clientèle se rassembler chaque matin cà l'ombre de ses 
platanes. Les belles servantes du café avaient reuouvelé leurs 
costumes et pris un air de fête, car ces demoiselles font partie 
de la tradition et se distinguent entre toutes par leur service 
toujours prévenant, légèrement familier et C3pendant toujours 
très convenable. Elles sont belles, nous l'avons déjà dit, mais 
elles sont fortes aussi et leur beauté n'est pas précisémentfcelle 
que devait avoir la nymphe de Hans-Heihng. Un singulier 

(1) Le premier café de Oarlsljad. 



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10 11 12 



L'ALl.EMAGNIÎ NOtlVKLLE. 



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usage veut qu'à l'arrivée d'un Kur-Gast , c'est-à-dire d'un 
étranger qui vient pour la saison, celle qui l'a servi la première 
fois continue à le servir à l'exclusion de ses compagnes ; et le 
jour du départ elle reçoit généralement un patit cadeau comme 
gratification. A l'argent elles préfèrent un souvenir. C'était 
ainsi en 1864, peut-être sont-elles devenues plus pratiques 
depuis. 

Le Prince de D... voulant suivre la coutume, demanda un 
jour à la belle Martha ce qui lui ferait plaisir. « Un anneau, lui 
dit-elle, car je vais me marier cet hiver à un beau et bon char- 
pentier et je ne reviendrai plus à l'Éléphant. » L'anneau fut 
commandé, mais, hélas ! quand il vint, Martha ne put jamais le 
faire entrer sur ses doigts, et cependant c'était un gros anneau 
d'homme. Lelendemain, passant dans la ville voisine d'Elbogen, 
le Prince de D... avisa un bijoutier et lui conta sa mésaventure. 
I Si c'est pour une demoiselle du pays, lui dit le bijoutier, vous 
avez fait une promesse imprudente car ce sera lourd ; tenez, en 
voici un, » et il fit voir un cercle, prescju'un bracelet, ou tout au 
moins un anneau de rideaux. Le Prince de D... n'en pouvait 
croii-e ses yeux; il le prit cependant à l'essai, et il fit bien, car 
le soir la belle Martha le passa délicatement à un de ses petits 
doigts, remerciant avec grâce et disant qu'il ne serrait pas trop. 
Longtemps après cette histoire on parlait encore de l'anneau do 
Martha. 

Le 8 juin on vit passer sur la promenade la Grande-Duchesse 
Hélène de Russie. Elle était accompagnée de son neveu le 
Prince Nicolas de Nassau et de sa maison habituelle. Nous 
avons déjà parlé de cette aimable princesse, on la revoyait tou- 
jours avec plaisir et le cercle qu'elle savait réunir autour d'elle 
était une des grandes ressources de la saison. 

Son arrivée fut bientôt suivie par celle d'une foule de petits 
princes allemands non médiatisés et régnant sur des principau- 
tés grandes comme le Bois de Boulogne. Ils se rapprochaient par 
instinct des souverains qui à un jour donné devaient les défendre 
ou les absorber. Ceux qui en avaient le moyen, menaient avec 
eux un Capitaine {Hauptmann) qui leur servait à la fois d'aide 
de camp, de grand-maitre, de compagnon, de secrétaire et au 



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1/Al.LKMAGNK NOUVI'Li.i 



besoin d'intendant. Ceux dont le trésor était cà sec n'avaicil 
que leur chasseur et leur lilrc de Hoheit (Altesse). Au demeu- 
rant fort aimables, pour la plupart, et d'une grande distinction* 
manières. Un de ceux qu'on voyait avec le plus de plaisir i 
VÈléphant d'or, à cause de sa politesse, de son esprit et dt 
sa gaieté, était un jeune Prince de Reuss, que nous pom'oœ 
nommer sans le compromettre, car nous ne dirons pas so» 
numéro et sans le numéro il n'est guère possible de les recon- 
naître. 

Ce n'était pas Henri 22 deReuss-Greitz,niHenri 47 de Reusi- 
Lobenstein-EbersdorfT, ni son fils Henri M, major dans l'ariseî 
prussienne, ni son petit-fils Henri 27 de Reuss-Ebersdovff, B 
Henri 69 de Reuss-Schleiz-Koestritz, fils du comte Henri 48, «i 
Henri 4, l'aimable châtelain d'Ernstbrunn, près de Vienne, m 
Henri 7, ni Henri 12, ni Henri 28, ni Henri 13, ni Henri 15, l" 
Henri 17, ni même Henri 71. 

La Princesse de Schaumbourg Lippe de Buckebourg avec sS 
filles tenait une petite cour de 4 à 6 h. sous les tilleuls deli 
place de Saxe. Cela s'appelait les cafés de la Princesse et onj 
était complimenté par un Hauptmann et une Ho f- Dame. Eli^ 
était de la branche non médiatisée de Lippe, mais ce n'était m 
une Lippe-Dotmold, ni une Lippc-Biesterfcld, ni une Lipp'' 
Weisseafeld. Elle était née Princesse de Waldeck-Pj-rmont eto! 
disait qu'à Buckebourg il y avait des chevreuils noirs. 

Le bon Roi Othon qui avait gagné à Athènes une maladie i' 
foie, seul souvenir durable de son règne éphémère, honorait dt 
sa présence les cafés de la Princesse. H était devenu sourd, 
gros, voûté et il fallait de grands efforts d'imagination pourst 
le figurer élégant et martial sous la fustanelle et le costun»' 
helléniques. 



Mais nous voici arrivés au terme de nos loisirs. Les chapeaiis 
noirs ont reparu, hauts de forme avec cette petite cocarde noirt 
et blanche qui veut dire : « Ne plaisantons plus, je suis Prus- 
sien. » Hs sortent de tous les côtés, boutonnés et colletés, quel- 
ques-uns même en cravate blanche. 

— Le Roi est donc arrivé ? 



L'ALLEJIAGNE KOUVELLIÎ. 



113 



— Non, mais on l'attend. 
_ Où descendra-t-il ? 

_ Au Schitd (à l'Écu), chez cette bonne madame Scliarff qui 
l'a si bien reçu l'an dernier. 

— Et l'Empereur d'Autriche ? 

_ Aussi au Schild, sur le môme étage, à gauche du Roi. 
D'ailleurs où voulez-vous le loger? C'est ce qu'il y a do mieux. 
Figurez-vous que ce bon colonel Sprenger voulait lui préparer 
son logement à l'hôpital militaire ! On a télégraphié de Vienne 
qu'on ne voulait pas y aller. 

, Et les étrangers qui sont à l'hôtel ? 

_ On les a fait monter en haut. II y a deux escaliers, de ma- 
nière que les souverains seront chez eux. Et puis cela ne du- 
rera que deux Jours. 

— Sait-on au juste quand le Roi arrive? 

— Oui certainement, les Polizei (hommes de police) sont déjà 
ici. Il arrive après-demain le 18 et l'Empereur d'Autriche sera 
ici le 22 pour rester jusqu'au 24. 

— Qu'est-ce que fait donc madame Scharff sur la devanture 
de son hôtel? Est-ce qu'elle prépare une illumination? 

— Non ! les souverains n'en veulent pas. Le premier jour ils 
ont seulement permis d'éclairer la montagne, ce qui est fort beau- 
Mais madame Scharff a obtenu l'autorisation de changer le nom 
de son hôtel et on souvenir de cette mémorable rencontre le 
Scfa'H s'appellera désormais Zum zwei Monarken (aux deux Mo- 
narques). 

— Est-ce que le Roi de Prusse vient avec une suite nombreuse? 

— Oh! oui, il a du monde avec lui, au moins dix personnes; 
mais M. de Bismarck n'y est pas. Il arrive ici le lendemain 19 et 
doit s'y rencontrer le même jour avec le comte de Rechberg. 

Voilà ce qui se disait le 16 juin 1864 au matin, aux tables de 
l'Éléphant d'or. 

Le 17 on vit arriver la Grande-Duchesse Marie, une des sœurs 
de l'Empereur de Russie, accompagnée de son époux morgana- 
tique le comte Strogonoff qui la suivait en qualité d'écuyer. 
. Enfin le 18 dans l'après-midi le Roi de Prusse fit son entrée à 



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L'ALiESIAGNE KOUVELLE. 



Carlsbad et s'installa avec sa suite au premier étage de YRili 
des Deux Monarques. 

Or ce môme jour à Londres lord Russell, désespérant depoi- 
voir faire aboutir les travaux de la conférence, avait conuis 
nous l'avons dit, proposé aux puissances belligérantes c'esU- 
dire à l'Autriche, à la Prusse et au Danemark (c de faire appd 
à une puissance amie, afin qu'une ligne de frontière fût tracée, 
qui ne passerait ni au sud de la ligne indiquée par le Dant- 
mark ni au nord de celle désignée par Messieurs les Plénipotei- 
tiaires allemands (1). » La puissance amie devait être la Belgi' 
que. La proposition avait été appuyée par la Russie et 11 
France. 

Le lendemain, 19 juin, on pouvait voir dès le matin!. Jt 
Bismarck et M. le comte de Rechberg se diriger de bonne hean 
chez le Roi et en sortir engagés dans une discussion fort animé! 
qui se continuait sur le quai de la rive droite de la Tepel, coii' 
duisant à leurs appartements respectifs. 

Que se passait-il entre les deux Ministres? Rien de nouveau. 
M. de Bismarck écrasait le comte de Rechberg par la ténacitéè 
ses résolutions comme il l'avait toujours fait depuis le commen- 
cement de leur triste collaboration. Seulement, il y avait en « 
moment quelque chose de plus marqué dans l'anéantisseme»! 
du Ministre autrichien. Petit et fluet, il s'agitait à côté de soi 
collègue prussien avec toute l'activité d'un homme qui livres» 
dernière bataille ou plutôt d'un avocat qui s'attache cà son dff- 
nier argument ; et l'autre n'y prenait garde, mais, droit otraià 
il laissait tomber de temps en temps des monosyllabes qui n'a- 
vaient pas l'air de convenir à son interlocuteur. 

Ils discutaient la proposition de lord Russell. Ce n'était doW 
ni plus ni moins que la paix ou la guerre qui allait sortir de cS 
entretiens. L'Autriche voulait la paix presque cà tout prix, sa»' 
le sacrifice de sa position en Allemagne. Du Danemark et des 
Duchés on se souciait fort médiocrement à Vienne pourvu qa' 
la Prusse ne s'en emparât pas. Dans cette disposition d'esprito» 
comprend qu'un petit déplacement de la ligne de démarcation 
entre le SIeswig danois et le Sles-wig allemand fût considéré par 

(1) Protocole n" 10. 



Séance du 18 juin 1864. 



L'ALLEVAGNE NOUVELLE. 



■in 



le comte de Rechberg comme une chose d'importance secondaire. 
\ussi appuyait-il de tons ses efTorts la proposition de lord Rus- 
sell. Il voulait accepter l'arbitrage môme sans connaître l'arbitre. 
L'arbitre en effet devenait responsable de la solution et de cette 
façon le Cabinet de Vienne dégageait en quelque sorte sa soli- 
darité tout en souscrivant à un arrangement pacifique. 

Mais la paix ne faisait pas le compte de la Prusse. En effet, 
une de ses premières conséquences eût été de saisir l'AUema- 
ane entière, c'est-à-dire la Diète de Francfort de la question de 
souveraineté pour le nouveau territoire fédéral, et le Prince 
Frédéric d'Augustenbourg devenait Duc de Sleswig-Hostein et 
Lauenbourg. Or s'il était l'ami de la Prusse, il n'en était pas le 
sujet, et le Cabinet de Berlin voulait les Duchés dans le Royaume. 
Pendant toute la journée et à trois reprises différentes le Ministre 
des affaires étrangères d'Autriche épuisa contre la résistance de 
g. de Bismarck tous les moyens de persuasion; il alla même 
jusqu'à laisser entrevoir que l'Autriche considérait son rôle 
d'alliée comme à peu près terminé. Il n'obtint rien et dut céder, 
heureux de n'avoir pas été pris au mot quand il menaçait de 
suspendre la coopération. 

11 n'obtint rien ; car on ne peut considérer comme sérieuse cette 
concession dérisoire, qui en substituant à l'arbitrage une média- 
tion non obligatoire pour les parties belligérantes, équivalait 
à un refus de la proposition anglaise. Aussi à partir de ce 
jour les situations respectives de l'Autriche et de la Prusse se 
dessinèrent avec plus de netteté. Grâce à son indécision et à son 
manque d'énergie, le Cabinet de Vienne s'était entièrement placé 
à la remorque du Cabinet de Berlin et s'il l'embarrassait'quelque- 
fois par ses premières résistances, il était incapable de l'entraîner 
liors de ses résolutions. 

L'.tatriche perdit ainsi tout le bénéfice de ses premiers succès 
militaires de la campagne danoise ; elle devint une gêne pour 
l'Allemagne comme pour la Prusse, et sa rivale, dont on voyait les 
allures décidées et la ferme attitude, parvint à inspirer pour le 
moment plus d'estime et plus de confiance. 

Dans la soirée, le résultat de la conférence de Carlsbad fut 
télégraphié à Londres et communiqué à la conférence le 22 juin. 

7. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



A cette occasion, il se passa un fait de discussion qui n'est pas 
sans intérêt, parce qu'il sert à bien marquer la mesure de la 
bonne foi avec laquelle les puissances allemandes agissaient 
dans leurs négociations avec le Danemark. 

D'après les ordres venus de Carlsbad, les plénipolonliaire 
allemands avaient déclaré accepter laproposition de lord Russell, 
ajoutant que : — « Cependant, leurs gouvernements ne pourraieni 
s'engager d'avance à se regarder comme définitivement liés par 
l'opinion à émettre par la puissance médiatrice, puisque les cir- 
constances ne leurpermetiaient pas d'accepter une décision arbi- 
trale. Un ai'bitrage ne serait, du reste, ni conforme à la décla- 
ration de Paris, qui n'a en vue qu'un recours aux bons offices 
d'une puissance amie, ni ne répondrait aux termes de la propo- 
sition anglaise (1). » 

A peine M. le comte de Bernstorff eut-il terminé celle com- 
munication, que M. de Quaade, le plénipotentiaire danois, fil 
savoir que, de son côté, le Danemark n'adbérait pas à la propo- 
sition britannique. Ce refus d'adhésion était la conséquence na- 
turelle de la déclaration allemande ; car, du moment où l'arbi- 
trage était exclu, les Danois ne pouvaient voir dans la médiation 
d'une tierce-puissance sans autorité, qu'un moyen de prolonger 
un état de choses qui les épuisait et dont ils souffraient aulanl 
que de la guerre. Ils ne pouvaient donc accepter une médiation 
inefficace, et dès lors qu'ils ne l'acceptaient pas, ils n'avaient pas 
à faire la concession qui devait servir d'élément à cette mé- 
diation. Par conséquent, ils se maintenaient dans la limite des 
sacrifices que, sur la première proposition anglaise du %% mai, 
ils avaient consentis ce môme jour. 

Aussitôt après cette communication, la discussion prit un sin- 
gulier caractère. 

« M. le comte de Bernstorff déclara qu'il tenait à bien consta- 
ter que l'Autriche et la Prusse avaient accepté la proposition 
anglaise dans les termes mêmes dans lesquels elle avait été faite. 

(1) Protocole no H. — Séance du 22 juin 1864. 
Nous donnons ici les textes officieis et laissons aux auteurs de U dé- 
claration le naerite un peu germanique du style des documents. 



L'ALLSMAGN'IÎ SOtiVELLE. 



118 



„ Lord Russell et le comte de CJarendon contestèrent cette 
assertion, et citèrent leurs paroles rapportées dans le protocole 
précédent, pour prouver qu'afin d'éviter tout malentendu, ils 
avaient expliqué qu'il s'agissait d'un arbitrage qui devait être 
final sur la question frontière. 

„ Alors, les plénipotentiaires répondirent qu'ils avaient parlé 
de la proposition même, et non pas des explications dont elle 
avait été accompagnée (1). » 

La mauvaise foi de cette réponse était vraiment trop manifeste 
pour ne pas causer un scandale. 

On savait, à Londres, que l'Autriche avait voulu accepter l'ai"- 
bitrage, que c'était sur les instances de la Prusse qu'on y avait 
substitué la mà^iaiwn. D'ailleurs, la déclaration lue au commen- 
cement de la séance, par M. de Bernstorff, ne prouvait-elle pas 
suffisamment, par ses réserves, que c'était bien comme une pro- 
position d'arbitrage que la communication anglaise avait été dis- 
cutée? Qne voulait donc faire le comte de Bernstorflf, en cher- 
tiiant à introduire dans le protocole de la conférence une décla- 
ration absolument inexacte? 

Il voulait jeter sur le Danemark la responsabilité de la guerre, 
cl en dégager la Prusse. 

En présence d'une conduite aussi peu loyale, lord Russell ne 
put contenir son indignation, et il donna clairement à entendre 
à messieurs les plénipotentiaires allemands que, désormais, il 
n'attacherait plus aucune créance à leurs déclarations, fussent- 
elles simultanées. 

Il était bon qu'une scène de cette nature ne se fût produite 
qu'au moment oi!i la conférence, se dissolvait devant la preuve 
de son impuissance ; quelques jours plus tôt, elle eût peut-être 
servi de prétexte à une rupture. En effet, les Ambassadeurs d'Au- 

riclie et de Prusse crurent devoir, l'un et l'autre, prévenir leurs 
fouvernements par le télégraphe, et le comte de Bernstorff, 
plus directement visé par l'apostrophe de lord Russell, demanda 
s'il ne devait pas interrompre ses relations avec le ministre an- 
"■lais, et même cesser de le saluer jusqu'à ce qu'il eût reçu une 
salisfaction convenable. 

(1) Protocole n" II. Séance du 22 juin 1864. 






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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



« Continuez vos relations, répondit M. de Bismarck, raaispré- 
venez-le que je profiterai do la première occasion que je troJ- 
verai pour lui rendre la pareille avec usure. » 

En même temps, lord Palmerston intervint dans la querellt 
et elle s'arrangea tant bien que mal. 

L'attitude de l'Angleterre qui en somme était favorable auDi- 
nemark, et le langage blessant de lord Russell, étaient depuis 
quelque temps relevés par la presse allemande avec beaucoii| 
d'amertume. On parlait de sa prochaine entrée en campagne,il 
l'opinion publique ne croyait pas qu'après avoir fait montre à 
ses sympathies danoises avec autant de chaleur, le GouYe» 
ment anglais se résignerait à être le spectateur immobile ii 
désastre qui menaçait le Danemark. D'exagérations en exagéra- 
tions, on en était presque venu à parler des Anglais comme fc 
ennemis de l'Allemagne. 

Par contre, et peut-être même à cause de cela, il n'était ques- 
tion que de la sage politique française. La proposition angl* 
d'une action combinée, déclinée par la France au commence- 
ment de juin, avait fini par sortir du secret des chancelleries, «' 
le public en avait connaissance. Ou en savait un très-grand f 
au Gouvernement Impérial, peut-être même plus de gré q»' 
n'en méritait véritablement au point de vue allemand ; car 1' 
proposition anglaise était inacceptable dans les conditions oi 
elle avait été formulée, et, à vrai dire, la France n'avait pase" 
le mérite de faire un sacrifice en la repoussant. Quoi qu'il « 
fût, il entrait alors dans les idées de M. de Bismarck de semo»- 
trer très-satisfait et très-reconnaissant de la politique françaisîi 
et, lorsque la rupture de la conférence fut connue le 22 juin,' 
Carlsbad, il disait à un diplomate étranger : 

« Maintenant que, grâce à la sagesse du Gouvernement fran- 
çais, la guerre est localisée, nous allons la mener ferme etlo» 
train et en finir le plus tôt possible; nous voulons les Duchés;» 
faut forcer le Roi de Danemark à les donner; et après cela non' 
le laisserons tranquille. » 

La guerre localisée, c'était la première fois que cette loculi»» 



L'ALLEMAGNIÎ NOUVELLE. 



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prenait dans le langage politique l'importance qu'elle y a ac- 
quise et conservée depuis lors. La guerre localisée, cela signi- 
fiait la guerre circonscrite, entre le Danemark d'une part, et de 
l'autre toutes les forces de l'Allemagne se ruant à leur gré sur 
le petit territoire danois, sans que l'Europe fit entendre une pa- 
role pour arrêter les masses germaniques dans leur marche 
triomphale et leur glorieuse invasion. 

(( Laissez-nous les étrangler à notre aise, ils souflriront moins 
longtemps. » 

C'est ainsi qu'en 1864 on préludait à la création du droit in- 
ternational nouveau, de la nouvelle jurisprudence des nations, 
dont le monde est désormais appelé à recueillir les fruits. 

Quant au comte de Rechberg, il commençait à comprendre et 
à supputer tristement les éventualités de l'avenir. Mais que faire? 
Pouvait-on se retirer au moment oîi la récolte des lauriers allait 
commencer? C'était impossible! La Prusse eût été trop heu- 
reuse! 11 fallait combattre avec elle pour la gêner encore. 

<t Nous agirons, disait-il, avec autant de modération que pos- 
sible et de manière à ménager l'opinion publique on Angleterre, 
afm d'éviter, par-dessus tout, de l'engager dans la lutte. » 

Bon langage, sans doute, mais qui ne résistait pas à un instant 
d'analyse. « Nous agirons », disait-il. Que signifiait ce nous? 
L'Autriche n'agissait plus par elle-même ; elle suivait, et ne sa- 
vait même plus où on la conduisait. 

Cependant, dès que la reprise des hostilités fut décidée, le 
sentiment de la coopération militaire effaça un instant les froi- 
deurs de la discussion politique, et, grâce à cette circonstance, 
l'entrevue des deux souverains fut aussi cordiale qu'il était pos- 
sible de l'espérer. Ils habitaient pour ainsi dire le même appar- 
tement; et pendant les deuxjours que l'Empereur passa à Carls- 
bad, ils prirent ensemble leurs repas. 

M. de Bismarck s'était logé sur une des hauteurs voisines, en 
une petite maison entourée de jardins, qui s'appelait Helenen- 
Jîof ou villa d'Hélène. On y arrivait par une rampe assez escar- 



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L'ALLEMAGlMs KOUVlîr.LE. 



péo, et c'étail sur celte route pierreuse qu'on l'avait vu le pre- 
mier jour, traînant à sa suite le comte de Recliberg- peudanl 
qu'il lui démontrait la nécessité de faire tout le coniraire de ce 
que désirait le Cabinet de Vienne. 

Le ^ ministre prussien n'était pas encore l'homme d'État fati- 
gué, irascible et nerveux qu'il est devenu depuis. Il ne suivait 
aucun régime, fumait du matin au soir, quelquefois même du 
soir au matin, et au cigare il ajoutait volontiers d'autres stimu- 
lants, sans ménagements.pour sa santé. Quelquefois il descendait 
de sa colline et venait se mêler aux groupes de YÉiéphant d'or, 
se faisant présenter aux dames étrangères et leur marquant le 
désir d'être gracieux. Sa tenue était d'une simplicité extrême, 
mais plutôt une tenue de cabinet que de campagne, à l'exception 
d'un feutre mou et brisé, dont il se coiffait, et par lequel on 
voyait qu'il ne sortait pas de chez le Roi. 

On a donné de lui plusieurs portraits qui ont le défaut d'être 
trop recherchés. Il est vrai qu'à l'époque dont nous parlon?, il 
n'avait pas encore fait et défait tant de choses. Cependant il 
était facile de voir, en sa compagnie, que la plaisanterie n'était 
pas sa partie. Son sourire se bornait à une plissure des lèvres; 
il ne riait pas avec les yeux et paraissait avoir les dents serrées 
en parlant, ce qui donnait à sa voix, particulièrement en fran-, 
çais, un accent singulier. Beaucoup plus Prussien qu'Allemand, 
iJ n'avait pas ces dehors de bonhomie qui se rencontrent souvent 
dans le commerce des Allemands du Sud. On le sentait toujours 
sous les armes, bien qu'il affectât un certain laissez-aller dans 
la conversation et parût faire bon marché de toutes les réticen- 
ces. En un mot, il était toujours fonctionnaire, et on s'aperce- 
vait qu'il n'avait guère fréquenté que des fonctionnaires Voilà 
1 impression qu'il laissait à ceux qui le voyaient en dehors des 
affaires. 

Dans ses relations officielles, il n'avait pas encore l'autorité, 
pour ainsi dire despotique, que paraît lui avoir donnée l'habi- 
tude du succès; mais il était déjà impatient de toute contradic- 
tion et se faisait remarquer par l'absolutisme de ses doctrines et 
1 audace de ses conceptions. Tout se résumait pour lui en une 
question de force. Et si quelquefois, rarement il est vrai il pre- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



123 



liait en considération le droit public ou l'opinion publique, ce 
n'était pas à cause de leur valeur morale, dont il n'avait ancun 
'ouci mais à cause de la résistance que pouvait soulever leur 
mépris, de la part des hommes ou des peuples qui en faisaient 
plus de cas que lui. A. ce point de vue, le droit et l'opinion pou- 
vaient à un moment donné devenir des forces, et il s'en préoc- 
cupait de temps en temps k ce titre. 

C'est pourquoi on l'a vu, en certaines circonstances, construire 
avec soin un système d'apparences pour mettre le droit de son 
côté. C'est ainsi, par exemple, c|u'il avait prescrit au comte de 
Bernstorif, à Londres, de chercher à établir que la Prusse et 
r\utriche avaient accepté la proposition pacifique de lord Rus- 
sell mais que les Danois l'avaient refusée. 

Plus tard, on le verra prendre aussi quelque peine pour per- 
suader à l'Europe qu'en 1 866 la Prusse voulait la paix, mais que 
fAutriclie l'avait provociuée et forcée à la guerre. 

On le verra, quatre ans plus tard, chercher aussi à convaincre 
le, puissances étrangères de sa longanimité pacifique vis-à-vis de 

la France. 

Mais dès le jour où il exerça sur les destinées de son pays une 
certaine influence, la politique prussienne fut entièrement et 
exclusivement inspirée par la doctrine qu'il a, d'ailleurs, eu le 
courage de déclarer en plein Parlement : 



i( La force prime le droit. » 



L'histoire de la Prusse, depuis le 22 juin 1 864 jusqu'à nos jours, 
n'a été en effet, qu'une succession de coups de force. Les trai- 
tés les conventions, les conférences y jouent un rôle si secon- 
daire si délaissé, si inefficace, qu'en vérité c'est la partie déri- 
soire des annales prussiennes. La force est tout. 

Or la force, c'était l'armée, c'était le comte de Moltke et le 

Roi. 

Aussi sans un général comme M. de Moltke, sans un prince 
comme le Roi qui s'identifiait à ses ministres et ne s'en séparait 
jamais, M. de Bismarck n'aurait pas pu réaliser une seule de ses 
conceptions. 



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«ÉtÉMiiÉÉtMtfiliÉiMiHIÉiii 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Ce système politique, qui est après tout, une conséquence logi- 
que des mœurs nouvelles, est simple et avantageux, pourvu qu'il 
soit pratiqué par le plus tort. Mais c'est là son côté dangereuî, 
ear il fait de la supériorité des forces militaires une condition vi- 
tale et indispensable. Il faut être, en effet, non-seulement plus 
fort que tel ou toi voisin, mais plus fort que tous les voisins 
réunis. 

Et comme il n'est pas possible d'augmenter constamment sa 
propre force, il devient nécessaire de travailler à diminuer celle 
des autres. Alors conunence ce qui s'appelle la mauvaise politi- 
que, c'est-à-dire des manœuvres ténébreuses destinées à produire 
ie mal tout alentour, et à susciter en Europe de grandes pertui'' 
bâtions pour affaiblir les nations qui progressent et garder la 
force supérieure. 

Cela peut réussir (|uek|ue temps, mais pas longtemps; car 
Fhistoire nous apprend, et on pourrait dire nous démontre pat 
l'expérience, que la matière elle-même obéit dans son dévelop- 
pement à certaines lois qui vengent par leurs conséquences les 
principes méconnus. Ainsi fait la force des nations quand elle M 
s'appuie que sur les canons. Chaque année il faut, bon gré mal- 
gré, en augmenter le nombre et charger le budget; et comme ce 
genre de dépense est, par sa nature, essentiellement hnproduc- 
tif, il s'établit à l'intérieur une cause d'appauvrissement qui W 
toujours grandissant et dont il est permis de mesurer les progrès. 

Est-ce à dire que la force militaire pourra jamais cesser d'être 
Félément nécessaire et primordial de la sécurité des peuples'! 
Non ! car du jour où le droit a été méconnu par un plus fort, il 
n'a plus existé de sécurité que dans la défense. Tout- peuple, p 
veut vivre, est désormais condamné à organiser autour de saW 
une défeûse matérielle assez forte pour le sauvegarder. Ce n'csl 
plus une question de tempérament, comme on disait jadis en par- 
lant des ardeurs guerrières de certaines races plus belliqueuses 
les unes que les antres. C'est une question de vie et de propriété. 
En effet, plus un peuple sera pacifique, plus il sera commer- 
çant, riche, industriel et comblé des dons de la fortune, plus il 
sera désormais menacé par ceux qui se sont épuisés en canons et 
qui n ont plus d'autre alternative que de s'en servir pour aller 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



123 



nrendre ce qui leur manque. Il faut donc aujourd'hui de très- 
!raiides armées aux grands peuples, mais il leur faut d'autres 
"hoses encore qui complètent la force militaire et en compensent 
, ^ijai-o-es. Si une nation parvient à établir l'équilibre entre la 
HéDense de sa force protectrice et les ressources de sa vie pacifi- 
mie elle peut envisager l'avenir avec un certain calme. Mais ii 

est autrement quand un peuple est réduit à faire de la guerre 

moyen d'existence. Tôt ou tard, répétons-lo, les principes 
sont vengés par leurs conséquences. 

Or si on étudie la situation intérieure de la Prusse au mois de 
inin 1864, on voit que le gouvernement était, pour ainsi dire, en- 
fermé dans une impasse dont la guerre seule pouvait le faire sor- 
tir Cet état de choses venant seconder la doctrine politique du 
nremier ministre, le règne de la force et de la force seule, devait 
être la conséquence d'une situation aussi tendue. Aussi, à partir 
du jour où la conférence de I^ondres, réduite à l'impuissance, se 
sépara en laissant le champ libre aux belligérants, M. de Bismarck 
prit-il la résolution de ne plus accepter d'ingérence étrangère 
entre lui et le Danemark, et de se débarrasser au plus vite de la 
coopération gênante de la Saxe et du Hanovre. 

Les premiers succès militaires de la campagne avaient clé 
remportés parles troupes autrichiennes. A Carlsbad, on s'en était 
réiouifraternellement autour des deux souverains; mais le pu- 
blic et les journaux n'y avaient pas mis autant de chevalerie, et, 
des deux côtés, soit à Vienne, soit à Berlin, on voyait les traces 
d'mie rivalité qui souvent devenait agressive. 

S'il faut en croire les récits du temps, les deux états-majors 
n'ava'ient pas l'un pour l'autre des sentiments très-sympathiques. 
Des anecdotes nombreuses circulaient dans le public, toutes fa- 
vorables aux officiers autrichiens et peu flatteuses pour leurs 
frères d'armes. On on racontait une dans les cercles de Vienne, 
fort insignifiante par elle-même, mais qui peut donner une idée 
des relations amicales qui existaient alors entre les deux corps 
d'armée. 

Il y avait en Autriche un fort bon officier que nous ne nom- 
merons pas, de grande famille, brave et irréprochable, mais dont 
l'esprit paraissait un peu lent dans le commerce habituel 






de la 



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attia^. 



126 



L'ALLEMAGNi- NOUVELLE. 



Vie. Ses camarades s'en amusaient souvent et disaient, en plai- 
santant, que l'Empereur lui avait accordé la permission de tira- 
un coup de pistolet sur celui de ses sujets qui serait plus... lenl 
que lui. Or, Il arriva que ce comte de X... fut nommé comme al 
tache a un etat-major prussien où se trouvait déjà un de ses ca 
marades, le prince d'A..., capitaine de dragons. Quand la non 
velle en vint à Alsen, un des officiers prussiens, s'adressant ai 
princedA..., lui dit : « Ah! nous allons avoir avec nous le capi 
tame X... Est-ce celui à qui l'Empereur a donné cette fameuse 
permission du pistolet? » - « C'est lui-môme, répondit le prince 
cl A..., mais rassurez-vous. Messieurs, en l'envoyant ici on ajugi 
plusprudent de la lui retirer. y> Ce petit colloque, à la table de. 
otticiers, fît bientôt le tour des salons de Vienne, et peu s'en fal- 
lut qu il n eut des conséquences tragiques. On y était, d'ailleurs. 
ne ijius en plus mécontent de la solidarité austro-prussienne, 
fi autant plus qu'après les premiers succès autricliiens, lesPrus- 
wens ne tardèrent pas cà avoir leur tour et à reléguer dans l'effa- 
cement du second plan l'action militaire de leurs alliés. 

J. Empereur d'Autriche était arrivé à Carlsbad le 22 juin. Il en 
partit le 24, à huit heures du soir, après un dîner chez le Roi de 
i russe, auquel assistaient, avec le comte de Rechberg et M. de 
iiismarck,quelques notabilités allemandes et étrangères. Le comte 
de Rechberg partit aussi dans la soirée. 

n avait été convenu que le Roi de Prusse s'arrêterait à Vienne 
en revenant de Gastein. 




10 11 12 



VIII. 



K Conclusion de la paix avec le Danemark. — Visite du Roi de Prusse 
à la Cour do Vienne. — Un dîner chez le Comte de Rechberg. 



La ^'isite de l'Empereur d'Autriche à (îarlsbad n'avait duré 
([lie deux jours ; mais ils avaient suffi pour resserrer les liens 
personnels qui unissaient les deux souverains, malgré l'échec 
complet des efforts pacifiques du comte de Rechberg. 

Trois jours après on recevait la nouvelle de la prise d'Alscn, 
ci les officiers prussiens de la suite du Roi parlaient très-haut 
(le l'attaque imminente de Fûnen. M. de Bismarck, il est vrai, se 
montrait plus circonspect et le Roi gardait le silence, mais l'en- 
loiirage tenait la chose pour certaine. Cependant le comte de 
Rechberg avait formellement déclaré avant son départ que 
jamais le Cabinet de Vienne ne consentirait à l'attaque ou 
même à l'occupation de cette île, l'Autriche étant plus que jamais 
résolue à ne pas enlever au Danemark un pouce de territoire 
on dehors des Duchés. Mais que pesaient alors les résolutions 
autrichiennes? On venait de le voir au sujet de la médiation 
offerte par l'Ang-leterre ; on l'eût encore vu à l'occasion de l'île 
de Fûnen, si un événement inattendu ne fût venu interrompre 
soudainement les hostilités reprises depuis quelques jours. 

Le Danemark avait reconnu que désormais la lutte n'était 
plus possible. Son armée héroïque de quarante mille hommes 



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12S 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



ne pouvait rien contre des ennemis implacables qui étaie»! 
prêts à lui en opposer dix fois autant. Le II juillet 1864, le Roi 
de Danemark se décida à changer son Cabinet, et à confier à 
de nouveaux ministres la triste mission de négocier une pais 
devenue nécessaire. Les Duchés étaient perdus, l'ennemi te 
tenait et ne les lâcherait plus, tout le monde le comprenait; il 
ne s'agissait donc plus que de sauver le reste de la Monarchie. 
Ce fut à M. de Bluhme, Ministre des Affaires-Etrangères el 
président du nouveau conseil qu'échut cette tâche ingrate. 
Eloigné des affaires publiques depuis près de dix ans, il y ren- 
tra malgré lui et par patriotisme. Son premier acte fut d'adres- 
ser le lendemain (12 juillet) une note identique à Berlin et à 
Vienne pour proposer des négociations de paix et un armistice 
de vingt jours. Il avait pour principaux collègues MM. deMoitte- 
Muchlàu et de Quaade, ainsi que le général Hansen à la guerre. 
La note adressée aux Puissances allemandes se résumait daiis 
son premier alinéa ainsi conçu ; « S. M. le Roi, ayant résolu de 
chercher les voies et moyens propres à aplanir les différenili 
actuels, et s'étant en même temps entouré de nouveaux conseil- 
Jers, charge le soussigné de faire sans délai auprès des Gouver- 
nements des. M. le Roi de Prusse et de S. M. l'Empereur d'Au- 
triche, les démarches nécessaires pour arriver à ce but. » 

_ Les réponses ne se firent pas attendre. Toutes deux affiriM- 
tives, mais en réalité assez dissemblables, et cette différeiict 
mérite de fixer l'attention parce qu'elle démontre jusqu'à quel 
point M. de Bismarck s'était rendu maître de la .situation et 
faisait marcher à sa guise le Cabinet de Vienne. 

La dépêche de Berlin partit le Va juillet, et en voici, sauf l'ac- 
cusé de réception et les phrases de courtoisie, le texte officiel: 
« S. M. dans son désir sincère de voir la paix se rétablir cl 
d accord avec sou haut allié l'Empereur d'Autriche, a daigné 
autonser le soussigné à déclarer que le Gouvernement de Sa 
Majesté recevra avec empressement les communications que le 
Gouvernement de S. M. le Roi de Danemark a l'intention de 
lui taire a ce sujet. Pour faciliter l'ouverture de ces négociations 
et répondre au vœu exprimé dans la note en question, S. M. le 
Koi a en même temps ordonné la suspension des hostilités sur 
terre et sur mer jusqu'au 31 courant. » 



L'ALLEMAGNE HOliVELLE. 



■129 



Pas un mol des conditions préalables. Les ouvertures danoises 
■.inicnt acceptées non-seulement avec courtoisie, mais même 

■PC un empressement sympathique. A lire cette dépêche on 

■lit pn croire à Copenhague C[ue le Roi de Prusse saisissait 
' rpc bonheur l'occasion de terminer une guerre qui l'attristait. 

Voici maintenant quelle fut la réponse autrichienne. Datée du 
if iuillet, elle avait été combinée avec M. de Bismarck, et le 
M'nistro prussien avait eu le talent d'y faire insérer tout ce qu'il 
préférait ne pas dire lui-même. 

( Le Cabinet Impérial est animé d'un désir non moins sincère 

ne le Cabinet Danois de terminer les tristes démêlés qui divi- 

'' { ]gg deux nations, et pour répondre au vœu émis à ce sujet 

Son Excellence, il a immédiatemont donné l'ordre, après 



par 



Il a immédiatemont donné l'ordre, 
-'être entendu avec son allié le Gouvernement prussien, que les 
hostilités fussent suspendues sur terre et sur mer jusqu'au 31 
, j,g ^ois^ dans la supposition que le blocus sera levé en 

même temps. 

(I Le Gouvernement Impérial se prêtera volontiers à la conclu- 
sion d'un armistice et à l'ouverture de négociations directes 
* ourle rétablissement de la paix : mais il ne le fera qu'à la con- 
\tion expreste que le Roi Chrétien IX renoncera en fureur des 
Paissaricts alliées à tous les droits que Sa Majesté a possédés ou 
fiil' valoir sur les pays situés au sud de Konge-Aa, et que le 
lîanemark reconnaîtra les dispositions définitives que les deux 
Puissances alliées prendront relativement aux trois Duchés de 
Slcswig, de Holstein et de Lauenbourg, ainsi qu'aux enclaves 
du Jutîànd dans le Sleswig. » 

Celte réponse avait le tort de donner au Cabinet de Vienne 
une attitude très-différente de celle qu'il avait eue pendant 
la "uerre. Elle lui faisait perdre au dernier moment tout le 
bénéfice de ses tendances pacifiques, car il prenait l'initiative 
(le la rigueur en imposant au Danemark des conditions plus 
dures que toutes celles dont il avait été question jusqu'alors. Et 
guel moment choisissait-il pour agir de la sorte? Celui où on 
allait négocier la paix, se chargeant gratuitement du poids des 
mauvais souvenirs. ,. , , • i . 

Mais ce qui était plus grave, c'était de stipuler la cession des 




n 



[\j- 



co- 



130 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



tn- 



ID- 



o 



U) 



en 



CT, 



droits de Chrétien IX en faveur des Puissances alliées, à l'exclu- 
sion de la Confédération germanique. C'était jusqu'à un cef- 
tain point, déloyal à l'égard de l'Allemagne, car l'Autriche et la 
Prusse n'étaient après tout que les mandataires de la Confédfr 
ration et c'est à l'Allemagne confédérée, à la Diète de Francfort, 
que devait se faire la cession des Duchés. Donc après avoif 
blessé le Danemark, le Cabinet de Vienne trouvait encore le 
moyen de blesser l'Allemagne au bénéfice de la Prusse. 

Il était assez naturel de prévoir que du moment où les Duchés 
étaient cédés aux Puissances alliées, il ne pouvait se présentei 
que deux alternatives : ou de les remettre à la Confédération 
pour qu'elle désignât le souverain appelé cà les gouverner; on 
de les voir passer à la Prusse, car l'Autriche ne pouvait plusse 
laire d'illusion sur ses chances d'en obtenir et surtout d'en 
conserver une partie. 

L'ijitérêt de l'Autriche était donc de porter toute son iiitkieuce 
du côté opposé à l'annexion prussienne et de prendre en 
mains dès le début la défousc des justes prétentions de la 
Diète. 

Il est difficile d'expliquer pour quelles raisons elle préféri 
a ce rôle patriotique et habile, une complicité de mauvais ail 
avec la Prusse, servant ainsi ses projets d'annexion et posant 
dans sa malencontreuse réponse au Danemark, le germe du con- 
tht qui devait un an plus tard conduire à la guerre de 1866. 
La suspension d'armes fut signée le 18 juillet à Copenhague. 
A la même époque le Roi de Prusse quitta Carlsbad pour « 
rendre directement à Gastein d'où, comme on le sait, il derait 
revenir à Vienne. 

Les plénipotentiaires danois s'étaient mis en route aussitôt 
après la signature de la trêve. On les attendait à Vienne le 2ii 
ils turent exacts au rendez-vous; c'était M-. de Quaadeet lecolo- 
le 2^''"'' '""• ^- '^'^ Bismarck les y avait précédés depuis 

nonvntnf P""'P^''f''' ''«»« P»"!' des négociations de paix qui ne 
unsX^ r 'TS^t^^P^' «^ar de part et d'autre on était, 1« 
uns, ie.,olus, les autres résignés. 

Mais si l'opinion publique était fixée sur le résultat final cii 



-j 



cm 



10 11 12 



L'ALLliîIAGNE KOCVKLLE. 



131 



ce qui touchait le Danemark, il n'en était pas de même pour la 
question allemande que soulevait la cession des Duchés. On 
pressentait avec inquiétude, quelque résolution imprévue du 
Cabinet de Berlin et toute la presse viennoise témoignait à 
l'égard de la Prusse et de son ministre, de la défiance et de la 
malveillance. L'occupation de la place de Rcndsbourg par les 
Prussiens, entrés malgré les garnisons fédérales (Saxe et Hano- 
vre) qui en avaient la garde, avait produit dans toute l'Allemagne 
un véritable toile d'indignation; ce fut encore pis quand on ap- 
prit que la Diète ne serait pas conviée aux négociations de la 
paix. A la tète de l'agitation allemande, M. de Be\ist, ministre de 
Saxe, multipliait ses efforts pour lutter contre l'ostracisme dont 
on l'avait frappé à Berlin et à Vienne. Il voulait à tout prix 
représenter la Diète de Francfort aux Conférences de Vienne, 
comme il l'avait fait aux Conférences de Londres ; mais ayant 
fssuyé un refus péremptoire des deux Cabinets alliés, il cher- 
chait à se faire imposer par la pression extérieure des Etats 
allemands. Les commissaires fédéraux saxons obéissant à ses 
instructions, affectaient de se dégager de toute dépendance et 
se mettaient volontiers eu opposition avec les autorités austi-o- 
prussiennes. 

Un instant, M. de Bismarck eut l'idée de couper le mal dans 
sa racine et d'occuper militairement la Saxe ; il en fut détourné 
par le comte de Rechberg, mais tous deux s'entendirent, pour 
exclure définitivement des négociations, le Ministre qui avait 
essayé de contre-carrer leur politique. 

La première conférence eut lieu le go juillet ; elles se succé- 
dèrent sans interruption jusqu'au 1" août, et se terminèrent 
par la signature des préliminaires qui devaient servir de base 
au traité de paix. 

M. do Bismarck avait quitté Vienne le 30 juillet pour aller 
rejoindre son souverain à Gastein, laissant au baron de Werther 
le soin de régler les derniers détails. Dès le troisième jour en 
effet toutes les questions principales étaient tranchées. C'était la ■ 
loi du plus fort, le Danemark n'avait qu'à subir. 

Pour donner une idée de la loyauté qui présida aux discus- 
sions, nous nous bornerons à citer le cas du Duché de Lauen- 



I 



Jiiii 



132 



L'ALLEMAGNE NOUViaiE. 



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y/.. 



bourg. On se rappelle que ce territoire était, pour ainsi dire, 
(Hranger au coaflit, et l'on sait avec quel luxe de protestations 
pacifiques il avait été occupé provisoii ement par des troupe! 
fédérales saxonnes et hanovriennes, sans coup férir, amicalement 
en quelque sorte et par mesure conservatoire, pour y protéger 
les droits du futur souverain. 

Cet état de choses exceptionnel avait suggéré aux plénipo- 
tentiaires danois l'idée de faire de la cession des droits de Chré- 
tien IX sur ce domaine, un objet de compensation. — « Nous 
possédons le Lauenbourg par droit de conquête. » — Telle futla 
réponse de M. do Bismarck, et il refusa péremptoirement de 
laisser discuter la proposition danoise. 

Or non-seulement le fait était inexact en lui-même, carja 
le Lauenbourg n'avait été conquis, mais il constituait une 
tion absolue de tout ce que l'Autriche et la Prusse 
déclaré antérieurement à la face de l'Europe. 

— Mais que faire? — disaient le soir de la Conférence les 
plénipotentiaires danois. ~ Refuser leurs conditions draco- 
niennes, c'est recommencer la guerre, et nous ne le pouvons pas. 
Ils ont mis leurs pieds sur notre gorge et ils nous écrasent de 
tout leur énorme poids. — 

C'est dans ces conditions que furent signés le l^"' août, les 
préliminaires de paix entre le Danemark, la Prusse et l'Au- 
triche. 

Le Danemark perdait tous les Duchés y compris les parties 
du Sleswig enclavées dans le Jutland, et se voyait réduit au te^ 
ritoire purement danois dont les frontières étaient désormais 
fixées par la ligne de la Kônigs-Au ou Konge-Aa. Plus tard une 
rectification de frontière compensa au bénéfice des exigences 
austro-prussiennes, l'abandon des enclaves qui eussent été uM 
source de difficultés permanentes. La dette publique fut par- 
tagée proportionnellement aux territoires d'une façon plus ou 
moins équitable. Les frais de la guerre furent mis' à la charge 
. des Duchés, sauf certaines exceptions arbitraires. En un mot 
1 Autriche et la Prusse dictèrent, le Danemark se soumit el 
1 Europe assista au triste spectacle des deux grandes puis- 
sances dépouillant à l'envi une nation plus faible que chacune 



L'ALLRMAGNE NOUVELLE. 



-133 



d'elles séparément, et abusant de leur victoire peu glorieuse 
d'une façon impitoyable. 

A partir de la signature des préliminaires, les discussions 
subséquentes qui eurent pour objet la paix définitive n'offrent 
aucun intérêt. Le traité de paix fut signé le 30 octobre 1 864. Ce 
fui le dernier acte public du comte de Rechberg qui avait déjà 
depuis quelques jours quitté le Ministère des Affaires-Étrangères 
d'Autriche pour y être remplacé par le général comte de 
Mensdorff-Pouilly. 

jUnsi se termina le conflit dano-allemand qui durait depuis 
près de vingt ans. Il fut tranché par un coup do force, au mépris 
de toutes les promesses antérieures et du droit public interna- 
tional. L'Allemagne qui s'était enflammée sur cette question au 
nom du patriotisme germaniciue, ne fut pas même consultée, et 
ceux qu'elle avait chargés de son mandat fédéral s'entendirent 
pour se substituer à la Confédération et s'approprier les béné- 
fices de la campagne. 

Mais nous l'avons déjà dit, la Providence a mis dans les choses 
uu certain germe do justice, une secrète énergie, qui, malgré 
les calculs humains, maintient les lois de l'ordre moral et protège 
la justice contre l'arbitraire elles entreprises de la violence (1), 

La guerre de Danemark devait être fatale à la ligue Austro- 
Prussienne et cette spoliation injuste devait prochainement 
amener entre les complices une lutte sanglante. 

N'anticipons pas sur les événements et revenons au 1 " août, 
c'est-à-dire au jour où la question danoise a cessé d'exister par 
suite de la signature des préliminaires de paix. 

Jamais victoire ne fut accueillie avec moins d'enthousiasme 
par les peuples vainqueurs. On avait fait venir à Vienne quelques 
Irophées de la campagne, une demi-douzaine de petits canons, 
autant de petits drapeaux ou guidons enlevés aux Danois et le 
tout était exposé dans une remise des écuries impériales à la 
curiosité populaire. Mais on y venait peu et le peuple Autrichien 
u'en tirait pas vanité. Les masses ont le plus souvent dans leurs 
instincts un certain sentiment de la vérité et on eût dit, à voir 



. /..i I 



(1) Mgr Darboy, réflexions sur l'Imitation. (Préface), 



wÊm 



134 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



le pou d'empvesscment que suscitait ce spectacle, que les Viei- 
nois comprenaient déjà ce que deyaient leur coûter plus \d 
ces dépouilles d'une nation malheureuse qu'ils avaient com- 
battue pour les intérêts de la Prusse. 

Dans les sphères du Gouvernement les tristes pressentimenls 
étaient aussi réels mais moins apparents. Ils s'effaçaient d'ail- 
leurs pour le moment devant les préoccupations d'un autre or- 
dre que causait la prochaine visite du Roi de Prusse k la Cow 
Impériale. 

C'est ici le lieu de faire précéder le récit de cette entrevue* 
quelques observations qui serviront à en bien préciser l« 
caractère. 

Une rencontre entre les deux souverains alliés, au raomcBl 
où il s'agissait de régler les conséquences de l'action commuiiï, 
«tait une chose d'autant plus délicate que déjà il s'était prodml 
des divergences assez marquées entre les deux Cabinets si» 
cette môme question. Aussi M. de Bismarck avait-il pris toute; 
SOS précautions. Il avait représenté que les questions de politi- 
que intérieure et Allemande venant, par suite de la paix, d'en- 
trer dans une phase nouvelle, il était nécessaire de les étud« 
avant d'en aborder la discussion. Toute conversation sur ■" 
matière était encore prématurée, et le Roi de Prusse 
par -son ministre était ce avenu avec lui de ne pas s'y 
entraîner. Mieux que cela, M. de Bismarck s'était arrangé po«' 
que l'on connût cette résolution à Vienne et de cette faÇ»" 
l'Empereur d'Autriche sachant d'avance l'accueil réservé as» 
ouvertures, devait s'en abstenir, si tant est qu'il eût formé It 
projet de s'y engager. 

Mais si le ministre prussien avait ainsi préparé les voies Jt 
manière à écarter les pourparlers dont il ne voulait pas aWi 
c'était pour provoquer sur un autre terrain et dans un auti* 
but éminemment pratique, des assurances réciproques dorf' 
espérait le meilleur effet. 

Le Gouvernement Autrichien bien qu'en apparence de foW" 
libérale et pour ainsi dire constitutionnelle était encore pW 
poi'sonuel qu'il ne le paraissait, et l'Er.ipereur exerçait sur s* 
Ministre des Affaires-Étrangères une autorité bien plus dire* 



I 



L'ALLIiMAGNE NOUVELLE. 



135 



et plus absolue que ne le faisait le Roi Guillaume sur son Pré- 
sident du Conseil, auquel il accordait une confiance illimilée. 

C'était donc l'Empereur et l'Empereur seul qu'il fallait mettre 
en présence du Roi pour resserrer l'union des deux Princes 
et y trouver au besoin un point d'appui dans les difficultés de 
l'avenir. Or les questions do politique allemande une fois écar- 
tées il restait un terrain excellent où les princes débarrassés 
de tout contrôle ne pouvaient manquer de s'entendre étroite- 
ment. C'était celui de la défense des prérogatives et de l'auto- 
rilé royales contre les empiétements du parti libéral. 

Ce fut précisément ce qui arriva. La démocratie, la révolu- 
tion le parlementarisme, les tendances unitaires de la petite 
Allemagne, les prétentions croissantes des Chambres, telles 
furent les questions à l'aide desquelles se cimenta l'affection des 
deux Princes. Là, pas une divergence, pas une pensée qui ne 
fût commune à l'oncle et au neveu; mêmes regrets, mêmes in- 
térêts mêmes craintes, mêmes sympatliies, sinon mêmes espé- 
rances. Plus d'une fois les mains se serrèrent en parlant de l'en- 
nemi commun et en échangeant ces bonnes promesses d'amitié 
d'autant plus chères et plus précieuses à l'Empereur François- 
Joseph, qu'à ses yeux elles étaient pures de toute rivalité poli- 
tique et n'éveillaient en son esprit qu'un sentiment de sécurité 
et d'appui pour l'éventualité toujours possible des jours néfastes. 

Tel fut le véritable caractère de l'entrevue des deux souverains 
en août 1 864. EUe resserra les liens déjà étroits qui les unissaient 
auparavant, et fut pour ainsi dire toute de sentiment comme 
d'autres avaient été toutes de courtoisie et de politique. L'Empe- 
reur François-Joseph resta sous le charme de son hôte royal, et 
lui donna sa confiance comme il lui avait donné déjà son affection. 

Sous ce rapport la visite du Roi de Prusse à la Cour d'Autriche 
eut de très-graves conséquences, car c'est dans le souvenir qu'il 
laissa à l'Empereur François-Joseph qu'il faut chercher le secret 
de la longanimité avec laquelle le Cabinet de Vienne maintint 
envers et contre tout, l'alliance Austro-Prussienne, alors même 
qu'il devenait presque impossible de fermer les yeux sur la réso- 
lution de la Prusse de prendre pour elle seule et de s'annexer 
les Duchés. 









m 



J36 



L'ALLEMAGNE NOi;VELLË. 



L'Empereur avait loyalement accepté ce qu'on lui avait dit el 
ce que l'on lui avait promis. Jeune encore et d'un caraclère 
franc et ouvert il avait placé sa confiance sur les paroles échan- 
gées. 11 devait bientôt apprendre à ses dépens ce que valaient 
ces assurances. 

Maintenant que nous connaissons le résultat politique de l'en- 
trevue, allons au devant du Roi. 

Nous sommes au 20 août et on l'attend dans la soirée, arrivant 
de Gastein et descendant au Palais de Schônbrunn où se fera 
la visite Royale. 

Schônbrunn est à une demi-heure de Vienne, mais c'est la 
campagne au lieu de la ville et dans cette saison on y est miens 
que dans l'antique Burg de Vienne. 

Le Roi arrive à l'heure annoncée, il est en uniforme de colo- 
nel Autrichien. L'Empereur est allé au devant do lui en uni- 
forme de colonel Prussien. C'est un ancien usage auquel les 
Princes Allemands ne manquent jamais et que le peuple a, mal- 
gré tout, beaucoup de peine à accepter. On a conservé en Au- 
triche, en Prusse et en Russie la vieille coutume de donner aux 
régiments de l'armée deux colonels, un qui les commande et cpji 
est de l'armée , et un qui ne les commande pas et qui est habi- 
tuellement un souverain, un prince ou un grand personnage 
militaire. Le régiment porte son nom, et comme on disait autre- 
fois en France : les Dragons de la Reine, on disait en Autriche et 
en Russie : les dragons ou les cuirassiers du Roi de Prusse. 

C'est ainsi que le Roi Guillaume était colonel d'un régiment 
Autrichien et l'Empereur François-Joseph colonel d'un régiment 
Prussien. 

Or dans les visites souveraines, c'est une règle de courtoisie que 
les Princes portent l'uniforme des régiments qu'ils possèdent 
ainsi dans l'armée de leur alhé. Quelquefois même, au moment de 
la revue, l'hôte royal se fait un plaisir d'aller se placer en tète 
du régiment qui porte son nom pour défiler et saluer, puis il re- 
gagne au galop la droite du souverain qui lui fait les honneurs 
de la revue et cette petite manœuvre est généralement con;--- 
dcréc comme le comble de la politesse. 

La revue est d'ailleurs, en toute occasion, et quelle que soit 



H 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



137 



la saison, une partie essentielle du programme officiel. Jadis les 
Princes voyageaient beaucoup moins et cet usage avait sa rai- 
son d'être, mais comme aujourd'hui les visites princières se suc- 
cèdent pour ainsi dire sans relâche, on échappe aux exigences du 
cérémonial en déposant le titre royal pour prendre le titre d'un 
fief quelconque. C'est l'incognito, ainsi nommé bien que tout 
le monde soit au courant de la substitution, et que les Princes 
soient aussi connus sous leurs noms de voyage que sous celui de 
leur avènement. 

Du moment oii un souverain voyage incognito, il fait à peu 
près ce qu'il veut, et cependant il ne lui est pas toujours pos- 
sible d'échapper à la revue, surtout si son hôte a quelque chose 
de beau à lui montrer. 

On racontait autrefois à Stuttgardt qu'un Duc de Wurtemberg 
voulant donner à un Grand-Duc de Russie une haute idée de 
ses forces militaires et surtout des régiments de sa garde, avait 
employé à cet effet un stratagème ingénieux. La revue se tenait 
sur la place du Château elles troupes après le défdé se diri- 
feaient comme en demi-cercle de manière à passer derrière les 
bâtiments où on leur faisait rapidement changer d'uniformes. 
Elles reparaissaient ensuite figurant devant le Grand-Duc étonné, 
des UhlanS, des Dragons, des Cuirassiers et des Hussards, ainsi 
ffue cela se pratique aujourd'hui dans les théâtres militaires. 

Le Roi de Prusse n'avait rien à apprendre sur l'armée Autri- 
cliieime. Elle venait de combattre côte à côte avec la sienne, et 
on savait déjà à Berlin ce qu'il fallait faire pour la vaincre ; 
mais précisément à cause de cette coopération Austro-Prus- 
sienne contre le Danemark, il était plus que jamais nécessaire 
pe le Roi eût l'occasion de saluer l'armée de l'Empereur. La 
revue eut lieu dans la matinée du 22. Elle était de 15.000 hom- 
mes. 

Le 21, on avait réuni le soir au petit théâtre de Schônbrunn, 
le peu de société qui était à Vienne ou dans les environs à cette 
époque de l'année, ainsi que le Corps Diplomatique. Le Roi 
était en habit civil et l'Empereur avait repris le petit uniforme 
gris bleuâtre des généraux Autrichiens. Derrière le Roi se te- 
naient : M. de Bismarck, les généraux de Manteuffel et d'Avens- 



I 



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138 



L'ALLEMAGNE XOUVELLE. 



Uâ 



leben et plusieurs autres officiers de sa suite. Pendant les entr'ac- 
tes S. M. parlait avec tons ceux des invités qu'EUe connaissait 
déjà et se faisait présenter la plupart des autres, car le cercle 
était restreint vu la difficulté de trouver dans les fortes chaleurs 
d'août un nombre suffisant de dames jouissant de Z'ffo/fsMs- 
heit autrement dit Dames de la Cour. 

C'était d'ailleurs une assemblée sympathique, car sauf de ra- 
res exceptions, le parti de la Cour prenait fort à cœur ce rap- 
prochement des deux souverains et la visite du Roi de Prusse y 
«tait envisagée comme la manifestation éclatante d'une alliance 
personnelle et intime qui allait désormais marquer de son in- 
fluence la politique extérieure et intérieure du Gouvernemenl 
Impérial. 

Le 23 il y eut un spectacle de Gala à l'Opéra de Vienne, lï 
Cour avait disposé d'une partie des premières loges pour la 
suite du Roi. Les jours de Gala l'Empereur et les Archiducs 
quittent les avant-scènes qu'ils occupent d'habitude et se tien- 
nent avec les Princes Étrangers dans une grande loge centrale 
où les sièges sont disposés suivant les règles du cérémonial. La 
salle est éclairée a giorno, c'est-à-dire avec addition de candé- 
labres et de lustres, de manière à faire ressortir tout l'éclat des 
pierreries, des parures et des broderies, mais au grand détri- 
ment de la scène qui parait obscure. La salle d'ailleurs est au 
public payant, comme d'habitude, avec cette seule restriction 
que les daines doivent être en grande toilette, et les hommes 
en grand uniforme s'ils en ont à porter, ou autrement en frac 
et cravate blanche. Dans la grande loge du milieu où se tient 
la Cour, les diamants des princesses et l'éclat des broderies 
font un effet considérable, dont l'assistance paraît se complaire' 
à étudier les détails. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les Autri- 
chiens sont habillés en Prussiens avec des décorations prus- 
siennes, et les Prussiens en Autrichiens avec des décorations 
autrichiennes ; c'est le signe de la fraternité. 

Au moment où parait la Cour, le public se lève et l'orchestre 
commence les marches Royales ou Impériales qui sont à Berlin et 
à Vienae comme le God save the Queen à Londres. En Italie on 
applaudit. Peut-être ferait-on de même à Vienne dans un jour de 



L'ALLlîîlAGNE NOUVELLE. 



439 



sraiid enthousiasme populaire? On ne le fit pas en cette circon- 
stance soit par respect du cérémonial, soit parce que l'enthou- 
siasme n'existait ni dans le parlement ni dans le peuple. A dire 
vrai, le parti libéral n'attendait rien de' bon de la visite et de 
l'amitié du Roi qui depuis deux années déjà tenait pour ainsi 
dire le pied sur les députés de son peuple et pratiquait l'absolu- 
tisme en présence d'une constitution jurée, violée et répudiée. 

Après la soirée de Gala à l'Opéra vint le lendemain une chasse 
auThier-Garten; le Thier-Garten est un immense parc clos qui 
commence près de Schônbrunn et s'étend fort au loin, enfermant 
dans les murs élevés de son enceinte, des plaines, des monta- 
gnes et des vallées. On pourrait le comparer aux forêts de Saint- 
Germain et de Marly. Là se trouvent en grande abondance des 
sangliers, des cerfs, des biches, des daims, gros gibier qu'on dé- 
signe en allemand sous le nom générique de Thier. On y voit 
aussi des chevreuils et des renards, peu de lièvres et pas un 
lapin. Ce vaste enclos sert exclusivement aux chasses de la 
famille Impériale et dans les occasions solennelles d'une visite 
princière. On peut en effet y préparer en quelques jours et en 
toute saison des battues aussi fournies de gibier qu'on le désire 
et faire tuer à un prince étranger sans fatigue et presque sans 
mouvement un nombre considérable d'animaux. 

L'Empereur François-Joseph n'attache aucun prix à ces héca- 
tombes officielles, et sa prés':^iice y est toute de courtoisie. Grand 
amateur de chasse naturelle, c'est en général dans les montagnes- 
de Styrie qu'il se livre à son exercice favori. 

La chasse du Thier-Garten fut suivie d'un grand diiicr à 
Schônbrunn, et le lendemain 25 août le Roi prenait congé de 
l'Empereur qui l'accompagnait jusqu'à la gare du chemin de fer- 
et le serrait tendrement dans ses bras au moment oti il montait 
dans son wagon. 

Trois ans plus tard ils se rencontraient aussi dans une gare de 
chemin de fer à Oos près de Baden ; le Roi vainqueur de l'Au- 
triche, l'Empereur vaincu de la Prusse et victime de la confiance 
qu'il avait mise dans les paroles de son ancien allié. 

Ainsi se termina la visite du Roi de Prusse à l'Empereur d'Au- 
triche. Le programme en avait été tracé d'avance à Gastein par 



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^''^'''^'''''^''^^'^i'^^^ 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



M. de Bismarck ; il en surveilla l'exécution et obtint sous ce rap- 
port un véritable succès. Ce fut une visite de parent; l'mè 
venant à la campagne passer vingt-quatre heures chez son neveu, 
beaucoup plus qu'une entrevue princière, et sauf la soirée à 
gala à l'Opéra, le peuple de Vienne ne s'aperçut pas pour aiiii 
dire de la présence du Roi. Tout se passa en famille à ScMi- 
brunn, et les Viennois assez susceptibles de nature et proraptsi 
la critique ne furent pas insensibles au soin que l'on paraissai 
mettre à éviter leur contact. 

La Cour aussi, sauf dans ses hauts dignitaires, avait essujf 
c|uelque mécompte ; les deux souverains étaient convenus d'inter- 
rompre en cette circonstance l'usage traditionnel de distribnet 
des décorations à leurs maisons respectives. Il y avait enei 
une assez bonne raison pour justifier cette exception. Les armée 
austro-prussiennes étaient encore en Danemark ou dans le 
Duchés, la campagne n'était pas officiellement terminée, et à 11 
paix les décorations prussiennes allaient naturellement pleuwii 
dans le camp autrichien de même que les croix autrichieM« 
allaient se répandre à profusion dans l'armée Prussienne. Iln'ei 
pas été convenable de devancer cette abondante moisson parli 
distribution anticipée de distinctions cueillies dans les saloïc 
avant la récolte militaire. 

Cependant telle était la force de la tradition que plusieurs per- 
sonnes de la Cour se sentirent blessées comme si on les atail 
frustrées d'un droit acquis. 

L'usage immodéré des décorations fait partie des mœurs allt- 
mandes, et on peut dire que sauf en Angleterre la passion te 
croix et des médailles a fait dans ces derniers temps de très- 
grands progrès. On pouvait espérer que la France n'ayant qu'm 
seul ordre honorifique, les Français échapperaient aux excès J( 
cette vanité officielle ; mais plus l'esprit égalitaire s'est introdu» 
dans les mœurs publiques de la nation, dans ses lois etdansso» 
Gouvernement, plus les citoyens se sont montrés avides dépos- 
séder quelque signe qui les élevât au dessus du niveau cofflffl* 
A delautde croix françaises, on court après les croix étrangères, 
après les médailles, après tout ce qui peut distinguer des autres- 



L'ALLEMAGNE KODVELLE. 



141 



l 'essentiel est d'être ou de paraître être en dehors et au-dessus 

de la foule. 

On ne saurait croire à quelles bassesses et quelquefois à quelles 
rrésularités peut entraîner la passion des décorations. Que de 
complaisances pour l'étranger, que d'absurdes dédicaces d'ou- 
„gg jyx divers souverains de toute la terre, n'ont souvent 
l'autre but que d'obtenir un ruban pour ajouter une couleur de 
plus à l'arc-en-ciel de la boutonnière ! 

L'Angleterre seule a maintenu dans sa législation la prohibi- 
tion des décorations étrangères, sauf pour les cas de coopération 
militaire pendant une alliance de guerre. C'est ainsi qu'il y a eu 
échange de croix françaises et anglaises pour la guerre de Crimée, 
mais en dehors de ces circonstances exceptionnelles, un Anglais 
n'est jamais autorisé à porter une croix étrangère. 

En Allemagne au contraire, où les grands États ont tous de 
sept à huit croix différentes, sans compter les médailles; où 
chaque petit État possède aussi son ordre de famille et quelque- 
fois son ordre de mérite, les poitrines des fonctionnaires de Cour 
sont littéralement constellées. Et si on ajoute à cette collection 
les ordres si nombreux de Russie, dont la Cour voyage tous les 
ans et ceux d'Italie qui ont fait leur réapparition depuis quelques 
années, on peut facilement se faire une idée de l'écrin honori- 
ficiue d'un Grand maître de la Cour, d'un Grand écuyer, ou môme 
d'un Chambellan accompagnant tous les ans son souverain dans 
ses voyages de cérémonie ou d'agrément. Au bout de quelques 
années les plaques se multiplient à ce point qu'il leur faut un 
coffre particulier avec lequel ces dignitaires voyagent comme 
les femmes avec leur boîte à bijoux. 

Tel était le cas du baron de Taubenhemi, Grand écuyer de feu 
le Roi de Wurtemberg. La Cour de Stuttgard était alors très- 
visitée des princes étrangers, tant à cause des nombreuses 
alliances de la famille Royale que pour le crédit personnel dont 
jouissait le Roi. Et à chaque visite le baron de ïaubenheim rece- 
vait une placpie et un grand cordon. Or un jour qu'il revenait 
(raccompagner le Roi voyageant comme comte de Teck dans une 
excursion en Belgique et en Hollande, il fut surpris de ne plus 
trouver à son retour son coffre à décorations parmi ses effets. 



H 



A-Mlt.-MAM.-V 



142 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 









Il crut d'abord à un vol, mais après de longues recherches il 
apprit que le coffre avait été retenu à la douane — « comme conte- 
nant de la quincaillerie et delà bijouterie de contrebande, qu'an 
M. Taubenheim, bijoutier, avait voulu introduire en fraude des 
droits d'importation.» — Le fait est que les employés de la douane, 
trompés par l'incognito, n'avaient jamais pu supposer que ces 
plaques fussent la propriété honorifique d'un seul liomme el 
qu'ils avaient cru être sur la trace d'un commerce illicite. 

Loin de nous la pensée de critiquer l'usage des décorations. 
Au contraire nous considérons l'institution des ordres civils»» 
militaires comme digne du plus grand respect et à la fois morale 
et utile ; mais il est manifeste que les distinctions honorifique» 
devraient pour conserver leur prestige légitime être exclusive- 
ment destinées à récompenser la valeur, -le mérite ou l'ancieii- 
neté des services, et qu'elles ne devraient jamais servira rem- 
placer les petits cadeaux de Cour. N'est-il pas anormal de voir 
un chambellan recevoir d'un prince, pour l'avoir accompagne 
trois fois en voiture, précisément la même croix que celui quil» 
servi vingt ans ou qui a perdu son bras au service de son pap 
sur le champ de bataille? Il serait beaucoup plus rationnel dan» 
des cas pareils de revenir à l'ancien usage des Cours et de laisser 
en souvenir des visites princièrcs des tabatières enrichies de 
diamants avec ou sans le portrait du souverain. 

Les dédicaces d'œuvres littéraires sont en général l'objet do" 
commerce de décorations qui atteint des proportions considéra- 
bles. Parmi les hommes les plus décorés de la génération qi» 
s'éteint on pouvait citer le célèbre Massimo d'Azeglio, quiP 
très-populaire en Italie vers la fin du règne de Charles-Albert.-* 
la fois romancier, poëte, historien, artiste et homme d'État," 
avait recueilli dans sa longue carrière une multitude de témoi- 
gnages, bien mérités d'ailleurs, d'estime et d'intérêt. Cen'étaient 
pas des grand'croix, bien qu'il en eût plusieurs, mais surtout 
une multitude de petites croix qu'il portait en paquet, passées 
dans une chaînette à la boutonnière de son habit. Un soir, le 
Roi Victor-Emmanuel causant avec lui, s'amusait à compter en 
souriant toutes ces petites crocette (4). — Cela vous fait rifei 

(1) Diminutif italien qui signifie peti'es croix. 



Il 



L'AILEMAGNE NOUVELLE. 



■143 



«••e lui dit d'Azeglio, et en vérité vous avez bien raison. Moi 
gg'i je rirais encore plus que vous, si comme vous je pouvais 
-er mes dettes avec cette monnaie-là. — Or, en ce temps-là, 

îi'Ué''lio qui avait tant fait povn- l'Italie et pour le Roi, était 
•p .x" pauvre, et vendait ses tableaux pour liquider ses dé- 

' revenons à Vienne où nous avons laissé l'Empereur François- 
fnh prenant congé de son futur ennemi et le serrant sur son 

cœur. 
Pendant le temps de la visite royale, M. de Bismarck avait été 

,. .-i^ (j'attentions inusitées et toutes particulières. On lui avait 
1 nué un appartement à Schônbrunn et un autre au palais de 
. Bur°' à "Vienne pour ses courses à la ville, ainsi qu'un équipage 
]p la Cour constamment à ses ordres; les Archiducs le recher- 
haient, les Archiduchesses se le faisaient présenter, les minis- 
tres l'entouraient, on n'épargnait rien pour se l'attacher par de 
bons souvenirs. La suite dos événements montrera le succès do 
jes prévenances. 

Il n'était pas présent au départ du Roi, et prolongea encore 
son séjour à Vienne de vingt-quatre heures. Le soir même, 
M le comte deRechbcrg donna en son honneur un grand dînera 
sa campagne de Kettenhof près Schwcchat, à environ une heure 

devienne. 

Ou se demandera peut-être pourquoi ayant a sa disposition 
l'hôtel des Affaires-Étrangères, vaste et bien placé en face des 
anciens glacis, le comte de Rechberg avait préféré réunir ses 
invités à Kettenhof, c'est-à-dire à une heure de Vienne, par une 
route pavée, poudreuse et d'une laideur proverbiale? 

Eu voici la cause : A Vienne le dîner eût été officiel et il n'eût 
pas été possible d'y donner la première place à M. de Bismarck 
du moment qu'on invitait avec lui des Ambassadeurs étrangers. 
Cardans les réunions officielles l'Ambassadeur qui représente la 
personne de son souverain n'est pas libre de céder son rang pour 
faire une politesse, il ne peut en disposer à sa guise. Sa position 
diffère en cela de celle des ministres plénipotentiaires dont le 
mandai diplomatique n'a pas le caraclèro do la représentation 
pcvso.Dielle et qui ne tiennent dans les Cours étrangères quun 



2 
1 



■ 



à\ 



m 



144 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



rang de courtoisie comme ministres d'un gouvernement ami on 
allié. Du moment où l'on dînait à la campagne, l'étiquette dispa- 
raissait devant les convenances de la situation et le comte dt 
Rechberg n'éprouvait plus d'embarras à prier les Ambassadeurs 
de trouver bon qu'il mît M. de Bismarck à sa droite. 

Voilà pourquoi le 25 août entre trois et cinq heures, par m 
chaleur suffoquante, sur un pavé disjoint et brûlant, dans uii 
nuage de poussière jaune, dorée par les rayons obliques du soleil 
couchant, on vit défiler une vingtaine d'équipages se suivant 
à de courtes distances et paraissant tous converger vers 1» 
rameuse brasserie de Schwechat d'où le célèbre M. Dreher 
exporte la bière de Vienne dans tous les pays de l'Europe. 

Ils n'allaient pas à la brasserie, mais tout à côté, à KeitenU!, 
chez le comte de Rechberg. Kettenhofest une maison de campa- 
gne plutôt qu'un château, bien que les bâtiments aient une cer- 
taine apparence et soient entourés d'eaux vives et d'arbres sécu- 
laires. Le peu d'étendue du parc autour de la maison, le voisi- 
nage non pittoresque des hautes cheminées que l'industrie élève 
partout où l'existence d'un cours d'eau favorise le travail des 
usines, la culture par trop rapprochée des choux et de la bet- 
terave, enlèvent à la résidence d'été du comte de Rechberg le 
caractère seigneurial qui lui a certainement appartenu jadis et 
dont elle garde encore quelques traces. Mais telle qu'elle est, 
c'est encore une retraite fraîche et tranquille où l'esprit se 
repose s'il n'y apporte avec lui les préoccupations de la ville. 
Là, point de luxe, point de serviteurs galonnés, nous allions dire 
point d'étiquette ; mais ce serait demander l'impossible dans une 
réunion de ministres et de diplomates, c'est-à-dire d'hommes éti- 
quetés par métier autant que par habitude. 

Vers quatre heures et demie les convives arrivèrent presque 
tous en même temps et firent leur entrée dans le grand salon 
où les attendaient déjà le comte de Rechberg et son collègue 
prussien entourés de quelques fonctionnaires aulique;. 

Ils étaient au nombre de trente environ et parmi "eux nous 
citerons les Ambassadeurs de France et d'Angleterre, le baron 
de Werther, ministre de Prusse, le baron de Knorring, chargé 
d'affaires de Russie, le général IgnatiefT, récemment nommé mi- 




cm 



10 11 12 13 



L'ALLEMAGMÎ NOUVELLE. 



d4o 



uisti'C de Russie à Constaiitinople, de passage à Vienne, le comte 
Féli'i de Wimpffen, les ministres de Bavière, de Saxe, de Hano- 
vre, de Suède et Norvège, etc., etc. Puis des fonctionnaires de 
,live;'3 grades, conseillers privés ou auliques dont nous ne don - 
I10Q3 pas les noms, mais si on tient à les connaître tous, on n'a 
• (|u'à consulter l'almanach de Gotha de 1 864 aux pages384 et .'574, 

Vers cinq heures-on se mit à table. Ce fut tout un travail, car 
malgré le caractère semi-champôtro de cette réunion, chacun 
voulait autant que possible se placer suivantle rang que lui 
assignait le protocole (1). Cependant après cinq minutes de 
marches et de contre-marches on fut assis d'une manière à peu 
près correcte. A la droite du comte de Rechberg, M. de Bismarck ; 
à sa "auche un des Ambassadeurs avec lequel on avait parle- 
menté pour céder le pas au ministre prussien qui n'était alors ni 
comte ni prince. Puis les autres personnages de la page 384 de 
l'almanach de Gotha (1864), puis ceux de la page 371 . 

Pas de conversation générale-, de temps en temps une grosse 
plaisanterie ou un jeu de mots, lancés avec l'assurance que don- 
nait à son auteur la certitude qu'il serait bien accueilli et que 
les fonctionnaires du second degré (page 371) en riraient aux 
larmes. Quelquefois, un instant de silence, que trouble seule 
la voix nasillarde d'un maître d'hôtel passant les vins. Puis 
après la première demi-heure, un peu de chaleur, effet magique 
de tous les repas copieux, et de côtés et d'autres des entretiens 
(le voisin à voisin, dont il faut absolument respecter le mystère. 

Vers six heures, la physionomie du banquet s'était considéra- 
blement modifiée, tant il est vrai que la nature reprend ses droits 
tôt ou tard, quelles que soient les entraves conventionnelles qui 
arrêtent son essor. Ce n'était pas de l'animation, ce n'étaitjpas 
de la gaité, mais il régnait dans l'assemblée comme une certaine 
disposition aux rapprochements. La conversation passait déjà par- 
dessus le voisin, et si le repas eût duré plus longtemps, elle 
fût devenue générale. Aussi dès qu'on eut quitté la table etjpen- 
dant que circulaient le café et les liqueurs, quelques groupes se 



(\) On nomme ainsi le règlement de préséance en usage dans les dil- 
téronles Cuurs. 

9 



146 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



vn. 






formèrent dans le vaste salon où étaient passés les convives, el 
dans lequel régnait la demi-obscurité du jour à son déclin. 

Là, dans la profonde embrasure d'une fenêtre, entouré de 
quelques personnages dont le comte de Rechberg ne faisait pas 
partie, fumant ou plutôt mâchonnant un cigare long et noir, le 
teint un peu animé, la parole un peu haute, avec une certaine 
apparence d'abandon et presque de loquacité, M. de Bismard 
tenait, comme on dit vulgairement, le dé de la conversation. On 
l'écoutait avec une attention et même une déférence auxquelles 
il ne semblait pas insensible, et ses interlocuteurs, voulant évi- 
demment profiter de l'occasion, s'arrangeaient pour lui donner 
juste assez de réplique pour entretenir son discours. 

Il parlait de la guerre que la Prusse et l'Autriche venaient 
de faire en commun contre le Danemark. Il le faisait, à dire 
vrai, en termes fort mesurés et nullement pour s'en glorifier,cai' 
il convenait le premier que les lauriers de Dûppel avaient été 
cueillis en trop forte et trop nombreuse compagnie pour qu'on 
pût s'en faire grand honneur. Il parlait de la guerre plutôt pour 
l'expliquer, presque pour l'excuser ; car autour de lui, en ce 
moment, il n'y avait guère que des diplomates non allemands. Il 
la trouvait regrettable et tout en se féUcitant d'un dénouement 
qui avait resserré et manifesté à l'Europe entière l'alliance des 
deux grandes puissances allemandes, il expliquait comment une 
intervention vraiment amicale et impartiale eût très-probable- 
ment réussi à amener une solution pacifique. 

C'était comme une critique de la politique anglaise ; car à 
maintes reprises le Gouvernement Britannique avait voulu inter- 
▼enir; mais, à son avis, il ne l'avait pas fait d'une manière ami- 
cale ni impartiale. 



— Les griefs de la Confédération contre le Danemark, disait-ilf 
bien que fort anciens en date, étaient néanmoins susceptibles de 
redressement par des voies pacifiques; et il était fort probable 
que la guerre n'en serait jamais sortie s'il se fût agi des relations 
d'un Etat avec un autre Etat. Malheureusement pour le Dane- 
mark, le territoire en litige appartenait à la Confédération ger- 
manique, c'est-à-dire à une association où la responsabilité se 



L'iJ.LEHAGNË NOUVELLK, 



divisait et s'effaçait, où chacun voulait parler plus haut que sou 
voisin; et l'ardeur belliqueuse des petits Etats d'Allemagne 
-'était d'autant plus euflamméc qu'ils sentaient parfaitemeni 
ou'àun moment dsnné le poids de la guerre retomberait pres- 
au'exclusiveraent sui' les deux gros confédérés. Pour la gloire, 
noui" l'élan national, pour les résolutions germaniques ils rê- 
vaient et prétendaient l'égalité des situations fédérales; pour 
le combat et pour les charges ils admettaient des différences. 
De là, les emportements de la petite Allemagne et la réserve 
comparative des deux grandes puissances, au début du conflit; 
et si en ce moment il se fût produit une intervention intelligente 
et persévérante, il eût été peut-être possible d'éviter la guerre. 
_ Or cette intervention ne s'était pas produite dans des cou il i- 
lions efficaces et la situation n'avait pas tardé à se compliquei- 
narla rivalité des deux gros confédérés. L'un d'eux, la Pi'usse, 
renoncantà contenir ce cjue les Allemands appelaient alors l'élan 
national, avait eu la pensée de s'en^approprier le bénéfice eu 
devenant le bras et l'épée de la patrie commune. Aussitôt 
l'Autriche était entrée en ligne et les deux grandes puissances 
allemandes ne voulant pas. laisser à l'une d'entre elles le privi- 
lège exclusif de combattre seule le Danemark pour la Confédé- 
ration elles s'étaient associées pour le combattre ensemble. — 



Toutes ces circonstances étaient parfaitement connues do l'au- 
ditoire qui entourait le ministre prussien. Il le savait très-bien 
lui-même, de sorte qu'en se donnant ainsi les apparences d'un 
langage plein d'abandon et dépourvu d'apprêt, il ne risquait 
absolument rien et ne se découvrait en aucune façon. 

Dans le courant de la conversation, un des interlocuteurs lit oh- 
server que la Russie mieux que toute autre puissance aurait peut- 
être pu intervenir avec succès, car le Gouvernement russe était 
par ses relations avec le Danemark et avec la Prusse parfaitemeni 
en mesure d'exercer sur l'un et l'autre une salutaire influence. 

.- Sans doute, répondit un autre personnage, et cette in- 
fluence eût été certainement employée, s'il ne se fût agi que de 
la Prusse et du Danemark, mais il s'agissait de l'Allemagne, et 
la cbancellerie russe se tient volontiers à l'écart de tout ce qui 



■WH 



an 



L'ALLEMAGNE KOD\ELLE. 



■'^.,, 






regarde l'Allemagne . Le chancelier est, dit-on, anti-allemand 
pat- principe, par politique et môme un peu par souvenir. On 
raconte qu'après le séjour qu'il fit à Vienne, comme ministre on 
chargé d'affaires de Russie pendant sa jeunesse, il avait quitté 
cette résidence, peu satisfait de l'accueil qu il y avait reçu, et 
que cette mauvaise souvenance avait depuis lors impressionne 
son esprit contre les Allemands. — 

A ces mots, M. de Bismarck s'émut comme s'il avait été por- 
sonnellement interpellé. 

— « Mais je ne vois pas, dit-il, en quoi l'accueil fait à Vienne, 
à un ministre de Russie peut influer sur ses sentiments à 
l'égard de l'Allemagne. Nous autres, à Berlin, nous considé- 
rons Vienne comme étant, pour le moment, une ville non 
allemande, et ce qui se passe à Vienne comme n'ayant aucun 
rapport avec l'Allemagne. Je sais bien qu'en réalité la ville de 
Vienne est sur un territoire allemand, mais elle est la capitale 
d'un Empire non allemand, et je proteste contre la confusion 
d'idées qui nous rend, nous Allemands, solidaires de ce qui se fait 
à Vienne. » Puis se retournant avec un sourire légèrement 
ironique : « Je crains d'avoir assez mal choisi le lieu pour vous 
l'aire cette profession de foi ; mais, voyez-vous, on ne gagne rien 
à fermer les yeux à l'évidence ; il est manifeste que la monarchie 
autrichienne est fort peu allemande, si on compare le nombre de 
ses provinces germaniques à celui de ses provinces non germa- 
niques. Elle ferait donc beaucoup mieux de s'appuyer sur sa vé- 
ritable force qui consiste dans le faisceau des races nombreuses 
qui la composent, plutôt que de courir après le rêve d'une su- 
prématie allemande que nous lui disputons et qui ne lui appar- 
tient à aucun titre. Ce qui est Allemand, retomnicra tôt ou 
lard à l'Allemagne, c'est inévitable. Il n'est pas plus diffieile à 
gouverner VUnue 'e Berlin, qw de gouverner Pesth de Vienne[\]- 
Ce serait môme beaucoup plus facile. >> — 

C.es paroles, comme on peut bien le penser, produisirent sur 
tous ceux qui entouraient le ministre un efl'et considérable, el 
nous ne croyons pas nous tromper en disant qu'aucun d'euï 
n'en perdit la mémoire. Il se fit un instant de silence, M. de Bis- 
marck en profita pour quitter l'embrasure de la fenêtre et se 



(1) Ces paroles sont textuelles. 



L'ALLEMAGNE KOUVELLK, 



140 



perdre au milieu des aulrcs groupes, dans le salon devenu forl 
obscur. 

Quelques instants plus tard, oa entendait de nouveau les éclats 
de sa voix, et sur le ton un peu bruyant d'une grosse gaieté, il 
prenait congé de son hôte pour retourner à Vienne. Un quart 
d'heure après, tous les convives s'échelonnaient sur cette même 
route poudreuse, mais cette fois-ci, c'était à la pâle clarté de la 
lune d'été, qu'ils reprenaient le chemin du logis. 

Ce diner, ne l'oublions pas, avait été donné pour célébrer l'al- 
liance étroite, intime, éternelle de l'Autriche et de la Prusse, de 
l'Empereur François-Joseph et du Roi Guillaume. Deux ans plus 
tard à pareille date, l'Autriche et la Prusse étaient en guerre, 
et en vérité, c'était à prévoir. 



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IX. 



Projet de renconlre entre le Roi de Prusse et les trois Empereurs. — M. de 
Bismarck et le prince Gortchakoff. — Le comte de Recliberg. — M. de 
Sclimerling et le comte de Mensdorff. — Le National Verein. — Nou- 
velle Jurisprudence. 



Nous venons d'assister à la visite du Roi de Prusse à la 
( louf de Vienne. C'était l'année des rencontres princières ; l'Alle- 
magne était sillonnée en tous sens par des Grands-ducs de 
Russie, et l'Empereur Alexandre avait fait en compagnie de son 
chancelier, un séjour à Kissingcn, pendant lequel il avait eu de 
fréquentes entrevues avec le Roi de Prusse et M. de Bismarck. 

Tous ces mouvements de Souverains avaient impressionné If 
inonde politique et il en était résulté l'opinion assez accréditée 
qu'entre les trois Cours de Saint-Pétersbourg, de Berlin et de 
Vienne, il s'était fait quelque traité secret ressuscitant les clauses 
principales de l'ancienne Sainte-Alliance. 

Ce n'était pas vrai cependant, car s'il y avait entre ces Etats des 
causes de rapprochement nombreuses et réelles, il y avait aussi, 
surtout entre la Prusse et l'Autriche, des causes de dissentiment 
qui grandissaient chaque jour et s'opposaient à une entente sé- 
rieuse. Le vrai de la situation était l'union de plus en plus in- 
time du Roi^ de Prusse et de l'Empereur Alexandre, conséquence 
logique de 1 attitude du Cabinet de Berlin, pendant l'insurrection 
polonaise et les négociations qui l'avaient suivie. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



151 



Par cuiilre, la Russie se tenaiL dans une rései've marquée vis- 
ii-vis de la France et de l'Angleterre. Ce n'était pas une rupture, 
mais une froideur dans les relations, que l'on ne cherchait pas à 
dissimuler, surtout à l'endroit de l'Angleterre. 

Or, en présence des éventualités de l'avenir, dont M. de Bis- 
marck avait le secret, puisqu'il était résolu à les provoquer ; en 
prévision du grand conflit vers lequel s'acheminaient lentement 
mais fatalement les deux grandes puissances Allemandes, il n'é- 
tait pas indifférent de compter au nombre de ses amis ou de ses 
adversaires l'Angleterre et la France ; la France surtout dont 
l'influence, la force et le prestige tenaient alors le premier rang 
en Europe, Aussi chacun des Gouvernements allemands cher- 
chait-il à s'en rapprocher et à gagner les bonnes grâces de l'Em- 
pereur Kapoléon. 

M. de Bismarck avait pris les devants, et vers la fm de juillet 
186i, il demandait des informations précises sur les projets de 
voyage de l'Empereur. Il désirait savoir si Sa Majesté devait vi- 
siter l'Alsace et les bords du Rhin, et à quelle époque Elle comp- 
tait s'y rendre, parce que, disait-il, si ce voyage pouvait coïnci- 
der avec la fm du séjour obligatoire du Roi à Gastein, le Roi 
chercherait à se rencontrer quelque part avec l'Empereur. Le 
[raitement de Gastein devait retenir le Roi de Prusse jusqu'au 
milieu d'août ; c'était donc à ce moment que l'entrevue pouvait 
se placer, si elle devait avoir lieu. M. de Goltz, Ambassadeur de 
Prusse à Paris, était chargé d'écrire à Gastein le résultat de son 
enquête. 

Quatre jours plus tard, le comte de Rechberg faisait une dé- 
marche analogue, sans aucune allusion aux avances de la 
Prusse, peut-être même sans les connaître. En même temps, il 
annonçait à Paris l'intention d'ouvrir des négociations pour un 
traité de commerce entre la France et l'Autriche. 

On s'avançait des deux côtés. 

Cependant les entrevues projetées n'eurent pas lieu, et au dire 
des Allemands, ce fut la Russie qui y mit obstacle. M. de Bis- 
marck parut le regretter. 11 tenait à dissiper les préventions cau- 
sées par les bruits de la triple alliance qui avaient pris une cer- 
laino consistance malgré leur peu de fondement. D'accord avec 



î>-' 



Jï2 



L'ALLl-^lAGM-: KOUViaLF. 



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son souverain, il avait eu la pensée d'inviter les trois Empereurs- 
au château de Slolzenfels, antique manoir des HohenzoUern, si- , 
tué sur les hords du Rhin. Le Roi paraissait le désirer, mais il- 
s'inquiétait fort d'une question d'étiquette.— « Comment, disait-il, 
ferons-nous à Stolzenfcls ? Nous n'y avons pas de troupes ! » - 
«On s'en passera. Sire, lui répondit son ministre, chacun des 
Empereurs en a assez chez lui, et n'a pas besoin d'en voir che! : 
vous.» — C'est qu'en effet, recevoir trois Empereurs, sans soldais, ', 
sans gardes, sans manœuvres, sans revues, c'était une telle déro- 
gation à tous les usages de la Cour de Berlin, qu'il était permis * 
d'hésiter avant de rompre ainsi avec toutes les traditions du " 
passé. 

^ Cependant l'idée avait été agréée et on s'était aussitôt misa 
l'œuvre pour en poursuivre l'exécution. Avant de faire des invi- 1 
tations formelles, il fallait sonder le terrain et il était naturel d'ej 
commencer par Vienne. L'Empereur d'Autriche s'empressa d'ad- ' 
hérer à ce projet de réunion. Ceci se passait dans les premieiï 
jours d'aoîit (t 864), et à la même date se placent des ouvertures 
analogues faites par le Cabinet de Vienne, destinées sans aucun 
doute à donner à l'invitation un caractère collectif austro-prus- 1 
sien et à lui enlever celui d'une initiative exclusivement pnis- ' 
sienne. Une circonstance fortuite fit que pendant toute la durée de 
cette négociation, on fut informé à Paris de ses moindres détails. 
•^ Après l'Autriche venait la Russie. L'Empereur Alexandre était 
àKissingen, pour ainsi dire dans le voisinage de Stolzenfels, et 
sa présence était nécessaire, car son absence eût donné à la 
rencontre des souverains un caractère tout particulier, contraire 
au but qu'on se proposait. 

C'est ici que surgirent les difficultés. L'Empereur, cédant aiu 
instances du prince Gortchakoff, répondit que dans l'état actuel 
de ses relations avec le gouvernement français, il ne pouvait pas 
se rencontrer avec l'Empereur Napoléon. 

Ainsi que nous venons de le dire, la réunion des Princes sans 
1 Empereur Alexandre était plus nuisible qu'utile ; il fallut donc 
y renoncer ; mais M. de Bismarck ne leflt pas sans avoir insisté 
auprès du chancelier russe dans l'espoir de triompher de sa ré- 
sistance. Il avait eu avec ce dernier plusieurs entretiens qui ne 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



do3 



paraissaient pas, à l'entendre, lui avoir laissé une imprc^'^ion 
favorable. Il est probable que depuis lors, avec l'aide du temps 
et sous l'influence d'une fréquente collaboration, ces impressions 
se sont modifiées et ont été remplacées par une confiance réci- 
proque. Aussi ne voyons-nous aucun inconvénient à rappeler à 
douze ou treize ans de distance ce que disait alors le ministre 
prussien avec le sans-façon de son langage habituel, peu sou- 
cieux des réticences, et traitant les confidences avec autant de 
liberté que des articles de journaux. 

-Il avait trouvé, disait-il, chez le prince Gortchakoff, la trace 
évidente d'un dépit personnel. Le chancelier russe accusait le 
Gouvernement français d'ingratitude et lui reprochait amère- 
ment de n'avoir pas su reconnaître toutes les peines qu'il s'était 
données pour obtenir de son souverain la reconnaissance du 
royaume d'Italie. Il s'ag-issait, en effet, de rompre avec d'ancien- 
aes traditions et il n'était pas facile d'obtenir ce sacrifice de la 
part de l'Empereur. « J'ai cru, avait-il dit, à l'alliance Fran- 
çaise, j'en ai presque été la victime, je ne veux pas continuer à 
eu être la dupe; je laisse ce rôle à ceux qui veulent en 
essayer (1). » — 

M. de Bismarck lui avait-fait observer qu'à son avis la véritable 
cause de ses mécomptes provenait de ce qu'il n'avait pas pris en 
assez sérieuse considération la nature exceptionnelle des liens 
.qui unissaient la France et l'Angleterre. Il avait cru pouvoir en 
briser le faisceau ; mais qu'otfrait-il pour les remplacer ? 

La reconnaissance du royaume d'Italie devait sans doute ôtre 
considérée comme un service rendu à la politique française, 
mais c'était un service indirect et qui ne pouvait entrer en 
parallèle avec les avantages réels ou les pertes sensibles que les 
fluctuations de l'alliance anglo-française produisaient dans les 
deux pays. — 

- » D'ailleurs, ajoutait le ministre prussien en parlant de ses 

(I) Il est assez curieux de rapprocher cette phrase dite en 1864 d'une 
autre phrase à peu près identique qu'on a pu lire il y a environ' un an 
dans une lettre confidentielle du Chancelier qui a été publiée en partie à 
la suite d'un incident de salon dont la presse s'est occupée quelques jours. 

9. 



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L'ALLEMAGNE KOUVELLi:. 



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onlreticns avec le chancelier, il ne disait pas toute la vente, car 
son dépit contre l'Autriche n'était pas étranger à 1 empresse- 
ment qu'il avait mis à reconnaître le royaume d'Italie. » — 

Continuant ses appréciations sur la nature des rapports de 11 
France et de l'Angleterre, M. de Bismarck avait exprimé l'opt 
nion — « que ces rapports, quelque intimes qu'ils fusscnt,ne pour- 
raient jamais être pour le reste de l'Europe un grave sujet dm- 
quiétude et qu'à son avis il était bien inutile de tau-e de grandi 
efforts ou des sacrifices dans le but de rompre l'alliance anglo- 
française. Elle était par sa nature même sujette à des interrnit 
tencés inévitables qui en atténuaient considérablement les dan 
gers pour les autres États. , 

« On ne pouvait pas ignorer en France cfu'à un moment donne 
l'Angleterre abandonnerait son alliée, môme au milieu d'uae 
action commune, si les avantages du résultat cessaient d'être en 
proportion avec les sacrifices, ou si la part de gloire et de béné- 
fice ne répondait pas à son attente. 

« On aurait donc bien tort de se faire un ép ou vantail de 
l'alliance anglo-française, car entre les anneaux de cette chaîne, 
il V avait souvent bien des intervalles où d'autres liens pouvaien 
aussi trouver leur place quand les circonstances en démontreraient 
l'utilité. » ■ — 



Rien de plus juste que ces observations du ministre prussien; 
mais elles no sont pas vraies seulement pour la France et l'An- 
gleterre ; elles s'appliquent à toutes les grandes puissances, » 
tous les États qui ont une vie politique et internationale qui leiJi' 
est propre. 

Le Gouvernement d'un grand pays ne doit jamais dévier deU 
ligne tracée par les intérêts politiques, industriels ou commer- 
ciaux de ce pays. 

Si, sur cette voie, il se rencontre avec d'autres gouvernement» 
dont les intérêts, pour un temps ou pour un objet, se confondenl 
avec les siens, l'alliance se fait et il appartient aux hommes 
d'État d'en développer les avantages. Elle dure ce que dure la 
communauté des intérêts. 

Mais il n'existe pas d'alliances préalables, c'esL-à-dire sans W 
but immédiat, ou si elles existent de nom, elles sont sans valeur 
et sans portée. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



ISS 



On s'allie pour faire ensemble un acte avantageux, pour atta- 
,|uerun ennemi ou se défendre contre une agression. On s'entend 
pour soutenir un avis identique dans les conférences d'un con- 
grès. 

' Mais pour vivre en bons rapports de réciprocité internationale, 
point n'est besoin d'alliance ; il suffit pour cela des relations 
ordinaires et pacifiques sanctionnées par le droit des gens. 

Vouloir perpétuer entre deux grandes nations une alliance 
tontinue, entraînant parfois des sacrifices réciproques, c'est 
poursuivre une chimère et sortir de la bonne pratique, car les 
grandes puissances ne peuvent et ne doivent avoir d'autre poli- 
li([ue que celle de leurs intérêts. Elles ne doivent jamais s'en 
écarter un seul jour. 

M. de Bismarck avait donc bien raison quand il engageait le 
prince Gorlchakoff à moins se préoccuper de l'alliance anglo- 
française. Cependant if ne produisit pas grand effet sur son 
interlocuteur. Il le reconnaissait lui-même et attribuait une 
grande part de son insuccès à un ressentiment personnel pro.vo- 
([iié par les attaques dont le prince était l'objet dans la presse 
parisienne. — « Avec quelques louanges dans leurs journauï 
ils en feraient ce qu'ils voudraient, » — disait un soir le ministre 
prussien à la table d'un Américain avec lequel il était intimement 
lié. 

L'Empereur Alexandre, sans partager au même point les res 
sentiments de son chancelier, se laissait néanmoins guider par' 
lui et paraissait accepter volontiers toutes ses impressions sans 
chercher à les contrôler. 

Donc l'entrevue du Roi de Prusse et des trois Empereurs n'eut 
pas lieu. 

Une des conséquences naturelles de cette réunion eût été 
selon M. de Bismarck, de rassurer complètement l'Empereur 
Napoléon sur la soi-disant résurrectiou de la triple et sainte- 
alliance. 

Le Cabinet de Berlin s'y prit autrement pour le faire, car il 
paraissait alors attacher du prix à ne pas inquiéter la France. 

Grâce à des confidences, probablement calculées, on sut tout 
ce qui s'était passé départ et d'autre, ou du moins on en sut la 
version prussienne. 



%: 



156 



L'ALLEMAGiNE KOUVIÎLLB. 



En somme, peu de choses. Au surplus le Cabinet de Berlin 
n'allait pas volontiers au devant de ces alliances multiples, car 
les engagements qui en seraient résultés offraient à ses yeux des 
difficultés certaines pour des avantages fort douteux. 

La Russie avait bien paru désirer quelque entente relativement 
à la Pologne, mais l'Autriche n'avait voulu rien faire ; la Prusse 
ne pouvait aller plus loin qu'elle ne l'avait fait ; il avait donc 
fallu renoncer à stipuler un nouvel accord. 

De son côté le Cabinet de Vienne concentrait alors tous ses 
efforts sur les questions commerciales qui menaçaient d'enfermer 
l'Autriche dans un cercle sans issue, et c'était uniquement sur ce 
terrain qu'il avait vraiment proposé à la Prusse des transactions 
et une convention. 

Ainsi au point de vue politique il n'était rien sorti des entre- 
vues souveraines à Kissingen. 

M. de Bismarck l'assurait, mais, ajoutait-il, il était fort diffi- 
cile d'en convaincre l'Europe, car il savait qu'en France et ei 
Angleterre oh avait paru considérer l'existence des traités 
comme un fait accompli et certain. 

En eut-il douté, que le langage du ministre d'Angleterre à 
Gastein eût suffi pour l'en convaincre. Ce diplomate en effet ne 
lui avait pas caché l'impression produite sur son Gouvernement 
par ces bruits d'alliance secrète et par leur vraisemblance ; il 
lui avait même laissé entrevoir que si cet état de choses se con- 
firmait, l'Angleterre pourrait à son tour faire de grandes conces- 
sions à la politique française pour cimenter une alliance dont 
l'intimité devenait pour elle un contre-poids nécessaire. 

M. de Bismarck n'était pas homme à laisser tomber sans la 
relever une insinuation aussi grave. C'est ce qu'il avait fait aus- 
sitôt. 

— Sur ce terrain, avait-il répondu, la Prusse ne craignait pas 
l'Angleterre, car du jour où il s'agirait défaire appel cà la France 
belliqueuse, ils étaient mieux placés que les Anglais pour le faii* 
oc Vous auriez tort, ajouta-t-il, de provoquer le Gouvernement 
de l'Empereur Napoléon à une politique aventureuse; que pon- 
vez-vous lui offrir en perspective ? Tout au plus, la permission 
de faire une guerre ruineuse et acharnée pour nous enlever les 



L'ALLEMAGNE INOUVELLK. 



V6-I 



• ices Rhénanes que nous défendrions contre lui avec tous 
•"'""îlip-aue cette agression ne manquerait pas de nous amener. 
'^'V nui peut donner les provinces Rliénanes à la France, c'est 

Mmii les possède. Et le jour où il faudrait courir l'aventure, 
•^ T nous qui pourrions mieux que tout autre courir avec la 
i ri en commençant, non par lui promettre, mais par lui 

■un "-a^-e pour son concours. Nous ne souhaitons pas le • 
? Wp de l'Eiirope, mais si l'Europe est troublée nous ne som- 

espas ceux qui y perdront le plus et cette perspecfive n'a r\en 
Juhious effraie. » - 

fccoUoque se tenait en août 1864. Est-il authentique ? 11 va 

, dire que pour en garantir la parfaite exactitude, il .faudrait 

*'™- ôtP lin des deux interlocuteurs ; mais c'est ainsi que M. de 

avoir cLc un "-^ ■ T 1. 1 I. 

R-smarck le racontait lui-même quelques semaines plus tard, et 
le racontait pour qu'il fût connu de qui de droit. 

D'autres faits témoignaient encore d un desir de rapprochc- 

it entre la Prusse et la France. Le ministre de la guerre, 
"néral de Roon, se rendait au camp de Chàlons avec quelques 
officiers de sa suite et demandait l'autorisation de visiter les prin- 
"inaux établissements maritimes du Nord. En même temps on 

'itait le Gouvernement français à se faire représenter à Beidin 
"" „,anœiivres d'automne. « Ce qui vaudrait mieux, disait 
M de Bismarck, c'est que les trois Empereurs consentissent a s. y 
"ncontrer ; ce serait le rêve de mon Roi. » 

Ce rêve ne devait jamais se réaliser, et plus on s avançait dans 
ip, néo-ociations allemandes et danoises, plus on mettait k decou- 

t Tes dissentiments qui allaient bientôt armer l'un contre 
faulre ces princes dont Vienne venait de saluer et de contempler 

'"Cde temps après le départ de M. de Bismarck, on vil 
arriver lord Clarendon et M. de Beust. Le premier se rendait en 
Italie pour sa santé et son voyage n'avait pas un but politique 
Le second, au contraire, profondément blessé d'avoir été tenu a 
l'écart des négociations de la paix, cherchait à réagir contre cet 
nstracisme en se rapprochant du Cabinet de Vienne auquel il 
était moins antipathique qu'à celui de Berlin. Pour la paix, il n y 
avait plus rien à faire ; 1 acte était virtuellement accompli et non 




10 11 12 13 



lo8 



L'ALLEMAGNE KOUYELLE. 



m 



I V.. 



.-ciilement M. do Beust n'avait pas été consulté, mais il avait 
au contraire péremptoirement éloigné. Mais après la pai)- 
restait encore à régler le sort des Duchés enlevés au Danema 
(les Duchés encore occupés par les troupes saxonnes au nom 
la Contederation germanique. Là du moins l'intervention 
• mimstre de Saxe, du délégué des États fédérés paraissait de, 
s imposer forcément, à moins que les deux grandes puissaBces; 
s entendissent pour abuser ensemble de la supériorité de la 
lorces et rompre en visière avec le reste de l'Allemagne. P( 
prévenir un accord aussi redoutable il fallait à tout prix forai 
1er quelque discorde entre ces ahiés trop intimes. C'était 
qu était venu faire ou tenter M. de Beust. 

Peut-être éclairé par l'attitude des Prussiens dans les ta 
toires ducaux, avait-il déjà le pressentiment de l'annexion po^ 
suivie a Berlin et voulait-il reconnaître par lui-même s'il y avait! 
Vienne complicité ou divergence ? 

Son séjour y fut de courte durée et on ne fit rien pour l'eng 

g-cr a le prolonger. Le fait est qu'on craignait l'agitation, dont 

se taisait l'instrument et le propagateur,dans la petite AllemagD 

^ans être complice de la Pr^isse dont l'ambilion ne pouvi 

être encore que soupçonnée, sans contester les droits de la Col 

tederatiOD dont l'Autriche proclamait à haute voix la supréB 

autorité, on n'aimait pas à Vienne la ligue moitié princière^ 

moitié populaire qui contrecarrait à chaque instant les résoll 

lions austro-prussiennes, et le ministre qui parlait au nom( 

cette ligue no pouvait y être agréable. ■ . 

Le prince Frédéric d'Augustenbourg, de son côté, manœi 

vrait de manière à ménager toutes les forces quelles qu'eli 

lussent, qu il croyait capables de le porter sur le trône du noi 

veau Duché allemand. Sachant que rien ne se ferait sansl 

Prusse e 1 Autriche, il tenait à être leur candidat, mais il voiilai 

aussi rester celui des princes de la Confédération, et garder ei 

même temps la popularité dont il jouissait, sans trop savoi 

pouiquoi, dans le parti libéral; et même chez les révolutionnaires 

tn un mot il voulait arriver à tout prix. Il crut que le "'""^' 

rsCn^t" ';/'"" ' *°"* '^ monde.'c'était tenteT i , 
Il s en aperçut trop tard. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



150 



cmj. ces entrefaites, il survint un cliangemeut de iniiiistùre à 
:■ ne Le comte de Recliberg donna sa démission cl fut rem- 
^"'"'par le comte de Mensdorff le 27 octobre 186i, trois jours 

nUasi^nalure du traite de paix avec le Danemark. 

'^npDuis longtemps déjà il existait un antagonisme très-marqué 

i-elesdeux ministres les plus considérables du Cabinet, cest- 

L entre le comte de Rechberg, ministre des Affaires Elran- 

, ^ et de la Maison Impériale et M. de Schmerling, ministre 

hW ou dé l'intérieur. ^ _ 

M de Schmerling poursuivait dans 1 Empu-e un système soi- 

Ikaiit constitutionnel, mais en réalité exclusivement parlemen- 

' l Doctrinaire dans l'acception la plus complète du mot, et 

Var conséquent absolu dans sa doctrine, il ne voulait ni plus ni 

Lins que la fusion complète des différentes nationalités de 

'Fmpire en un seul Parlement viennois. C'était poursuivre une 

rhimère dans une monarchie composée de peuples et de races 

différentes ayant tous leurs traditions, leur histoire, leur langue, 

et oui plus est, leurs droits liistoriques, séculaires et nationaux 

dont jamais ils n'avaient fait l'abandon et que les souverains 

avaientjuré de respecter. _ _ , ,, ■ 

Comme tous les hommes d'Etat dont la science s est formée 
lux études de cabinet plus qu'au commerce des hommes, il avait 
mie foi exagérée dans la puissance de ses formules et dans 
rexcellence ^de son système. Depuis cinq ans il le pratiquait 
avec un insuccès toujours croissant. Les trois quarts de la mo- 
narcliie n'envoyaient personne à son Parlement. N'importe! il y 
avait à Vienne une grande salle où ils auraient pu venir et ou 
les provinces allemandes envoyaient des députes. Cela suffisait a 
ses yeux pour constituer le Parlement de l'Empire. 
■ 11 ignorait sans doute que dans le régime parlementaire, ou 
nour parler en thèse plus générale, dans l'exercice du pouvoir 
é-islatif par des assemblées électives, la présence d'une mino- 
rit'é libre et respectée est un élément absolument indispensable. 
1 a majorité v est en quelque sorte aussi intéressée que la mino- 
rité elle-même; car sans cet élément, la représentation est 
imparfaite, et la discussion purement apparente. Que sont les 
débats d'une assemblée quand la contradiction est absente ou 



I 



■100 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



1 ''> i 
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t 



étouffée? C est la fiction au lieu de la réalité, et comme les mj-, 
ntes parlementaires sont par leur nature môme portées àl 
entraînements souvent dangereux, rien n'est plus utile, ! 
n'est plus nécessaire que cette résistance de la minorité 
tempère les ardeurs du pouvoir sans en entraver le légitil 
exercice. 

^ A l'étranger M. de Schmerling passait pour libéral, enopp 
smon avec le comte de Rechberg qu'on considérait COBI 
reactionnan-e. En, France on le croyait même sympathique ai 
idées et à I alliance françaises. 

On se trompait. Il es{ difficile d'èlre à la fois doctrinaire 
libéral. Le libéralisme implique nécessairement l'esprit detraiii 
action et il exclut l'absolutisme des idées. 

M. de Schmerling cédait parfois à la nécessité ; quand 1 
caisses de 1 Etat étaient vides, il consentait à l'essai des réfom 
commemales nécessaires pour les remplir; quand l'isote, 
de 1 Autriche devenait manifeste et inquiétant, il conseatait 
chercher des rapprochements pour conjurer le danger; mais 
pensée n allait guère au devant des éventualités qui l'oblisfeaicn 
une fois venues, à courir aux expédients 

Démocrate quelquefois, quand il trouvait en haut une mis- 
tance a sa doctrine, plus souvent réactionnaire quand il 
voyait menacé par les forces d'en bas, il concentrait toute . 
énergie politique sur des questions intérieures, de forme plu* 
que de fonds. ' 

Malgré une supériorité incontestable, un talent fort remar- 
quable et une intégrité manifeste, il avait des préjuges. 

S 11 eut ete vraiment libéral, depuis longtemps déjà il cùlca- 
traîne son gouvernement et son pays à sa suite ; mais loin de là, 
Il dominait sans élan, par une succession de petits incidents qui| 
ne satisfaisaient personne et:qui fatiguaient tout le monde. CM- 
cun gardait sa place ni plus fort ni plus faible, mais plus irrité 
de nLrtT^"'' f ™f'' *™P' l'irritation avait fait des progrès 
téZl^ÂT "' '"'■'°"* "■^-^'^'^on.eil des ministres, on 
Telh rÏÏhl ''"'T'' '^^^''''^^^' ^^ wem^èv^, séances d« 

Reicl SI ath viennois, et bien que le Cabinet entier fût solidaire de 
la politique générale, il devenait évident que M. de Sclimerlin? 



L'ALLKMAGNE NOUVELLE. 



d6l 



HisDOsait à en rejeter tout le poids sur son collègue des AfTaircs 

Étrangères. 

Plusieurs journaux, dont la rédaction prenait le mot d'ordre 

ministère d'État, avaient commencé à préparer cette ma- 

,„.o ft à répandre le bruit de la retraite du comte de 
iiœu\ie Li- o f , . . .^ . , . 

,i)l)er"'. Personne cependant n y croyait, ni les journaux qui 

nai'Iaieiit, ni surtout M. de Schmerling qui savait parfaitement 

; nuoi s'en tenir. Car le comte de Rechberg n'était en réalité 

le reflet de l'Empereur lui-même, et depuis environ un an la 

litiaue du cabinet de Vienne avait été personnellement et com- 
Iptement dirigée par Sa Majesté. C'était, nous l'avons déjà dit, 
le politique de sentiment. Profondément dévoué à sou oncle, 
■int en sa parole une confiance absolue que rien encore n'était 
■niu éclairer, l'Empereur marchait avec la Prusse loyalement et 
droitement. Le comte de Rechberg, moins confiant peut-être, 
mais lié par l'enchaînement des faits autant que par sa soumission 
ans volontés de son Souverain, était devenu entre les mains de 
l'Empereur un instrument docile dont Sa Majesté appréciait la 
lidélité et l'aveugle dévouement. Aussi s'attendait-on à le voir 
soutenu par la Couronne envers et contre tous, et la campagne 
dirifée contre lui n'avait 'd'autre but que de préparer l'opinion 
publique avant la réunion des Chambres et de dégager la res- 
ponsabilité du ministre d'État. 

C'était d'ailleurs une manœuvre assez habile, car si elle eût 
réussi, le ministre des Affaires Étrangères eût été seul à soutenir 
la politique du Cabinet, et devant les tristes résultats qu'elle avait 
produits, la tâche était difficile. 

Mais ainsi qu'il arrive presque toujours en pareille circonstance, 
le comte de Rechberg était au courant de ces intrigues et le jour 
où il eut la preuve que son collègue n'y était pas étranger, il ré- 
solut de les dévoiler en plein Conseil et de donner sa démission. 
On fit de grands eff'orts pour le faire revenir sur cette décision ; 
il fut inébranlable, mais ceux qui l'avaient poussé à cette réso- 
lution extrême n'en recueillirent aucun avantage, car en quittant 
le ministère il conservait et emportait la confiance du Souverain. 

Il en reçut en effet un éclatant témoignage, et dérogeant à tous 
les précédents, l'Empereur lui conféra le collier de la Toison 



l(Jb! 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



1^ 



r^. 



I '•■'•<' 



d'or, bien qu'il ne fût pas de famille autrichienne. Mais cep 
acheva de démontrer l'estime en laquelle le tenait Sa Majeslf, 
ce fut le mandat qu'il reçut de choisir lui-même et de présealer 
son successeur. 

• Le comte de Mensdorff, appelé par M. de Rechberg à le rem- 
. placer, devait continuer la même politique avec autant de fldéi 
et peut-être encore plus de soumission, car au respect absolu* 
la volonté souveraine venait s'ajouter chez lui le sentiment Je 
l'obéissance militaire. 

Donc, en réalité, pour les adversaires de l'ancien ministre, 
pour le parti de M. de Schmerling, la retraite du comte deReck- 
berg était un embarras,la nomination du général comte de MeK- 
dorff était un échec. 

Moins nerveux et plus calme que son prédécesseur, le comte de 
Mensdorff devait offrir dans les questions intérieures une foiw 
deresistanceplusconsiderable.il croyait encore en entrant a» 
ministère à la possibilité, et presque à la nécessité de l'allian» 
austro-prussienne, mais il ne se faisait pas grande illusion surte 
désaccords que la convoitise de cette ambitieuse alliée pouvail 
faire naître d'un moment à l'autre, et il regardait comme égale- 
ment nécessaire de ne pas laisser l'Autriche dans un isolementijui 
la mît à la merci de la Prusse. C'est pourquoi son premier soin 
fut de rechercher des occasions de rapprochement entre le Caii- 
net de Vienne et les puissances occidentales. 

La politique autrichienne n'est pas et n'a jamais été une poli- 
tique de sentiment. Nous ne lui en faisons pas un reproche ; loi» 
de là, nous dirions volontiers qu'un gouvernement, qu'un sou- 
verain, n'ont pas le droit de faire entrer en ligne de compte des 
sentiments ou des sympathies dans l'établissement de leurs rap- 
ports internationaux. Mais l'Autriche, fidèle à des traditions se- i 
culaires, n'a pour ainsi dire jamais connu les entraînements qui | 
ont quelquefois engagé d'autres peuples. Sa politique a toujours 
été exclusivement celle de ses intérêts tels que les comprenait à ] 
tort ou à raison le Gouvernement qui présidait à ses destinées. 
Elle a pu se tromper quant au résultat, mais elle a toujours eu ce 
seul et même but. 
A vrai dire, il n'y a de sérieux entre les peuples que les liens 



l/ALLE.VAGNE NOUVKLLE. 



d63 



li ïioat créés par une communauté d'intérêts, et l'histoire dé- 
lontre avec quelle docilité les sympathies politiques naissent, 
<n développent et s'éteignent suivant l'intensité des intérêts qui 
les ont engendrées. 
Ouelques années avant celle où se placent les événements qui 
ous occupent, le Cabinet de Vienne, engoué du Gouvernement 
Britannique, suspendait en quelque sorte sa parole à celle des- 
ministres de la Reine d'Angleterre ; quelque temps après, il s'al- 
liiil avec la Prusse et recherchait la Russie ; maintenant il vou- 
lait se rapprocher de la France, bien qu'il existât toujours entre 
Vienne et Paris des causes de dissentiment entretenues avec soin 
par 



le Gouvernement italien. 



C'était là du moins la politique officielle, celle dont le comte- 
(le Mensdorff était le représentant et l'agent. 

Quant au ministre d'État et à son parti viennois, ils n'avaient 
nasde politique proprement dite, ils n'avaient qu'une doctrine 
faite pour les choses du dedans. Peu soucieux de ce qui se pas- 
sait en dehors de la capitale, ils ne voyaient la politique étran- 
«ère qu'à travers le prisme dont ils avaient eux-mêmes taillé les 
facettes. Us étaient Allemands plutôt qu'Autrichiens, Allemands 
(lu côté de l'Allemagne plus encore que du côte prussien. Mais il 
ne faut pas perdre de vue qu'ils ne représentaient qu'une partie- 
fort restreinte de l'Empire d'Autriche et qu'à quelques kilomètres 
lie Vienne, le terrain leur manquait déjà sous les pieds. 

Pour achever de peindre cette situation d'où vont bientôt 
émerger les grands conflits précurseurs de la guerre austro- 
prussienne, disons quelques mots du comte de Rechberg. 

C'était avant tout un honnête homme, droit, convaincu, labo- 
rieux, intègre et rompu aux affaires dont il avait une longue ha- 
bitude. II appartenait à une des premières familles comtales du 
Wurtemberg. 

Son frère aine, Albert, comte de Rechberg et de Rothenlqeven,. 
possédait des domaines considérables en Wurtemberg et en Ba- 
vière. De fait, citoyen des deux pays, étant à la fois membre hé- 
réditaire et Président de la chambre des Seigneurs du royaume 
de Wurtemberg, et en même temps Conseiller à vie du royaume 
de Bavière. Bernard, le cadet, celui qui nous occupe, avait été 




cm 



10 11 12 13 



L'AI.LKJIAGNE KOIJVKLIE. 



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■ft 



placé au service de l'Autriche, et après avoir occupé avecdislir 
tien plusieurs postes diplomatiques importants, entr'autres celui 
de mandataire de l'Autriclie à Francfort, et président de la Diète, 
il avait remplacé le comte de BuoI au ministère des Affaire! 
Etrangères après la guerre d'Italie. 

Il y avait ainsi plusieurs familles dont les membres disscmiiié 
dans les différentes Cours d'Allemagne servaient indifféremmeut 
le Wurtemberg ou l'Autriche, la Bavière ou la Prusse, la Saxe on 
la Hesse, choisissant à leur gré la nationalité qui leur paraissait 
•offrir le plus d'avantages pour leur carrière ou leur établissement. 

Le baron Henri de Gagcrn, qui avait acquis de la célébritt 
dans les assemblées de Francfort, était ministre de la Hesse- 
Grand-Ducale à Vienne, et son frère, Hessois comme lui, était u» 
des fonctionnaires supérieurs du ministère Autrichien fc 
Affaires Etrangères. 

Le baron de Gablcntz, Saxon de naissance, était lieutenant 
général autrichien, et rien n'indiquait qu'il eut pour cela ccssr 
d'être Saxon. Plus tard on vit la famille de Hohenlohe-Schilling*- 
furth composée de quatre frères ainsi répartis : 1° l'aîné né en 
Wurtemberg, duc de Ratibor, devenu Prussien et général-majoi' 
à la suite de l'armée ; 2» le cadet né dans la Hesse-ÉlectorA 
mais Bavarois et membre de la Chambre des Seigneurs de Ba- 
vière, devenu ministre des Affaires Étrangères du Roi de Bavièm 
et passé depuis à la Prusse; 3" Gustave-Adolphe, archewqW 
d'Édesse, grand aumônier du Pape Pie IX, et depuis cardinal* 
la sainte Église; 4" Constantin, ne dans la Hesse-Électorale. 
entré au service d'Autriche et devenu grand maître de la Cou' 
Impériale, ce qui est la plus haute charge de l'Empire autri- 
chien. Le prince de Windischgraetz est à la fois membre il" 
Parlement autrichien et du Parlement wurtembergeois. 

Ce mélange des nationalités était d'ailleurs comme un produit 
légitime des liens fédéraux, qui, ainsi que nous Tavons faitol)- 
server plus haut, donnaient aux Allemands deux ou trois patries 
suivant les convenances de leur fortune ou de leur situation. 

L'une, la première, la préférée, celle qui les avait vus naîtra 
ordinairement petite, aux frontières contournées, marquées par 
des barrières, des poteaux et des treillages aux couleurs du 



i;,m.lema(;M': kouvki.le. 



IGa 



■niiveraiii d« l'endroit; c'est là que, Dieu aidant, ils espéraient 
'venir un jour vivre de leur pension de retraite, et noyer dans 

les 



pots de bière indigène leurs souvenirs, leurs illusions et 

ut-être leurs regrets. 

l'autre, pour ainsi dire sans frontières, dects: iu.and ; si la 

•emière était dans le cœur, celle-ci était sur les lèvres ; on en 
'arlait très-liaut. Où commence-t-elle? Oîi finit-elle? C'est 
question de race et de langue, une question de professeur 
, isàibien que de conquête; l'analogie des idiomes, la majorité 
', dialectes, là où les populations sont mixtes, la légende des 
■ii'cles en un mot tout cet amalgame d'éléments divers à l'aide 
Hp-auels se constitue l'idée complexe des grandes nationalités. 
rVstva"ue, c'est indéfini, et par cela même merveilleusement 
adapté à la tournure de l'esprit indigène. 

f'ràceà CCS deux patries, il s'établissait comme un système de 
ii^cule qui augmentait considérablement les facilités de la vie 
flitiaue. Avec de la souplesse, avec de l'habileté et du savoir- 
■lire un Allemand pouvait utiliser à son grand bénéfice l'idée 
■omplexe qui servait de base à sa foi politique. Suivant les cir- 
■oiistances, il passait du service de la petite patrie au service 
le la fpande patrie, mais au fond du cœur il ne perdait pas de 
vue les poteaux aux couleurs bariolées près desquels il avait 
vécûtes premières années de sa jeunesse. La grande patrie alle- 
mande couvrait de son manteau fédéral tous ces échanges ou 
ces cumuls de nationalité, mais à la condition nécessaire qu'entre 
tous les États de l'Allemagne il n'y eût ni conflit d'intérêts, ni 
compétition de forces. Aussi Je jour où la Confédécation se divisa 
en deux camps séparés, il se fit un véritable déchirement dans 
les familles et la tradition des mœurs germaniques en fut pro- 
fondément ébranlée. Ce jour s'avançait rapidement, mais il 
n'était pas encore venu. 

Quant au comte de Rechberg, son caractère était trop loyal 
pour qu'en entrant au service de l'Autriche il ne fût pas devenu 
complètement Autrichien. 

Par son éducation, parles premiers souvenirs et les premiers 
enseignements de sa carrière administrative, il appartenait aux 
anciennes idées, c'est-à-dire au gouvernement autoritaire sous 





160 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 




lequel l'Autriche avait si longtemps vécu ; mais appelé par la 
confiance de son souverain à pratiquer de nouvelles institutions. 
. il les avait acceptées en toute conscience et, bien qu'il ne te 
aimât pas, il mettait un véritable scrupule à ne pas s'en écarter. 
Dire que son esprit fût entièrement libre de préjugés, ce serait 
peut-être s'avancer un peu loin, mais on peut, sans craindre de 
se tromper, affirmer qu'il les refoulait loyalement et qu'il avait 
la notion exacte et correcte de ses devoirs. 

L'Autriche était à ses yeux essentiellement allemande et li 
première puissance de l'Allemagne ; la Prusse était la seconde. 
L'aUiance austro-prussienne était le palladium gcrmanique.il 
fit tout pour la sauvegarder, et en agissant ainsi, il croyait fer- 
mement servir les intérêts primordiaux de sa patrie d'adoption. 
C'est dans cette croyance qu'il puisa bien souvent l'esprit de sa- 
crifice et la patience que son collègue M. de Bismarck raeltail 
journellement à de si rudes épreuves. Peut-être aux derniers 
jours de son ministère avait-il commencé à entrevoir qu'à 
Berlin il y avait un parti-pris de rupture et que- tôt ou tard il 
faudrait se séparer? Peut-être faut-il compter au nombre te 
causes de sa retraite les amertumes de la désillusion, quand il 
vit la Prusse s'affranchir de plus en plus de la réciprocité des 
engagements? Ce sont de simples hypothèses, vraisemblables, 
mais incertaines. 

Quand il quitta le ministère, l'alliance austro-prussienne 
existait encore et dominait l'Allemagne. 

Ce fut la seule réponse qu'il fit à ses adversaires lorsqu'un 
mois plus tard il défendit au Parlement lesmaigres résultatsdf 
sa longue et inépuisable condescendance. D'une part, le san? 
versé dans une ■ guerre ingrate, une victoire sans prestige-ci 
sans profit, des emprunts contractés sous l'empire de la néces- 
. site à des taux usuraires, un remboursement des frais de la 
guerre plus fictif que réel, et l'annexion plus que probable au 
royaume de Prusse des trois nouvelles provinces arrachées au 
Danemark; de l'autre, l'alliance prussienne déjà chancelante, 
mais encore debout; tel fut le bilan de l'administration qu'il lu 
fallut défendre, et il le fit avec d'autant plus d'énergie qu'il 
croyait, et qu'il n'était pas seul à croire, que le fait même d'a^oii' 



L'AI.LKiMAUNK NOliVKLLIÎ. 



•1G7 



celte alliance élait une compensation siifrisante des 



'elle avait coûtés. 



conserv* 
sacrifices qu 

Il n'avait pas tout à fait tort, le parti qui s'attachait à l'al- 
liance prussienne comme au palladium de l'Empire ; car il est 
certain que l'Autriche et la Prusse, partageant l'autorité ger- 
manique, et garantes l'une de l'autre, formaient line puissance 
ijfxpugnable. Mais ce n'était pas là le programme de M. de 
Bismarck. Lui ne voulait pas de partage, il voulait l'Allemagne 
entière et l'Autriche hors de rAlIcniagne. Or ce résultat ne 
pouvait s'acquérir que par la guerre, et au moment où l'on van- 
lait encore au Rcichsrath de Vienne l'alliance avec la Prusse 
cette alliance était déjcà virtuellement et irrévocablement répu- 
diée à Berlin. 

On avait tout sacrifié depuis un an à un rêve impossible ; on 
allait encore pendant une autre année poursuivre cette môme 
chimère. Et cependant les avertissements commençaient à venir. 
A Berlin, le langage des ministres se dégageait peu à peu des 
réticences et des ménagements qui jusqucs ici avaient du moins 
sauvé les apparences. — « Nous sommes décidés, avait dit M. de 
Bismarck, à faire des choses que l'Autriche ne voudra pas et ne; 
pourra pas tolérer, et nous les ferons. » — Malgré cela, malgré le 
sentiment général dont les alarmes étaient manifestes, le Gou- 
vernement persista envers et contre tout à croire l'alliance 
possible et utile, et continua ses sacrifices. Si, à ce moment, 
l'Autriche, passant ouvertement du côté des États secondaires, 
avait agité l'Allemagne en faveur du prince d'Augustenbourg, 
et pris la direction du mouvement populaire, démocratique, et 
im peu révolutionnaire qui commençait à se définir et à se per- 
sonnifier dans le candidat fédéral, si l'Autriche, en un mot, avait 
liiitde.la révolution contre l'ambition prussienne, peut-être eût- 
elle réussi à détourner le cataclysme qui s'avançait fatalement. 
Mais à quel prix? Pour porter la révolution chez les autres, il 
faut être sûr de ne pas l'avoir chez soi. Une fois le Gouverne- 
ment autrichien engagé dans les manœuvres de la démocratie 
allemande, que lui restait-il pour combattre chez lui les reven- 
dications nationales des Hongrois, dos Polonais, des Tchèques? 

A vrai dire, l'état anormal dans lequel l'Empire autriclnVn 



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L'ALLEJIAGNE NOl VELLE. 



vivait alors depuis quelques années, paralysait toutes ses forces. 
C'était un régime parlementaire sans Parlement, centralislf 
sans centre, représentatif sans représentation. Tout devait abou- 
tir à Vienne et rien n'y venait; tout devait se faire au Parlt- 
ment et le Parlement était vide ou incomplet; tout le territoirt 
de l'Empire devait avoir ses mandataires, et les trois quarts^ 
territoire s'abstenaient par principe de se faire représenter, 
C'était donc un état fictif que le moindre choc devait renverser, 
et qui ne pouvait garder les apparences de la vie qu'à la conii- 
tion de n'être jamais exposé à en donner la preuve. 

Certes, l'état de la Prusse n'était guère plus régulier, maisï 
était l'inverse de celui de l'Autriche. A Berlin, le Parlemeil 
était vaincu, réduit au silence, non par la discorde des p 
vinces, mais par la prérogative royale et militaire qui avait pK 
tout en main. C'était une monarchie absolue s'appuyant suri* 
armée dévouée et considérable. Le Roi était docile à son B' 
nistre et le ministre était tout-puissant. Donc la Prusse étail 
aussi bien organisée pour l'action que l'Autriche était empêcte 
et réduite à l'inertie. 

L'alliance de la Prusse était d'autant plus recherchée parlt 
Gouvernement autrichien qu'en dehors de cette alliance il S'' 
sentait incapable de trouver un point d'appui quelconque. Po«' 
la Prusse, au contraire, l'alliance autrichienne était gênante, 
désagréable et condamnée en principe. 

Telle était la situation au moment où la paix avec le Danematt 
fut signée, c'est-à-dire le 30 octobre 1 864.11 étaitnécessaire delà pré' 
ciser, pour préparer le lecteur à toutes les péripéties qui vontsB- 
vre comme conséquences prussiennes, ce premier acte d'iniquit 

Lntre les doux Cabinets de Vienne et de Berlin, il se fitto»' 
d'abord comme une trêve réciproque. On s'attendait et on s'ol- 
servait. Mais il n'en fut pas de môme en Allemagne, etlap»' 
blication du traité de paix souleva instantanément des ré*' 
mations presque violentes. Déjà dans sa dernière séance à 
31 octobre à Eisenach, le Congrès de l'Union nationale, Jf* 
nal Verein, avait adopté une motion ainsi conçue : 

« Le National Verein repousse énergiquement l'annexion <is 




10 11 12 13 



I/AI,LEMAGNE NOUVELLE. 



169 



nuchés à la Prusse, comme un grave péril pour l'unité fédéra- 

tive do la Nation (l). » 

Quelques semaines plus tard, le comité des Trente-Six formé 
■ Francfort par le Congrès des Députés allemands, lança une 

roclaniation dans laquelle l'œuvre austro-prussienne était 
^ner^iquement blâmée et parfaitement définie au point de vue 
fpdéral. Nous en extrayons les passages suivants : 

( A en juger d'après la teneur de ce document ( le traité de 
naîxavec le°Danemark ) , la guerre avec le Danemark n'aurait 
Ip au'une guerre de conquête, dont l'issue aurait conduit à la 
cession faite k l'Autriche et à la Prusse, de trois provinces appar- 
tenant jusque-là à la Couronne de Danemark. » 

Puis reprochant à ce long document de passer intentionnelle- 
ment sous silence les droits de la Confédération et du Prince 
dont l'Allemagne avait adopté la candidature, le Comité des 
Trente-Six ajoutait : 

« C'est avec le même manque d'égards qu'on met de côté le 
droit d<i. pays de Sieswig-Holstein de d/spnser de lui-même, son 
droit d'être entendu sur les arrangements pris dans le traité. 
Procédant tout à fait à la façon de l'ancienne politique de cabi- 
iipt les deux Puissances allemandes n'ont pas cru qu'il valût la 
Deine d'accorder à, ce pays allemand, même l'apparence de la 
mise en considération qu'on accorde aujourd'hui a la volonté 
l t„„s les peuples européens... En contraste avec ce traitement 
indif?ne qu'un peuple allemand subit de la part de ses libera- 
tnirs lé Gouvernement danois a convoqué immédiatement à 
Lire honte la représentation du peuple danois pour lui deman- 

er son assentiment au traité, qui ne pourrait être ratifie sans 
rela De tels procédés, qui ne paraissent avoir écarte 1 arbitraire, 
pt la violence du Danemark que pour y substituer l'arbitraire 
et la violence des grandes Puissances, ne sauraient être accep- 
tés en silence par un peuple qui aime l'honneur (2). » 

l\^ Procès-verbal de la dernière séance du National Verein tenue à 
Eislnach Te 3t octobre 1864 sous la présidence de M. de Bfcnn.gsen. 

m Proclaraation du comité des Trente-Six (form^ \''™"'/°Xl P^' '® 
CoS des députés Allemands, ) sur le traité du 30 octobre 1864. 



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Ce manifeste était signé au nom des Trente-Six par les man- 
dataires de la Commission, docteurs ou professeurs Mullerel 
Kolb. 

Il était l'expression fidèle et parfaitement exacte du mécon- 
tentement avec lequel tous les Étals allemands avaient accueilli 
le traité du 30 octobre. Peut-ôlre tous les Princes allemands ne ' 
partageaient-ils pas les opinions du comité sur la souveraineté 
des peuples et leur droit de disposer d'eux-mêmes ; mais ici la 
doctrine servait d'argument, et c'est assez l'habitude en Alle- 
magne, comme ailleurs, d'invoquer ou de répudier les principes 
suivant les besoins de la cause. Ces mêmes docteurs, si jalons 
du droit des peuples quand il s'agissait de donner à la Confé- 
dération les Duchés de l'Elbe, eussent été et ont peut-être été 
les plus ardents partisans de l'annexion violente de l'Alsace- 
Lorraine à l'Empire d'Allemagne. 

L'histoire allemande de 1864 et des années suivantes porte en 
elle un enseignement de la plus haute gravité, et qu'on ne sau- 
l'ait ni trop méditer, ni graver trop profondément dans la mé- 
moire des autres peuples. La loi des intérêts, la loi des convoi- 
tises a été radicalement et en quelque sorte ofriciellement sub- 
stituée à l'ancienne jurisprudence internationale. Droits popu- 
laires ou droits monarchiques, traités d'États ou pactes de 
familles, engagements diplomatiques ou paroles souveraines, 
tout disparaît, tout s'efface, tout s'oublie en présence d'un inté- 
rêt ou d'une ambition. Il faudrait remonter aux temps barbares 
pour trouver des années aussi pleines de parjures et d'infidéli- 
tés. Or, du jour pu une doctrine semblable pénètre dans les 
mœurs politiques d'un Gouvernement, d'un peuple ou d'une 
race, il est de toute nécessité pour les autres Gouvernemenls, 
les autres peuples, les autres races d'en tenir compte et de ré- 
gler en conséquence leurs rapports internationaux. Conclure un 
traité avec un État qui est parfaitement d^écidé à n'en faire va- 
loir que les clauses qui lui plaisent et pendant qu'elles lui plai- 
sent, c'est faire, comme on dit vulgairement, un. métier de dupe, 
.si ou y attache plus de valeur (|uo ne le fait l'État de, la iioiivolli' 
école. 

Le comte Andrassy, ministre de la Monarchie austro-hongroise, 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



ni 



s'exprimait ainsi en décembre 1877 devant les Délégués lion- 
^ Qjg • — 8 L'efficacité des traités n'est assurée que lorsqu'on 
peut les appuyer énergiquement (1). » — Donc, si on n'a pas à 
" service une force supérieure, ou du moins une force suf- 
flsaute, les traités sont inefficaces. 

C'est-à-dire que le temps des traites est passé et que celui de 
la force est venu. 

SI on est le plus fort , les conventions sont superflues ; si on 
est le plus faible, elles sont inutiles. 
Dicté par le fort, le traité n'^enchaîne le faible qu'autant que 
es forces ne lui permettent pas de le répudier à son tour. 
Jurisprudence barbare, doctrine brutale, mais désormais lo- 
(ricrue et impitoyable, et dont chaque nation fera tour à tour la 
mauvaise expérience. 

L'Autriche qui eut le tort, ou, pour être plus juste, le malheur 
d'inaugurer avec la Prusse cette nouvelle procédure, ne fut pas 
longuet en recueillir les tristes résultats. Chacun y passera, car 
ce qui ne s'appuie que sur la force, passe avec la force, dont la 
durée est toujours intermittente. 
La force prime le droit, cela peut être la devise d'un jour. 
Le droit prime la force, c'est et ce sera la devise des siècles. 



(1) Séance de la commission des Affaires-Etrangères de la délégation 
Hongroise tenue à Vienne le 9 décembre 1877. 




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Désaccord de la Prusse et de l'Autriche, et de ces deux Puissances aKl 
rAlIomagiie. — Visite du prince Frédéric-Charles à Vienne. - Con- 
flit dans les Duchés. 



^ Les Etats secondaires de l'Allemagac, c'est-à-dire toute la Con- 
fédération, à l'exception des deux grandes Puissances, témoi- 
gnaient hautement leur mécontentement du traité d'octobre, el 
se mettaient en opposition avec la politique austro-prussienne. 
En cet état d'antagonisme, les conflits ne pouvaient tarder à se 
produire. La première occasion qui les fit naître fut uoe note 
adressée le 29 novembre aux Cabinets de Dresde et de Hanovre 
pour leur signifier que les causes pour lesquelles la Diète avait 
décrété l'exécution fédérale en Holstein avaient cessé d'exister 
•par suite du traité de paix avec le Danemark. 

« En conséquence le Gouvernement prussien se fondant sur les 
lois fédérales, adressait aux Gouvernements de Saxe et de Hano- 
vre 1 invitation amicale de rappeler leurs commissaires et de re- 
tirer leurs troupes... Le soussigné était chargé de demander dans 
le plus court délai une réponse à cette invitation amicale. - 
Signe : Von Bismarck. » 

Cette dépêche était accompagnée d'une note explicative qui 
comme le sont quelquefois les p ^st-scriptum dans les correspon- 
dances privées, était le point capital de la communication; « 
caudà venenum. 




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L'ALLESIAGNE NOUVELLE. 



173 



On y lisait ce qui suit : — « Dans sa demande adressée aux Gou- 
vernements de Saxe et de Hanovre concernant le rappel des com- 
missaires civils et des troupes d'exécution, le Gouvernement 
prussienne s'est placé que sur le terrain du droit fédéral. Mais 
fl ne saurait oublier que le traité de paix lui donne encore d'autres 
iroits qui l'autorisent à former cette demande en son propre nom. 

« Par le traité du 30 octobre dernier, l'Etat de possession (du 
Roi Christian IX, tel qu'il existait au commencement de l'exécu- 
lion) a été transféré à l'Autriche et à la Prusse. Par suite, ces 
deux puissances ont seules le droit à l'administration et à l'occu- 
pation militaire des Duchés et chacune d'elles peut exiger qu'au- 
cune autre autorité ni force militaire que la sienne propre ou 
celle de sa cocontractante dans le traité de paix y soit admise. » 

« Le Gouvernement prussien a donc l'honneur d'adresser en 
son propre nom aux Gouvernements saxon et hanovrien la de- 
mande amicale de rappeler ses commissaires civils et ses troupes, 
(les dits duchés de Holstein et de Lauenbourg... Le soussigné... 
_ Signé : Von Bismarck (t). » 

Le Cabinet de Berlin ne pouvait guère se faire d'illusion sur 
l'accueil que recevraient ces notes de la part des Gouvernements 
auxquels elles étaient adressées. Aussi la réponse ne se flt-elle 
pas attendre longtemps. Dès le lendemain (30 novembre), la Saxo 
refusait poliment mais fermement d'obtempéi-er à l'invitation 
prussienne et déclarait vouloir porter la question devant la Diète. 

« Si le Gouvernement saxon, disait M. de Beust, hésite dans le 
cas présent à déférer à l'invitation faite, le Gouvernement de 
Prusse voudra bien en voir exclusivement la raison dans une 
stricte et consciencieuse observation des devoirs fédéraux qui 
incombent à la Saxe; c'est cette considération qui a déterminé le 
Gouvernement saxon à soumettre sans délai à la connaissance de 
la Diète germanique ses doutes sur la légvimité de la proposition 
■prussienne et à provoquer une résolution fédérale. » 

Quant au Hanovre, moins engagé c{ue la Saxe dans la résis- 
tance fédérale qui s'organisait contre les prétentions autoritaires 

(1) Note de M. de Bismarck du 29 novembre -1864, remise à Dresde 
lé même jour par le ministie prussien, M. de Schuloinbourg-l'riemcrn. 

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de la ligue austro-prussienne, il avait consenti au rappel de ses 
troupes. 

La réponse saxonne souleva à Berlin un très-grand méconten- 
tement, car non-sculcmcnt elle méconnaissait le condominiM 
austro-prussien dans les Duchés, mais elle contestait la légitimilé 
de ses exigences, et annonçait formellement l'intention d'en ap- 
peler à l'autorité supérieure de la Diète. Pour prévenir cette ini- 
tiative de la Saxe, la Diète germanique fut dès le lendemain, 
c'est-à-dire le I'"' décembre, saisie d'une proposition faite en 
commun par l'Autriche et la Prusse et ainsi conçue : 

ï Qu'il plaise à la haute Diète fédérale de considérer comme 
terminée la procédure d'exécution dans les Duchés de Holstein 
et de Lauenbourg, ordonnée le 7 septembre 4 863, et d'inviter les 
Gouvernements de Saxe et de Hanovre qui étaient chargés de 
l'accomplir, à retirer leurs troupes des dits Duchés et à rappeler 
les commissaires civils qu'ils y avaient envoyés. » 

Dans la même séance les divers États fédérés définirent lem' 
attitude par les déclarations de leurs mandataires. 

L'Autriche s'en référant à la proposition présentée à la Diète, 
exprimait l'espoir que les négociations qu'elle poursuivait avec la 
Prusse, auièneraient un résultat favorable, conforme aux droits 
et aux intérêts de la Confédération. 

La Prusse, tout en partageant l'espoir de l'Autriche, refusait lie 
donner suite à aucune négociation de ce genre tant qu'il ne sérail 
pas mis un terme à l'occupation fédérale dans les Duchés. 

« A cet effet le Gouvernement Royal avait adressé aux Cabinets 
de Hanovre et de Dresde les deux notes que son représentant 
avait l'honneur de déposer sur le bureau de la Diète. 

« Le Gouvernement hanovrien dans un esprit de conciliation 
s'était déclaré prêt à l'accomplissenaent des mesures prescrites 
par l'article 13 de la procédure d'exécution, mais le Gouverne- 
ment saxon n'avait pas cru devoir se ranger à cet avis. 

^ « Dans cet état de choses le Gouvernement Royal de Prusse, 
d'accord avec le Gouvernement Impérial et Royal autrichien, avait 
fait la susdite proposition, afin de donner à la haute Diète fédé- 
rale l'occasion de préveriir des complications qui pourraient êlK 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



175 



|. conséquence d'un refus prolongé d'accomplir les prescriptions 
i l'article 1 3 de la procédure d'exécution, et il réclamait une 
prompte décision au sujet de cette proposition. » 

C'était une mise en demeure très-nette et très-catégorique en 
•me temps qu'un acte d'accusation formulé contre la Saxe 
d'une façon presque comminatoire. 
1 e représentant saxon s'abstint de relever l'avertissement et 
coutenta de déclarer que son Gouvernement obéirait scrupu- 
leusement aux ordres de la Diète. 
I a Bavière fut plus explicite. Son Ministre annonça que sans 
Itendre le jour prochain de la discussion diétale, il était enpo- 
ition de dire que dans l'opinion de son gouvernement, le mandat 
fédéral de la Saxe et du Hanovre ne devait pas encore être con- 
-idéré comme accompli, et qu'au contraire les Duchés de Hols- 
tein et de Lauenbourg devaient continuer à être occupés et ad- 
ministrés par les gouvernements mandataires jusqu'à ce que la 
Diète fût édifiée sur le sort réservé à ces Duchés par le traité de 
paix du 30 octobre. La discussion fut ajournée au 5 décembre, 
mais il était facile de prévoir que le jour du vote, les États alle- 
mands garderaient la position qu'ils venaient de prendre en re- 
ceyant communication de la déclaration austro-prussienne. 

Le 5 décembre en effet la Diète se réunit de noviveau et le 
gouvernement saxon formula un vote longuement motivé qui se 
terminait par un refus pérenqiloire ainsi conçu : 

,( Il paraît incontestable au Gouvernement de Saxe que la ques- 
tion de savoir quel est celui que la Diète doit regarder comme 
souverain légitime du pays, doit être décidée avant qu'elle puisse 
prendre une résolution sur la cessation de l'occupation et l'ad- 
ministration fédérale dans le pays en question. En vertu de ces 
considérations, le Gouvernement royal de Saxe croit devoir re- 
garder la proposition présentée comme prématurée et ne saurait 
far ces motifs y adhérer (1). » 

La Bavière vota le refus comme l'avait fait la Saxe. 

(d) Procès-verbaux des séances de la Dièle, à Francfort, décemb.e 



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Quatre États confédérés se joignirent à la Saxe et à la Bavière, 
mais les autres reculèrent devant les menaces catégoriques di 
l'envoyé prussien, et la proposition austro-prussienne passa i 
une ou deux voix de majorité. 

En même temps l'alarme se répandait dans les Duchés aiisà 
bien que dans toute l'Allemagne, et de tous les côtés s'élevaienl 
des protestations contre les prétentions exclusives des dem 
grandes puissances. Le 10 décembre, l'Université de Kiel répon- 
dant à une demande de concours qui lui avait été adressée quel: 
ques jours auparavant par les commissaires civils de Prusse^ 
et d'Autriche, formulait ainsi des réserves déplaisantes : 

« Si nous hésitons à donner l'assurance (de notre concoure) 
dans la forme demandée, cela provient de ce que l'expression: 
— & Que la décision du sort futur des Duchés ne sera préjugée 
d'aucune manière » — est trop indéterminée. Cette expressioi 
pourrait renfermer la tendance que poursuit, dit-on, un partiel 
Prusse, cri'icorpirer les Duchés à ce royaume, ou bien la recoJ- 
naissance des prétendus droits du Grand-duc d'Oldenbourg, so- 
lutions que nous ne pouvons pas nous engager à nepascoiJ- 
battre. Mais nous sommes prêts à accepter la prise de possession 
provisoire de l'Autriche et de la Prusse, pourvu qu'elle aitpoof 
objet et pour effet d'atteindre au plus tôt le but désigné parte 
représentants des deux puissances dans la séance du îSmai* 
la. conférence de Londres, savoir : l'union des Duchés en un seul: 
État sous la souveraineté du Prince d'Augustenbourg. » l 

L'université de Kiel se faisait en cette circonstance l'org. 
véritable, national et populaire de toute l'Allemagne ; mais el 
heurtait de front l'ambition de la Prusse et le clioc la fit rentri 
sous terre. 

La réponse des commissaires lui parvint le lendemain.— «C'est 
dans votre intérêt, disaieut-ils, que nous vous avons demandé vo- 
tre concours, nous regretterions véritablement de ne pas t'obte' 
nir ; mais nous considérons volontiers cette affaire comme teK 
minée (1). » — < 



Cela commençait à devenir un peu brusque, mais onparlaili 
(I) Voir les deux documents aux archives diplomaliques do ; 



à 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



in 



(les savants et à des professeurs entachés de libéralisme, et du 
jour où leurs discours patriotiques cessaient d'exalter la ligue 
austro-prussienne, il importait de les réduire au silence. 

On aui'a remarqué que l'université de Kiel avec une franchise 
nul l'honorait et qui n'était pas sans danger en présence des 
autorités étrangères, avait ouvertement signalé le parti prus- 
sien qui poursuivait l'incorporation des Duchés au Royaume. Ce 
parti existait, en effet, non-seulement à Berlin oii la chose était 
irrévocablement résolue, mais aussi dans les Duchés où des sei- 
gneurs et grands propriétaires s'étaient laissé gagner à l'idée 
d'une annexion politique, sauvegardant l'autonomie du territoire 
pour les affaires intérieures. 

A la tête de cette aristocratie aux tendances prussiennes mar- 
chaient MM. de Baudissin et de Scheel-Plessen, fort bien en Cour 
à Berlin et organisant des adresses concertées avec M. de Bis- 
marck. 

Mais à vrai dire, le parti de ces messieurs n'était encore qu'un 
groupe d'individualités considérables auquel il manquait la 
Sanction populaire. 

L'Allemagne, toute l'Allemagne était avec la Saxe et avec la 
Bavière, et sous l'égide de ces deux gouvernements il se mani- 
festait une résistance qui faillit provoquer un véritable conflit. 

Dans son irritation contre M. de Beust, M. de Bismarck ne 
pariait de rien moins que d'envahir la Saxe, et s'il faut en croire 
lelangage que tenait alors le comte de Mensdorff aux ministres 
allemands, c'était l'Autriche qui avait arrêté la marche des ba- 
taillons prussiens en déclarant qu'EUe considérait cette occupa- 
lion comme un acte anti-fédéral auquel la Confédération ne de- 
vait pas survivre. 

Quant à la Bavière, le Cabinet de Berlin se montrait fort irrité 
mais moins menaçant. Cependant il ne laissa pas passer sans 
protestation ni sans avertissement le vote bavarois. 

8 La Bavière, écrivait-il le 13 décembre au prince de Reuss, 
alors ministre de Prusse à Munich, la Bavière a ouvertement 
violé les principes du pacte fédéral en cherchant à en étendre 
arbitrairement les conséquences. » 



II 



178 



L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 



t'^. 




Et sa dépêche conçue en termes presque comminatoires» 
terminait ainsi : 1 

« Nous ne sommes pas disposés à laisser porter atteinte I 
notre indépendance politique au delà de la mesure de nos oMi- 
gâtions fédérales prouvées... Si aux six Yoix de la minorilé doJ 
de ce mois, il s'en était joint encore deux autres, nous nous se- 
rions trouvés alors dans le cas, vis-à-vis de la résolution priil 
contrairement au droit, de faire l'usage le plus complet de IJ 
liberté d'action que la violation des traités nous aurait rendM. 
Nous ne pouvons que désirer que le Gouvernement bavaroisH , 
conserve aucun doute sur notre résolution à cet égard dans in 
cas semblables, et c'est pour cela que je n'ai pas trouvé supe* 
de revenir sur les principes qui ont été mis en question dans It 
vote du 5 décembre, quoique ce vote ait décidé la question poi* 
le cas présent. 

« Je vous invite à donner lecture tle la présente dépêche! 
M. le Ministre de Bavière (M. von der Pfordten) et vous autori» 
à lui en laisser copie. 

« Signé : De Bismarck. » 



i 



Si M. de Bismarck avait cru pouvoir intimider par ce 
sévère le Ministre bavarois, il s'était grandement trompé et ti 
tarda pas à s'en apercevoir, car cinq jours après il recevait* 
comte de Mongelas accrédité à Berlin la copie d'une dépê* 
qui valait au moins la sienne. Nous en extrayons les passage 
suivants qui suffisent pour permettre d'en apprécier l'énergiet' 
la portée ; 

^ « Nous avons très-attentivement pesé la dépêche du minisi" 
d'État prussien et, comme lui, nous avons la conviction qu^ 
l'occasion du vote du 5 décembre, le maintien de la Co^nféd* 
tion a été sérieusement menacé. 

« Mais ce n'est pas dans les vues de la minorité du 5 décem- 
bre, sur les droits de la Diète à occuper les Duchés, qu'étaiU» 
danger d'une rupture de la Confédération, mais bien dans les 
vues du gouvernement prussien sur son droit à reprendre s» 
liberté d'action. 

« Nous devons, de notre côlé, ne laisser au gouvernenien' 
prussien aucun doute sur notre ferme résolution de ne puiser» 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



179 



rjveiiii', comme nous l'avons fait jusqu'ici, nos votes, que dans 
^03 propres convictions, de laisser les lois fondamentales et les 
décisions de la Diète se prononcer seules sur sa compétence, et 
(le ne pas abandonner ce soin aux convenances de tel ou tel 
ooavernement. 

' (( Nous ne consentirons pas à laisser modifier lo caractère de 
la Confédération qui est une réunion d'États jouissant de droits 
ésaux, au point qu'un seul de ses membres puisse lui prescrire 
la mesure de son activité. 

« Je prie Votre Excellence de communiquer cette note à M. le 
Ministre d'État (M. de Bismarck) et de lui en laisser copie. 

« Signé : Von der Pfordten. » 

tJous avons tenu à citer les termes de ces deux dépêches 
narce qu'elles donnent une idée exacte des rapports que la 
Prusse entretenait avec l'Allemagne à la fm de 1864, quelques 
emaines après le traité de paix avec le Danemark. 

Oue faisait l'Autriche? Elle balançait entre les deux, jouant un 
triste rôle; insupportable à la Prusse dont elle embarrassait les 
mouvements, peu sympathique à l'Allemagne qui, malgré ses 
nrotestalions, la retrouvait toujours associée à la Prusse dans 
ses entreprises anti-fédérales. 

L'opinion publique commençait à s'émouvoir de cet état de 
flioses et on critiquait amèrement à Vienne et dans les provin- 
ces la condescendance du Cabinet. Le comte de Mensdorff atten- 
dait. Il sentait bien qu'on nourrissait à Berlin des projets 
auxquels il ne pourrait souscrire, mais il voulait avant de les 
combattre, les voir formulés par M. de Bismarck. Or celui-ci ne 
se pressait pas, mettant le temps à profit pour établir dans les 
Ducbés la suprématie de l'autorité prussienne. 

Ce silence ne pouvait cependant se prolonger indéfiniment 
ctleCabinetde Vienne, sous la pression des autres États con- 
fédérés, dût se résigner à faire parvenir à Berlin, en forme 
consultative et confidentielle, des propositions destinées à être 
soumises à un examen réciproque. 

Dans lo but de soustraire plus sûrement les pourparlers entre 
les deux Cabinets à toute immixtion étrangère, il n'y eut ni dé- 
ni note, ni même de mandataire autrichien. Ce fui le 



pèche, 



180 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



1^. 



baron de Werther lui-même, ministre de Prusse à Vienne, quiM 
chargé de traiter la question de vive voix avec M. de Bismafcl 

Le Cabinet de Vienne ne reconnaissant encore à aucun ds 
prétendants des droits démontrés et incontestables, mais troi- 
vant ceux du prince d'Augustenbourg mieux établis que ceffldt 
ses. compétiteurs, proposait : de transporter sur sa tête lestitffl 
de possession que l'Empereur et le Roi tenaient de la cession 
danoise, de lui remettre le Gouvernement des Duchés, et d'appe- 
ler ensuite ta Diète à reconnaître sinon à sanctionner cette réso- 
lution. 

C'était une solution logique, allemande, et passablemeil 
honnête des questions qui restaient à fixer. 

Après une absence de plus d'une semaine, le baron de^* 
ther revint, n'apportant qu'une réponse évasive et dilatoire q» 
en réalité était une fin de non recevoir mal déguisée. 

La question, avait répondu M. de Bismarck, n'était pas encore 
assez mûre pour en faire l'objet d'une proposition aussi formelle; 
il fallait l'étudier davantage et laisser à l'opinion le temps* 
s'asseoir sur des bases mieux définies. Pour le moment donc» 
dans l'état d'information incomplète dans lequel se trouva» 
l'affaire, le Cabinet de Berlin ne croyait pas pouvoir adhérersll 
résolution suggérée par celui de Vienne. 

Le comte de Mensdorff ayant alors demandé au baron «* 
Werther s'il n'était pas autorisé à formuler au moins quelqii" 
idées qui pussent servir de jalons à la politique commune lit* 
deux Puissances alliées, celui-ci avait déclaré que non-seuleœe» 
son Gouvernement n'était pas en mesure de faire une communi- 
cation de ce genre, mais qu'au contraire il se verrait dans la né- 
cessité de différer encore assez longtemps l'exposé de sa doclnn' 
et de la politique qu'il entendait suivre. 

Dès que cette réponse fut connue à Vienne, elle provo([uauii 
mécontentement tel, que de toute part on fit de grands effods 
pour entraîner le gouvernement à une démarche directe, ol- 
cielle et publicjue en faveur du prétendant populaire; maisasj' 
ainsi, c'était rompre avec la Prusse et, sur ce point, la voli 
de l'Empereur était irrévocable. 

Le ministre de Bavière, qui était alors le comte de Bray, 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



181 



tard ministre des Affaires Étrangères en 1 870 avait été jusqu'à 
interpeller ainsi le comte de Mensdorff : 

«Si TOUS attendez longtemps encore, lui avait-il dit, la Prusse 
lura dressé ses batteries, et sîire de son fait, elle vous annon- 
'era à un moment donné, qu'édifiée sur ses droits et le vœu 
ies'populations, elle a résolu d'annexer les Duchés à la Monar- 

_ « Dansce cas, répondit le comte de Mensdorff, nous onrccla- 
nierons la moitié, qui nous appartient par la cession danoise, et 
ferons de cette moitié ce qu'on doit en faire. Ce serait alors une 
rupture définitive. » 

Mais le comte de Bray, et avec lui tous les diplomates alle- 
mands accrédités à Vienne, commençaient à perdre confiance 
dans les promesses de l'Autriche. 

— « Croyez-vous, disaient-ils, que M. de Bismarck soit homme à 
céder la moitié des Duchés sur une simple réclamation du 
Cabinet de Vienne? Non ! une démarche de ce genre tournerait 
à la confusion du Gouvernement autrichien à moins qu'il ne la 
fit les armes à la main, ce qui n'est guère probable et ce qui 
n'est '^uère possible. Nous assistons au développement facile et 
non contrarié des plans ambitieux de la Prusse. Peut-être le 
comte de Mensdorff a-t-il confiance dans l'effet magique de sa 
longanimité, mais il est le seul à y croire, et quant à qous, nous 
voyons avec regret qu'à Vienne on ne nous soutient plus. » 

Tel était en effet le sentiment général et le prince d'Augus- 
tenbourg qui voulait avant tout régner, n'importe à quel prix, 
n'hésita plus à se rapprocher de la Prusse, cherchant à gagner 
ses faveurs en acceptant à l'avance la position de prince vassal. 
En conséquence il fit savoir à Berlin qu'il était prêt à souscrire 
aux cinq points suivants : 

in— L'armée et la marine des Duchés placées sous le com- 
mandement du Roi. 

îo _ Rendsbourg, place fédérale, occupée par des troupes 

prussiennes. 

3« _ Possession en toute propriété par la Prusse, do 
Sonderbourg, de toutes les villes ou positions à fortifier pour la 

11 



^ 



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482 



L'ALLEMAGNK NOUVELLE. 



défense de Kiel et des côtes, ainsi que du canal sur tout son 
parcours. 

40 — Entrée des Duchés dans le ZoU-Verein prussien. 

50 — Les postes et les télégraphes des Duchés coufondus 
avec les postes et les télégraphes de la Prusse . 

C'était en réalité l'annexion des Duchés à la Prusse, et les 
propositions du prétendant allaient au devant du programme 
berlinois. Mais c'était aussi le programme du parti unitaire du 
National-Verein et par conséquent une étape dangereuse dans 
le sjstème des médiatisations qui devaient en faire les frais. 

Aussi toutes les Cours de l'Allemagne se sentant menacées 
par l'excès de condescendance que leur candidat avait tout à 
coup montré envers la Puissance qui seule jusqu'alors paraissait 
vouloir l'écarter, comprirent-elles qu'il était temps de l'aban- 
donner à ses propres ressources. La Bavière fut la première i 
lui retirer son appui, les autres Gouvernements allemands, tout 
en maintenant sa candidature, lui firent parvenir de sérieuses 
remontrances, et lui déclarèrent qu'il ne lui appartenait pas de 
sacrifier à la Prusse, dans un intérêt personnel, les droits auto- 
nomes d'un État confédéré. 

Cette démarche malheureuse du duc d'Augustenbôurg lui 
devint funeste. Suspect au parti unitaire qui le considérait 
comme un vassal prussien, suspect aux princes allemands qui 
ne virent plus en lui qu'un pauvre ambitieux, suspect à la Prusse 
cfui ne croj^ait ni à sa sincérité ni à sa fidélité, il vit se faire 
autour de lui un vide fatal, qu'il chercha en vain depuis lors à 
combler par quelques manifestations locales et populaires. 

Le Cabinet de Vienne qui ne l'avait jamais aimé, profita de 
l'occasion pour lui porter les derniers coups, et M. de Bismarck 
qui tenait aux Duchés, mais qui ne tenait pas au prince Fré- 
déric, ne fit rien pour le soutenir. 

Donc il fut écarté, pour le moment du moins, et le 'comte de 
MonsdorfT crut avoir recueilli en cette circonstance le fruit de sa 
longanimité. C'eût été vrai si la question définitive se fût avan- 
cée vers une solution, mais il n'en était rien ; la Prusse en réa- 
lité n'avait pas formulé son programme d'action communi':. 
le silence et le mystère couvraient ''urore ses délibérations 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE PiOUVELLE. 



183 



li s'était bien manifesté chez les Puissances étrangères une 
velléité, non d'intervention, mais d'intercession en faveur de la 
iiartic danoise du Slcswig. Le Gouvernement français fidèle aux 
urincipes modernes de la souveraineté populaire n'avait jamais 
iié<'li°'é l'occasion d'appeler l'attention des grandes Puissances 
allemandes sor les tristes conséquences do la violence faite aux 
populations septentrionales du Sleswig, toutes danoises de 
naissance, de mœurs, de langage, de tradition et brusquement 
aïré^ées à l'Allemagne malgré leurs affinités contraires. 

Mais il arriva en cette circonstance ce qui s'est toujours vu et 
sr verra toujours en Allemagne. 

Les principes s'eiîacèrent devant les passions ou devant les 
iiilérèts. 

Si quelques Cabinets moins directement engagés dans le 
ilobat (I) paraissaient admettre qu'il fût naturel de laisser les 
Danois au Danemark et de donner les Allemands à l'Allemagne, 
d'ini autre côté l'idée de la moindre concession soulevait les 
Iji'otestations de la plupart des hommes d'État allemands, même 
iliiceux qui, comme le baron Henri de Gagern par exemple, 
avaient été quelques années auparavant au Paflemont unitaire 
lie Francfort (en -1848) les plus ardents défenseurs des droits 
populaires et nationaux. 

On eût dit que cette question des Duchés de l'Elbe devait 
mettre en évidence toutes les inconséquences dont les esprits 
sont capables en Allemagne et servir à la fois d'exemple et d'en- 
seignement pour l'avenir. 

Les libéraux du parti progressiste et unitaire ne contestaient 
pas les affinités dont les manifestations populaires offraient 
chaque jour de nouveaux témoignages ; mais ils prétendaient, 
(|u'avant tout et par-dessus tout, les habitants du, Sleswig du 
Nord voulaient rester unis à ceux du Holstein, ce qui d'ailleurs 
elait absolument faux. Aies entendre, les liens traditionnels des 
deux Ducbés tenaient une place bien plus importante dans les 
iksidrrata des Sleswigeois du Nord que leurs sympathies da- 
noises, et puisqu'il était impossible de satisfaire à la fois ces 



(1) Le Hanovre et le Wurlrmberg. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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deux sentiments, ils n'hésitaient pas à sacrifier celui qui leuf 
convenait le moins. 

Ainsi s'établissait en Allemagne une nouvelle logique pour 
servir aux nouvelles doctrines, aux nouveaux principes et i 
nouvelle jurisprudence des Cabinets. 

Telle était la situation à la fin de l'année 1864. 

Nous allons en suivre le développement en 1 865. 

C'est en effet une étude instructive et très-utile que de mar- 
quer les étapes de cette entreprise longue et ardue, dirigée 
par la Prusse, acceptée par l'Autriche, pleine de duplicité et de 
mauvaise foi, et dont le résultat fut de déposséder l'Allemagne 
Confédérée de ses droits fédéraux et même de son existence 
fédérale. Il fallut huit mois pour réaliser cette violence, uous 
allons en résumer les manœuvres jusqu'à la convention de Gas^ 
tein qui en fut le couronnement. X 

Dès les premiers jours de janvier, il se fit un changement 
dans le langage des hommes d'Etat et des agents prussiens. Le 
nouveau programme se résumait ainsi : — Retour du SIeswig 
septentrional au Danemark ; annexion de tout le reste à i« 
Pj>ugsc. — C'était réunir en une seule formule les deux solutions 
les plus antipathiques à la Diète de Francfort. 

Mais d'un autre côté, c'était gagner à la pohtique prussiemie 
les sympathies des Puissances non allemandes qui avaient à 
différentes reprises recommandé le respect des nationalités' 
Par cette promesse qui ne coûtait rien, et que d'ailleurs il 
était bien résolu à ne jamais tenir, M. de Bismarck voulait se 
créer en dehors de l'Autriche qui résistait, et de l'Allemagne 
qui protestait, un point d'appui dont il espérait tirer quelque 
avantage. 

Le Cabinet de Vienne ne pouvait adhérer à de semblables pro- ' 
positions, mais sa situation devenait si fausse et l'attitude de la 
Prusse si provoquante qu'à chaque instant il pouvait en sortif 
un conflit sérieux. La convoitise prussienne prenait une forme 
précise, il fallait atout prix tenter un suprême effort pour s^ 
mettre en travers. M. de Mensdorff se servit du meilleur arglip 
ment qu'il pût trouver : — « Vous voulez annexer, dit-il à son col; 
lègue, nous le regrettons et le désapprouvons ; mais enfin '^ 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



185 



êtes résolus, et si nos remontrances ne peuvent vous faire 
^^enoucer à votre projet: eli bien! du moins, part à deux. Vous 
L,3 a°Tandissez en Allemagne par l'annexion d'un territoire 
illemand trouvons aussi pour l'Autriche un accroissement 
'équivalant en Allemagne et de territoire allemand. » — 

Or, comme ce territoire, la Prusse seule pouvait le fournir, la 
perspective du sacrifice ne convenait nullement àBorlin, et pour 
le moment il ne fut plus question de rien. 

Pour couper court à ces discussions et resserrer les liens per- 
sonnels sur lesquels la Cour do Prusse comptait bien plus que 
!;ur l'alliance politique, il fut décidé que le prince Frédéric- 
Charles ferait à la Cour d'Autriche une visite do courtoisie et 
de confraternité militaire. 

Il y arriva le ' 6 janvier. A Vienne on conçut l'espoir de 
mettre à profit cette entrevue princière pour sortir de l'im- 
passe où l'on se trouvait enfermé. A' Berlin on défendit au 
prince de dire un mot de poUticfue, et on chargea le baron de 
Werther d'en informer tout le monde. 

Donc le 16 Janvier au. soir, le prince Frédéric-Charles de 
Prusse était reçu à la gare du chemin de fer par l'Archiduc 
liopold, au nom de l'Empereur, avec tous les honneurs dus à 
son rang, et descendait un quart d'heure après au palais Impé- 
rial de la Bùrg où ses appartements étaient préparés. Il était 
accompagné du lieutenant général de Moltke, du comman- 
dant d'état-major de Roos et de son aide de camp le major 
dcBemuth. Le lendemain, après un échange de visites entre le 
Prince et les Archiducs de la famille Impériale, les Ambassa- 
deurs et quelques personnages importants de l'armée et de la 
maison Impériale, commença l'inspection du contingent fédéral. 
Deux chasses dans le Thier-Garten avec l'Empereur, une revue 
et une manœuvre occupèrent les trois Jours que dura la visite, 
ci le 20 au matin il repartait sans avoir prononcé une parole- 
avec qui que ce fût sur les questions brûlantes qui s'agitaient 
entre les deux Gouvernements. 

Fji vain le comte de Mensdorff se voyant un instant seul avec 
lui dans la matinée du 19 chcrcha-t-il à entamer ce sujet de ses- 
constantes préoccupations. Le Prince l'arrêta au premier mot 



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L AM.I-:5I.\Gi\'!î SOUVKLLK. 



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en lui disant : — « Mon cher Comte, je suis militaire et rien de 
plus, » — et l'entraînant à la fenêtre d'où on pouvait voir la garde 
montante qui venait relever les postes de la veille, il lui fit aus- 
sitôt une foule d'observations sur l'uniforme de la troupe, jus- 
qu'au moment où il le quitta après un quart d'heure d'entre- 
tien. La consigne était bien doimce et bien suivie. 

Au surplus, du moment où le Prince prussien n'avait pas en 
réalité une mission politique, il valait mieux qu'il ne parlât pas, 
car on savait le fond de sa pensée et ce n'était un secret pour 
personne que lui et le comte de Moltke se montraient à Berlin 
les partisans absolus de l'anuevion pure et simple de tous les 
Duchés. 

En même temps que le prince Frédéric-Charles, partit Ift 
comte Karolyi, ministre d'Autriche à Berlin, chargé de soi 
mettre à M. de Bismarck de nouvelles propositions et de lui r 
présenter combien il devenait urgent de sortir du provisoire. 

Mais le Cabinet de Berlin était d'un avis contraire ; il mettail 
à profit les délais et s'établissait chaque jour davantage dansj 
les pays conquis. Aussi le comte Karolyi n'obtint-il qu'une^ 
réponse dilatoire dont il fallut, bon gré mal gré, prendre son 
parti. 

Ce ne fut qu'un mois plus tard, le 22 février, que cédant enfin 
aux instances réitérées de la Cour de Vienne, M. de Bismarck Jj 
voulut bien faire connaître ses vues, et les conditions préalables 
auxquelles la Prusse consentirait à la formation d'un Etat de 
Sleswig-Holstein. Il le fit sous forme de note adressée au baron 
de Werther pour être communiquée au comte de Mensdorff. 
Mais quelle note! Quelles conditions! 

Suprématie territoriale sur Rendsbourg, Kiel, Eckeraforde, 
Liste, et sur la zone littorale du canal de la Baltique à la mer , 
du Nord, qui serait exécuté par la Prusse et lui appartiendrait j. 
Possession complète et souveraine de Sonderbourg, d'Alsen|| 
€t de toutes les positions susceptibles d'être fortifiées. 

Possession de l'armée et de la marine, prêtant serment an 
Roi de Prusse, ainsi que des douanes, de la poste et des télé- 
gi'aphes. Accession du nouvel Etat au Zoll-Verein prussien. 
En un mot, une annexion si complète, si absolue, qu'un 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



187 



Prince placé sur le trône dans de semblables conditions n'était 
même pas un vassal, mais un simple gouverneur. 
Et la note se terminait ainsi : 

i, La remise des Duchés au futur souverain (?) n'aura lieu 
(lu'api'ès l'acceptation et l'application des clauses susnommées. 
Si elles sont repoussées, la Prusse rentrera dans les droits que 
liii a conférés la paix de Vienne, et se réserve de faire valoir 
les prétentions qui en résultent pour elle par rapport aux 
Duchés, » 

Quand celte note parvint à Vienne, et surtout quand elle fut 
connue de l'Allemagne, ce fut une explosion de colère et d'in- 
dignation. Sans l'influence directe et personnelle de l'Empereur 
François-Joseph elle eût été rejetée dans soii ensemble, et en 
ternies tels que la rupture eût été immédiate. Devant le refus 
impérial de sanctionner un rejet péremptoire, le Cabinet s'in- 
clina. Il admit que quelques-unes des propositions prussiennes 
pouvaient être prises en considération, mais en même -temps il 
déclara catégoriquement qu'il lui était impossible d'accepter les 
clauses qui auraient pour résultat de constituer le futur souve- 
rain des Duchés dans un état de vassalité incompatible avec ses 
droits de Prince Confédéré. 

Le Cabinet de Berlin avait espéré un refus plus absolu,non pas 
qu'il fût encore disposé à prendre des mesures extrêmes, mais 
il eût trouvé dans cette impossibilité de s'entendre, un prétexte 
pour reculer indéfiniment la solution et compléter virtuellement 
la prise de possession de ce qu'il était décidé à garder. 

M. de Bismarck se préoccupait surtout de la résistance des 
Etats secondaires comme la Bavière et la Saxe ; car malgré leur 
faiblesse relative, ils formaient à Francfort un groupe légal , 
fédéral et populaire qui représentait en réalité la grande majo- 
rité de l'Allemagne, et se faisait l'écho du sentiment national. 

Or parmi ces Etats secondaires, le mécontement était tel que 
la Bavière et la Saxe parlaient déjà de se détacher de la Diète, 
préférant renoncer à leurs liens fédéraux plutôt que de rester à 
Francfort les témoins impuissants d'une violation aussi flagrante 
de la Constitution germanique. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Dans toutes les villes d'Allemagne il se faisait des démonslra- 
tions en faveur du Prince Frédéric d'Augustenbourg. Les joui 
naux devenaient de plus en plus violents. On en était arriïéj 
ce point que les Cabinets reconnurent la nécessité de s'empal 
du mouvement et de le diriger sous peine de se voir dépasi 
et entraînés par la violence de l'opinion publique. 

La Bavière conçut alors (mars 1865) le projet de prendre a|y 
près de la Diète l'initiative d'une proposition ayant pour but «P 
faire adresser à la Prusse une sorte de sommation diétale, lie 
donner à la question de souveraineté des Duchés une solution 
conforme aux droits de la Confédération. On parlait d'une mise 
en demeure formelle, et comme depuis quelque temps l'attitude 
de l'Autriche éveillait les soupçons et ressemblait à une espèa 
de complicité prussienne, on paraissait vouloir agir en dehoK 
de sa coopération. 

Présentée dans ces conditions, la motion bavaroise mettait en 
quelque sorte le feu aux poudres, et conduisait fatalement àlk 
dissolution de la Confédération germanique. f 

Le Comte de Mensdortf prévenu à temps, par ses agents* 
Francfort et de Munich, MM. de Kubeck et de Blome, prit 
l'alarme et s'effraya des conséquences d'une démarche aussi 
radicale. En principe il ne la regrettait pas, mais il s'appliq™ 
à en tempérer la forme, et pour mieux y réussir, il demanda el 
obtint de s'interposer entre la Bavière et la Prusse. 

Grâce à ses efforts, on mit de côté toute récrimination blJ 
santé, et la motion à laquelle avait adhéré la Saxe et la Hesi 
Darmstadt fut officieusement communiquée à Berlin par le Cl 
binet de "Vienne le 19 mars, avant d'être soumise à la Diète. 

Quelque douce et confiante qu'en fût la forme, la note posai 
en principe certains faits et certaines conséquences sur le sens 
desquels il était impossible de se méprendre ainsi qu'on le voL 
par les citations suivantes : fl 



— « L'Autriche et la Prusse, disait-elle, de concert avec I^ 
Confédération germanique ont proclamé dans une conférence 
européenne (la Conférence de Londres), comme légitime, le prii^ 
héréditaire d'Augustenbourg et ont demandé pour lui les DuclT 
de Sleswig et de Holstein. 



l/ALLIiMAGNE rOCVKLLE. 



48'> 



„ Donc par l'installation prochaine de ce prince sur le trône 
ilesDuchés, les très-hautes Puissances sont assurées de l'assen- 
timent de la haute assemblée fédérale, de la reconnaissance de 
la nation allemande, et de la confiance des Gouvernements. 

« En conséquence, les Gouvernements de Bavière, de Saxe et 
du Grand-Duché de Hesse proposent qu'il plaise à la haute 
assemblée fédérale, d'exprimer la confiance entière avec laquelle 
Elle attend des très-hauts Gouvernements d'Autriche et do 
Prusse qu'ils remettent au prince de Sleswig-Holstcin-Sonder- 
bourg-Augustenbourg en son administration propre, le Duché 
(le Holstein, et en ce qui concerne le Duché de Lauenbourg que 
ce Prince fera communication à la Diète des arrangements qu'il 
aura pris à ce sujet (1). » — 

Tels étaient les principaux articles de la motion que le Cabi- 
uctde Vienne avait transmise à Berlin le '19 mars, en la recom- 
mandant à l'examen préalable et bienveillant de sa puissante 
alliée. 

Le comte de Mensdorff ne se faisait pas grande illusion sur les 
résultats de cette démarche. — « Los dépêches et les protocoles, 
disait-il, ne font plus rien. L'annexion serait déjà un fait accom- 
pli si nos troupes n'occupaient pas une partie du territoire à 
annexer. Pour s'en emparer, il faudrait les en chasser. Pour les 
en chasser, il faudrait déclarer la guerre. Cela seul arrête encore 
le Gouvernement prussien. Combien de temps cela durera-t-il 
ainsi? Je ne saurais le dire ; mais il est certain que l'Etat actuel 
porte en lui-même les éléments d'un conflit toujours imminent.» — 

Cinq jours plus tard, la Prusse répondait à l'Autriche par une 
lin de non recevoir formelle 

Tout en remerciant l'Autriche de sa communication préalable, 
inspirée, disait-il, par un esprit de conciliation auquel il se plai- 
sait à rendre hommage, M. de Bismarck déclarait franchement 
i|uc cette conciliation n'était possible que si le Cabinet de Vienne 
et les Etats moyens de l'Allemagne modifiaient leur manière do 
voir. 

ha Confédération germanique n'était pas, à ses yeux, compé- 
Icnte pour résoudre la question de succession dans les Duchés. 

(1) Traduction liltéralc de la motion faite à la Dièle de Francfort le 27 
mars 1863. 

a. 



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150 



L'ALLLMAGiMi KOUVELLE. 



— « La décision en appartenait plutôt exclusivement à l'Au- 
triche et à la Prusse. » — j 






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— Quant à la déclaration que la Prusse avait faite à la confé- 
rence de Londres en faveur du duc d'Augustenbourg, elle de- 
vait être considérée comme périmée, l'œuvre de la conférence 
n'aj^ant pas abouti. 

Si la Diète adoptait la proposition des Etats moyens, la Prusse 
se verrait dans la nécessité de prendre les mesures nécessaires 
pour sauvegarder ses droits méconnus (1). — 

C'était la première fois que M. de Bismarck répudiait haute- 
ment ses anciennes opinions et faisait un pas décisif vers la po- 
litique d'annexion. Il ne devait plus s'arrêter dans cette voie, 
mais n'osant pas encore affronter l'opinion publique, il la pré- 
parait peu à peu à ses entreprises. 

Malgré ces menaces, la motion bavaroise fut présentée à la 
Diète de Francfort le 27 mars et votée le 6 avril par neuf vois 
contre six. 

Du côté de la Prusse : le Hanovre, la Hesse-Electorale lei 
deux Mecklembourg, Oldenbourg, les Villes libres et les petits 
États d'Anhalt et Schwartzbourg. 

Du côté de la Bavière : l'Autriche, la Saxe, la Hesse-Grand- 
Ducale, le Wurtemberg et tout le reste de l'Allemagne. 

L'Autriciie s'attachant avec ténacité aux débris d'une alliance 
pour laquelle elle ne comptait plus ni les sacrifices ni les dé- 
boires, avait formulé quelques réserves à l'aide desquelles elle 
espérait éviter une rupture. Quant à la Prusse, elle avait pu- 
rement et simplement rejeté la proposition, annoncé qu'elle 
était décidée à faire valoir ses prétentions à la possession légi- 
time des Duchés, et déclaré que les tenant pour le moment en 
son pouvoir avec l'Autriche, elle ne renoncerait pas à cette pos- 
session commune avant qu'on fût arrivé à une solution qui 
répondît à ses propres convictions (2). 

(1) Dépêche de M. de Bismarck au baron de Werther en date du 
24 mars 1863. 

(2) Procès-Verbal de la séance :1e la Diète fédérale à Francfort le 
6 avril 1863. 



I 



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1/ALLEMAGNE NOUVELLE. 



491 



Du prince d'Augustenbourg, il n'était plus question. Ses 
droits si bien établis jadis, ses droits acclamés à Berlin d'accord 
avec l'Allemagne entière, ses droits que les syndics de la Cou- 
ronne avaient reconnus comme incontestables, s'étaient effacés 
devant ceux d'un nouveau prétendant, devant ceux du Roi 
Guillaume. 

Pour bien comprendre ce revirement inattendu qui substituai'; 
l'annexion pure et simple à l'annexion déguisée dont la Prusse 
paraissait jusqu'ici vouloir se contenter, il faut se reporter à un 
document contemporain émané du prince Holsteinois. 

Placé entre les exigences de la Prusse, dont nous avons déjà 
donné le programme, et celles des Etats allemands qui, d'accord 
avec l'Autriche, lui défendaient de sacrifier l'autonomie des 
Duchés, Frédéric d'Augustenbourg avait été obligé de se pro- 
noncer, et dans une lettre adressée le 31 mars à son manda- 
taire à Berlin, M. d'Ahlefeld, il l'avait prié d'aller trouver 
de sa part M. de Bismarck pour lui donner l'assurance qu il 
était toujours disposé à accepter toutes ses conditions, et prêt à 
s'engager autant et aussi loin qu'il le pouvait faire sans compro- 
mettre l'existence môme du pays sur lequel il était appelé à 
régner. 

Forteresses fédérales, cession de territoire, canal -eliant la 
Baltique à la mer du Nord, accession au Zoll-Vercin prussien, 
cession des douanes, des postes, des télégraphes, commande- 
ment supérieur de l'armée, action militaire uniforme, il adhérait 
à tous ces points ; mais il devait en réserver trois autres que le 
pays, l'Allemagne et l'Autriche ne lui permettaient pas d'aban- 
donner. 

Le serment des troupes qui ne pouvait être prêté qu'au Sou- 
verain du Sleswig-Holstein. 

La non-dislocation, en dehors des Duchés, des troupes en 
temps de paix. 

L'existence d'une armée sleswig-holsteinoise à laciuelle se 
rattachaient encore des souvenirs chers au pays. 

Il demandait que la Prusse fit avec lui une convention sem- 
blable, sauf les modifications utiles, à celle qui avait été con- 
clue avec le Duché de Cobourg. 



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192 



L'ALLEMAGNE N0UVELL1Î. 



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Cette lettre fut son arrêt de mort, car ces trois points étaiffl 
précisément ceux auxquels on tenait le plus à Berlin. Du m 
ment où les soldats sleswig-holsteinois, prêtant serment au m 
de Prusse, fondus dans l'armée prussienne , envoyés dans h 
garnisons de l'intérieur, cessaient de constituer une armée spé- 
ciale, toutes les autres conditions suivaient sans embarras, et il 
était presque superflu de les spécifier. 

Aussi, à partir de ce jour, il fut décidé à Berlin que le Prince 
Frédéric ne régnerait pas. On rassembla de nouveau ces boiî 
syndics de la Couronne. Ils étudièrent une seconde fois la va- 
leur de ces droits devant lesquels ils s'étaient inclinés l'année 
précédente. L'étude fut longue, sérieuse, impartiale, digne en 
un mot de l'honorabilité de ces magistrats et de la loyanté * 
leur Gouvernement, et, après les recherches les plus consciea- 
cieuses, ils confessèrent leur erreur. 

Certes, les droits d'Augustenbourg s'appuyaient sur des titres 
érieux ; mais cependant ils avouèrent avec une modestie dont 
on leur sut gré, ils avouèrent, les bons syndics de la Couronne 
de Prusse, qu'en 1864 ils s'étaient laissé entraîner par des appa- 
rences trompeuses, et qu'en fait comme en droit, le Roi» 
Danemark, Christian IX, était alors le seul souverain légit* 
des Duchés. Or, comme le Boi Christian IX, vaincu en guerre, 
avait cédé à l'Empereur d'Autriche et au Roi de Prusse se> 
droits (les seuls bonsi sur les Duchés, il en résultait logique- 
ment que ces deux Princes étaient désormais les seuls souve- 
rains légitimes du Sleswig-Holstein et du Lauenbourg. 

Ainsi fut déclaré par les honnêtes syndics de la Couronne of 
Prusse ! 

Il y a toujours des juges à Berlin, mais il est évident quU' 
ont changé depuis le temps du moulin de Sans-Souci. 

Au surplus, la procédure des syndics fut irréprochable dan- 
ses formes, et on ne put les accuser d'avoir précipité leurs déli- 
bérations ; car, au mois de mai, ils discutaient et étudiaie» 
encore, et ce ne fut que plus tard, au moment vraiment utile- 
qu'ils rendirent cette célèbre sentence qui leur fera honnei» 
dans l'histoire et restera comme un enseignement et une arm* 
sui genei'is pour les convoitises de l'avenir. 



L'ALLKMAGINE NOUVELLE. 



-193 



A I nue la Prusse se rencontrait avec l'Autriche et les 
pendant q ^^^^^^.^ ^,^.^^^ ^^ ^^ j^. .^^ ^^ Francfort, une 

^''"Trce'assez grave devenait roccasion d'un conflit d'auto- 
ÎÏs-sérleux dans les Duchés possédés et occupés en com- 
"Inar les deux Puissances. 
ZL au programme qu'il s'était tracé, le Cabinet de Berlin 
fnonrsui^vi son plan d'annexion, et le commissaire prussien, 
l Zpdlitz signifiait, le 3 avril, au Gouvernement sleswig- 
Tfeinois que le Roi avait résolu de transférer à Kiel la 
1 rmale En conséquence, le Gouvernement ducal, re- 
""?! Dar M. Lesser de Rumohr, avait donné les ordres 
^ -'Si pour que tout fût préparé à cet effet. Déjà on aval 
' nrclfexécirtion du transfert, et, depuis le 8 avril, tout 
TSt Kiel, quand dix Jours après, un contre-ordre 
^TslSPendre les travaux. Nous en donnons le texte, .parce 
' . m eux que tout commentaire, il indique la véritable nature 
;i relations austro-prussiennes dans les pays conquis. 

,1 e Gouvernement du pays ayant égard au rescrit ci-dessous 
,% Exc le baron de Halbhuber de Feslvil,_ commissau-c 
1 i'r d'Autriche dans les Duchés de Slesvvig-Holstein et 
■ Km.ro- en date du 18 avril courant, ainsi conçu : 
''"nïes le nTg, der Hamburger Nachrichten (Gazette de 
ulboE, le Gouvernement de Slesvvig-Holstein a, sur la 
im^Hl on de M. le baron de Zedlitz, commissaire royal de 
scuio' iQ^it'^^'?"/",;,; o aq ce mois, adressé aux autorités et au 
'T'XSme chcli4 P'arlaquelleil les informe du 
^''fS de^'Ssser^^ maritime' royal de la Baltique à 
S et les invite à seconder, autant que possible, les désirs des 

"'ÎS^XT mon consentement à toute démarche officielle 

" irtnnsert de la station maritime de la Prusse, et, en 

Cu es ro de copossession de l'Autriche, aucun acte pu- 

VnlPs Duchés aucune ordonnance ne pouvant avwr de 

y,e dan. les Duchés a,,c _ ^^ conséquence, le 

iSSe^l^lèrtmédiatimentrordonnance-circulaire 

^r"::^t^^^u";- '-- l'-d.e du 8 a.. 
.dreïéCbailliage de Kiel, relatif au stationne^nent de 1 es- 



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iytj-.-^iêeSjiPejtj. 



194 



L'AI.LEMAGNIÎ NOL'VKLLE. 



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€adre royale prussienne de la Baltique à Kiel ; il invite les autJ 
1 ites a considérer le dit ordre comme non avenu. ^ 

« Château de Gottorp, 18 avril 1865. 

. « Gouvernement de Sleswig-Holstein, 

« Signé : Lesser, Christensen. » - 

L'attitude énergique du commissaire autrichien, infligeani 
un_ échec aussi public aux empiétements de son collègue, pro-^ 
■duisit en Allemagne un effet d'autant plus considérable queil 
dans le même moment, le ministre de la guerre, M. de Roon^ 
tenait au Parlement de Berlin un langage altier, et déclarait qui 
désormais Riel était un portprussien. L'impression générale ft. 
que cet état de conflit perpétuel ne pouvait plus durer 

C était bien aussi le sentiment de M. de Bismarck, mais, s'il 
1 avait écoute en ce moment, et s'il avait proposé une solutioii 
praticable, cette solution eût été forcément équitable, c'est-à-dire 
qu elle eut fait une part à l'Autriche et à la Confédération, et 
parcela même établi un régime contraire à ses projets d'an, 
ncxion pure et simple. 

Que fallait-il donc faire? Il fallait dégoûter l'Autriche à force 
<ie comphcations et de difficultes et l'amener ainsi à une rup- 
ture qui rendit au Cabinet de Berlin sa liberté d'action 

_ On se demandera peut-être pourquoi la rupture étant si dési- 
rée par le ministre d'Etat prussien, il ne songeait pas à en pren- 
■drel initiative? C'est que l'union intime des deux souverains 
existait encore dans toute sa plénitude. Entre le Boi Guillaume A 
et son neveu l'Empereur François-Joseph, il y avait encore à f 
cet e époque, affection, fidélité et confiance. C'étaient de véri- , 
tables liens personnels dont il eût été difficile et téméraire de 
vou 01, briser le faisceau. Aussi tous les efforts du ministre se 
tiouvaient-is, sinon paralysés, du moins considérablement gè- 
ne, par 1 intimité des Princes. Les choses étant ainsi, il ne lui 
restait qu a compliquer la situation, à multiplier les griefs et à fl 

Z!e tT %f -"^'"^ P"- lagitation'et l'irritL des » 
peuples. 1 vient toujours un moment où le Souverain, quels 
•que soient ses sentiments, est obligé d'épouser ceux d. se "u- 



L'AIXEMAGNE NOUVELLE. 



195 



■I et de s'inspirer de leurs passions. C'est ce momont-là que 
Tde Bismarck se mit à préparer. ■ - • , 

\ moment même où le connit entre les commissaires austro- 
Hpas menaçait d'entrer dans une phase critique, le Cabinet 
r'Vp-lin fit faire à Vienne des ouvertures toutes nouvelles. 

ni, ' les conférences avec le baron de Werther, le comte de 
ZlàovS, poussé dans ses derniers retranchements, avait re- 
7i • - « Nous ne pouvons pas adopter le programme prussien 
■V l'annexion déguisée, nous ne pouvons pas nous Joindre 
••"' p,,, 'se pour imposer de telles condition* à la population 
!1 nuchés- mais que la Prusse s'entende directement avec le 
f„ nverain instituer ; nous ne nous opposerons pas à un arran- 
! ment que ce futur Souverain accepterait librement. >. - 
Profitant de ces ouvertures, M. de Bismarcli écrivit, le 1 7 avril, 
Lron de Werther, de s'assurer si véritablement - » il pou- 
Ï iptt que, dans le cas où il notifierait au Cabinet Impc- 
l'mtente survenue entre la Prusse et l'un des prétendants, 
" Hon vonverait auprès de l'Autriche l'appui nécessaire 
mSe n>ontersurle trône. »-Puis, il ajoutai que le Prince 
î>lléricd'Augustenbourg,s'étant compromis avec le parti demo- 
Ikue et avant pris avec le National-Vcrein des engagements 
1 aux nui le privaient désormais de sa liberté, c'était avec le 
u d'Oldenbourg qu'on aurait le plus de chance d'arriver à un 
Lltat sérieux, parce que le Duc, déjà souveram et parfaite- 
i libre, offrait des garanties véritables, ce que ne pouvait 
r a e son concurrent. D'un autre côté, il lui semblait neces- 
a -e de se concerter avec les représentants du pays pour s assu- 
l'avance de l'acceptation et de l'exécution des conditions 



■ le futur Souverain, 



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qui seraient stipulées a\'( 

« Nous considérerions, par consôc[uent,écrivait-il,comme une 
a.'^iiiarch émi emment propre à hâter une solution défini ive a 

0^^^^^^^^ des deux Duchés de Holstein et de S esvvig 

c iTe Seniblée qui serait appelée à se prononcer sur 1 avenu 
du pay et sur les vœux de la population en ce qui touche h;s 
liions nlus étroites à établir avec la Prusse. Si le pajs lui- 
ntr ttntC le Souverain futur, nous offraient des 
crdiUons acceptables, nos négociations avec Vienne sortiraient 






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L'ALLEMAGNE KOUVELLK. 



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de nouveau de leur état de stagnation, et nous croyons qu'il 
deviendrait plus facile au Gouvernement Impérial de tenir 
compte des intérêts de la Prusse, découlant de sa position géo- 
graphique et de la nature des choses, sans abandonner le 
terram sur lequel il s'est.placé. Nous désirons, en conséquence, 
nous entendre avec le Cabinet Impérial sur la convocation d'une 
Diète sleswig-holsteinoise et sur les négociations à ouvrir avet 
elle relativement à l'avenir du pays (1). » 

A la^ lecture de ces lignes, on serait tenté de croire qu'enfin 
le Cabiaet de Berlin avait reconnu la nécessité de clore le diffé- 
rend et de débattre loyalement avec l'Autriche les clauses d'une 
solution qui sauvegardât tous les droits et tous les intérèls 
Cependant- cette proposition n'était qu'un piège et une ma- 
nœuvre destinée à faire bon gré, mal gré, sortir le Cabinet de 
Vienne de la résistance passive contre laquelle venaient se bri- 
ser toutes les provocations. 

Le duc d'Oldenbourg, en effet, était un prince pour ainsi dire 
enclavé dans l'orbite prussien. Prêt à souscrire au programme 
de Berlin, il eût été dans les Duchés un Gouverneur Royal 
plutôt qu'un Souverain allemand. 

D'un autre côté, M. de Bismarck, en réunissant"les États des 
Duchés, étai.t parfaitement décidé à réserver la question de 
succession sur laquelle il les déclarait incompétents. Son princi- 
pal but, on le savait à Vienne, était de présenter tout d'abord à 
'Assemblée la note des frais énormes qui incombaient au Gou- 
vernement des Duchés, quel qu'il fût, et d'exploiter au bénéfice 
de la Prusse l'imprcssionjrès-pénible que devait nécessairement 
produire la revendication de sommes aussi considérables. Il 
voulait, à ces fins, réunir les dettes anciennes aux dettes nou- 
velles provenant des frais de guerre et d'occupation, et former 
de cet ensemble un chiffre écrasant qui eût figuré comme pris 
de l'autonomie, tandis que le Cabinet de Berlin eût fait valoir 
l'avantage, pour la population des Duchés, d'un dégrèvement 
absolu de toute dette et de toute obligation comme conséquence , 
naturelle d£ l'annexion. 

(1) IJépçclie do M. de Bismarck ai, baron de Werlher eadalo do Berlin, 
le n avril lobo. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



197 



Grâce aux nombreux partisans que la Prusse avait su acqué- 
,-,. parmi les notabilités du pays, grâce à cette alternative d'im- 
"'ts exorbitants ou d'un entier dégrèvement, il était permis 
Tespérer que l'idée de l'annexion sortirait du vœu parlemen- 
taire Mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, on savait à Vienne le 
secret de ces manœuvres, et, sans rompre en visière, on s'appli- 
qua à les déjouer. 

D'accord sur l'utilité de la réunion des États, d'accord sur 
les garanties et les avantages exceptionnels que réclamait la 
Prusse comme puissance limitrophe, on demandait seulement 
la question du Gouvernement des Duchés fût tranchée la 
première, et que le reste se fit ensuite d'après le droit fédéral. 
A Berlin, au contraire , on persistait à vouloir, avant que le 
GouYernement des Duchés fût établi, régler les conditions de 
,on existence vis-à-vis de la Monarchie prussienne. Un mstant 
on put croire la rupture imminente, chacune des deux Puis- 
sances se retranchant dans sa doctrine sans paraître vouloir faire 
deconcessioa. C'était précisément ce quedesiraitM.de Bismarck; 
mais cette fois-ci encore il dut renoncer à toucTier le but. Après 
trois semaines de résistance, l'Autriche céda petit à petit sur 
tous les points. 

L'occupation du port de Kiel par la marine prussienne fut 
considérée comme une mesure provisoire exécutée en vertu du 
droit de copossession et d'accord avec les deux Gouvernements. 
La convocation des États des Duchés fut acceptée telle ciue la 
voulait la Prusse et d'après la loi électorale qui lui convenait. 
Le comte de Mensdorff avait demandé qu'au moins les Puissances 
se missent d'accord sur les propositions à soumettre à la future 
assemblée. M. de Bismarck refusa, et à Vienne on renonça a 
cette proposition. Enfin, le Ministre prussien, à bout d'exigences, 
demanda péremptoirement que le Prince Frédéric d'Augusten- 
bourg quittât le territoire des Duchés pendant la réunion des 
États - Son influence personnelle, disait-il, et les intrigues de 
ses partisans détruisaient la parité des situations vis-à-vis des^ 
autres prétendants.-» Mais, disait-on àVienne, il y aun moyen 
bien plus simple et plus légal de rétablir cette parité; c est 






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198 



L'ALLEMAGNE NOCVELLE. 



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d'inviter les autres prétendants à venir comme lui plaider leur 
cause devant les États et devant les populations. » — 

— « Non, répondait-on brusquement k Bei-lin, nous voulons 
qu'il s'éloigne pendant toute la session des États. » — 

Le Gouvernement autrichien n'insista pas et se contenta de 
demander un sursis à cause des Chambres. Décidément il 
n'était pas possible de rompre avec une apparence de raison. Lfl 
minisire prussien ne pouvait trouver ni créer un seul argument 
pour battre en brèche cette alliance si gênante, de son Roi elde 
l'Empereur, qui paralysait ses entreprises.L'Autriche ne refusait 
rien, mais la question ne marchait pas. 

C'est qu'en réalité toutes ces condescendances du Cabinet de 
Vienne étaient plus apparentes que réelles, et les résistances | 
dont il ne prenait pas ouvertement la responsabilité, il s'arran- 
geait de façon à les faire naître à P^rancfort sur le terrain fédé- 
ral. Nous avons dit plus haut pourquoi la Prusse tenait à ce 
que les États réglassent les conditions politiques des Duchés 
avant d'en choisir le souverain. M. de Bismarck voulait établir le 
dilemme suivant ;'— Ou la misère avec une dette écrasante, etun 
Prince ruiné ; ou la richesse et la prospérité sans dette, avec le 
Roi de Prusse pour souverain et bienfaiteur. — 

C'était pour pouvoir poser la question en ces termes tpi'il 
avait tenu à la poser seul. 

L'Autriche avait cédé; mais en même temps la Bavière, la 
Saxe, la Hesse-Grand-Ducale manifestaient l'intention de propo- 
ser à la Diète de renoncer au remboursement des frais d'exé 
cution dans le Holstein et le Lauenbourg et de se charger dei 
frais de la guerre touchant le Sleswig. 

Amsi tombait tout le prestige de l'argument prussien ; ainsi 
disparaissait ]a pression que devait exercer sur les États et sue 
le peuple des Duchés, le fameux dilemme si durement élaboré à 
Berlin. Comme on le voit, les condescendances de l'Autriche 
n'avaient pas été aussi complètes qu'elles paraissaient l'être, et 
Ja réunion des États n'offrait plus à la Prusse tous les avantages 
qu'elle avait espéré en tirer. La situation n'était encore ni assez 
mûre ni assez tendue. Il fallait la compliquer de quelque clé- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



-199 



leut nouveau, pendant que les syndics de la Couronne de Ber- 
,. jgeouvraient et étudiaient les droits primordiaux en vertu 
b^nuels de tous les prétendants au trône des Duchés, le Roi 
Je Prusse était le seul légitime et sérieux. 

11 se passa alors dans les Duchés un fait qui fut exploite par 
1 .3 deux Puissances rivales et donna encore une fois la mesure 
le leur antagonisme. Traqués par les fonctionnaires allemands, 
noiu'suivis dans les villes et les campagnes., chassés de tous les 
emplois, persécutés jusque dans leurs écoles, leurs églises et 
leurs familles, les malheureux habitants du Sleswig septentrio- 
nal Danois de race, de mœurs , de langue et de sentiments, se 
souvinrent que la France et l'Angleterre avaient toujours pro- 
le^i' contre le déchirement violent de leur nationalité. Et, dans 
le paroxysme de leurs souffrances, ils osèrent, là sous les yeux 
,1e leurs vainqueurs, tourner vers la Franco un regard sup- 
pliant, et envoyer à l'Empereur Napoléon un véritable cri de 

détresse. 

Des pétitions couvertes de signatures, circulèrent dans la 
province ; mais cette démonstration dut s'arrêter, à son début, 
devant l'impossibilité pour les représentants français de recevoii' 
el fie transmettre ces documents. Aussi fut-on assez surpris en 
France d'apprendre plus tard que ce simple incident, non suivi 
d'exécution, arrêté dès le premier jour par le respect des lois 
iplernationales, avait néanmoins suffi au tribunal de Flens- 
bourg pour poursuivre tous ceux qu'on soupçonnait d'y avoir 
participé et pour les frapper d'une condamnation draconienne. 

L'attitude essentiellement correcte du Gouvernement français 
en face d'une démonstration faite à son insu, et à laquelle il 
était demeuré parfaitement étranger, lui donnait le droit do 
demander aux Puissances allemandes qu'on n'appliquât pas aux 
inallieureux Danois du Sleswig la pénalité rigoureuse du crime 
de liante trahison. La demande fut faite et accueillie à Vienne 
comme à Berlin avec beaucoup d'empressement. De part et 
d'autre, on promit d'envoyer aux commissaires austro-prussiens 
dans les Duchés des instructions conciliantes pour adoucir les 
effets d'une procédure locale cruelle et passionnée. Malheureu- 
sement MM. les commissaires étaient dans un tel désaccord C|u'ii 



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L'ALLBMAGNE KOUVELLI'. 



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suffisait que l'un voulût une chose pour que l'autre voulût le 
contraire, et pendant ce temps les fonctionnaires allemands per- 
sécutaient à leur aise tout ce qui n'était pas de sang ou de cœiiF 
tudesque. 

Il fallut donc revenir à la charge, et le comte de Measdorï, 
dont l'esprit élevé et chevaleresque ne se prêtait ni auxwa- 
geances ni aux abus, n'hésita pas à renouveler à M. deHalbhiJta' 
l'ordre d'employer son autorité et son crédit en faveur te 
condamnés, et d'obtenir que la Cour d'appel, profitant d'un vite 
de forme qui lui avait été signalé, cassât le jugement du tribu- 
nal de Hensbourg. Il le prévenait en même temps que si, conte 
son attente, le jugement de Flensbourg n'était pas réforme, 
l'Empereur d'Autriche était décidé, en ce qui le concernait, à S 
arrêter l'exécution par un acte de grâce souveraine. Et poil 
éviter tout délai, il informait le Cabinet de Berlin de eettedéii 
sion, afin que, le cas échéant, il pût s'y associer sans retard. •_ 

Or, le même jour, on donnait à Berlin des assurances anî' 
logues ; mais, pour expliquer le retard pendant lequel les persé- 
cutions avaient suivi leur cours, on déclarait que le commissaii| 
autrichien en était seul responsable , ayant refusé de souscn 
aux mesures de clémence dont son collègue le baron de Zedli 
avait voulu prendre l'initiative. Le conflit entre ces deuxpCl 
sonnages était d'ailleurs à l'état de permanence, et tous 
reflétaient avec exactitude l'état anormal des relations de leuf 
Goiivernenaents respectifs. Ce n'était qu'une suite non-interroffl" 
pue do plaintes et de récriminations quotidiennes, de rappi'i* 
accusateurs que les Cabinets se transmettaient, avec force dé- 
mentis et protestations. 

Un jour (le 19 mai), il arriva à Vienne un rapport officiel il^' 
M. de Zedlitz, accusant M. de Halbhûber d'avoir tenu en publ"^ > 
le propos suivant : — « Nous finirons par faire sortir les Prussiens 
d'ici, et de tout cela il ne leur restera qu'une seconde huffli'i'' 
tion pareille à celle d'Olmûtz. » — A l'instant même, M-* 
Halbhûber était interpellé par le télégraphe et répondait en dé- 
clarant sur l'honneur n'avoir jamais dit cette phrase ni quoi qi" 
ce fût de semblable ou qui en eût le sens. Au document offi* 
de BerUn on opposait une dénégation officielle. — « C'est to" 



L'ALl-EMAGNE NOUVELLE. 



201 



HMf ài^ult avec douceur le comte de Mensdorff, d autant 
tr tue M Halbhûber est véridique. » - 

'' TRerlin on était beaucoup plus vif, et le Ministre prussien 
m na-éait plus ses adversaires ni dans son langage m 
Is sa «ondance. Les Journaux de Bavière et de Saxe 
nta a ent à lui porter sur les nerfs, et les Cabinets de Mu- 
Xt de Dresde en avaient ressenti les effets en se voyant de 
-, nart l'obiet de menaces formelles. 

ne tous côtés, en Allemagne, on paraissait s'entendre pour con- 
„.parrer ses projets. La question en elle-même ne faisait plusun 
n rition devenait impossible. 11 fallait en sortir a 
Ci prix Le Ministre prussien résolut de frapper un grand 
ou, et de rompre avec la Diète de Francfort, suivi de 1 Au- 
3ie si elle y consentait, seul si l'Autriche s y refusait. 






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Convention de Gastcin. 



Annexion du Duclié de Lauenbiurg 
à la Prusse. 



On était arrive au mois de juin 1863. Le Grand-Duc d'Oldeti- 
bourg avait protesté d'avance contre toute résolution des futurs 
Etats Ca convoquer dans les Duchés) qui préjugerait la queslioa 
des droits de succession. M. de Bisnaarcti se hâta de Je rassurer, 
et le 9 juin il adressait au Prince d'Ysenbourg, ministre de 
Prusse auprès du Grand-Duc, une dépêche qui se tcrniiuait 
ainsi : -« Les sentiments connus de S. M. le Roi, notre gracieux 
maître, doivent être pour S. A. R.. le Grand-Duc une garantie 
que sa confiance en la protection invoquée en faveur de ses' 
aroits, en tant que ceux-ci existent ou pourront être prouvés, 
ne sera pas déçue.. Vous êtes autorisé à laisser copie de cette 
dépêche à M. le ministre du Grand-Duc. >- — 

Or, il faut se rappeler qu'au moment même où M. de Bismarck 
donnait cette assurance au Grand-Duc d'Oldenbourg les syn-. 
dics de la Couronne avaient l'ordre de déclarer ses droits sans 
valeur, et de proclamer ceux du Roi de Prusse. Il était vraiment 
dii icile de se moquer d'un Prince avec plus de désinvolture et 
de_ e tromper avec plus d'aisance. La dépêche, il est vrai, conte- 

Pxistent'^'f" '"''' ' "'? l '^'''" '^^^^ = - « ™ t^'nps 1»e CCS droits 
existent ou pourront être prouvés. » - Mais cette réserve était 

sans importance aux yeux du Grand-Duc, par suite des négocia- 



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L'ALLliMAGNK KOUVELLE. 



203 



lions directes qui se poursuiraient entre lui et le Cabinet de 
Berlin, en dehors et à l'insu de l'Autriche. Le Grand-Duc d'Ol- 
deiibou''? servait à combattre et à éloigner le Prince Frédéric 
rt'Augustenbourg, et tant qu'il pouvait servir, il fallait lui laisser 
croire qu'il était le candidat prussien. De là ces négociations 
-ecrètes ou soi-disant secrètes, dont le Cabinet de Vienne ne tarda 
pas à avoir connaissance, et qu'il considéra comme une ma- 
nœuvre déloyale. Ce fut pour ainsi dire le premier grief de ce 
«enro qu'on parut ressentir à Vienne avec une véritable amer- 
jjjujg_ „_ Jusqu'ici, disait le comte de Mensdorfr(:'4 juin] on 
nous a combattus à Berlin ; aujourd'hui on commence à nous 
Iromper ; c'est mauvais signe. » — 

C'est que, résolu à provoquer coûte que coûte une phase d'ac- 
tion nouvelle, le ministre d'État prussien faisait, comme on dit 
viil^ement, flèche de tout bois. Déjà son regard dépassait les 
frontières germaniques, et il se préoccupait des sympathies 
de l'étranger, prévoyant peut-être que bientôt il allait avoir be- 
soin du silence ou de la complicité des Puissances européennes. 

On s'était ému à Paris et à Londres du sort de ces malheureux 
Danois du Sleswig septentrional, agrégés violemment à l'AUc- 
nwne et persécutés par les autorités allemandes. M. de Bis- 
marck, bien loin de défendre ces fonctionnaires, lés soumit 
aussitôt à une enquête sévère, proposant à l'Autriche de nommer 
deux commissaires extraordinaires pour vérifier les faits et re- 
dresser les torts. Le prince de Hohcnlohe, chargé de cette mis- 
sion, partit de Berlin pour les Duchés,- muni de pouvoirs éten- 
dus. Mais ainsi que nous l'avons dit plus haut, le Gouvernement 
autrichien se sentait trompé et restait sur la réserve. Il avait été 
informé que l'enciuête n'était qu'un prétexte, et qu'en réalité la 
campagne du prince de Ilohenlohe avait un tout autre but. Il 
refusa donc de s'y associer. 

Nous aurons l'occasion de revenir plus tard sur cette mission 
cl d'en définir le caractère. En refusant d'y coopérer, le Cabinet 
de Vienne tentait d'inaugurer une politique nouvelle, et à partir 
de ce jour, il se fit un temps d'arrêt dans les pourpaiders réci- 
proques. 

La lassitude avait gagné le Gouvernement Impérial, il ne 



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204 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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croyait plus à la sincérité des ministres prussiens; il voyait les 
discussions tourner en chicanes, et reconnaissant l'impuissance 
de toutes les procédures diplomatiques ou juridiques à travers 
lesquelles il s'était attardé depuis neuf mois, il songeait désor- 
mais à des transactions plus directes, voulant trancher par des 
concessions réciproques entre les deux Souverains le nœud d'une 
situation qui ne faisait que se compliquer, en se prolongeant. 

Cet état des esprits, bien légitime après la succession non in- 
terrompue des inutiles condescendances de l'Autriche, était le 
véritable prélude de la triste convention qui devait, deux mois 
plus tard, se signer à Gastein. 

On était arrivé à la fin de juin, et comme l'année précédente, 
le Roi de Prusse était établi depuis le 21 , à Carlsbad, oîi il devait 
passer quelques semaines avant de se rendre à Gastein. La petite 
ville de Bohême avait vu revenir, en grand nombre, tous ses an- 
ciens hôtes de 1864 ; mais qu'il y avait loin de cette attitude nou- 
velle aux expansions du dernier printemps ! On parlait bien 
d'une entrevue des deux Souverains, mais non plus à Carlsbad; 
c'était à Gastein ou à Salzbourg, disait-on, que les Princes se 
rencontreraient plus tard. 

Quant au Roi, il était plus réservé et paraissait préoccupé. 
Son entourage aussi, peut-être plus nombreux qu'en 1864, avaï 
des allures plus froides, plus roides, et ne se composait guère 
que de généraux ou de colonels. Ils vivaient entre eux, voyaient 
peu les Autrichiens, davantage les étrangers, et de temps e« 
temps disparaissaient pour revenir après de courtes absences- 
Ils allaient, dit-on, dans la campagne de Bohême, relevant le 
territoire, rectifiant les cartes, étudiant les routes et les cours 
d'eau, et recueillant ainsi les éléments des cartes militaires qni 
devaient quelques mois plus tard leur servir à envahir le paj's- 
On se souvint, en effet, après la campagne de1'66, de ces 
courses d'Etat-Major et des travaux topographiques, dont alors 
les paysans ne soupçonnaient pas le but ; on se souvint de tous 
ces artistes peintres ou photographes, de tous ces colporteurs, 
de tous ces marchands, de tous ces régisseurs, de tous ces 
domestiques venus du Nord, qui s'établissaient en Bohème et 
riilloanaient en tous sens les routes qui menaient à Prague età 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Vienne, Carlsbad leur servait de quartier général et on y tra- 
■aillait'avec la plus grande activité ; car à ce moment la guerre 
avec l'Autriche était déjà irrévocablement arrêtée. 
' Dans sa demeure solitaire d'Helenen-Hof, au sommet de la 
colline qui dominait la ville, M. de Bismarck paraissait attendre 
avec impatience l'heure de la rupture, rupture encore lointaine 
mais certaine, quelles que fussent les négociations et les con- 
ventions qui devaient la précéder. 

Il ne cachait ni son mécontentement du présent, ni ses inquié- 
tudes ou plutôt ses résolutions pour l'avenir. C'était assez son 
habitude alors d'étonner ses interlocuteurs par la hardiesse de son 
langage, à ce point qu'il passait à Vienne pour dire plus qu'il ne 
pensaU.'ll eut été difficile, en efîet, de penser plus qu'il ne disait. 

_ A l'entendre, la situation s'était grandement modifiée depuis 
ramée dernière, en ce sens que les rapports de la Prusse et de 
l'Autriche s'étaient considérablement refroidis, et il ne voyait 
rien qui fût de nature à les rendre meilleurs. D'après les der- 
niers rapports venus de Vienne, il avait lieu de croire que le 
Gouvernement autrichien n'attachait plus d'importance à la con- 
vocation des États dans les Duchés, et préférait, faute de mieux, 
continuer le système provisoire du condominium, bien que cet 
état de choses fût une source de conflits qui ne pouvaient que 
s'aggraver avec le temps. 

I e Cabinet de Berlin était irrévocablement demie, à faire dans 
les' Duchés des choses que l'Autriche ne pouvait ni permettre, ni 
toîcrîr ; il ne comptait s'arrêter, ni devant des protestations, ni 
devant des menaces, ni devant aucune autre forme do résistance. 
L'accord des deux puissances ne pouvait donc subsister qu'à 
la condition que l'Autriche cédât sur tout, car pour la Prusse 
elle était résolue à ne céder sur rien ; et comme il était peu 
probable que l'Autriche consentit, sans y être forcée, à ce degré 
de condescendance absolue, il était naturel de prévoir qu'à un 
moment donné les alliés d'aujourd'hui deviendraient des enne- 
mis Quant à lui, il était tellement convaincu de cette probabi- 
lité' qu'il avait déjà pris et continuait de prendre des mesures à 
cet 'effet L'armée prussienne était prête et pleine d'ardeur, ses 

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206 



L'AIJ.EMAG-\li NOUVELLE. 



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approvisionnements étaient complets, et les voies et moyens 
tout préparés, savoir : encaisse suffisant pour commencer, el 
un crédit déjà stipulé avec qui de droit pour pouvoir contimiiT 
sans embarras. II n'entendait pas dire par Là qu'il désirât la 
guerre, non, ou ne doit jamais préférer la guerre à la paix; ce- 
pendant il ne pouvait se dissimuler que la guerre aurait pour 
résultat de mettre le Gouvernement du Roi de Prusse bien plus 
à l'aise, en lui donnant ses coudées franches dans une question 
qu'il était décidé à trancher coûte que coûte, dans le sens de ses 
intérêts politiques . 

L'alliance do l'Autriche n'avait été pour la Prusse qu'une 
gène et un embarras depuis le premier jour de la campagne. 
Elle n'avait absolument servi à rien et elle devenait aujourd'hui 
un obstacle que tout Prussien se sentait impatient d'écarter. 
Seule, la Prusse eût déjà fait accepter depuis longtemps à l'Alle- 
magne la solution qu'elle était en droit d'exiger, et cette opinion 
publique contre laquelle il se voyait obligé de lutter, n'était L, 
SCS yeux qu'une agitation factice qui ne devait sa force appA 
rente qu'à la protection dont l'Autriche la couvrait si mal à pro^ 
pos. Grâce à ces manœuvres du Cabinet de Vienne, il avait été 
embarqué dans un système de rigueurs déplorables contre les 
Danois du Sleswig septentrional, n'osant pas, dans un moment 
aussi critique, braver les préjugés allemands surexcités dans 
tous les centres populaires de la Confédération. Il était le pre- 
mier à reconnaître combien la conduite des autorités ducales 
envers les Danois du Sleswig était injustifiable. La mission du 
prince de Hohenlohe l'avait parfaitement éditié sur ce point, et 
d'après les rapports du prince la persécution des employés contre 
la population danoise dépassait de beaucoup tout ce que les 
Danois avaient jadis fait souffrir aux populations allemandes. In- 
terdiction de la langue paternelle, arrestations arbitraires pour 
le chant des hymnes patriotiques ou pour le port des couleurs 
prohibées, tout l'arsenal enfin de ces tracasseries, pour ainsi 
dire traditionnelles, par lesquelles les pouvoirs antipathiques se-.. 
vengent sur les citoyens, de l'éloignement qu'ils leur inspiren«il| 
voilà ce que le prince avait constaté_ dans les Duchés,. voilà le 
système d'intimidation que pratiquaient à l'envi les partisans. 



L'AI.LEMAGNK KOCViai.K. 



du prince Frédéric d'Augustcnbourg, secondés par le commis- 
saire autrichien, M. de Halbhûber ! 

Quant à lui, il lui tardait de se dégager d'une solidarité aussi 
compromettante. Il voulait absolument sortir de cette fausse si- 
tuation, fût-ce même au prix d'une rupture éclatante, s'il ne 
pouvait recouvrer autrement la liberté de ses mouvements. 
Qu'importait à la Prusse la zone danoise du Sleswig sptentrio- 
iml?Apart la position de Dûppel C[ue le Roi voulait conserver 
pour des raisons stratégiques, la Prusse n'avait aucun intérêt à 
séparer du Danemark des communes qui étaient essentiellement 
danoises et dès que la rupture avec l'Autriche serait un fait ac- 
compli, le Gouvernement du Roi n'hésiterait pas à prendre l'ini- 
liative de cette rétrocession.L'intimité des relations personnelles 
des deux souverains, et les liens d'aifection qui les unissaient 
ciroitement ne pouvaient arrêter la marche des événements.- 
On parlait d'une entrevue prochaine ; elle était en effet pro- 
bable et à peu près certaine ; mais la ligne politique du Cabinet 
de Berlin était désormais irrévocablementfixée. Aucune influence 
ne pouvait la faire dévier. 

Grâce au ciel, le Roi actuel n'était pas comme son prédéces- 
seur disposé à accepter en présence do l'Empereur d'Autriche le 
rang secondaire d'un Électeur de Brandebourg. C'était un vrai 
Roi de Prusse, servi par de vrais Prussiens; la Cour de Berlin, 
les ministres, la nation entière n'avaient qu'un même sentimejil 
sur les destinées nécessaires de la Prusse et tous voulaient le 
réaliser ou périr à l'œuvre. L'Autriche devait savoir maintenant 
ce que voulait la Prusse : — « Si elle veut rester notre alliée, elle 
doit nous faire place. » — 



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Tel était le langage que tenait M. de Bismarck en juin 1 863 aux 
éli'angers qui le consultaient ou qui l'écoutaient pendant que le 
Roi suivait le traitement et achevait sa saison de Carisbad. 

Il se disait animé à l'égard des Danois du Sleswig des inten- 
tions les phjs libérales ; il protestait avec toute l'Europe contre 
les persécutions allemandes et en rejetait la responsabilité sur 
le commissaire autrichien et sur le parti d'Augustcnbourg. 

Ce n'était pas complètement vrai. Le prince Frédéric et le 



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208 



L'ALLEMAGNE NOUVELLK. 



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commissaire autrichien cherchaient tous deux leur point d'i 
pui près de la Diète de Francfort et des Etats allemands. Ils 
évitaient autant que possible de leur déplaire et so montraieni 
pleins de condescendance pour leurs axigencos et quelquefois 
même pour leurs rancunes. Aussi déployaient-ils, en réalité, 
contre les Danois, certaines rigueurs dont la Prusse n'avait aucun 
souci. Le Cabinet de Berlin, au contraire, bien résolu à tonl 
prendre, voyait dans le parti d'Augustenbourg-et dans la Confé- 
dération germanique des adversaires à combattre, et il se préoc- 
cupait déjà de préparer l'opinion publique à ses projets d'an- 
nexion, en les combinant avec la rétrocession des populations 
danoises au Danemark, sacrifice d'apparence qu'il croyait né- 
cessaire pour arriver à ses fins. L'indignation simulée du mi- 
nistre d'État prussien était donc toute de circonstance et non pas 
un effet de son respect pour la nationalité des victimes. Aucune 
puissance, au contraire, n'avait poussé plus loin que la Prusse 
la rigueur du système de germanisation forcée contre lequel elle 
paraissait protester à Carlsbad, et les Polonais du Duché de 
Posen subissaient encore à cette môme époque ce que M. de 
Bismarck appelait — « tout l'arsenal des tracasseries traditionnel- 
les par lesquelles un pouvoir antipathique se venge sur les 
citoyens de l'éloignement qu'il leur inspire. » — La suite des 
événements sert d'ailleurs de pierre de touche, pourapprécicra 
sa juste valeur les déclarations de juin 1865. Elles durèrent aussi 
longtemps que durèrent les obstacles avec lesquels la Prusse 
dut compter, c'est-à-dire jusqu'à l'heure de sa rupture définitive 
avec l'Autriche et avec l'Allemagne. 

Mais du jour où par suite de la guerre, les Duchés furent entre 
ses mains, il ne fut plus question de la rétrocession des popula- 
tions danoises. Plus tard, quand la paix de Prague se négocia 
en4 86G sur les préliminaires que la France médiatrice avait fad 
accepter aux belhgérants, on se souvint à Paris des sentiments 
qu'un an auparavant, M. de Bismarck avait témoignés si haute- 
ment en faveur des malheureux Danois. Un articlc'V fut intro- 
duit dans le traité de paix. Il le fut à la demande do la France, 
d'accord avec la Prusse et l'Autriche. 11 était ainsi conçu : 



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L'ALLKV'AGNE KOlIVKI.I.i;. 



2O9 



.j,( 5^ S. 11. l'Empereur d'Autriche transfère à S. M. le 

Roi de Prusse tous les droits que la paix de Vienne, du 3u octo- 
Jè )864, lui avait reconnus sur les Duchés de SIeswig et de 
Wolàein' meo cette réserva que les populations des districts du 
X HlduSleswig seiV'i de nouveau réuni: s au Danemark si elhi en 
apriinent le dé4r,par un vote librement émis. » 

Et au bas de ce traité, les signatures des deux souverains scel- 
iTCQtde la foi royale cette promesse solennelle, de rendre au 
Danemark ses enfants qu'on en avait arrachés violemment. 

Or la promesse n'a jamais été tenue. L'article 5 du traite de 
paix est resté lettre morte. 

La Prusse, en l'acceptant, n'avait jamais eu la pensée de l'exé- 
cuter- ce qui était bon à dire en 1865, alors qu'il s'agissait de 
prendre; ce qui était bon à promettre en 1866, alors qu'il s'a- 
lissait de faire sanctionner la conquête, tout cela était bon à 
répudier quand la conquête fut assurée. 

Voilà ce que valent aujourd'hui les traités dans le droit mc- 
derne des nations allemandes. 

Revenoas maintenant aux déclarations prussiennes qui se fai- 
saient à Carlsbad en juin 1865. Elles formaient, comme on le 
voit un programme clair, net, brusque dans son apparente fran- 
chise, presque sinistre, car il ne laissait au Cabinet de Vienne 
il'autre alternative que de se battre ou do faire place. L'Autriche 
iiefitni l'un ni l'autre. 

C'était d'ailleurs l'heure des confidences dans l'entourage du 
• Roi et les officiers de sa suite n'imitant plus la réserve de leur 
maître, ne se gênaient pas pour exprimer tout haut leurs opi- 
uions personnelles. Le plus en évidence était le général de Man- 
leufîel, qui devait sous peu de jours se rendre à Vienne, pour 
V taire sa visite militaire avant d'aller prendre le commandement 
du corps d'occupation des Duchés. Sonlangage, déjà fort remar- 
qué en ce temps-là, le sera bien plus encore après douze années 
d'intervalle, qui permettent au lecteur de constater avec quelle 
lidélité il était l'expression complète de la doctrine prussienne, 
et jusqu'à quel point les événements ont répondu à son attente. 
Pour bien en apprécier la portée, il ne faut pas perdre de vue 
(lu'à cette époque le Roi de Prusse et ses conseillers étaient on 



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L'ALLliSlAGNE NOUVELLE. 



lutte ouverte avec la représentation nationale. Depuis longtemps 
déjà le désaccord était à l'état permanent au sujet du budget 
militaire, le Parlement de Berlin refusant les subsides, et le 
Gouvernement passant outre, percevant les impôts par décrets 
royaux. A Vienne, quelque chose d'analogue commençait à se 
produire, et le Cabinet se trouvait en présence d'une résistance 
parlementaire qui menaçait de devenir intraitable. II avait de- 
mandé 116 millions de florins, on lui en accordait 13, et on ac- 
compagnait le vote de considérations si sévères, qu'il était dif- 
ficile pour im ministère de survivre à un blâme ainsi formulé. 
Or, voici ce que disait à ce sujet le général de Manteuffel : 



— Le Cabinet de Vienne, selon lui, conduisait l'Autriche à sa 
ruine par ses condescendances envers le Parlement ; l^'Empercur 
François-Joseph courait en aveugle aux bords du précipice. Il était 
temps d'opposer la croisade des Rois k la croisade des Peuples. 
Les souverains devaient s'entendre pour renverser, le même 
jour, d'un vigoureux coup de pied, leurs ridicules constitutions 
et chasser leurs chambres insolentes. Si on manquait d'argeni, 
ce n'était pas en bavardant dans un Parlement qu'on en trou- 
verait ou qu'on en ferait venir dans le pays. Il n'y avait pour 
en trouver qu'un seul moyen pratique, et c'était la guerre, la 
guerre chez les autres. Partir à la tête de son armée, et aller 
prendre chez ses voisins ce qu'il faut à son armée et à son pays. 
Cela s'était fait de tout temps, et c'était le seul moyen de rame- 
ner en Allemagne l'ordre et le repos. — 



IS'est-il pas étrange de rapprocher ce programme politique, 
financier et militaire, des faits qui plus tard lui ont servi de 
sanction ? 

Après un séjour de quelques semaines, le Roi Guillaume et la 
colonie prussienne quittèrent Carlsbad pour se rendre à Gastein 
où Sa Majesté devait, vers le 1 9 août, recevoir la visite de l'Em- 
pereur d'Autriche. 

Pendaat ce temps, il se passait à Vienne d'assez graves inci- 
dents. Ainsi que nous l'avons fait pressentir, le ministère, frappe 
par un vote de blâme, se retirait en partie, sacrifiant aux exi- 



L'ALLKMAGNK KOUVELIJÎ. 



211 



ces de l'opinion publique ceux de ses membres contre les- 
"™is elle s'était le plus ouvertement prononcée. Le comte Bel- 
Tedi remplaçait M. de Schmerling au ministère d'État, et le 
ite Lariscii M. de Plener aux finances. C'était la lin du sys- 
tème centraliste allemand dont M. de Schmerling avait fait son 
nroTamme absolu. C'était la revanche du comte de Rechberg, 
La qu'il ne fit pas partie de la nouvelle combinaison ministé- 
ielle. Ce mouvement, administratif plutôt que politique, ne de- 
" 't pas avoir pour conséquence de modifier sensiblement l'at- 
ttode de l'Autriche dans la question des Duchés ; il n'était pas 
cependant sans importance, car il faisait revivre dans les con- 
seils de la Couronne les éléments non germaniques qui en 
avaient été bannis du temps de M. de Schmerling. Sous ce rap- 
Dort le Gouvernement autrichien rentrait, jusqu'à un cei>tain 
Boint dans la vérité de sa constitution, et donnait une appa- 
Lce de satisfaction aux Hongrois, aux Polonais, aux Slaves et 
aux Tchèques qui depuis longtemps avaient cessé d'exister poh- 
liquement. A l'esprit absolu et doctrinaire des anciens conseil- 
lers succédaient un esprit de transaction soi-disant libéral, et 
d'abondantes promesses de conciliation. C'était, disait-on, un 
premier pas vers l'union réelle de toutes les provinces de l'Em- 
Bire allemandes et non allemandes; mais sur quelles bases 
cette union devait-elle s'établir? C'est ce que le nouveau Cabinet 
eût été bien embarrassé de dire. Aussi ne le fit-il pas d'une 
manière lucide, et les réserves dont il entoura ses premières 
déclarations, tout en promettant de respecter autant que possi- 
ble la constitution en vigueur, indiquaient suffisamment que si 
la force des choses devait plus tard amener quelque change- 
ment ce ne serait pas au profit des chambres ni de l'élément 
démocratique. Les vrais champions du parlementarisme na- 
vaient pas été écartés pour rien. 

Or c'était précisément dans les chambres et dans I élément 
démocratique que les idées allemandes de la Diète de Franc- 
fort trouvaient en Autriche leur principal point d appui. C était 
là qu'il fallait chercher les partisans du Prince d'Augusten- 
bour- Du moment où le Parlement perdait de son mAuence, il 
était facile de prévoir que le Cabinet de Vienne ne tarderait pas 



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I/ALLEMAGMî KOIiVELLK. 



à s'éloigner de )a Diète pour rechercher avec la Prusse une so- 
lution à deux, plus facile et plus avantageuse. C'était contraire 
à toutes ses promesses, à tous ses engagements; mais depuis 
quelque temps déjà, la nouvelle doctrine dont nous avons défini 
les principes, faisait dans les esprits des progrès journaliers. 11 i 
était à peu près impossible de rester l'alliée de la Prusse sans 
devenir sa complice ; l'Autriche s'y résigna sans trop de diffi- 
cultés. ' 

Pendant que ces événements se passaient à Vienne, les Etats 
allemands indépendants de la Prusse avaient compris la néces- j 
site de s'affirmer par un acte collectif, avant la réunion projetée | 
des États ducaux à Kiel. En conséquence, la Bavière, la Saxe el 
la Hesse Grand-Ducale présentèrent à la Diète de Francfort, 
dans la séance du 27 juillet, une proposition pour lui deinander 
de décider les trois points suivants, par une résolution fédérale: 

4" Représenter à la Prusse et à l'Autriche la nécessité de con- 
voquer une représentation générale des duchés de Holstein et de 
Slesvvig, issue d'élections libres ; 

2' Demander aux dits gouvernements de faire en sorte que le 
duché de Sleswig fût admis dans la Confédération germanique; 

3° Déclarer que la Confédération était prête à renoncer au 
remboursement des frais d'exéoution concernant le Holstein el 
le Lauenbourg, et à prendre à sa charge les frais de la guerre 
pour le Sleswig. 

Nous avons déjà expliqué la portée de ce troisième article, qui 
avait pour but do déjouer une des manœuvres à l'aide des- 
quelles M. de Bismarck espérait faire prévaloir dans les Duchés 
les idées d'annexion. Aussi la motion du 57 juillet produisit- 
elle un effet contraire à celui pour lequel elle pai'aissait avoir été 
combinée. Loin de hâter la convocation des États, elle refroidit 
considérablement le Cabinet de Berlin à ce sujet, et il mit d'au- 
tant moins d'empressement à s'en occuper, qu'il ne pouvait plus^> 
en tirer tout le parti qu'il avait espéré. T 

De son côté, le prince Frédéric d'Augustenbourg se voyant 
abandonné de la Prusse et fort médiocrement soutenu par l'Au- 
triche s'était jeté dans les bras de la démocratie allemande, et 
parcourait le pays en y devenant de plus en plus populaire. Il 




10 11 12 13 



L'ALLESIAGM-: iNOUViaLK. 



243 



l'avaitpas non plus négligé les Gouvernements étrangers et s'était 
'■n'ïasé vis-à-vis d'eux à la rétrocession immédiate des communes 
danois au Danemark. De telle sorte que son parti devenait as- 
J2 puissant pour préoccuper sérieusement le Gouvernement 
li^^ieû. Le Roi Guillaume lui avait écrit pour lui dire de s'éloi- 
!aeretil avait refusé d'après l'avis presque unanime de tous les 
princes allemands confédérés. Donc, de ce côté, il se préparait 
aussi quelque mesure extrême. 

' Cependant le Roi de Prusse avait quitté Carlsbad, et s'était 
rendu à Gastein d'où il devait, plus tard, aller à la rencontre de 
l'Empereur d'Autriche. M. de Bismarck l'y avait suivi et y avait 
conféré en présence de Sa Majesté avec le ministre d'État de Ba- 
vière M. 'Von der Pfordten, qui passait alors pour le chef du 
parli' confédéré. L'entretien des deux ministres mérite d'être 
rapporté ; ce fut le dernier acte de discussion qui précéda la 
convention de Gastein. 

M. de Bismarck déclara au ministre bavarois que la Prusse 
aait irrévocablement décidée à éloigner des Duchés le prince 
Frédéric d'Augustenbourg et à employer, au besoin, la force 
I,;,ur y parvenir si cela devenait nécessaire. M. de Pfordten ayant 
nlijecté que l'Autriche pourrait s'opposer à cet acte de violence, 
.y. (le Bismarck répondit que, dans ce cas, le conflit prendrait 
lu'ccssairement un caractère plus grave, mais qu'il l'accepterait 
d n'en accomplirait pas moins l'expulsion du prince. La Bavière 
pouvait d'ailleurs rendre un grand service à l'Allemagne en s'in- 
terposant entre les deux Puissances, pour amener l'Autriche à 
consentir formellement l'éloignement du prétendant, condition 
sine quànon de tout accord préalable. Le Cabinet de Berlin dé- 
dirait mettre un terme à ces divergences dont les proportions al- 
laient chaque jour grandissant, et qui devenaient fort menaçan- 
|'c3- il était même disposé à faire certaines concessions pour 
laci'liter une entente; mais il fallait, avant tout, que le prince 
d'Uigustenboiirg fût éloigné et qu'on fit disparaître son gouver- 
nement occulte,' mais réel, qui de fait, régnait dans les Duchés 
plus que ne le faisaient les puissances copropriétaires. Le Roi 
avait écrit lui-même au prince pour l'inviter à s'éloigner, et ce- 
lui-ci avait répondu à Sa Majesté qu'il ne croyait pas pouvoir 



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L'ALLEMAG-NK ÎVOUVHI.LE. 



obtempérer à cette invitation; il jie restait donc plus qu'à k 
chasser. Tout en assurant le ministre bavarois de son désir de 
l'onciliafion, M. de Bismarclc lui avait déclaré que, sans cher 
cher la guerre, il ne la craignait pas, et était prêt pour la faire; 
car, à tout prendre, elle ne pouvait être qu'avantageuse à la 
Prusse. 

Il avait été question de la France dans cet entretien, et M. dt 
Pfordten avait remarqué qu'elle pourrait peut-êtrene pas restet 
spectatrice passive d'une guerre allemande, à quoi M. de Bis- 
marck avait répondu que de ce côté il était sans inquiétude. 

Le ministre bavarois était sorti de chezleRoi très-impressionné; 
mais il n'était pas homme à s'effrayer pour des paroles, et il 
croyait le Gouvernement prussien moins désireux de la' guerre 
qu'il ne cherchait à le paraître. On avait, pensait-il, voulu l'in- 
timider pour obtenir, en négociant, des conditions plus avanta- 
geuses. Quant au prince Frédéric d'Augustenbourg, personueie 
savait mieux que M. de Pfordten à quoi s'en tenir sur son compte 
Le tableau fait par le ministre d'État prussien était l'exacte Te- 
nté. Dans les Duchés, tout lui appartenait , il était l'élu unanime 
de la population allemande, de même que le retour au Dane- 
mark était le vœu unanime de la population danoise, et son ex- 
pulsion du territoire paraissait avoir pour but de provoquer lU 
soulèvement général, qui servirait de prétexte pour augmenter 
le corps d'occupation et s'emparer définitivement du pays. 

M. de Pfordten ne se trompait pas ; mais que pouvait-il faire dé- 
sormais, abandonné à ses propres i-essources ou soutenu par le 
concours insignifiant de la Saxe, de la Hesse Grand-Ducale et de 
quelques petits États groupés à leur suite comme d'impuissants 
satellites? 

L'Autriche s'était séparée de l'Allemagne; elle avait déjà fait 
le premier pas dans la complicité de l'attentat fédéral rêve par 
la Prusse, en envoyant à Gastein un mandataire chargé de né- 
gocier directement et exclusivement avec le Roi et son ministre. 
C'était le comte de Blome, le même qui l'année d'avant avait été 
chargé de préparer le congrès de Francfort. La mission du comte 
de Blome était à elle seule un succès pour la Prusse, car elle 
replaçait la question des Duchés sur l'ancien terrain du Traité de 



L'ALLEMAGNE AOUVELLE. 



2dB 



Vienne, et écartait péremptoirement tout ce qui n'était pas le 
rodominùim pur et simple des deux Puissances. 

U Prusse avait deux adversaires, l'Allemagne et l'Autriche, 
p [j persévérance de ses manœuvres, elle réussissait à les sé- 
irer et par conséquent, à se débarrasser de l'Allemagne. Il ne 
li restait plus qu'à se défaire de l'Autriche. C'était donc un pve- 
I , guccès. Mais ce succès ne fut pas aussi facile qu'on serait 
l>uté de le croire par la rapidité avec laquelle il fut obtenu'. La 
'iinscience des Souverains alliés ne se pliait pas volontiers à cet 
nbli de toutes les promesses faites à l'Allemagne, et, il 
hut bien le dire, à cette trahison du mandat fédéral que la 
lliHe de Francfort avait confié à leur patriotisme et à leur 
hvauté. Pour triompher de ces répugnances, M. de Bismarck dut 
les combattre par un autre sentiment qui trouvait alors unpuis- 
<int écho dans le cœur des deux princes, et devait exercer sur 
Hirs résolutions une influence prépondérante. C'était le désir 
mutuel de rester en paix l'un avec l'autre. Il commença donc 

, convaincre le Roi que, si les choses demeuraient en l'état 
ictuel la guerre était infaillible et en sortirait fatalement à 
courte échéance. — « Si l'Autriche ne se prêtait pas à un accord 
inimédiat, les deux armées seraient aux prises avant quelques 
mois. » — Et quand le Roi Guillaume convaincu par son minis- 
tre se vit quelques jours plus tard (le 19 août), en présence de 
m neveu qui était venu le saluer à Salzbourg, il trouva dans 
la sincérité de ses convictions, et dans la cordialité de ses sen- 
timents personnels pour l'Empereur des accents dont la fran- 
chise et le caractère amical ne pouvaient manquer leur effet. Les 
deux Souverains crurent de bonne foi la guerre imminente ; de 
lionne foi ils crurent que le seul moyen de l'éviter était de con- 
clure un accord qui mît un temps d'arrêt à la marche progres- 
sive des difflcultés de la situation; tout s'efîaça dans leur esprit 
terrifié devant cette affreuse perspective d'une guerre fratricide 
et d'un déchirement de leurs affections personnelles, tout, jus- 
qu'au souvenir de leur parole fédérale, jusqu'aux devoirs que 
leur imposait le mandat de la patrie allemande. 

Mais si les Princes avaient tout sacrifié parce qu'ils croyaien! 
à la guerre, leurs Ministres n'y cro^j^ient ni l'un ni l'autre 









216 



L'ALLliMAGNJÎ NOUVELLK. 



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Irr. 



M. do Bismarck, parce qu'il ne voulait pas la faire encore, n'éW 
pas, comme il l'affirmait, préparé à en courir les chances; M. It 
comte de Mensdorlî, parce qu'il avait deviné, ou plutôt pressenti 
la mise en scène du ministre prussien, et qu'il ne prenait pasa« 
sérieux le langage belliqueux que son collègue avait affecté j( 
tenir, et de faire tenir par ses agents dans toutes les Cours d'Al- 
lemagne et d'Europe. 

Singulière position que celle du comte de Mensdorfî au miniî- 
tère des Affaires Étrangères d'Autriche! — Son jugement, tou- 
jours droit, ne s'égarait jamais; ilne se trompait pas ; mais quand, 
une fois, il avait donné son avis, il eût cru manquer à son devoir 
s'il n'était pas renti^é dans les rangs pour obéir et souvent esc- 
cuter le contraire de ce qu'il avait conseillé. Il était dupelil 
nombre de ceux qui avaient ouvertement blâmé la guerre b 
Danemark d'abord, et ensuite la participation de l'Autriche s 
cette guerre. Plus d'une fois on l'avait entendu dire, quaud il 
était gouverneur en Gallicie, que des trois belligérants, le Dane- 
mark seul était dans son droit, et un an après il était chargé iî 
dénouer le faisceau des difficultés qu'il avait toutes prévues si 
prédites. 

Au mois d'août 1865, seul entre tous, il appréciait à sa jusl' 
valeur les menaces de la Prusse, et, loin de s'en effrayer, il ) 
voyait un indice de crainte plutôt qu'un désir de guerre.- «l'Al- 
lemagne est encore avec nous, disait-il, et la Prusse n'est pi' 
en état de nous affronter toute seule (<). — Nous sommes ei 
ce moment assez forts pour imposer une solution équitable el 
l'obliger ^ à renoncer à ses convoitises. Toutes les chances so«l 
pour qu'elle l'accepte, sans risquer une guerre où l'avanta? 
du nombre et des alliances n'est pas de son côté. » — 

Mais que pouvaient les remontrances du comte de Mensdorf 
contre les alarmes et les convictions des deux Princes? Que poi- 
valent ses conseils contre leurs engagements personnels? Pou- 
vait-il affirmer à l'Empereur François-Joseph que le Roi l'awil 
trompé à Salzbourg ? C'était d'autant plus impossible, qu'en failil 

(1) Seule en effet, car à cette époque il n'existait aucune allia* 
étrangère, et 1 Italie n eût pas, comme elle le fit un an plus lard, éloig»' 
du cliiiiiip de bataille la moitié des forces autrichiennes, ce qui re* 
la situation bien meilleure qu'en 1866. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



217 



lieu était rien. Le Roi était de fort bonne foi, quanti il assurait 
il l'Empereur que tout en Prusse était préparé pour la guerre et 
' l'ilne dépendait plus de lui de " 



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empêcher. 

La vérité se découvrit plus tard, à Vienne ; on sut, au mois 
ijoctobre, à quoi s'en tenir sur cette soi-disant imminence d'une 
cuen-e qu'en réalité la Prusse ne pouvait pas encore risquer. On 
rei^retla amèrement la convention de Gastein; il était trop tard. 
Le'mal était fait, et le comte de Mensdorfî n'avait plus qu'à 
exécuter les articles convenus. 

Mais n'anticipons pas sur la marche des événements. Depuis 
le commencement d'aoïit, M. de Blome était tantôt à Gastein, 
laiitôt à Ischl, par voies et par chemins, Dccupé à négocier ce 
nouvel accord qui seul pouvait, disait-on, arrêter la prise d'ar- 
mes. Poursuivant son programme d'intimidation, M. de Bismarck 
l'avait tout d'abord terrifié par son langage belliqueux et presque 
provoquant. Des lenteurs calculées ajoutaient encore à la mise 
en scène; le Cabinet de Berlin défendait, article par article, 
des questions sur lesquelles il était dès le début parfaitement 
décidé à tomber d'accord, et le comte de Blome se démenait 
avec un talent et un zèle dignes d'un meilleur sort. Enfin, le 1 4 
août on s'entendait de part et d'autre, et la convention signée à 
Gastein par les plénipotentiaires était, cinq ou six jours après, 
ratifiée, à Salzbourg, par les deux Souverains. 

Rappelons-en les principales dispositions : 

Le préambule déclarait que le condominium établi par le traité 
de paix du 30 octobre 1864, — « entraînait des inconvénients de 
» nature à compromettre la bonne intelligence entre les Gou- 
» vernements d'Autriche et de Prusse, ainsi que les intérêts des 
) Duchés. En conséquence. Leurs Majestés avaient pris la réso- 
B lution de ne plus exercer en commun les droits qui leur 
B étaient dévolus, mais d'en opérer le partage géographique; 
» jusqu'à ce qu'il fût pris des arrangements ultérieurs. » 

L'article 1"' stipulait que l'exercice de la souveraineté passe- 
rait, pour le duché de Holstcin, à S. M. l'Empereur d'Autriche ; 
pour le duché de Sleswig, à S. M. le Roi de Prusse. 

Les articles de 2 à 7 réglaient les rapports de voisinage et de 

13 



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•218 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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transit, l'occupation des forteresses, l'usage des ports militaires, 
:1a construction du canal de la mer du Nord à k Baltique, l'ac- 
cession des Duchés au système douanier du Zoll-Verein, et enfin 
le partage des revenus. 

L'article 5 stipulait le maintien des remboursements simposés 
aux Duchés par le traité de paix de 1 86 4 , à l'égard du Danemai'k, 
de l'Autriche et de la Prusse ; mais il déclarait le duché de Lanen- 
liourg exonéré de toute part contributive des frais de la giievre. 

Et immédiatement après, l'article 9 prononçait l'annexion du 
(iiiché de .Lauenbourg à la Prusse. Cet article mérite d'ailleurs 
d'être cité dans son entier. 



|-N''<; 



'< Art. 9. S. M. l'Empereur d'Autriche abandonne à S. M. le 

!) Roi de Prusse les droits acquis sur le duché de Lauenbourg, 

» en vertu du traité de Vienne déjà mentionné ; en retour, le 

» Gouvernement royal de Prusse s'engage à verser au Gouver- 

->> nement impérial autrichien la somme de 2,500,000 rixda- 

1ers de Danemark (soit 14,500,000 francs), payables à Berlin, 

)> en espèces sonnantes d'argent de Prusse, quatre semaines 

» après la ratification de la présente convention par LL. MI. 

» l'Empereur d'Autriche et le Roi de Prusse. » 

•Les articles 10 et 41 fixaient la date prochaine de la ratifica- 
tion et établissaient le 1 5 septembre comme dernière limite poiu' 
l'exécution. 

Telle était la Convention de Gastein, signée le 14 août 1865, 
par le comte de Blome et M. de Bismarck, et ratifiée quelques 
jours après par les deux Souverains à Salzbourg. 

Pas un mot de l'Allemagne, pas un mot des prétendants à la 
souveraineté des Duchés, pas un mot du mandat fédéral, ni des 
populations dont on avait disposé sans même les consulter ou 
les prévenir 1 Aussi compr.eBdra-t-ôn ,sans peine l'indigna- 
tion générale qui accueillit em Allemagne et presque partoÉB 
en Europe la nouvelle d'un abus 'de force aussi injustifiable. 

Nous aurons l'occasion de revenir bientôt sur l'effet produit, 
par cet acte violent, sur les États confédérés. En France et en 
Angleterre on le jugea justement et sévèrement. M. Drouyn de 
Lh-uys, alors miHistre des Affaires Etrangères, en précisa le ca- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



'219 



ractère avec tant de vérité qu'il est impossible de ne pas citer 
jfi les principaux passages de la circulaire qu'il adressa à ce 
^iijet (ie 29 août) aux ageats diplomatiques. 

_ « Quels sont, écrivait-il, les mobiles qui ont guidé dans ces 
, négociations les deux grandes Puissances allemandes? Ont- 
, elles entendu consacrer le droit des a'^ciens traités? Assurc- 
, ment non : les traités de Vienne avaient réglé les conditions 
, (lexistence de la monarchie danoise, les conditions sont ren- 
j versées. Le traité de Londres était un nouveau témoignage de 
a la sollicitude de l'Europe pour la durée de l'intégrité de cette 
« inonarcliie : il est déchiré parles deux Puissances qui l'avaient 
» signé. 

«Est-ce pour la défense d'un droit de succession mécounu, 
a que l'xUitriche et la Prusse se sont concertées? Au lieu de rcs- 
j lituer au prétendant le plus autorisé l'héritage en litige, elles 
„ se le partagent entre elles. 

)i Consultent-elles l'intérêt de l'Allemagne? Mais leui's conl'é- 
,) dérés n'ont appris que par les feuilles publiques les arrangc- 
.) mentsde Gastein (4). — L'Allemagne voulait un État iudivi- 
» sibie de Sleswig-Holstein, séparé du Danemark, et gouverné 
1) par un prince dont elle avait épousé les prétentions. Ce can- 
» ilidat populaire est mis de côté aujourd'hui, et les duchés sé- 
ji parcs au lieu d'être unis, passent sous deux dominations dif- 
)i i'ércntes. 

» Est-ce l'intérêt des duchés eux-mêmes qu'ont voulu gai-an- 
•) tir les deux Puissances? Mais l'union indissoluble des tcrri- 
» toires, était, disait-on, la condition essentielle de leur pros- 

I périté. 

» Le partage a-t-il au moins pour but de désagréger deux 

II nationalités rivales, et de faire cesser leurs discussions inté- 
» rieures, en assurant à chacune d'elles une existence indépcn- 
» dante? 11 n'en est pas ainsi, car nous voyons que la ligne de 
)) séparation, ne tenant aucun compte de la distinction des races, 
» laisse confondus les Danois avec les Allemands. 

8 S'est-on préoccupé du vœu des populations? Elles n'ont été 
» consultées sous aucune forme, et il n'est même pas question 
» de réunir la Diète Slesvvig-Holsteinoise. 

(1] Il se passa en effet dix jours, du 14 au 24, avant que la Diète reçùl 
ronimunication de la Convention, et c'est par les journaux qu'elle fut 

d'abord connue. 






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220 



L'ALLEMAGNE SOUVELLE. 



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» Sur quel principe repose donc la combinaison austro-prus- 
» sienne ? Nous regrettons de n'y trouver d'autre fondement (fit 
SI la force, d'autre justiflcalion que la convenance réciproque des 
D deux copartageants. C'est là une pratique dont l'Europe ac- 
» tuelle était déshabituée, et il en faut chercher les précédenls , 
» aux âges les plus funestes de l'histoire. La violence et lacoa- 
» quête pervertissent lîi notion du droit et la conscience k> 
» peuples. Substituées aux principes qui règlent la vie desso- 
» ciétés modernes, elles sont un élément de trouble et de dis- 
» solution, et ne peuvent que bouleverser l'ordre ancien sans 
» édifier solidement aucun ordre nouveau. 

» Telles sont les considérations qu'inspirent au Gouvernement 
» de l'Empereur les événements dont l'Allemagne est en cenio- 
» ment le théâtre. » — 

Cette appréciation, parfaitement juste, présentait sous son ïé- 
ritable jour l'œuvre coupable dont elle était la sévère condam- 
nation. L'Angleterre s'y associa sans réserve, mais unpeupto 
tard, après avoir laissé l'opinion publique se prononcer en Alk- 
magne. 

« Le traité de 1882, disait lord Russell, a été complétenicul 
» mis de côté par l'Autriche et la Prusse, deux Puissances qi« 
» l'avaient signé et qui, récemment encore, dans leurs dépêcliK 
» du 30 janvier 1864, s'étaient engagées à le respecter. Touste 
» droits, vieux ou neufs, fondés sur les pactes solennels desSw- 
» vcrains ou sur la claire expression de la volonté popula* 
1) ont été mis à néant par la Convention de Gastein, etla è» 
» nation de li force est la seule puissance reconnue et reupeetét' 

» La violence et la conquête sont la seule base sur laquell' 
j les Puissances partageantes fondent leur accord. LeGouverK- 
» ment de la Reine déplore profondément cette absence de rei- 
î) pect à l'égard des principes du droit public et du droit \i?' 
t. time que peut réclamer un peuple d'être entendu alors qu»" 
>) dispose de sa destinée. » 

Cette dépêche circulaire, adressée à toutes les missions diplonis- 
tiques de la Grande-Bretagne, était datée du 14 septembre 18& 

Déjcà, le 6 septembre, les membres des États des Duchés»'' 
talent adressés à la Diète, et lui avaient remis une protestatio» 
solennelle. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



2 M 



Il Haute Diète, disaient-ils, le moment est venu où nous ne 
crovous pas pouvoir nous taire plus longtemps. Nous protes- 
tons au nom du pays contre la séparation des duchés de Sles- 

I wi"- et de Holstein ; nous demandons énergiquement que le 
navs soit entendu, et déclarons considérer comme nul de plein 

' dî'ôit ce qui se fera sans son concours ; nous proclamons hau- 
tement et solennellement que nous ne reconnaissons comme 

,1 souverain légitime du pays que le Duc Frédéric de SlesAvig- 
Holstein; nous demandons respectueusement à la Haute Diète 

II au'elle veuille bien faire en sorte que le droit du pays soit rc- 
„ connu sans autre délai. » 



Est-il besoin d'ajouter que la Haute Diète était impuissante 
contre la Prusse et l'Autriche réunies, qu'elle n'obtint rien et 
nue les membres des États ducaux durent se résigner à voir 
leurs droits, leurs espérances, leurs intérêts, leurs liens et leur ' 
existence tomber à la merci de leurs nouveaux garnisaircs. 

Ce n'était, certes pas, après avoir bravé le désaveu de toute 
l'Europe civilisée, après avoir répudié toutes les lois de l'hon- 
nèteté politique, après avoir déchiré les attaches fédérales, renié 
leur signature, violé leurs promesses, que les complices allaient 
s'arrêter devant la réclamation des États de Kiel. Ils avaient la 
force et rien ne pouvait leur résister ; ils n'écoutaient rien, et 
les protestations qui s'élevèrent de toutes les parties de l'Alle- 
ma^ne vinrent se briser contre la ligue austro-prussienne. 

La tâche de l'historien serait ingrate et stérile si elle se bor- 
nait à donner le récit des faits sans en tirer les conséquences 
philosophiques, économiques et politiques qui sont, à vrai dire, 
le plus sérieux enseignement des peuples et des princes. L'étude 
du passé est véritablement la science de l'avenir, car il y a dans 
la marche du temps des lois immuables, des lois éternelles et 
constantes qui président fatalement à la destinée des peuples. 

Les réactions suivent invariablement les excès comme le châti- 
ment suit invariablement les crimes. Il n'y a pas, i.lans l'histoire 
de l'humanité, un seul exemple du contraire. 
La vie humaine est à la vie d'un peuple ce que l'heure est à 

l'année, ce que l'année est au siècle. Or, si les années sont aux 

hommes, les siècles sont à Dieu. Et les siècles contiennent la jus- 



222 



I/ALLEHAGNE HOUVI'XLIÎ. 






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tice. La justice vient toujours ; elle n'a pas encore failli une seule 
fois dans sa marche assurée, depuis que le monde existe ; ou tien 
lente et d'autant plus implacable, ou bien rapide, instantanée, 
foudroyante en quelque sorte, et alors moins sévère dans se 
arrêts. C'est elle qui a effacé jusqu'au souvenir des nations en- 
tières, ou qui n'a laissé de leur passage d'autres traces quête 
qu'il fallait pour savoir qu'elles avaient disparu ; c'est elle qui 
abaisse les peuples dans le paroxysme de leur orgueil et qui te 
relève api-ès le temps de leur expiation. Elle est toujours prése* 
dans l'histoire; on la retrouve sans cesse, protestant contre le 
blasphème impie qui-a placé la force au-dessus du droit.^ 

Encore quelques semaines dans le récit qui nous occupe, el 
nous verrons les complices se disputant leur part de butin avec 
plus d'animosité qu'ils ne le faisaient avant de les avoir flxé^ 
par la Convention de Gastein. ■ 

Quelques semaines encore, et nous les verrons, armés \V' 
contre l'autre, courir à une guerre fratricide ; puis enfin l'Au- 
triche vaincue, humiliée, rançonnée, s'effacer devant l'omnipo- 
tence de sa rivale séculaire. Et la Prusse, de triomphes en triom- 
phes, grandir, s'étendre, vaincre, et commander à l'Europe 
entière. 

Est-ce donc la force qui, cette fois, s'établit à jamais sur ces 
larges assises? Non! c'est la force qui passe. Étudiez l'histoire, 
et vous verrez la justice qui s'avance. 

Avant d'entrer dans le détail des événements qui vont suivre, 
arrêtons-nous un instant pour relever un fait secondaire qui 
mérite d'être signalé. Nous avons vu que, par la Con^'entio^ 
de Gastein, le duché de Lauenbourg était confisqué par les 
deux Puissances, la Prusse en prenant sa moitié, et l'Aulricte 
lui vendant l'autre. On avait préalablement, par un articles, 
déchargé les habitants du Lauenbourg — « de toute part contri- 
» butive aux frais de la guerre. » — Cette générosité était toute 
gratuite, car le Lauenbourg ne devaitrien.il n'avait été compris 
ni dans les territoires disputés au Danemark, ni dans ceux où 
la Diète avait décrété l'exécution fédérale. On l'avait occupé sans 
aucun droit, et on l'avait pris malgré les engagements contraires 
parce qu'il était bon à prendre. La Prusse et l'Autriche auraient 



L'AlLRMAGiVK NOUVELLE. 



. ssibien pu prendre le. Limbourg ou le Luxembourg ou tout 
""tre territoire fédéral à leur convenance. Et en s'associant à 
"ette œuvre de. force, l'Autriche justifiait par avance les an- 
^xions futures du Hanovre, de la Hesse-Électorale et du duché 
de Nassau. Mais notre but, en revenant sur cette prise de pos- 
session, n'est pas d'en discuter de nouveau l'illégalité; nous 
■oulons mettre en relief une circonstance particulière qui se 
produisit alors pour la première fois et qui, depuis Ce jour, fit 
pour ainsi dire partie des coutumes politiques de la Prusse. 
C'est l'introduction mystique de l'idée religieuse couvrant de son 
manteau toutes les opérations de la violence et de la convoitise. 
Le Lauenbourg est un petit territoire plus long que large dont 
, superficie ne dépasse pas un millier de kilomètres carrés. Oc- 
fupé et gouverné par les Prussiens, il était de fait complètement 
entre leurs mains, et rien n'était plus facile que d'y réunir un 
petit "roupe de propriétaires pour en former un semblant de re- 
présentation, et obtenir ainsi un vœu d'annexion. Ce vœu de- 
vait servir, avec l'intervention mystique des décrets providen- 
tiels de préambule à la prise de possession. Donc le 13 septem- 
bre c'est-à-dire deux jours avant la date fixée pour l'exécution 
finale de la Convention de Gastein, la patente royale fut ainsi 
publiée dans le territoire : 

a Nous Guillaume, par la grâce de Dieu, Roi de Prusse... fai- 
„ <;nns savoir par les présentes (suit le rappel de la convention 
. et du marché conclu avec l'Autriche)... Nous prenons posses- 
» ,inn en accomplissement du vœu exprimé par la representa- 
, tion'du Lauenbourg, de ce duché, par la présente patente, 
' Le tous les droits de la souveraineté; ajoutons a nos titres 
„ celui de Duc de Lauenbourg, et voulons que le duché de 
. lauenbourg- se transmette dans notre maison royale d après 

te principes existants pour la transmission de la Couronne de 
, Prusse Nous présentons à tous les habitants du duché no re 
. salutation paternelle, et leur ordonnons de nous reconnaître 
» désormais comme leur Souverain légitime. » 

M de Bismarck était nommé gouverneur du pays et le comte 
d'Arnim-Boytzenbourg chargé de recevoir la prestation de foi et 
d'hommage des fidèles Lauenbourgeois. 



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L'ALLEiMAGNE NOUVELLE. 






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Finis cot'onat opus ! En effet, le jour même, en proclamant la 
patente royale de son Souverain, le comte d'Arnim crut devoir 
y joindre en forme de commentaire, les déclarations suivantes : 

« Jamais la bénédiction de Dieu n'a manqué aux peuples qui 
» sont restes fidèles au commandement : — « Craignez Dieu, 
» obéissez au Roi, aimez les frères ! » — J'exprime donc l'éspé- 
>' rance et la confiance que les habitants de ce pays verront 
» dans le dernier changement qu'il a éprouvé, m décret à la 
» Providence divine. Que notre premier acte sous le nouveau 
» gouvernement soit d'implorer Dieu, et, au pied des autels, de 
» benir cette union (de la Prusse et du Lauonbourg), Mais 
» comme clôture de cette cérémonie temporelle, répétez avec 
» moi le cri de Vive Guillaume !<=■■, Roi de Prusse et duc de 
» Lauenbourg ! » 

C'était le premier essai de la théorie providentielle qui devait 
plus tard sanctifier toutes les agressions et toutes les annexions 
prussiennes. 

Le général de IManteuffel fut nommé gouverneur du Sleswig. 
A Vienne, ce fut le général de Gablentz qui fut envoyé pour 
gouverner le Holstein. 







XII 



l'Aulriche el la Prusse adressent des remontrances au Sénal de Franc- 
fort. — Manifestation dans le Holstein. — Négociations de la Prusse 
avec l'Italie. — Ouverture du Cabinet de Vienne en faveur d'une dé- 
monslration pacifique des Puissances non allenaandes. Le Gouver- 
nement français déclare à l'Italie qu'il no la soutiendra pas si elle 
attaque l'Autriche. — Consentement non officiel donné par le Gouver- 
nement français m. traité de l'Italie avec la Prusse. — Conséquences 
de celle politique. — La neutralité des Puissances et le droit nouveau, 
-le Cabinet de Berlin accuse l'Autriche d'armements imaginaires. 
— Arrestation d'un espion prussien en Bohême. 



3.1 

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La convention de Gastein ne pouvait être qu'un temps d'ari'ôt 
dans les dissensions intestines de l'Allemagne. Aussi quelques 
semaines après sa signature, les complications et les dissenti- 
ments reprirent avec autant d'intensité qu'auparavant. Nous n'en 
suivrons pas toutes les péripéties ; il serait inutile et fastidieux 
de revenir sur les détails de ces querelles d'où la bonne foi est 
toujours absente et qui forment les étapes successives des riva- 
lités allemandes pendant les six premiers mois de 1 866, jusqu'à 
la déclaration de guerre. Le but que nous nous proposons est 
beaucoup plus philosophique qu'historique, et pour l'atteindre il 
nous suffira de reproduire les principaux épisodes de cette pé- 
riode en quelque sorte préparatoire. 

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L'ALLEMAGNE ROUVELLK. 



La lumière ne tarda pas à se faire sur les résolutions de la 
Prusse, et le Cabinet de Vienne dut bientôt reconnaître que dé- 
sormais il ne fallait plus voir à Berlin que des ennemis avec 
lesquels tout accord était devenu impossible. 

Le dernier acte qui se fit en commun par les deux Puissances 
fut provoqué par la réunion des députés allemands à Francfort, 
Réunis en comité national allemand, les députés avaient proteste 
violemment contre la politique austro-prussienne. Comme cette 
manifestation s'adressait aux passions déinocratiques du parti 
unitaire, elle déplaisait autant à Vienne qu'à Berlin. Les deux 
Cabinets n'eurent donc pas de peine à s'entendre pour la con- 
damner, et il fut résolu qu'ils s'adresseraient au Sénat de Fraiie- 
fort pour réclamer contre la tolérance avec laquelle il consentait 
à permettre en la ville libre la tenue de ces réunions et délite- 
rations illicites. Deux notes identiques devaient être remises si- 
multanément au Président du Sénat par les ministres de Prusse 
et d'Autriche; mais quand il fallut exécuter le programme,- les 
divergences reparurent et il fut impossible de se mettre d'accord. 
En conséquence ctiacun écrivit de son côté. 

La note prussienne, expédiée le 6 octobre 1868, était dw" 
extrême violence, et se terminait par une menace directe d'in- 
tervention, faite au nom de la Prusse et de l'Autriche. On en 
jugera par les passages suivants : 

— « Nous avions espéré jusqu'au dernier moment que le Sénat 
ayant conscience de ses obligations envers ses confédérés alle- 
mands, et se souvenant des représentations antérieures fane* 
par nous et l'Autriche, interdirait cette assemblée des dep*. 
Nous avons dû nous convaincre de nouveau que le Sénat ne 
s'oppose pas à ce que le territoire de la ville de Francfort serv 
de point de départ à des projets politiques déraisonnables e 
préjudiciables aux intérêts communs. Nous ne pouvons permei- 
tre plus longtemps une pareille tolérance à l'égard de tendance» 
subversives... Je m'abandonne au ferme espoir ciue ]^^.^,. 
Francfort ne mettra pas les deux Puissances dans la nécessite a_ 
prévenir par leur propre intervention les suites ultérieures dun 
tolérance inadmissible. » — 

La note autrichienne, datée du 8 octobre, tout en blâmant Is 




10 11 12 13 



1/ALLEMAG.NE ?ÏOUVELLE. 



227 



réuuioa des députés, était conçue dans un style beaucoup moins 
péremptoire et n'admettait pas même la- possibilité d'une inter- 
vention collective. Cependant comme elle avait été remise au 
premier bourgmestre de Francfort en même temps que la note 
prussienne, le Sénat crut devoir faire une même réponse aux 
deux communications, et protesta à la fois contre l'ingérence 
(les deux confédérés dans l'administration, et le gouvernement de 
la vaie libre. 

Il le fit avec une certaine hauteur et avec cette fierté, d'indé- 
pendance dont Jouissaient encore les petits États, alors, que le 
droit protégeait les faibles contre la brutalité des forts.. Nous 
dlerons quelques passages de cette réponse, dernier souvenir 
d'un ordre de choses bouleversé parle canon, dernière résistance 
pacifliiue des hbertés allemandes contre l'hégémonie prussienne. 

- « Le Sénat, disait le premier bourgmestre, est obligé de re- 
connaître que si dans la confédération germanique un des États 
confédérés prétendait, en s'adressant à un autre, pouvoir parler 
de — 9 ne pas tolérer» — ou de — « ne pas permettre » — ou pou- 
voir se servir d'une expression comme celle-ci : — « prévenir par 
sa propre intervention les suites ultérieures d'une tolérance 
inadmissible, >> — un pareil procédé serait contraire aux lois fon^ 
damentales de la confédération, et par conséquent au droit. Le 
Sénata conscience de n'avoir pas plus violé les lois de la ville libre 
de Francfort que les lois fédérales par son attitude vis-à-vis des 
assemblées mentionnées, et il croit devoir insister sur le fait 
que le comité des 36 a tenu, le 16 octobre 1864 à Weimar, le 
26 mars 1865 à Berlin, et le 3 septembre 1865 à Leipzig, des 
séances qui n'ont pas été interdites. » — 

Le Sénat de Francfort avait eu le tort de faire une réponse 
identique à deux notes qui ne l'étaient pas, et de citer dans sa 
réponse des phrases delà note prussienne qui ne se trouvaient 
pas dans la note autrichienne ; aussi le Cabinet de Vienne ne 
voulut-il pas accepter ce document, et le Sénat, heureux de pro- 
fiter de cet incident, s'empressa d'en prendre acte et d'en témoi- 
gner sa reconnaissance à l'Autriche. Loin de se rapprocher, les 
deux soi-disant alliés, s'éloignaient, comme on le voit, chaque 
jour davantage. 



m 



-i''- ■ 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



A Berlin on voulait s'adresser à la Diète, et M. de Bismarck 
proposa au comte de Mensdorff d'y faire en commun une motion 
dans le but d'obtenir un ordre diétal contre la tolérance delà 
ville libre à l'égard des réunions populaires. Le comte de Mens- 
dorff accepta, mais à la condition qne la mesure de police réclamée 
par les grandes Puissances allemandes serait étendue à tous les 
États confédérés et non pas seulement restreinte à la ville libre 
de Francfort. Or, M. de Bismarck, tout en désavouant les prin- 
cipes démocratiques du National-Ver ein, ne voulait pas perdre le 
bénéfice de son agitation centraliste, il refusa d'accéder à celte 
proposition et il fallut renoncer à toute démarche identique. 

Ainsi se termina l'année 1 865 au milieu des intrigues et des 
controverees, qui prenant chaque jour un caractère de plus en 
plus hostile, faisaient pressentir à bref délai une rupture défini- 
tive. L'Autriche désormais plus libre dans sa politique avait fail 
du Holstein le camp retranché du prince Frédéric d'Augusten- 
bourg, laissant les journaux et les réunions publiques défendre et 
acclamer ses droits. La ville d'Altona était le centre des comités 
populaires, et c'est là qu'ils tenaient régulièrement séance. C'é- 
tait encore plus dangereux pour les projets de la Prusse que les 
réunions de Francfort ; aussi M. de Bismarck en concevait-il une 
grande irritation, et il avait chargé le baron de Werther de de- 
mander formellement à Vienne non-seulement l'expulsion du 
prince Frédéric, mais encore celle de tout individu soupçonne 
d'être son partisan. Le langage du ministre prussien devenait de 
jour en jour plus ferme, plus résolu et même plus agressif. 

« Le Gouvernement royal de Prusse, disait-il, est arrivé ans 
dernières limites de lapatience. Le traité de Gastein, loin d'èln'i 
comme on l'avait espéré, un instrument de paix est devenu une 
source de nouveaux conflits grâce à la mauvaise foi avec laquelle 
l'Autriche échappe à ses obligations. Il ne restera plus bientôt 
au Roi que de faire appel directement et personnellement à l'Em- 
pereur pour lui demander s'il veut, oui ou non, rester fidèle ' 
ses engagements. » 

Afin de contrebalancer l'agitation nationale des comités 
d'Altona, le Cabinet de Berlin avait- organisé en Holstein une 




10 11 12 13 



L'ALLKMAGNIî NOUVIÎLLE. 



229 



jifestation de l'ordre Equestre en fa-veur de l'annexion prus- 

nne M de Scheel-Plessen, agent prussien à la tête du mou- 
vement, groupait autour de lui une vingtaine de membres du 
Ritterschaft, qui avaient signé une adresse à M. de Bismarck ; 

ais on savait en Allemagne ce que valaient ces signatures. 
Ces noms avaient tous une histoire qui enlevait beaucoup d'au- 
torité à leur démarche; on les avait connus presque tous du 
parti Danois, tant qu'ils avaient pu accaparer les charges lucra- 
tlYes et honorifiques du royaume, encombrant alors la Cour du 
Souverain et formant autour du trône comme un rempart pro- 
tecteur de leurs intérêts. A ces messieurs il fallait un maître 
.rarantissant leurs privilèges, leurs honneurs otleurs émoluments, 
un maître qui prît en mains leurs intérêts personnels ou leurs 
intérêts de caste, et comme le Souverain national et légitime ne 
leur offrait pas sous ce rapport des garanties suffisantes, ils se 
tournaient vers le Roi de Prusse. C'était donc une démarche 
Drivée de vingt particuliers plus soucieux de leurs personnes 
Le de leur pays, et l'opinion publique en ht prompte justice,- 
étouffant la voix de ces chevaliers sous les vœux unanimes de la 
population et de l'Allemagne. A cette malencontreuse provoca- 
tion succédèrent d'autres manifestations anti-prussiennes, puis 
aux manifestations d'autres réclamations qui aboutirent encore 
à l'échange de deux ou trois notes plus vives les unes que les 

autres. 

« De quoi se plaint-on à Berlin ? - disait en termhmnt M. le 
comte de Mensdorff. _ N'avons-nous pas été les premiers a pro- 
poser rinterdiction de ces réunions populaires qu on nous repro- 
rhp de tolérer? - C'est la Prusse qui n'a pas voulu du re- 
niement fédéral qui les interdisait. S'il avait adhère a notre 
proposition, le Cabinet de Berlin n'en serait pas réduit a nous 
demander de rétablir dans les Duchés de vieilles ordonnances 
danoises tombées en désuétude et dont nous ne saurions au- 
jourd'hui relever les tristes rigueurs. » 

Pendant que les chancelleries multiiolient les correspondances 
elles récriminations, on se prépare à la guerre parce qu on la 
sent Inévitable. Personne ne veut la déclarer ; l'Autriche voudrait 



I 

ïà 









230 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



l'éviter, mais M. de Bismarck commence à être prêt et il veut la 
laire. Il a été en France pour s'assurer de la neutralité de l'Em- 
pereur Napoléon, n'ayant pas réussi à en faire .son complice. 1 
en est revenu moins satisfait qu'il ne l'avait espéré, mais * 
moms sans inquiétude. Il a jeté les premières bases de son 
alliance avec l'Italie, et par l'Italie il espère réagir sur la France. 
Eniin ce qui est bien plus grave et bien plus important pour le 
succès de son œuvre, il est parvenu à vaincre les derniers scru- 
pules du Roi Guillaume. —Désormais ie Roi; est avec lui. 

On était arrivé aux premiers jours de mars, et d'un coimnm 
accord on avait suspendu l'échange de récriminations quiavail 
rempli les deux premiers mois de l'année. Chacun paraisse 
vouloir se recueillir et se préparer. Le Cabinet de Vienne, très- 
preoccupé de ses divisions intérieures, multipliait ses efforts 
pour établir avec la Hongrie un arrangement quelconque afin 
que la guerre ne le surprît pas en pleine décomposition ; il se 
rapprochait aussi de la France par des témoignages variés* 
bon voulair et d'amitié ; il entourait de prévenances les Étals 
confédérés de l'Allemagne et travaillait à les rendre solidaires 
de sa fortune. En un mot il cherchait des alliés ou des amis. 

Quel que tut l'éloignement traditionnel que la Cour d'Autriche 
éprouvât pour l'immixtion des Puissances étrangères, on pensa 
sérieusement alors à soumettre aune conférence européenne la 
solution des affaires Sleswigeoises, et à la Diète celle des affaires 
du Holstein. Il y eut même à cet égard des pourparlers qui 
amenèrent le Cabinet de Vienne à des explications ou des com- 
munications assez catégoriques avec les Puissances non aOe- 
mandes. [1 leur déclara qu'à ses yeux la guerre devenait abso- 
lument imminente, et qu'il fallait nécessairement prévoir une 
agression prochaine. 

« Le Gouvernement autrichien, disait-il, avait la preuve ma- 
nifeste des efforts que faisait M. de Bismarck pour décider les 
Itahens a attaquer la Vénétie. Les choses étaient assez avancées 
de part et d autre pour revêtir prochainement la forme d'une con- 
vention secrète, et des généraux italiens étaient partis ou préls 
a partir pour Berlm afin d'y concerter les plans de campagne. 
On avait aussi découvert la trace des intrigues fomentées à 1" ' 




cm 



10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE KODVELLE. 



-.31 



„ M de Bismarck, pour empêcher la Hongrie d accepter la 
F cttinn auL devait resserrer les liens qui 1 unissaient a 1 Em- 

" rlrtnins Hongrois que l'on connaissait, avaient été vus, 
P"?-. /nt à cet effet de l'argent prussien. Enfin l'altitude du 
'''v'^t de Berlin et surtout de son chef, M. do Bismarck était 
lînue si hostile, si haineuse, qu'il était nécessaire de prendre ■ 

HP DO itton plus tranchée. En conséquence le comte Karo ji 

liShargé de déclarer à Berlin qu'il était inutile de faire 
rcuneprp^^^^^ contraire an-x intérèts_ ou à la cligmte de 
• S parce que la limite des concessions était dépassée, 
autrichê ne désirait pas la guerre, mais si on la voulait, elle 
l'acceptait. » 

Tel était le langage que tenait le comte de Mensdorff le 
(«mars 1866 et il était bien informé, car pendant qu'il parlait, 
r.Pnéral italien Govone était en route vers Berlin où il arrivait 
Plpndemain pour conférer avec M. de Bismarck. En s'adressant 
Isi aux Cabinets étrangers, le comte de Mensdorff n'avait pas 
llementpour but de les mettre au courant d'une situation 
,^il5 connaissaient an moins aussi bien que lui ; mais du ino- 
Lut où la Prusse cherchait à armer les Italiens contre 1 Alle- 
magne il crevait de son devoir de pressentir quelques Puis- 
saiiMS 'non allemandes sur ce qu'elles seraient disposées à faire 

en faveur de la paix. , .-, , ..,- 

Nous avons dit, dans un des chapitres précédents, que tôt ou 
tard les conséquences se chargeaient de venger les principes 
méconaus, et aussi bien dans la vie des peuples que dans celle 
des hommes. L'Autriche devait en faire la triste expérience. Elle 
avait applaudi à l'indifférence et à f abstention des Puissances, 
alors qu'avec la Prusse elle écrasait le Danemark de tout le 
Mids de leurs forces réunies ; elle avait remercié la France de sa 
ovale neutralité. - « Grâce à cette abstention, disait-on a Vienne 
et à Berlin, la guerre a été localisée, et la paix de 1 Europe a ete 
conservée. «-Il n'y eut pas alors d'éloges assez pompeux ni a 
Vienne ni à Berlin pour cette neutralité européenne On 1 éri- 
gea en doctrine, et comme après tout c'est une doctrine com- 
mode pour le présent, quoique souvent fatale dans ses suites 
elle avait pris sa place dans la jurisprudence mternationale, et 



m 



1^ 



232 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



1^ 




le corn le de Mensdorff vint s'y heurter aux premiers pas qu'il 
fit sur ce terrain. 

Et cependant il n'avait jamais eu d'illusions sur la valeur de 
cette nouvelle théorie. Son esprit éclairé en avait toujours 
mesuré avec une profonde justesse toute la portée, et personne 
n'avait déploré plus que lui l'ensemble des circonstances au^ 
milieu desquelles elle avait pris naissance, et grâce auxquelles 
elle s'était établie. On se tromperait fort si l'on croyait que, 
dans les conflits internationaux, la question de neutralité ou 
d'intervention se pose comme un dilemme entre les termes 
duquel il faut nécessairement choisir. Cette alternative ne se 
produit presque jamais à l'origine des conflits ; elle ne se pré- 
sente au contraire que lorsque les dissentiments ont pris un 
caractère tellement prononcé que la guerre est inévitable. 
Alors, mais seulement alors, il est vrai que les tiers n'ont 
plus que deux partis à prendre, ou l'abstention ou l'intei'' 
vention, et il est de leur devoir de se décider en pareil 
cas, d'après les intérêts plus ou moins directs qui doivent dicter 
leurs résolutions. Mais cette période aiguë est toujours précédée 
par une phase sinon pacifique du moins encore incertaine, dont 
il appartient aux hommes d'État de savoir apprécier la durée et 
pendant laquelle il est habile et opportun de garder une entière 
liberté d'action. 

Il existe toujours un temps pendant lequel les idées de paix 
sont aussi fortes que les idées de guerre chez les deux adver- 
saires ou chez l'un des deux. Si dans ce temps ils se trouvent 
livrés à eux-mêmes, l'un vis-à-vis de l'autre, entourés d'un 
cercle de neutres, dont les déclarations anticipées garantissent 
l'abstention, la guerre devient inévitable. Si au contraire une 
Puissance amie se déclare ouvertement contre l'agresseur, la 
guerre n'a pas lieu. 

On objecte à cette théorie qu'en se prononçant ainsi, la 
Puissance tierce s'expose à être elle-même entraînée dans une 
guerre ou une alliance dont les avantages peuvent ne pas 
justifier les sacrifices ; mais c'est ici que l'expérience et la 
science pohtique trouvent leur légitime emploi, et dominent 
en quelque sorte les événements. C'est en eflet une question 



L'ALLEMAGNE PiOUVELLE. 



233 



d'opportunité et d'appréciation, maison peut dire, i 
j'AfrP démenti par l'iiistoire, que jamais une déci 



, sans craindre 
li'être démenti par 1 histou-e, que jamais une déclaration de ce 

enre n'a été faite en vain, quand elle a été faite en temps op- 
^ rtun.Nous en pourrions citer de si nombreux exemples que des 
Ihapitres entiers ne suffiraient pas pour les exposer ; mais l'his- 
toire du passé est ouverte à tout le monde, et chacwi peut se 
convaiocre, en y jetant les yeux, de la vérité de cette proposition. 

a le comte de Mensdorff était donc dans le vrai quand il 
(lisait au Gouvernement français : ~ « Si vous voulez empêcher 
la o-uerre, vous le pouvez facilement. Déclare.z que la France se 
lèvera contre l'agresseur et la paix est assurée. » — Mais pour 
lenir ce langage il eût fallu que le Cabinet des Tuileries fût 
encore en possession de toute sa liberté d'action, et malheurcu- 
semeut il en avait déjà engagé une partie. Aussi répondait-il à 
ces avances par une promesse de neutralité qui certes avait 
bien sa valeur, mais qui ne pouvait produire aucun des résul- 
tats pacifiques qui eussent infailliblement suivi la déclaration 
que fon suggérait à Vienne. L'argumentation du comte de Mens- 
dorff était très-forte et vraiment digne d'être prise en considéra- 
tion, abstraction faite dqs circonstances au milieu desquelles 
elle se produisait malheureusement trop lard:— « Que risquez- 
vous disait-il au Gouvernement français, en vous déclarant 
ouvertement contre l'agresseur? Absolument rien, car la guerre 
devient impossible. De notre côté il n'y a pas d'agression à 
craindre et, devant l'Allemagne partagée en deux camps, la 
Prusse ne peut songer un instant à nous attaquer après votre 
déclaration. Donc c'est la paix. Mais la paix de l'Allemagne est- 
elle dans les intérêts de la France? Je le crois fermement, car si 
la guerre éclate aujourd'hui entre l'Autriche et la Prusse, elle 
ne "cessera que quand une des Puissances, vaincue par l'autre, 
sera réduite à la merci du vainqueur, et forcée de s'effacer 
devant sa rivale. Donc le résultat de la guerre est l'hégémonie 
de l'Autriche ou de la Prusse en Allemagne, c'est-à-dire préci- 
sément de toutes les combinaisons politiques, celle que la, 
France doit le moins désirer. >; — 

Et c'était non-seulement vrai, mais en quelque sorte prophé- 

• tique. Mais on pensait alors en France, qu'en laissant les deux 

adversaires engager la lutte, il arriverait un moment où affai- 






****"'OÇ*^^'Ç^Ç^t*^' 



334 



L'ALLEiMAGNE NOUVELLE. 



blis l'un par l'autre, ils écouteraient plus facilement la mis 
d'un médiateur ou d'un arbitre. Faux calcul, qui ne pouvait 
s'appliquer qu'au cas exceptionnel d'une campagne longue et 
disputée, où les succès et les revers se fussent également par- 
tagés entre les combattants. D'ailleurs ce qui dominait toute la 
situation était l'engagement moral, sinon officiel que le Gou- 
vernement français avait contracté avec l'Italie. 

Pendant son voyage en France en l'automne de 1 865, M. de 
Bismarck n'avait pas, il est vrai, réussi à obtenir de l'Empe- 
reur une promesse formelle, soit de concours, soit de neutralité' 
bienveillante ; mais depuis qu'il s'était tourné du côté de l'Italie 
il avait rencontré non-seulement un assentiment tacite donné ans 
négociations de l'alliance, mais aussi des encouragements indi- 
rects qui, pour n'être pas officiels n'en étaient pas moins décisifs. 

Il existait alors en France, et' jusque dans les conseils de lil 
Couronne, un parti qui s'était donné pour mission de resserrerin- 
timement-, en toute occasion, les liens qui unissaient déjà la 
France et l'Italie, liens qui menaçaient de se détendre depuis que 
la paix de Villa-Franca avait été conclue sans réaliser le pro- 
gramme complet des Alpes à l'Adriatique. 

Or la politique italienne se résumait tout entière en deuï 
mots : Ru.WE et Venise. 

Rome, la convention de Septembre 1 864 avait organisé une es- 
pèce de modiis vivendi provisoire, écartant pour quelque temps 
les difficultés de la situation anormale que les événements 
avaient créée autour de la Papauté. 

Venise, voilà ce qui restait à prendre. Mais pour aller à Venise 1 
il fallait triompher de l'Autriche, et l'Italie ne pouvait en nourrir 
l'espoir sans le secours d'une autre Puissance. La France croyait 
avoir assez fait pour l'Italie dont elle commençait déjà à me- 
surer la reconnaissance. On aurait en vain cherché à l'entraîner 
une seconde fois dans une guerre italienne ; il n'y fallait pas 
penser ; ni l'Empereur, ni les Chambres n'y eussent consenti; 
mais ce qu'on ne pouvait pas faire directement, il parut habile 
de le faire d'une façon détournée en encourageant l'alliance 
anti-autrichienne de l'Italie avec la Prusse. 

Les premières ouvertures de M. de Bismarck au Gouverne- 



m 



L'ALLEMAGNE NOUVELLK. 



23S 



nieût italien sont du commencement de mars 1 866, et, le 9 du 
même mois, le général Govone était parti de Florence pour aller 
s'entendre à Berlin sur les clauses de l'alliance. En même temps le 
comte Arese, sénateur d'Italie, se rendait à Paris avec la mission 
de demander l'assentiment de l'Empereur. Qu'entendait-on par 
l'assentiment de l'Empereur? On le verra par ses réponses. Le 
3i mars en effet, le chevalier Nigra, ministre d'Italie, télégra- 
phie à son Gouvernement que l'Empereur avait répondu : — « Si 
l'Italie prend l'initiative de l'attaque, la France ne pourra pas 
l'aider. » — Donc on avait demandé à l'Empereur un concours 
matériel qu'il ne croyait pas pouvoir accorder. Plus tard, ren- 
dant compte de sa conversation avec le ministre des Affaires 
Etrangères, M. Nigra ajoute : — « Si l'Italie attaque l'Autriche, 
elle le fera à ses risques et périls ; si l'Autriche attaque l'Italie, le 
passé, m'a dit le ministre, répond de l'avenir : voilà quelle sera 
la li''ne de conduite tenue par la France. » — 

C'était un premier pas en dehors de la stricte neutralité, car 
il créait en faveur de l'Italie une situation privilégiée qui la ga- 
rantissait contre toute agression ; cependant comme l'agression 
autrichienne était très-peu probable, sinon impossible, la France 
pouvait encore, à la rigueur, se considérer comme libre de tout 
engagement et surtout comme libi'e de se déclarer contre la 
nierre. Mais six jours après, la situation se modifia du tout au 
tout, et l'Empereur, recevant le comte Arese, le 30 mars, approu- 
vait l'alliance de l'Italie avec la Prusse, et autorisait ce dernier 
à en informer son Gouvernement par le télégraphe ; ce qu'il fit 
en ces termes : 

« Il (l'Empereur) trouve utile, signature du traité avec Prusse, 
mais il déclare donner ce conseil comme ami et sans aucune 
responsabilité. » 

Etrange iUusion ! que pouvait signifier cette réserve en pré- 
sence du fait immense que créait le conseil impérial ? Le traité 
de l'Italie avec la Prusse pouvait-il donc avoir un autre but que 
la guerre contre l'Autriche? Et conseiller le traité n'était-ce pas 
conseiller la guerre ? 

On n'attendait de part et d'autre que ce consentement. Si la 
France l'avait refusé, jamais l'Italie ne serait entrée dans l'al- 



■■■*••■ 

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236 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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fit.-; 

I* f-7: 



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liance prussienne, et jamais non plus la Prusse n'eût tendu la 
main k l'Italie; car jusqu'au dernier moment M. de Bismarck iil 
du consentement français la condition sine quâ non du traite. 
Le 5 avril, tout était prêt pour la signature, les pleins pouvoirs 
étaient arrivés à Berlin ; le général Govone s'était rendu an 
ministère pour annoncer cette bonne nouvelle ; il y avait clé 
reçu avec joie, et M. de Bismarck lui avait expliqué les premiers 
plans de l'entrée en campagne. — « Cependant, écrit-il au général 
La Marmora, quand je pris congé de lui, il ajouta ces mots : - 
Tout cela, bien entendu, si la France y consent ; car si elle montre 
de la mauvaise volonté, alors onne pourrait plusrienfaire('l).-» 

C'est qu'en effet, M. de Bismarck tenait bien plus au laim 
faire de la France qu'à l'alliance italienne, et pour dire vrai, il 
n'avait en principe recherché cette dernière que pour s'assurer 
la bienveillante neutralité de la France. 

Donc jusqu'au 30 mars, la France était restée libre de to'iit 
engagement, mais à partir de ce jour, elle perdit sa liberté on, 
pour parler plus justement, elle perdit la liberté de se déclara' 
contre la guerre ; car en réalité elle l'avait admise et presque con- 
seillée, en approuvant l'alliance offensive de la Prusse et de l'Italie, i 

Or rendre la guerre possible à cette période du conflit, c'était^ 
la rendre certaine, et pour vouloir la guerre, il fallait évidem- 
ment se croire directement intéressé au résultat de la lutte, quel 
que fût le vainqueur. Nous n'admettrons pas un seul instant 
que les sympathies italiennes aient été plus puissantes dans le 
Gouvernement que le sentiment des intérêts finançais ; non, tout 
s'accorde pour établir que le Gouvernement impéi-ial se persuada 
qu'en formulant les réserves officielles que nous venons de 
mentionner, il se ménageait la liberté nécessaire pour interve- 
nir à l'heure propice, et tirer parti de la situation. C'était une 
'erreur fatale dont il eut à se repentir cruellement ; mais raèuic 
en admettant cette hypothèse, l'adhésion donnée au Traité de 
l'Italie et de la Prusse, a'en était pas moins une faute politique' 

Ce traité était non-seulement inutile, mais encore nuisible 



(1) Lettre du général Govone au général La Marmora datée deBerlu 
le 6 avril 1866. — V. Un po' più di luce, par Alfonso La Marmora, 
chap. VIII. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



i37 



~ tous les rapports. Au point, de vue italien, celui dont 
^T-aissaieiit se préoccuper davantage les personnages qui se 
T'aient les défenseurs et les conseillers de l'alliance prus- 
""lue le traité du 1 avril n'a servi absolument à rien, si ce n'est 
■"''wùrer à l'Ilalic le désastre de Lizza et la défaite de Custozza. 
"ft n'est certes pas le traité qui lui a valu la Vénétie, car elle 
■lit été promise à la France en échange de sa neutralité, alors 
'"'■à la Cour de Vienne on ne croyait pas à une convention se- 
''"ète avec l'Italie et qu'on se reposait sur la parole du Roi de 
Prusse qui avait solennellement nié son existence. Or, du mo- 
Bieiit qu'on pouvait avoir la Vénétie sans le traité, à quoi ser- 
vait-il si ce n'est à pousser en quelque sorte la Prusse contre 
rviitriche, et à placer la France dans cette situation fausse 
t peu correcte d'une neutralité matérielle tachée par une 
complicité morale et politique? Sans l'alliance prusso-italienne 
du 10 avril, nous le répétons, la guerre ne se faisait pas enAUe- 
macrne ou du moins se faisait tout autrement, et la France eût 
été bien mieux placée pour en tirer quelque honneur ou quelque 
avantage, car il était contraire à tous ses intérêts de détruire, au 
bé'néflcVexclusif d'une des grandes Puissances allemandes, le 
iiarta-'e équilibré des forces de l'Allemagne. 

ms on était encore sous l'influence de la nouvelle théorie de 
la neutralité collective isolant les beUigérants. Une guerre loca- 
lisée ne paraissait pas dangereuse, et, il était admis da:ns les 
cercles politiques que c'était chose habilj et prudente d'assister 
en spectateurs impassibles à la lutte acharnée des nations enne- 
mies La France, qui d'un mot eût empêché la guerre, ne pronon- 
ça pas le mot ; on sait comment elle eut à s'en repentir un jour. 
■ Plus tard, dans une circonstance analogue, il ne tint qu'aux 
Puissances d'empêcher la guerre entre la France et la Prusse, 
elle« ne le firent pas et préférèrent encore la neutralité collec- 
live- l'Angleterre commence à sentir ce qu'elle y a gagné. 

Plus tard encore, toujours dans une circonstance analogue, il 
ne lint qu'aux Puissances d'empêcher la guerre entre la Russie 
et la Turquie, elles ne le firent pas et préférèrent localiser la 
o-ucrrepour assister impassibles à l'écrasement du vaincu. L ave- 
nir nous montrera les fruits de cette prudente abstention. • 






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i38 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Et qu'on ne dise pas qu'en agissant autrement elles ii'eusseiil 
pas mieux réussi à sauvegarder, avec la paix du monde, leurs 
véritables intérêts ! Nous le demandons à tout homme de sens 
et do justice, tant soit peu versé dans l'étude de la politique; 
que serait-il arrivé en 1870, si par exemple, l'Angleterre, l'Au- 
triche et l'Italie s'étaient ouvertement prononcées, alliées en 
quelque sorte contre la guerre comme plus tard elles s'allièrent 
pour faire la ligue des neutres, au bénéfice du vainqueur? Qi»', 
serait-il arrivé si, dans les premiers jours de juillet, au lieu de 
ces démarches cauteleuses qui ont illustré le Cabinet de M. Glad- 
stone et de lord Granville, l'Angleterre et d'autres Puis- 
sances peut-être avec elle, s'étaient simplement déclarées contre 
l'agresseur? La France ou la Prusse eussent-elles commencé la ■ 
guerre avec la perspective de rencontrer ces Puissances dans le 
camp ennemi? Non, la guerre devenait impossible., 
^ Mais en 1870 comme en 1866 il y avait une école de fins poli- 
tiques qui se flattaient d'assister en spectateurs attentifs à la 
grande lutte des plus fortes armées du continent, et de profitera 
un moment donné de l'affaissement des combattants. Localiser la 
guerre, voilà le beau résultat de leurs grandes habiletés! - Eti 
bien ! ils l'ont localisée. — Qu'ils pèsent aujourd'hui les avantages 
qu'ils ont recueillis de leur effacement volontaire ! Localiser une 
guerre quand on peut l'empêcher est une faute impardonnable, 
à moins qu'on ait un intérêt direct à ce que la guerre se fasse, 
Il est évident, par exemple, qu'en 1870, la Russie à qui laPrusse 
devait la sécurité de ses frontières, la Russie qui avait arrêté 
l'Autriche, qui avait donné à la Prusse la liberté de toutes ses 
forces pour les concentrer sur la France ; il est bien évident (pi 
la Russie ne pouvait pas se déclarer d'avance contre l'agresseur 
après lui avoir prêté un concours aussi décisif. La Russie était 
dans le camp de la Prusse, elle ne pouvait en sortir, mais il y 
avait d'autres Puissances libres d'engagements et qui firent en 
1870 une faute analogue à celle que le Gouvernement français 
avait fciite en 1866 en poussant l'Italie dans l'alliance prussienne, 
Et maintenant, si nous jetons les yeux sur l'Orient où la tem 
Ottomane est encore couverte de ruines et de cadavres, ne 
sommes-nous pas forcés d'avouer que là aussi l'abstention inop- 




cm 



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L'ALLEMAG.Mî NOUVELLE. 



339 



portuue et malhabile des Puissances intéressées a produit iiii 
résultat dont elles chercheront en vain à redresser les consé- 
quences? - Que serait-il arrivé si l'Autriche et l'Angleterre 
avaient déclaré qu'elles ne voulaient pas la guerre, cp'elles ne 
la voulaient pas et qu'elles se rangeraient avec la Puissance atta- . 
quée contre la Puissance agressive? Est-ce que la guerre aurait 
en lieu ? Est-ce que la Russie l'eût engagée? Est-ce que la Tur- 
quie, en présence d'une déclaration aussi catégorique, n'eût pas 
remis son sort entre les mains des Puissances? Non, il n'est pas 
possible de conserver un doute à cet égard. Toute la Tesponsa- 
bilité de la guerre retombe sur la politique incertaine, cauteleuse, 
presque perfide à force d'incohérence, des Puissances qui ont 
perdu la Turquie en l'écrasant sous le poids de leur malencon- 
treux patronage. Rien n'était plus facile que d'empôcher la 
oTierre. Il suffisait de le vouloir et de le dire ; mais voilà que ces 
mêmes fins politiques de la neutre école se mettent en mouve- 
ment; voilà M. Gladstone qui pousse la Russie aux armes par sa 
criminelle agitation ; voilà l'Autriche qui va de côtés et d'autres, 
promettant à droite, promettant à gauche, russe en deçà de la 
Leitha, turque sur l'autre rive ; voilà la Prusse assurant à la 
Russie la sécurité de ses frontières comme celle-ci le lui avait 
fait en 1 870 ; voilà le Sultan trouvant dans les terg'.iversations 
du Cabinet britannique un encouragement à la résistance, et la 
guerre éclate par la faute des Puissances, par ta seule faute des 
Puissances. 



Et il en sera toujours de même aussi longtemps que l'on appli- 
quera au droit nouveau créé par la force, des systèmes politiques 
qui ne sont plus faits pour l'époque actuelle. 

Quand les querelles internationales se débattaient dans les Ca- 
binets sous l'influence exclusive des Princes et de leurs ministres ; 
quand le respect du droit présidait à ces discussions et en était 
pour ainsi dire l'élément principal et la règle officiellement re- 
connue, on pouvait alors tirer certains avantages de la lenteur 
des décisions et des réserves plus ou moins habiles avec les- 
quelles on ménageait la liberté de l'avenir. Et si, par suite du choc 
inévitable d'intérêts contraires, la guerre éclatait entre deux États, 



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241 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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du moins les péripéties variées des longues campagnes offraicnl 
aux tiers des occasions nombreuses d'intervention pacifique. 

Aujourd'hui c'est tout autre cho'se. Du droit, il n'est plus ques- 
tion. Tout se réduit à une compétition de force ou de nombre; 
et comme sous l'empire de cette loi nouvelle, chacun s'est éver- 
tué à augmenter ses forces, il en est résulté des allures toutes 
différentes de celles du passé. Les armées sont immenses, les 
canons sont énormes et leur nombre aussi grand que possible. 
En quelques semaines, le vainqueur a écrasé le vaincu, et tout 
est iini avant que les témoins de la lutte aient eu le temps d'en 
mesurer les conséquences. 

Désormais l'armée d'une nation constitue sa seule sécurité, et 
sa seule garantie de paix. Le budget de la guerre devient la prime 
de l'assurance poui- la paix, de même qu'une somme annuelle fi- 
gure au passif des immeubles comme prime de l'assurance contre 
l'incendie, avec cette différence toutefois que le budget de la 
guerre remplit un double but, car non-seulement il pare ans 
risques de la guerre quand elle est déclarée, mais il la préMnt, 
il l'écarté, il assure la paix et jouit sous ce rapport d'un 
monopole absolu, en ce sens que la paix ne peut plus être g»- 
rantie par autre chose. 

.Certes nous n'avons pas la prétention de faire ici le tableau 
d'un état ^ial qui soit le dernier mot de la civilisation ; mais nous 
constatons la situation de l'Europe telle que l'ont faite les 
grandes prévarications politiques de ces derniers temps, situation 
voisine de la barbarie, dont la paternité appartient tout entière 
aux premières entreprises de la Prusse et de l'Autriche contre le 
Danemark et contre leurs Confédérés. 

Dans un état social aussi complètement dominé par la bruta- 
lité do la force et du canon, il n'existe que deux alternatives pour 
les Gouvernements : ou de posséder la force supérieure qui s'im- 
pose et qui commande, ou d'organiser une résistance capable 
d'en contrebalancer les entreprises, et cette organisation ne sau- 
rait certainement pas consister dans une ligue de neutralité 
livrant le champ libre à tous les caprices du plus fort d'entre eux- 

Elle consiste au contraire dans l'union contre l'agresseur de tou» 
les pacifiques qui ne sont pas directement intéressés à la guerre- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



241 



L'abstention érigée en principe et formant pour ainsi dire nne 
ffalerie d'États, spectateurs neutres des luttes internationales, 
n'est-ce pas l'ancien combat du moyen âge où la superstition 
croyait découvrir les décrets infaillibles de la justice divine? 

Et cependant, hâtons-nous de le dire pour rester dans le vrai, 
jl est impossible d'établir en ces questions une règle absolue ; il 
y a des guerres inévitables ; elles sont en général les consé- 
quences de fautes antérieures qu'il n'est plus possible de redres- 
ser. Il y a des guerres qui s'imposent aux nations, au nom de 
leurs intérêts directs et primordiaux ; mais ce sont là de grandes 
exceptions, et elles confirment la théorie que nous venons d'ex- 
poser. Nous la résumons ainsi : 

Quand l'Europe est menacée d'une guerre internationale, 
toutes les Puissances qui ne sont pas directement intéressées à 
cette guerre doivent s'entendre pour l'empêcher et intei'veniren 
temps utile, et si l'union pacifique représente une force suffisante 
pour faire pencher la balance du côté où elle se porte, elle doit 
se, déclarer ouvertement contre l'agresseur. Dans le cas contraire, 
il ne reste qu'à courber la tête, et à subir ; mais ce qu'il faut 
rejeter désormais de la politique internationale c'est cette inven- 
tion barbare, égoïste, et surtout malhabile qui enchaîne les paci- 
fiques dans une ligue de neutralité. 

Une fois assuré non-seulement de la neutralité de la France, 
mais encore de son consentement à l'alliance de la Prusse et de 
l'Italie, M. de Bismarck ne perdit pas un instant. Déjà le 1 1 mars, 
à son premier entretien avec le général Govone, il avait posé les 
bases du traité offensif et défensif à l'aide duquel il voulait 
anéantir l'Autriche. 

Nous avons eu l'occasion d'exposer dans un ouvrage précé- 
dent (1) les principaux traits de cette première entrevue qui ap- 
partient désormais à l'histoire, par la publication des rapports 
authentiques du général italien. Nous n'hésitons pas à les repro- 
duire ici, parce qu'il est impossible de les passer sous silence 



(1) «Passé cl Présent,» Etude d'histoire contemporaine parMemor. — 
1875. 

14 



242 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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sans créer une lacune nuisible à l'enchaînement des faits donl 
nous nous occupons. Voici donc comment s'exprime le général 
Govone dans son rapport : 

« 11 faudrait, me dit M. de Bismarck, qu'il existât en ce mo- 
ment en Allemagne une situation compliquée comme le fut jadis 
celle de 18B0, car avec le caractère de son Souverain, il réussi- 
rait certainement à en faire sortir la guerre. Son intentiou est 
donc de reconduire l'Allemagne à un état de complication sem- 
blable, afin d'arriver à la guerre et de satisfaire l'ambition de h 
Prusse, car il m'a franchement avoué ne pas avoir d'autre but.U 
question des Duchés de l'Elbe lui paraît trop petite en elle- 
même pour en faire sortir un si grand résultat. L'Europe en se- 
rait froissée tandis qu'elle trouverait légitime une guerre qui 
aurait pour but une solution grande et nationale de la question 
allemande. 

« Il avait toujours considéré l'Autriche comme l'ennemi natu- 
rel de la Prusse. En conséquence il avait toujours vu avec plaisir 
l'attitude hostile de la maison de Savoie et ses succès en Italie. 
Mais tout le monde ne pensait pas comme lui en Prusse. 11 y a 
peu de temps encore, on considérait à Berlin une guerre contre 
l'Autriche comme fratricide, et une alliance avec la France ou 
avec l'Italie comme sacrilège. Il avait dû lutter avec énergie con- 
tre ces préjugés et contre les sentiments personnels du Roi. C'est 
dans ce but qu'il avait combiné la participation de l'Autriche à la 
guerre contre le Danemark, pour que le Roi vît de ses propres 
yeux ce que valait une alliance austro-prussienne. Ainsi qu'il 
l'avait prévu, cette expérience avait suffi pour guérir le Roi cl 
plusieurs autres personnages, de leurs anciennes idées sur l'Au- 
triche. Le Roi Guillaume avait désormais renoncé à ses scrupules 
légitimistes et il -pouvait maintenant le faire entrer dans ses vms. 

« Le comte de Bismarck formula alors ses projets de la ma- 
nière suivante : — D'ici à peu de temps, trois ou quatre mois 
par exemple (1), mettre sur le tapis la question de la réforme fé- 
dérale, assaisonnée (le mot est textuel) d'un Parlement allemand. 
Avec cette proposition de réforme et avec le Parlement, produire 
des complications qui ne tarderaient pas à mettre la Prusse en 



(1) Ce projet fut réalisé le 9 avril, c'est-à-dire 26 jours après celle 
conversation du 14 mars. 




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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



243 



face de l'Autriche. Alors la Prusse commencerait la guerre. C'é- 
tait chose décidée, et l'Europe ne pourrait pas s'y opposer parce 
flu'il ^'agirait d une question grande et nationale. 

« Le comte de Bismarck ajouta que, comme complément de ce, 
nlaii el poui' pouvoir maintenir le Roi Guillaume dans sa ligne 
politique, il lui fallait dès aujourd'hui signer un traité avec l'Italie. . 

« Voilà,, écrit le général Govone à son Gouvernement, le jour 
même et en sortant de ce mémorable entretien, voilà dans tout& 
sa crudité le langage du comte de Bismarck (1 ). » 

Daos une autre circonstance, M. de Bismarck s'aper- 
ccvautdes hésitations que semblait indiquer l'attitude des plé- 
nipotentiaires itahens, s'exprima d'une façon encore plus for- 
melle, leur affirmant que la guerre était irrévocablement décidée 
et que de toute maniëBe la Prusse attaquerait l'Autriche ; qu'ils 
pouvaient y compter,, et que ce n'était plus qu'une affaire de 
quelques semaines, qu'il devait employer à préparer l'opinion 
publique et à triompher des dernières résistances du Roi., 

« La guerre est absolument certaine, leur dit-il, nous la vou- 
lons et nous la ferons, c'est à vous de voir maintenant si vous 
voulez en profiter et la faire avec nous. » 

Bien que ces pourparlers fussent enveloppés de secret, et que 
fort peu de personnes à Berlin en eussent connaissance, cepen- 
dant il en était revenu quelque chose à Vienne, et on crut devoir 
éclaircir une situation qui se faussait -chaque jour davantage. La 
Convention de Gastein impliquait nécessairement des _ relations 
amicales et une bonne entente réciproque entre les deux parties 
contractantes. Si on se reporte en effet ayx circonstances dans. 
lesquelles elle avait été négociée et signée quelques mois aupa- 
ravant, on voit que le maintien des bons rapports et de la paix 
réciproque avait été le principal argument qui en avait déter- 
miné la signature.. Comment pouvait-on concilier l'existence du 
Traité de Gasteiij avec les manœuvres hostiles du Cabinet de 
Berlin? 

(1) Rapport du général Govone adressé au général de La Marmora 
le 14 mars 1866. — V. le livre intitulé : £7» ■peu plus de lumière, par 
La Marmora, chap. V. 




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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Le 16 mars, c'est-à-dire deux jours après ce premier entretien 
de M. de Bismarcli avec le général Govone, et quelques heures 
après le second entretien où les assurances de guerre avaient été 
si formellement répétées aux plénipotentiaires italiens, le comte 
Karolyi se présenta chez le ministre prussien et lui annonça 
qu'il avait reçu de son Gouvernement l'ordre de l'interpeller et de 
lui poser la question suivante : — « Voulez -vous maintenir oii 
dénoncer la convention de Gastein? » — C'était proposer la paix 
ou la guerre. 

M. de Bismarck répondit qu'à ses yeux les circonstances ne 
justifiaient pas une semblable interpellation. Il a/^i ma que le 
gouvernement du Roi n'avait rien fait qui fût de nature à éveilk! 
les soupçons de l'Autriche sur sa fidélité aux engagements contractes 
à Gastein. Cependant il n'hésitait pas à répondre par iSie néga- 
tion catégorique à la demande du comte Karolyi : — « Non, nous 
ne voulons pas dénoncer la convention de Gastein. » — 

Nous laissons au lecteur le soin de concilier cette déclaration 
avec la promesse de guerre faite quelques heures auparavant aux 
plénipotentiaires italiens. 

• M. de Bismarck eut sans doute en cette occasion comme uii 
étonnement de conscience, car il ajouta ces mots qui devaient 
donnera réfléchir àl'Ambassadeur autrichien: — «Au surplus,ces 
affirmations, cette déclaration, ne servent à rien et ne signifient 
pas grand'chose ; nous serions à la veille d'une guerre que je 
pourrais comme aujourd'hui vous déclarer que je veux le main- 
tien de la convention de Gastein. » — A quoi le comte Karolji 
aurait répondu : — « Je vous ai posé par ordre de mon Gouverne- 
ment une question très-précise ; vous m'avez donné une réponse 
formelle qui est non, j'en prends acte et je la transmettrai.» — 

Nous ne suivrons pas les Cabinets de Berlin et de Vienne dans 
la polémique ardente qui s'ouvrit alors entre eux au sujet désar- 
mements dont ils se faisaient un grief réciproque. La Prusse pré- 
parait l'attaque et l'Autriche préparait la défense. Il était donc 
naturel que chacun armât de son côté; l'Autriche surtout contre 
([ui Garibaldi organisait déjà des corps francs en Italie. Toute- 
fois les armements, ou pour dire plus juste, les concentrations 
de troupes qui se faisaient en Autriche n'avaient aucun caractère 




cm 



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i'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



245 



gggif contre la Prusse, et se portaient tous vers les frontières 
■|aliennes. L'Autriche ne demandait pas mieux que d'éviter la 
guerre ; elle n'avait rien à y gagner, et toute sa politique ten- 
dait à neutraliser les idées agressives de M. de Bismarck en évi- 
tant de lui fournir un prétexte d'attaque : nous la verrons de- 
meurer jusqu'au dernier moment fidèle à cette ligne de conduite. 

A Berlin, si le Roi paraissait avoir abdiqué toutes ses affections 
et tous ses sentiments entre les mains de son premier ministre, 
la Cour et l'entourage apparent du Roi étaient bien loin d'avoir 
fait le même sacrifice, et repoussaient avec énergie l'idée d'une 
cuerre contre l'Autriche. 

Ce fut en grande partie pour vaincre cette résistance dont le 
Roi ressentait l'influence, que M. de Bismarck mit enjeu cette 
ouestion des armements. On organisa avec un talent considé- 
rable toute une apparence de mobilisation d'armée autrichienne 
parfaitement imaginaire, et on construisit en quelque sorte un 
état fictif des répartitions militaires qui fut substitué à Berlin et 
même à Pétersbourg à la vérité des faits. 

Cette manœuvre restera dans l'histoire comme un exemple de 
ce que peuvent faire pendant un certain temps (le temps utile) 
l'audace du langage et la hardiesse des affirmations contraires à 
la vérité. Avec de la persévérance, avec une succession habile- 
ment ménagée de faux rapports, avec des témoignages fabri- 
qués avec une mise en scène bien combinée, avec une presse 
bien payée et bien disciplinée, avec un nombre choisi et suffisant 
de bons complices, on arrive à former dans une Cour, et même 
dans une ville, une opinion factice qui s'établit sur les fausses 
données qui lui servent de bases, et qui, pendant quelque temps, 
remplace la vérité d'une manière complète et absolue. 

C'est ainsi qu'au commencement d'avril, pendant que M. de 
Bismarck se désespérait avec les plénipotentiaires italiens de ne 
pouvoir trouver un casus belli contre l'Autriche, il avait réussi à 
persuader au Roi et à quelques Prjnces ainsi qu'à l'Empereur de 
Russie que la Prusse était menacée par l'Autriche d'une agres- 
sion imminente. Il y avait même si bien réussi qu'un instant le 
succès de son entreprise faillit aller plus loin qu'il ne le dési- 
rait; car, à la demande de la Cour de Prusse, l'Empereur 

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L'ALIiEMAGNE NOUVELLE. 



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AlexaDdre écrivit une lettre à, l'Euipereur François-J*3e|b pw 
le prier de renoncer à ses préparatifs d'attaq^ue. 

Que l'on juge de l'ctonnement de la Cour de Vienne; en ■vojaâl 
arriver, le 6 avril 4866, le général de Richter, aide de eamp de 
l'Empereur de Russie, avec une lettre avitographe de son Sou- 
verain poiu' l'Empereur François-Joseph. Ecrivant sous l'imptes- 
sion que l'Autriclie avait pris l'initiative des. ai-memeuts, des 
mouvements de troupes et des préparatifs de guerre, l'Enipereïi' 
Alexandre faisait observer que des mesures de ce génie avaieil 
tout le caractère d'une proyoGation et obligeaient la Prusse à 
les considérer comme telles. Il priait en conséquence l'Empereui' 
d'Autriche de n'y avoir recours qu'à la dernière extrémité et lui 
recommandait de rechercher avant tout et jusqu'au dernier 
raqhient la solution des difficultés de la situation dans une en- 
tente amicajeavec le Roi de Prusse. 

En mênie temps que la lettre de l'Empereur de Russie, il arri- 
vait à Vienne une communication de Berlin qui n'était pM sais 
importance, et qui sans doute avait été concertée avec le Gou- 
vernement Russe. C'était une déclaration formelle et personaeU 
du Roi de Prusse par laquelle Sa Majesté protestait que riem'^' 
tait plm éloigné de- ses intentions^ qu'une guerre avec VAutricltS-. 

Ici se place un rapprochement de faits qui jette une k0 
sinistre sur la politique du Cabinet de Berlin.. 

C'est) 15 6 avril 1866 que le Roi de Prusse déclare à l'Elue- 
reur d'Autriche que, RIEN -n'est, plus éloigké de ses kWBO^' 

Ou'UiNE I 

Lavé 

vone, plénipotentiaire d'Italie, qu'il espérait, pouvoir, arrivei * 

lA GUERRE POUR LE COMMENCEMENT DE MAI (1). 

Le 7 avril, M., de Bismarck présentait à la signature du. E"' 
les pleins pouvoirs pour signer un tiwité d'alwajiçe oefemsp'e s' 

DÉFENSIVE CONTRE l'aUTRICHE (2). 

Le 8 avril, M.de Bismarck signait au nomduRoi, avec les pléB- 



fcRE AVEC L AUTRICHE. 

'ê, 1^ 5 avril, M. de Bismarck déclarait au général Go- 



(1) Télégramme du général Govone au Gouvernement Italien. 

(2) Télégramme du comte de Barrai, minisire d'Italie, à son Gouv* 



nement. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



247 



Doteiitiaires Italiens, le traité d'alliance offensive et défensive (4). 

La démarche pacifique de la Russie se produisant au milieu 
de ces fraudes puniques, prouve surabondamment, que l'Empe- 
reur Alexandre n'en avait même pas le soupçon. Non, il avait 
été évidemment trompé, et son erreur, pour être sincère, n'en 
était pas moins absolue. A ses yeux, l'Autriche tenait le rôle 
agressif, et la Prusse qui, d'ailleurs, possédait toutes ses sympa- 
thies ne faisait que répondre aux menaces autrichiennes. 

C'est ainsi, nous l'avons déjà dit, qu'il est quelquefois possi- 
ble de créer une situation factice par l'audace et la rnultiphcité 
des affirmations,, et d'en, tirer à un certain moment de grands 
avantages. Ne vit-on pas quatre ans plus tard un procédé ana- 
logue porter en l'esprit du môme Empereur la conviction que le 
Gouvernement français, soit par l'attitude de ses agents, soit 
par la forme de ses négociations, avait offensé la dignité sou- 
veraine du Roi, de Prusse? L'un n'était pas plus vrai que l'autre, 
mais l'Empereur le crut en 1 870 comme il avait cru' en 1 866 à 
l'agression autrichienne et il agit en conséquence.. C'était tout 
ce .uo voulaient les auteurs de la manœuvre. 

Nous avons dit que le 6 avril on avait reçu cà Vienne une 
lettre de l'Empereur Alexandre et une note prussienne. Les ré- 
ponses à ces deux documents furent expédiées le lendemain. 

Celle de l'Empereur François-Joseph déclarait à l'Empereur 
Alexandre qu'il avait été mal informé quant aux soi-disant pré- 
paratifs de guerre ; on désirait à Vienne maintenir la paix 
aussi longtemps que possible, c'est-à-dire aussi longtemps qu'il 
ne serait pas nécessaire de s'armer pour la défense du, territoire 
et de l'honneur national. 

En même temps le général de Mensdorff invitait le général 
comte de Stackelberg à passer chez lui (7 avril) et lui demandait 
comment il se pouvait faire que la Cour de Russie fût aussi peu 
renseignée sur les mouvements de troupes et les soi-disant pré- 
paratifs de guerre dont son Souverain avait parié dans sa 
lettre à l'Empereur. Il le priait de vérifier lui-même les effec- 
tifs et la position des différents corps, lui donnant toutes les 

(1) Télégramme du même à son Gouvernement. 
Yoirtie livre : Un peu plus de lumière, chap. VilL 



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L'ALLEMAGXE NOUVELLE. 



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facilités qu'il pouvait désirer à cet effet, et de faire connaître 
la vérité à Saint-Pétersbourg. 

La réponse à la note prussienne était à peu près conçue dans 
les mêmes termes, mais elle prenait acte de la déclaration du 
Roi et en tirait la conclusion que toute idée d'agression étant 
écartée de part et d'autre, la Prusse devait contremanderl'ordre 
de mobilisation publié le 23 mars. Cette note devant clore pour 
ainsi dire la correspondance austro-prussienne d'apparence pa- 
cifique, nous en citerons ici les principaux passages ; 



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« Vienne, le 7 avril 1866. 

« Par ordre exprès de S. M. l'Empereur, je vous réitère 

ici la déclaration formelle qu'il n'a été pris jusqu'à ce jour eu 
Autriche aucune des mesures qui, d'après l'organisation de nos 
armées, doivent précéder l'ouverture d'une grande guerre, il 
n'a été ordonné notamment aucune concentration importante 
do troupes, bien moins encore une prise de position sur la 
frontière. Aucun achat extraordinaire de chevaux, aucun rame! 
des soldats en congé n'a eu lieu sur une échelle co..oluv.«J«' 
Et l'Empereur même, notre auguste maître, est allé si loin dans 
sa confiance, qu'il m'a autorisé à donner sans réserve aucune, 
au ministre royal de Prusse, communication des dislocations de 
troupes qui ont eu lieu en réalité ; en sorte que M. le baron de 
Werther a pu, avec la meilleure autorité, communiquer de soa 
côté à Berlin des nouvelles fondées touchant les mesures mili- 
taires prises ici. 

« Je dois donc, le plus fermement du monde, déclarer con- 
traire à la vérité, ainsi queje l'ai dit plusieurs fois de vive voix 
àM. le baron de Werther, les autres nouvelles d'où l'on a tiré ce 
cri d'alarme d'une concentration d'armées sur la frontière nord 
de l'Autriche. Toute discussion sur l'antériorité des préparatifs 
militaires en Autriche ou en Prusse est, enfin, pleinement su- 
perflue après que S. M. l'Empereur a, dans la note du 31 mars, 
clairement engagé sa parole que l'Autriche ne nourrissait au- 
cune idée d'agression. 

o Une assurance analogue, donnée aussi clairement au nom 
de S. M. le Roi Guillaume, implique d'elle-même la suspension 
réciproque de toutes mesures ultérieures ayant une signification 
belliqueuse. ^ 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



249 



(I C'est pour ces motifs que nous avons désiré une pareille as- 
surance et aujourd'hui la Cour Impériale, en réponse à sa note, 
reçoit en effet la déclaration que rien n'est plus éloigné des in- 
tentions de Sa Majesté le Roi qu'une guerre contre l'Autriche. 

« L'Empereur, notre auguste maître, a espéré cette déclaration 
et l'accepte avec confiance. 

(1 Des armements ultérieurs n'ont donc plus de raison d'être ; 
or puisque en Autriche, comme il résulte de ce qui a été dit 
nlîis haut, aucuns préparatifs militaires ne sont en cours, il ne 
nous reste qu'à attendre la nouvelle — et nous regrettons de ne 
nas la trouver dans la note du ministre royal prussien — que 
l'ordre de mobilisation publié en Prusse le 23 du mois passé ne 
recevra pas son exécution. 

,Le Cabinet Impérial ne pouvant, après l'échange de notes qui 
a eu lieu, rester, sans assumer une grave responsabilité, indiffé- 
rent à une continuation des armements de la Prusse, Votre Ex- 
cellence voudra bien inviter sans délai M. le président du Con- 
seil de Prusse, en lui laissant entre les mains la présente dépê- 
che à donner sur ce point une déclaration rassurante, et je prie 
Votre Excellence de nous instruire par voie télégraphique du ré- 
sultat de sa démarche. 

<c Signé : Mensdorff-Pouilly. » 

Cette dépèche arriva à Berlin le lendemain de la signature du 
traité avec l'Italie. On y répondit six jours après par une fin de 
non-recevoir. 

Le traité italien avait sa durée limitée à trois mois, c'est-à-dire 
qu'il expirait le 8 juillet. 

Il fallait donc pour en profiter commencer la guerre le plus 
tôt possible. Aussi allons-nous voir maintenant M. de Bismarck 
exclusivement occupé à provoquer le casMS belliet à contrecarrer 
tous les efforts pacifiques qui se produiront en Europe, en Al- 
lemagne et même à Berlin. 

Vers le 10 avril il survint un incident qui n'était pas nouveau, 
mais qui fit sensation à cause du rang du personnage qui en fut 
le triste héros. On arrêta à Prague le comte George de Walder- 
see, officier prussien, ciui, sous de faux noms, et muni de trois 
passe-ports différents, avait levé les plans des forteresses de Bo- 



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250 



L'ALLEMAGNE KGliVELLl!;. 



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hême et des passages de la frontière autrichienne. Il était le i 
du général de cavalerie, comte Franz de Waldersee, et on s'é- 
tonnait fort dans les cercles de Vienne qu'il eût accepté cette 
mission. La presse allemande s'empara de cette ayeatiire poiif 
en faire le sujet de discussions plus ou moins irritantes,. Il éiail 
un peu tard pour manifester une si grande indignation, car de- 
puis longtemps déjà la Bohême et la Moravie étaieçl sitonaé» 
d'espionsaijp-ussiens et les travaux de relèvemeni, avaient étf 
commencés' en juin 1868 pendant le séjour du Roi Guillaumeà 
Carlsbad. Cependant, comme on n'était pas en guerre, le comte 
George de Waldersee fut laissé en liberté, et on se contenta île 
le reconduire à la frontière après l'avoir dépouiljé de ses notes, 
de ses dessins et de ses plans. 



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Prasse propose à Francfort un nouveau projet de réforme fédérale. 
Ii'A.utriche propose un désarmement simultané. — Réponse évasive 
de là Prusse. — Le général Bénédek. — Propositions relatives à la 
cession de la Yénétie en échange de la neutralité italienne. — Refus 
de rilaiie. — Projet de conférence. — Occupation du Holstein par les 
Prussiens. — Rupture diplomatique. 
Kussie. 



La France, l'Angleterre et la 



Le traité d'alliance olîeusive et défensive avec l'Italie avait 
été signé le 8 avril 1866. Dès le lendemain 9 avril, M. de Bis- 
marck lança son projet de réforme fédérale, assaisonné, comme 
il lavait di!t au général Govone (le 14 mars), de la proposition 
d'un Parlement allemand. C'était, suivant son programme, le 
prélude nécessaire qui devait produire les complications d'où il 
se chargeait de faire sortir la guerre à bref délai. 

Déjà l'Envoyé prussien à la Diète de Francfort avait reçu ses 
instractions ef le texte de sa motion ; en sorte que le traité 
secret et l'acte publié furent pour ainsi dire simultanés. Le 
principal argument de la proposition prussienne était comme 
de raison l'insuffisance des institutions fédérales, sur laquelle 
tout le monde était à peu près d'accord. 

_ ( En présence de l'antagonisme sérieux de la Prusse et de 
l'Autriche la Constitution fédérale se trouvait frappée d'impuis- 




252 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 






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sance. Partant de ce point de vue, le Gouvernement royal de 
Prusse s'était vu amené à s'adresser à chanm des Gouverne- 
ments allemands, et à lui demander quel appui il pourrait en 
attendre, dans le cas d'une attaque contre la Prusse. Les répon- 
ses obtenues ayant été jugées insuffisantes pour assurer la pais 
du Royaume, le Gouvernement royal ne pouvait se contenter des 
garanties incertaines de la Confédération fédérale. En consé- 
quence il présentait la motion suivante : 

« Plaise à la Haute Assemblée fédérale arrêter: —Il sera con- 
voqué pour un jour à déterminer ultérieurement, une assemblée 
issue des élections directes et du suffrage universel de toute la 
nation, laquelle assemblée sera saisie des propositions des 
Gouvernements allemands sur une réforme fédérale et délibérera 
sur ces propositions; aais dans l'intervalle, en attendant que 
cette assemblée se réunisse, les dites propositions seront concer- 
tées entre les Gouvernements (1). » 

On était depuis longtemps préparé à cette démarche de la 
Prusse qui n'avait été retardée jusqu'à ce jour que par la 
résistance du Roi. Dans d'autres circonstances, ce projet d'un 
Parlement allemand puisant dans une base aussi large et aussi 
populaire que le suffrage universel, une force supérieure à celle 
des Gouvernements dont il était appelé à régler les rapports, 
n'eût pas manqué de produire en Allemagne une immense sen- 
sation et une très-grande agitation. Mais en ce moment cellf 
proposition radicale ne trompa personne. On y vit un expédieul 
politique dirigé contre l'Autriche bien plus que l'applicatio» 
sincère d'une idée libérale. Le Roi de Prusse et son ministre 
avaient donné à l'Allemagne la mesure de leur libéralisme, el 
on ne les voyait pas sans une méfiance légitime arborer i 
Francfort un drapeau que chez eux ils foulaient aux pieds. Aussi 
la proposition prussienne ne fut-elle prise au sérieux nipai' 
l'Autriche ni par l'Allemagne. On la renvoya aux comités et elle 
entra dans la période d'examen et de controverse d'où elle « 
devait plus sortir. 

Bien qu'elle fût dirigée contre l'Autriche qu'elle reléguail 

(I) Procèj-verbal de la Séance de la Diète germanique à Francfort it 
9 avril 4806. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



233 



pour ainsi dire en dehors du système Germanique, le Cabinet de 
Vienne n'hésita pas à accepter en principe la proposition de la 
révision du pacte fédéral ; mais quant à la convocation du Par- 
lement allemand, sans la repousser o -priori ni se prononcer 
sur son mode d'élection, il demandait qu'avant de réunir le 
Parlement, il se fit préalablement, entre les Gouvernements, une 
entente sur le mode de convocation de la nouvelle assemblée, 
sur sa compétence et les questions qui lui seraient soumises. 

C'était vouloir introduire l'ordre dans une mesure qui avait 
pour but de créer le désordre et la confusion ; aussi à Berlin 
insistait-on au contraire pour que la date de convocation du 
Parlement allemand fût fixée avant qu'on eût déterminé le 
mandat et l'autorité de ce même Parlement. La Bavière, flattée 
par une espèce de suprématie que le projet prussien lui attri- 
buait comme second Etat allemand, ne l'avait pas trop mal 
accueilli ; mais la Saxe et le Wurtemberg s'étaient ouvertement 
prononcés contre le système, déclarant inacceptable la supré- 
matie Bavaroise, de sorte qu'on ne tarda pas à s'apercevoir à 
Munich que les avances de M. de Bismarck auraient pour pre- 
mier résultat d'isoler la Bavière et de la mettre à la merci de la 
Prusse. 

En somme, le projet de réforme fut accueilli de tous côtés avec 
froideur et avec défiance ; on le prit pour ce qu'il était, c'est-à-dire 
pour une manœuvre de guerre plutôt qu'une réforme sérieuse. 

Le véritable intérêt de l'Allemagne se concentrait exclusive- 
ment sur l'antagonisme des deux grandes Puissances, car tous . 
les États confédérés comprenaient que le moment approchait 
où ils seraient forcés de se prononcer pour l'une ou pour 
l'autre, et cette alternative leur causait de grandes inquiétudes. 

M. von der Pfordten avait pris l'initiative d'une tentative d'ar- 
rangement que la Prusse avait rejetée et chaque jour le conflit 
devenait plus menaçant. 

Il serait sans intérêt d'entrer dans le détail de la polémique 
qui suivit la motion prussienne à Francfort. Ce sont toujours 
les mêmes redites,et les récriminations s'échangent entre Vienne 
et Berlin en s'accentuant de plus en plus, à mesure que les 
notes se succèdent. Nous nous bornerons donc à marquer par 



-i«etio^5çipç 



254 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



ordre de date les phases successives de la querelle germa- 
nique. 

Le 18 avril, l'Autriche, cédant aux conseils des États confé- 
dérés, adressait à Berlin une proposition catégorique de désarme- 
ment. L'Empereur s'engageait à contremander, par une ordon- 
nance qui serait datée du 24, toutes les dislocations de troupes 
ou autres mesures que le Gouvernement prussien envisageait 
comme des préparatifs de guerre dirigés contre lui, à condition 
que, de son côté, le Roi prit l'engagement d'ordonner le 
même jour ou le lendemain, la remise sur le pied de paix des 
différents corps d'armée qui depuis le 27 mars avaient été ren- 
forcés. 

Il était impossible, il faut en convenir, de faire une démarche 
plus pacifique. Aussi quand le lendemain (19 avril) on reçut à 
Berlin la dépêche autrichienne M. de Bismarck ne put-il con- 
tenir le dépit qu'il en ressentit. Il fut tel, qu'il en résulta une 
d^ ces indispositions auxcjuelles il parait être sujet, quand la 
marche des affaires ne répond pas à ses désirs. Ce fut un temps 
d'arrêt de vingt-quatre heures, car le jour suivant (20 avril) il 
présidait à l'échange des ratifications du traité offensif et 
défensif conclu le 8 du même mois avec l'Italie. 

Singulière réponse aux avances pacifiques de l'Autriche ! 
Et à cette occasion le comte de Barrai lui ayant demandé ce 
qu'il comptait répondre à la note autrichienne, il lui dit : " 
« Qu'il était bien difficile de refuser, mais que la Prusse régle- 
rait son désarmement sur les mouvements des troupes autri- 
chiennes, les suivant pas à pas ; qu'on garderait les chevaux en 
motivant cette mesure sur la différence d'organisation des deiu 
armées, et qu'on ferait valoir aussi certaines dispositions 
militaires prises contre la Prusse par quelques États secon- 
daires (1). » — 

La réponse partit le lendemain (2 1 avril) ; elle reproduisait 
en effet une partie de cet entretien mais avec d'importantes 
modifications que la nuit paraissait avoir conseillées. Des che- 
vaux, il n'était pas question ; on les gardait, mais on avait juw 



(1) Télégramme du 20 avril J866, du comte de Barrai à son Gouvcrn- 
ment. (La ilarmora, cliap. IX.) 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



nius sage de ne pas en parler et de ne pas motiver cette réserve. 
Mais ce qui était plus grave, on passait sous silence les dates 
iroposées par l'Autriche, de telle soi'te qu'à un engagement 
formel de désarmer le 28, on répondait par une promesse 
vao-ue sans date, et subordonnée à des explications ulté- 
rieures. 

Aussi à Vienne ce document fut-il considéré comme une fiji 
lie non-recevoir plus ou moins déguisée sous des formes paci- 
liciues. On pensa que M. de Bismarck voulait simplement 
(jicuer du temps et attendre que l'Autriche fût placée entre 
deux feux. Car on savait les encouragements qu'il prodiguait à 
Florence et, sans avoir connaissance du traité qui liait la Prusse 
à l'Italie, on commençait à en soupçonner l'existence, d'autant 
i)lu3 qu'on avait reçu la nouvelle d'un rassemblement considé- 
rable de troupes à Bologne. 

La note prussienne appelait une réponse. Le comte de Mens- 
dorff la fit le 25 et ce fut la dernière. 11 déclarait que son Gan- 
vcrnement allait procéder au rappel immédiat de dix ou douze 
liataillons dont la présence en Bohême avait paru menaçante à 
la Prusse, et qu'il espérait que, de son côté, la Prusse contrc- 
inanderait toutes les mesures de mobilisation qui étaient de 
nature à inquiéter l'Autriche. Toutefois il faisait observer que 
les préparatifs qui se faisaient en Italie, et qui n'étaient plus 
un secret pour personne, obligeaient l'Autriche à se mettre en 
éiat de défense dans ses provinces méridionales. Quant aux 
armements des États allemands secondaires, le Cabinet de Vienne 
ue' conuaissait pas de meilleur moyen pour les faire cesser ou 
révoquer, que d'engager la Prusse à faire à Francfort une dé- 
claration'pacifique aussi catégorique que celle de UAutriche. 

Deux notes et contre-notes furent encore échangées entre 
Vienne et Berlin sur cette question des armements et ne ser 
vireut qu'à constater l'impossibilité de s'entendre. Malgré toutes 
les assurances du contraire, il était parfaitement avéré que 
ritalie se préparait à la guerre ; c'était d'ailleurs une consé- 
quence forcée du traité du 8 avril. Donc l'Autriche ne pouvait 
à aucun prix consentir à désarmer sur la frontière italienne. Or 
le Cabinet de Berlin faisait de ce désarmement la condition 



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2o6 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 






nécessaire du rappel des ordres de mobilisation de l'armée 
prussienne. C'était demander l'impossible et prouver à tout le 
monde qu'on ne voulait pas revenir au pied de paix. L'opinion 
publique ne s'y trompa pas et vit dans les réponses évasives el 
perfides du Gouvernement prussien une preuve de sa solidarité 
avec l'Italie dont les préparatifs étaient manifestes. Le 4 mai, ' 
M. de Mensdorff se décida à clore cette correspondance inutile. 

— « Nous devons considérer, écrivait il à cette date au comie 
Karolyi à Berlin, comme épuisée la négociation sur un reirait 
simultané des préparatifs militaires faits par la Prusse vis-à-vis 
de l'Autriche, et par l'Autriche vis à-vis de la Prusse. Par les 
assurances solennelles que nous avons données à Berlin comme 
à Francfort, il est bien établi que la Prusse n'a à redouter de 
l'Autriche aucune attaque et l'Allemagne aucune rupture de la 
paix. L'Autriche ne songe pas plus à attaquer l'Italie malgré le 
langage constamment agressif du Gouvernement italien ; mais il 
est de notre devoir de veiller à la défense de la monarchie et 
nous le ferons sans égard pour aucun contrôle étranger. » — 

On aurait pu commencer par cette déclaration finale, qui est | 
la seule pièce vraiment honnête et loyale de toute la corres- 
pondance. 

Ces questions internationales de désarmement simultané on 
progressif, ne seront jamais, entre les Gouvernements, qu'une 
source de- discussions stériles ou de griefs imaginaires, cat 
elles ne sont pas susceptibles de recevoir une solution sérieuse. 
Le désarmement peut être imposé à une nation par une armée 
victorieuse, mais il ne peut résulter d'une négociation paci- 
fique, parce qu'en temps de paix il est impossible de contrôler 
la réciprocité des mesures nécessaires à son exécution. Qn* 
faudrait-il, en effet, pour que le désarmement fût efficace et 
réel? Ni plus ni moins qu'une commission mixte qui pût con- 
stater de visu le renvoi des hommes, le renvoi des chevauS; 
le retrait et peut-être môme la destruction des armes, la désor- 
ganisation des cadres, en un mot l'anéantissement de la foK« 
militaire qui fait l'objet du litige. Or nous le demandons, quelit 
est la nation non vaincue, qui consentirait à admettre chez ellei 
dans ses arsenaux, dans ses garnisons, dans les bureaux de so" 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



2S7 



administration, la présence, le centrôle et les exigences d'une 
rouimission étrangère prenant le compte de ses soldats, de ses 
chevaux, de ses fusils et de ses canons? 

Kl cependant sans ce contrôle étranger le désarmement par 
dépêche n'est qu'une fiction, et du jour où cette question inso- 
luble se lève entre deux pays, on peut être certain que celui 
qui en a pris l'initiative ne cherche qu'un prétexte pour Justi- 
fler des préparatifs d'agression. 

Rien n'est moins pratique, rien n'est plus vide de sens 
me les théories pacifiques de quelques utopistes qui croient 
trouver dans un désarmement général des garanties d'une paix 
européenne. En principe il est certainement incontestable que 
si toutes les Puissances s'entendaient pour réduire leur effectif 
militaire au strict nécessaire, c'est-à-dire à la force de police 
intérieure, dans ce cas l'agression devenant impossible, la paix 
serait assurée ; mais c'est précisément cette entente complète 
et "énérale qui n'est pas réalisable, et il suffit d'une seule 
exception pour mettre tous les désarmés à la merci de ceux 
qui auraient eu la sagesse de ne pas les imiter. Non ! la paix 
"énérale ne peut être garantie que de deux manières, ou par 
le droit ou par la force ; le droit, qui ayant derrière lui le res- 
pect des peuples et des gouvernements, règne par le consente- 
ment général, opposant au besoin l'alliance de tous à celui qui 
le méconnaît; la force, qui arrête les agressions et les convoiti- 
ses par la crainte d'une résistance considérable sinon invincible. 
Or comme le droit n'a plus pour lui le prestige de l'invio- 
labilité, et que la jurisprudence inteniationale moderne l'a 
relégué parmi les vieux souvenirs, il ne reste plus aujour- 
d'hui que la force, et nous revenons toujours à cette môme 
conclusion qui s'impose désormais à toutes les nations et à 
tous les États. La paix dépend de l'armée et ne dépend pas 
d'autre chose. Diminuez l'armée et vous augmentez le péril qui 
vous menace. Augmentez l'armée et vous assurez la paix. Et 
vous n'aurez de sécurité, soit en France, soit ailleurs, que le 
jour où vous serez en état d'entretenir perpétuellement à l'état 
ordinaire, un effectif militaire capable d'imposer par la crainte 
Icrespectde vos frontières et de vos richesses. 




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L'ALir.MAG^'K iSOUVELLE. 



I^Â . 



Après les déclarations formelles de l'Autriche il ne pomait 
plus exister de doute sur son désir d'éviter la guerre si la 
guerre était encore évitable. Elle ne faisait autre chose que de 
se mettre en état de légitime défense. L'Italie avait enfin avoué 
ses armements tout en se défendant de vouloir attaquer la 
première. Le Gouvernement autrichien était seul sincère et 
véridique, et il en donna une dernière preuve à la fin cVawil. 

Dans un entretien qui avait eu lieu le 29 avril, M. Droiiynde 
Lhuys ayant appelé l'attention du prince de Motternich sur 
ces déclarations italiennes, l'Ambassadeur d'Autriche luirépou- 
dit : — « Si la France peut nous garantir que l'Italie ne nous 
attaquera pas, nous retirons à l'instant toutes nos troupes de 
la frontière. » — Sur quoi M. Drouyn de Lhuys fit observer au 
prince que l'Italie n'avait aucun intérêt à attaquer l'Autriche, 
sachant fort bien que la France ne lui viendrait pas en aide, et 
que, sans avoir aucune autorité pour rien garantir, il croyait 
cependant pouvoir émettre avec une pleine assurance cette 
opinion cjue suggérait le bon sens. — « Pouvez-vous le garantir', 
répéta l'Ambassadeur, et il ne restera plus un soldat sur la 
frontière (1). » — 

La garantie ne pouvait pas être donnée, car désormais flta- 
lie obéissait à la Prusse plutôt qu'à la France, et déjà commen- 
çaient à se manifester les résultats du traité qui l'enchaînait a 
la pohtique de M. de Bismarck. 

Le silence, ou pour parler plus correctement, la réponse 
négative, de M. Drouyn de Lhuys au prince de Metternich pro- 
duisit comme on devait s'y attendre une impression considé- 
rable et défavorable en Autriche, car malgré tous les engage- 
ments de l'Italie avec la Prusse, il était bien certain que la 
France n'avait qu'un mot à dire pour garantir l'Autriche contre 
toute agression italienne. Puis, comme il arrive presque tou- 
jours en pareille circonstance, le comte de Mensdorfï reçut de 
Paris par voie confidentielle, mais parfaitement certaine, des 
informations qui ne lui laissèrent plus aucun doute sur l'atti- 
tude du Gouvernement Impérial. 

(1) Télf^gramme de M. Nigra à son Gouvernement, du 30 avril 1866. - 
(V. LaMarmora, ch. XI.) 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



289 



L'Empereur s'était borné à blâmer les préparatifs apparents, 
en-'a^erle fond de la question. — « Si l'Italie attaque, elle 
ffera aies risques et périls; si on l'attaque nous la défen- 
drons.» -Telles avaient été les paroles de S. M. à M. Nigra, et 
on trouvait avec raison à Vienne que cette attitude, toute favo- 
rable à l'Italie, donnait à l'Empereur le droit d'exiger que 
î'Italiene menaçât pas l'Autriche. On ignorait alors que le Cabi- 
net des Tuileries avait abdiqué la meilleure partie de sa liberté 
depuis le 30 mars, en permettant ou en conseillant le traité 

secret du 8 avril. , ., , ^ , -a 

Le Gouvernement autrichien n avait plus de temps a perdre 
en yaines discussions. L'archiduc Albert, qui jusqu'alors avait 
retardé son départ, reçut l'ordre de se rendre immédiatement 
en Italie pour y organiser l'armée de défense et en prendre le 
conimandement. , 

En même temps le comte de Mensdorff, comprenant quil 
fallait à tout prix dégager la situation et prendre position, 
adressait à Berlin une dernière communication non plus sur 
les armements respectifs des deux Puissances, mais sur la ques- 
tion principale qui avait été dès l'origine la cause du conflit, 
sur la question des Duchés. De cette dépêche longuement moti- 
vée, nous extrayons la partie essentielle qui mérite d'être citée 
à l'honneur du Cabinet de Vienne : 

« Vienne, le 26 avril 1S66. 

» La Convention de Gastein n a fait que partager l'exercice 
des droits de souveraineté eMre l'Autriche et la Prusse jusqu'à 
marrangement ultérieur... - De nombreuses et graves considé- 
rations engagent les deux Cours à disposer des Duchés en faveur 
d'un tiers, et dans la situation critique, mais non sans issue, 
dans laquelle nous nous trouvons, S. M. l'Empereur (d Au- 
triche) considère comme un cas de conscience de recommander 
instamment au Roi de Prusse une décision de cette nature..... 
iNous proposons en conséquence à la Cour royale de Prusse de 
seioindre à nous, à l'effet de faire une déclaration à Francfort, 
portant que l'Autriche et la Prusse ont résolu de transférer 
leurs droits acquis par le traité de Vienne à celui des préten- 
dants auquel la Diète reconnaîtrait le plus de droit à la succes- 
sion du duché de Holstein Dans le cas néanmoins ou la 



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260 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Prusse continuerait à repousser nos propositions aussi juste 
qu Jionorables, il ne nous resterait pas d'autre résolution à 
prendre que d'exposer clairement à la Confédération l'étatactael 
de 1 affaire, et d'engager nos confédérés à délibérer sur les 
mesures qui, à défaut d'une entente entre l'Autriche et la Prusse, 
devraient être prises pour arriver à une solution de la question 
des Duchés, conforme aux lois fédérales. Le moment serait 
venu de consulter les populations du Holstein, qui ont d'autant 
plus de droits d'exprimer leurs vœux, qu'en vertu de la Consti- 
tution en vigueur, les États holsteinois doivent être convoqués 
dans le courant de cette année. 

» Signé : De MEKSaoRFF (1). » 

^ Il est difficile de ne pas reconnaître que ces dernières propo- 
sitions autrichiennes portaient au suprême degré le caractère 
de la légalité et de la justice. Malheureusement il était trop 
tard. Pendant trop longtemps l'Autriche avait dédaigné ces 
droits fédéraux auxquels elle rendait aujourd'hui un hommage 
si légitime et si public. Pendant trop longtemps elle avait vécu 
alliée et complice de la Prusse, et il ne suffisait plus d'une 
dépêche honnête pour briser les liens de cette coupable solida- 
rité. Aussi le Cabinet de Berlin n'attacha-t-il aucune importance 
à cette communication de la dernière heure et se contenta-t-il 
do répondre par un refus à peine motivé. S'appuyant sur la 
Convention de Gastein, il n'admettait aucune ingérence, pas 
même celle de la Diète, dans le condominium austro-prussien et 
repoussait formellement l'idé-3 de céder à un tiers ses droits sur 
le Sleswig. 

L'affaire en resta là pour le moment, et ce fut contre la Saffi 
que se tournèrent les récriminations du Gouvernement prussien. 
M. de Bismarck se sentait pressé par l'enchaînement des faits; 
il lui fallait absolument trouver le ca^us belli qu'il avait promis 
aux Italiens ; il le cherchait de tous côtés. 

Une nouvelle campagne épistolaire s'engagea entre le Cabinet 
de Berlin et ceux de Dresde, de Munich, de Stuttgardt, etc., dont 
nous ne fatiguerons pas le lecteur parce qu'elle est sans intérêt 

(I) Archives et documents diplomatiques. — 1866. S» 6. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



2!34 



de même qu'elle fut sans résultat.La Saxe surtout, plus menacée 
que les autres, portait ses doléances à Francfort pour faire de 
sa cause une cause allemande ; on l'écoutait avec bienveillance, 
on votait sous son initiative des résolutions fédérales dans le but 
de conjurer les menaces de la Prusse, mais que valaient ces déli- 
bérations et ces protocoles en face d'un fait aussi péremptoire que 
la mobilisation de toutes les forces prussiennes ? 

Or, le i mai, l'ordonnance de mobilisation était signée à 
ISei'lin pour '130,000 hommes, et deux jours après, le 6 mai, 
M. de Bismarck déclarait au ministre d'Italie que — « tou-e l'ar- 
née prussienne était entièrement mobilisée. — 

Il Deux grandes concentrations de troupes se massaient à 
Welzlar età Coblenlz pour surveiller les États secondaires. Deux 
autres corps d'armée se réunissaient à Erfiirt et à Gorlitz pour 
envahir la Saxe au premier signe (1). » 



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En Autriche les mouvements de troupes se faisaient aussi sur 
une grande échelle ; l'armée du Nord se formait en Bohême par 
la concentration des six corps d'armée placés sous le comman- 
dement en chef du général Bénédek, et celui-ci prenait à Vienne 
ses dernières dispositions. 

C'était aux premiers jours de mai, à l'époque où la popula- 
tion devienne, devançant l'arrivée, souvent tardive, de la belle 
saison, commence à se répandre au dehors dans les parcs, les 
jardins et la campagne. Les bruits de guerre, loin de troubler 
ces fêtes et ces réunions champêtres, semblaient au contraire 
avoir réveillé chez le peuple Viennois une ardeur juvénile. La 
popularité de Bénédek était à son apogée. Paraissait-il dans les 
rues ou sur les pelouses du Prater, toute la population s'atta- 
chait à ses pas, l'acclamant comme un héros désigné pour la 
victoire. L'enthousiasme était général aussi bien dans l'armée 
que dans le peuple. La nation tout entière avait sanctionné le 
choix de l'Empereur. On pourrait presque dire que l'opinion 
publique le lui avait imposé. 

(1) Téliîgrammo du comte de Barrai à son Gouvernement, du S mai 
18G6. -(LaJlarmora, cli. XIU ) 

15- 



262 



'iWBMUDPK 



L'ALLEMAGNK NOUVELLE. 



Bénédek était d'ailleurs un excellent officier qui avait fait 
ses preuves comme divisionnaire. Il n'était pas courtisan et 
l'avait montré en deux ou trois occasions, en s'élevant, di- 
sait-on, contre le favoritisme pour l'avancement des officiers; 
il n'était pas noble, ce qui lui ralliait toute la démocratie 
allemande; il était protestant, ce qui plaisait aux juifs de 
Vienne ; il était Hongrois, ce qui lui assurait toutes les sym- 
pathies en dehors des provinces autrichiennes ; il était braYC, 
bon cavalier, à l'air vif et avenant malgré ses 62 ans; enfin il 
avait tout pour plaire et il plaisait à tous, excepté malheureuse- 
ment à la plupart des officiers généraux qu'il allait avoir sous 
ses ordres, et qui ne voyaient pas sans méfiance ni sans dépit 
cette personnalité populaire portée par l'opinion aux honneurs 
du rang suprême. Il en avait la conscience et comme il joignait 
à ses qualités une véritable modestie et une grande honnêteté 
de caractère, lui seul, au milieu de l'élan général, s'attristait du 
commandement qui lui était échu et s'efforçait d'obtenir de 
l'Empereur qu'il le confiât à un autre. 

Un jour qu'il avait en vain pressé l'Empereur de lui donner 
une simple division au lieu de la grande armée du Nord, il vint, 
en sortant de l'audience Impériale, trouver le comte de Mensdorlï 
dans son cabinet. Il était tellement ému que les larmes rem- 
plissaient ses yeux : 

— « J'ai fait ce que j'ai pu, lui dit-il, j'ai supplié l'Empereur de 
me décharger de ce commandement. Je le sens, c'est au-dessus 
de mes forces; c'est un cas de conscience; avec une division, je 
ferai tout ce qu'il est humainement possible de faire ; mais pour 
manœuvrer 200,000 hommes dans ce pays que je ne connais 
pas assez, je n'ai pas ce qu'il faut. Je l'ai dit à l'Empereur, ncn 
n'a pu l'ébranler; mais ce qui me désespère, c'est sa dernière 
phrase : — « Vous êtes le seul, m'a-t-il dit, je n'en ai pas d au- 
tres.' » — Ah ! malheureux pays, si dans toute cette belle armée 
nous n'avons pas un meilleur général que moi ! J'obéirai, 
c'est mon devoir ; mais je vous en supplie, mon cher comte, 
faites encore un effort auprès de Sa Majesté (1). » — 

(I) Cet entretien a été rapporté pour ainsi dire textuellement par le 
comte de Mensdorff à un diplomate qui entrait cliez lui au moment ou 
le général Bénédek en sorlail. 




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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



263 



peu de jours après, le général Bénédck partait pour l'armée. 
11 sera juste de garder le souvenir de cet incident pour le jour 
où nous le verrons revenir à Vienne, vaincu et désarmé, déchiré 
et accusé par iceux-là mêmes dont les louanges exagérées l'a- 
vaient malgré lui porté au commandement. 

Il nous faut parler maintenant d'une tentative de médiation 
nui se produisit alors de la part des Puissances non allemandes 
sous forme d'une proposition de conférence. Un congrès proposé 
au moment où les deux armées belligérantes étaient pour ainsi 
dire en présence ; un congrès venant à la dernière heure pour 
résoudre des conflits que l'abstention des Puissances avait laissé 
«■vandir sous leurs yeux sans qu'elles eussent rien fait pour en 
arrêter le développement, c'eût été vraiment une démarche inex- 
plicable s'il n'y avait eu une raison d'ordre supérieur pour en 
teuter l'entreprise. 

Or voici quelle était cette raison. Le 8 mai, l'Empereur Napo- 
léon avait fait appeler M. Nigra, ministre d'Italie, et lui avait 
fait part d'ouvertures fort importantes qu'il avait reçues de 
Vienne par l'entremise de l'ambassadeur d'Autriche. Il s'agissait 
de la cession de laVénétie en échange de la neutralité italienne, 
et à condition qu'en cas de victoire on ne s'opposerait pas à ce 
que l'Autriche compensât la perte de cette province par un ter- 
ritoire équivalent pris aux dépens de la Prusse. 

Le raisonnement autrichien était celui-ci :— Une fois l'Autriche 
oarantie contre toute agression italienne, on reporte dans le 
Nord l'excellente armée du Sud forte de près de 200,000 hommes 
et la victoire devient certaine. La Prusse vaincue perd une pro- 
vince (la Silésiepar exemple) et l'opinion publique, satisfaite par 
cette compensation territoriale, souscrit volontiers à la cession de 
laVénétie à laFrance qui la rétrocède à l'Italie sans conditions.— 

L'Italie se trouvait donc ainsi en présence d'une offre qui réa- 
lisait toutes ses espérances, et cela sans coup férir, sans risquer 
le sort toujours incertain d'une guerre très-sérieuse. Mais pour 
en profiter, il fallait se dégager du traité oiTensif et défensif 
tonclu le 8 avril avec la Prusse. 

~ « L'Empereur m'a demandé, écrivait M. Nigra à sou Gouvcr- 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



nement, si nous pouvions rompre nos engagements avec I 
Prusse (1).» — 



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Si l'Italie désintéressée s'était retirée de lalliance prussienne, 
l'Autriclie, mettant près de 400,000 hommes en face des Prus- 
siens, la campagne tournait infailliblement à son avantage, et 
voici ce qui serait résulté de sa victoire : 

La Vénétie revenait à l'Italie ; la Silésie passait à l'Autriche, 
le Sleswig et le Holstein formaient un nouvel État confédéré 
sous le duc Frédéric d'Augustenbourg; la Prusse gardait le 
Lauenbourg et acquérait des droits importants dans le Sleswig- 
Holstein ; la Confédération germanique se reformait sur une 
base nouvelle et mieux équilibrée, et la France recevait par une 
rectification de frontière du côté de la Bavière un avantage 
qui n'était pas sans importance. 

On comprend que l'Empereur eût, ce jour-là, le désir de rendre 
à l'Italie sa liberté et de reprendre la sienne! 

La réponse du général de La Marmora arriva de Florence le 
lendemain et parut ouvrir une chance de succès. Elle était ainsi 
conçue : 



Florence, le 8 mai 1866. 



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» J'ai reçu votre importante dépêche. Ma première impression 
est que c'est une question d'honneur et de loyauté de ne pas 
nous dégager avec la Prusse, surtout maintenant qu'elle vient 
d'armer et de déclarer à toutes les Puissances qu'elle attaquera 
l'Autriche si l'Autriche nous attaque. 

» Mais comme le traité expire le 9 juillet, on pourrait arranger 
la chose avec un Congrès. 

» L'Empereur n'oubliera pas qu'il nous a conseillé le traité. • 

I 

La réponse du général de La Marmora, ou pour parler plu" 
justement, la résolution du Gouvernement itahen de repousser 
les avances de l'Autriche était loyale et presque chevaleresque; 
mais il est permis de se demander si elle était inspirée par une 

(1) Télégramme de M. Nigra du S mai 1866 (V. La Marmora, cliap. XIII.) 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



265 



appréciation très-intelligente de la situation. De quoi s'agissait- 
il en effet? du. traité du S avril, c'est-à-dire d'Un pacte dont 
tout le succès reposait sur une politique clandestine et trom- 
peuse. L'Italie n'avait-elle pas protesté contre toute idée agres- 
sive au moment même où elle discutait avec la Prusse les 
conditions et le plan de l'attaque? Toutes ces négociations se- 
crètes, toutes ces fausses déclarations qui se succédaient pour 
ainsi dire chaque jour, n'avaient-elles pas créé dans les relations 
internationales de la Prusse et de l'Italie soit entre elles, soit 
avec les autres Puissances, une atmosphère sui generis où il de- 
Tcnait presque singulier de parler de droiture et de loyauté? 
Ce qui est parfaitement démontré, c'est qu'entre les Cabinets 
de Berlin et de Florence il n'y avait aucune confiance réci- 
proque et que, si l'un des deux avait trompé l'autre, il n'y au- 
rait eu personne de surpris. C'était aussi bien le sentiment des 
Prussiens que celui des Italiens, et nous en voyons la preuve 
dans ce passage d'un rapport du général Govone, où, rendant 
compte d'une conversation qu'il avait eue avec le comte de 
Bismarck quinze jours après la signature du traité, il le fait en 
ces termes : 

« Le comte de Bismarck, tout en déclarant qu'il était de l'inté- 
rêt prussien de ne pas nous laisser seuls, ajouta cependant que 
la Prusse ne se tenait pas pour légalement engagée envers nous 
par le traité, à déclarer la guerre à l'Autriche si ceile-ci nous at- 
tmait; il en faisait une question d'intérêt prussien, mais non 
pas de loyale interprétation d'un traité qui, étant appelé d'al- 
liance offensive et défensive , doit sans doute avoir pour consé- 
quence d'engager également les deux parties. Cette circonstance 
rapprochée de l'essai qu'il avait fait de supprimer dans le texte 
du traité l'appellation offensive el défensive montre que le Prési- 
dent du Conseil voulait se laisser la porte ouverte pour nous 
quitter si cela lui convenait... Il termina en disant que si l'Au- 
triche leur faisait des concessions telles qu'il fût impossible de 
les refuser, dans ce cas il nous préviendrait à temps. Il ne 
repoussait donc pas absolument la possibilité d'un arrangement 
avec l'Autriche, mais seulement il en mettait en doute la proba- 
bilité... D'après tout ce qui vient d'être rappelé, on peut en tirer 
cette conclusion que la Prusse, si ses intérêts le lui conseillaient. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



ne se refuserait pas à un arrangement avec l'Autriche, aujour- 
d'hui encore (7 mai 1 866, date du rapport), et se basant sur une 
subtile interprétation du texte de notre traité, se croirait m 
droit (quoiqu'elle ne le juge pas de son intérêt ni de son lion- 
neur jusqu'ici) de nous abandonner, si l'Autriche nous attaquait 
aujourd'hui que nous sommes engagés pour les intérêts prus- 
siens autant que pour les nôtres. Nous pourrions par consé- 
quent, avec un égal fondement, prétendre que si l'Autriche 
était la première à attaquer la Prusse, nous serions déliés de 
tout engagement... A prendre le comte de Bismarck au mot, on 
n'aurait donc qu'à pousser l'Autriche à attaquer la premiéreptt 
que nous fussions dégagé^, aussi bien que la Prusse prétend 
l'être envers nous dans le cas analogue (l). » 

Or en rapprochant les dates, on voit que le rapport du général 
Govone est de deux jours seulement postérieur cà la proposition 
autrichienne relative à la cession conditionnelle de la Vénéte' 
Le 7 mai, la question était donc encore ouverte, et tout semble 
indiquer qu'il eût été possible d'obtenir du Cabinet de Florence 
de prendre en considération la proposition autrichienne, si de 
Paris on avait alors insisté avec énergie. 

On comprend parfaitement qu'un Gouvernement se monte 
au suprême degré jaloux de la loyauté de sa politique et de sa 
fidélité aux engagements qu'il a contractés, mais alors il faut quE 
cette loyauté soit la règle constante de ses relations internationa- 
les, et qu'elle ne soit pas comme une lueur intermittente sujette 
à des éclipses chaque fois que l'obscurité devient avantageuse. Le 
cas qui se présentait avait été explicitement prévu par les contrac- 
tants, et M. le comte de Bismarck l'avait ainsi formulé : — «i)' 
l'Autriche nous fait des concessions telles qu'il soit impossible de 
les refuser, dans ce cas je vous préviendrai à temps. » — Or, 1' 
proposition autrichienne était précisément pour l'italis une de 
ces concessions qu'il paraissait impossible de refuser, et l'Itate 
aurait pu prévenir à temps la Prusse de ne plus compter sur sou 
concours armé. 

Mais s'il lui répugnait de se servir de cette porte de sortie qW 

(1) Mémoire adressé par le général Govone à son Gouvcniciincnl •' 
■ mai 1866. (\. La Marmora, ch. XliL) 




10 11 12 13 



L'ALLKHAGNE NOUVELLE. 



267 



laPrusse avait elle-même indiquée et s'était officiellement rôser- 
yée l'Italie avait encore un autre moyen également stipulé pav le 
comte de Bismai-ck. Il suffisait de provoquer l'attaque de l'Au- 
triche, et par le fait même elle se trouvait dégagée. 

Au lieu de ces deux moyens pratiques, définis, et d'une 
exécution certaine, que fait le Cabinet de Florence? Il propose 
de traîner en longueur un état de choses déjà insoutenable, et 
d'arriver par un Congrès à la date du 8 juillet pour atteindre 
liiisi l'expiration d'un traité qu'il désire éluder, mais qu'il veut 
éviter de rompre. 

Mais comme l'avait dit le général de La Marmora, ce n'était 
(lu'une première impression, et elle ne tarda pas à se modifier. 
- « L'Empereur n'oubliera pas qu'il nous a conseillé le traité 
avecla Prusse ; » —c'est ainsi qu'il avait répondu aux ouvertures 
du 5 mai, ce qui voulait dire : — « Comment venez-vous nous 
demander de rompre un traité que vous nous avez vous-même 
conseillé? » — 

Voici maintenant les réflexions qui se présentèrent à son 
esprit quand vint l'heure de la seconde impression : — k C'est vrai, 
l'Empereur a conseillé le traité, mais dans quel but? Pour obtenir 
la Vénétie. Or maintenant que nous avons la Vénétie, le traité 
n'est plus qu'un embarras. Donc, si nous pouvons nous en dé- 
caler d'une façon légitime et sans manquer à l'honneur, nous 
devons le faire. Or le cas est prévu pour nous comme pour la 
Prusse. Il paraît sage d'en profiter. » — 

Le Cabinet de Florence avait alors pour organes de sa poUtique 
trois personnes, dont la correspondance, jointe à celle du comte 
de Barrai, peut nous servir à fixer d'une manière certaine quelle 
fut cette seconde impression qui succéda à la première, c'est-à- 
dire à celle du télégramme que nous avons cité plus haut. 
C'étaient le général Govone, négociateur du traité qu'il s'agissait 
de rompre; M. Nigra, ministre d'ItaUe à Paris, et enfin le général 
de La Marmora lui-même, chef du Cabinet. 

Or, voici ce que disait le général Govone deux jours après la 
première impression contraire. — « Cependant, si la France ne 
s'en mêlait pas, le Gouvernement du Roi pourrait difficilement 
prendre la responsabilité de refuser la cession, et engager une 



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lullc dont l'issue n'est pas certaine (l). » — Et comme la France 
ne devait pas s'en mêler, cette conclusion était par cela même 
en faveur de la rupture du traité. 

Le !4 mai le général de La Marmora, revenant sur le projetée 
cession de la Vénétie par l'Autriche, ne le repoussait plus du 
tout comme il l'avait fait neuf jours auparavant, et quant au 
traité du 8 avril avec la Prusse, il n'en était même plus questioa. 
Il ne se préoccupait plus que d'une seule chose, le mode de 
cession de la Véuétie qui, selon lui, blessait l'amour-propre na- 
tional. La répudiation du traité était admise en principe, seule- 
ment il voulait que la Vénétie, abandonnée par l'Autriche, reTht 
à l'Italie par suite d'un vote populaire au lieu d'être cédée par 
l'Autriche à la France et rétrocédée par la France à l'Italie. Nous 
envoyons la preuve dans le télégramme suivant : 



Florence, 14 mai 1866. 



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» On me mande de Londres que le bruit se répand d'une ces- 
sion de la Vénétie à la France. Comme cela est d'accord avec les 
projets de l'Empereur, je dois vous dire de tâcher que, si la 
Vénétie est cédée, elle nous revienne par le suffrage universel el 
non par une cession à la France, ce qui serait humiliant, et ferait 
un effet déplorable en Italie, ayant plus de 300,000 hommes prèb 
à marcher. La France aurait une part tout aussi glorieuse en dé- 
cidant l'Autriche à appliquer le suffrage universel. La situation 
de l'Italie serait alors satisfaisante vis-à-vis de l'Europe, et parti- 
culièrement de l'Autriche, dont les relations à venir avec l'Italie 
seraient compromises par la rétrocession. Franchement, moi qm 
ai toujours cherché à faciliter une solution pacifique de la ques- 
tion Vénitienne, je préférerais la guerre à une telle solution. 

» Signé : La Marmora. » T 

Du traité, comme on le voit, il n'était plus question; on était 
parfaitement disposé à le dénoncer, et c'est là le point impor- 
tant. 

Quant aux observations sur le mode de cession ou de rétro- 
cession de la Vénétie, il est évident que le ministre parlait en 

(1) Son rapport du 7 mai 1865. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



269 



rette circonstance plutôt comme général que comme homme po- 
litioue, et les événements postérieurs se sont chargés de démon- 
trer aue son opinion à cet égard ne tarda pas à se modifier. 

Enfin le 17 roai> M. Nigra envoyait à Florence le télégramme 
suivant ; 

« Paris, 17 mai 1866. 

s Govone arrivé m'a mis au courant de votre manière de voir. 
Je la partage complètement, excepté que je préférerais aux 
chances de la guerre une solution obtenue pacifiquement et ho- 
norablement. 

» Signé : Nigra. » 

Ces citations ont pour but et pour effet de démontrer que 
l'Italie était toute disposée à reprendre sa liberté et sa neutralité. 
On n'avait donc à Paris qu'à dire un mot pour faire voler en 
éclats la convention secrète et punique du 8 avril. Au lieu de le 
taire, on accepta l'idée d'un Congrès, c'est-à-dire, de toutes les 
solutions, la plus difficile, la plus mauvaise, et de fait la seule 
impraticable. 

C'est qu'en France il existait, comme nous l'avons déjà dit, 
deux courants opposés l'un à l'autre. M. Drouyn de Lhuyss'ins- 
pirant uniquement et exclusivement de l'intérêt français, résis- 
tait aux entraînements d'une politique plus ardente que pré- 
voyante qui fondait sur une guerre allemande des espérances 
vagues et incertaines. Sa longue expérience des affaires l'éloi- 
gnait d'une aventure dans laquelle l'avantage français n'était 
pas clairement défini et solidement garanti. Les autres, ses 
adversaires, voyaient dans la guerre austro-prussienne, non-seu- 
lement l'achèvement de l'œuvre italienne, mais aussi la fin de 
l'appui gênant que l'Autriche avait jusqu'alors prêté au Saint- 
Siège dans ses différends avec l'Italie. Pour eux l'Autriche était 
toujours le centre de la réaction politique, le symbole des vieilles 
idées. Vaincue en 1859, elle se relevait encore pour défendre les 
vieilles choses; c'était le passé, la Prusse était l'avenir. Et l'Em- 
pereur très-fatigué, très-affaibli par une maladie qui ne devait 
plus le quitter, balançait incertain entre les sages qui le rete- 






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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



liaient et les ardents qui l'entraînaient en faisant miroiter devani 
ses yeux de nouvelles chances de gloire et de popularité. Sa po- 
litique officielle était pacifique, M. Drouyn de Lhuys en était 
l'organe; elle penchait même du côté de l'Autriche; mais il lais- 
sait faire autour de lui ; et en dehors de son ministre des Affaires 
Étrangères, il se tenait un langage, il se faisait des promesses 
qui allaient à l'Itahe et à la Prusse. En un mot, pour iiousscnir 
d'une expression employée plus tard par un homme d'Etat 
célèbre : — « A Paris on avait l'air de jouer sur deux cartes.»- 

Voilà pourquoi l'Italie ne fut pas encouragée à rompre le traité 
du 8 avril, qu'elle était prête à dénoncer; -voilà pourquoi le 
Congrès fut préféré et proposé le 25 mai à l'Autriche, l'Italie, la 
Prusse et la Confédération Germanique, par la France, la Grande- 
Bretagne et la Russie. 

Le Congrès, M. de Bismarck l'avait bien jugé. — « C'est lui 
A-ain simulacre, disait-il, aucune puissance humaine ne peut 
empêcher la guerre. Que l'Autriche accepte ou n'accepte pas, 
cela ne mène à rien. Seulement nous y gagnons le temps dont 
nous avions besoin pour terminer nos armements, et nous parti- 
rons du Congrès pour la guerre (1). » — 

Ce Congrès ne parvint môme pas à se réunir, l'Autriche avanl 
refusé d'en faire les frais en y apportant le sacrifice gratuit de 
la Vénétie sans aucune chance de compensation. 

Au surplus, tout était prêt de part et d'autre pour commencer 
la campagne, et le temps des délibérations était épuisé. 

Le l^'-juin, le Gouvernement autrichien avait informé la Diète 
de Francfort qu'il avait envoyé au gouverneur Impérial dans e 
Holstein l'ordre de convoquer les États du Duché. 

Le Cabinet de Berlin s'empara de cette circonstance pom'J 
trouver d'abord une violation du Traité de Gastein, et piùSi 
et surtout, le casus belli dont il était depuis si longtempî 
en quête. Une circulaire datée du 4 juin fut rédigée dans ce 
but, et assaisonnée (2) par le ministre lui-même, d'injures offl- 

(I) Télégramme du comte de Barrai à son Gouvernement. (V. La Slar- 
mora, cliap. XIV.) 



(2) Expression employée par M. de Bismarck. 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



271 



délies qui rendaient désormais la conciliation impossible. Voici 
cil passage de ce document : 

«Berlin, le 4 juin 18C6. 

» Il n'est plus permis de douter que les ministres impériaux 
désirent la guerre à tout prix, en partie dans l'espérance d'ob- 
tenir des succès sur le champ de bataille, en partie pour 
triompher d'embarras intérieurs, et même avec l'intention 
expresse de venir au secours des finances autrichiennes par des 
mtributions prussiennes ou par une honorable banqueroute. Les 
actes du Gouvernement autrichien ne coïncident que trop bien 
avec cette intention, et nous sommes forcés de reconnaître une 
provocation directe dans la déclaration remise à la Diète. Elle 
n'a en effet de signification qu'autant que le Cabinet de Vienne 
entend la faire suivre immédiatement de la rupture, car il n'a 
pu penser que nous endurerions tranquillement son attaque à 
nos droits. 

» Signé : Bismarck. » 

Le Cabinet de Vienne n'entendait aucunement faire suivre sa 
déclaration à la Diète de la rupture de ses rapports avec la 
Prusse, mais il ne se laissait détourner de sa voie ni par des 
menaces ni par des injures. Aussi le 5 juin, le général de 
Gablentz publia-t-il le décret de convocation des États Holsteinois 
appelés, d'après la constitution, à se réunir le 1 4 enla ville ducale 
d'Itzehoe. 

Le comte de Bismarck avait, comme de raison, prévu cette 
convocation, et il fondait sur cet incident de grandes espérances 
comme prétexte de casus belli. Il en avait fait la confidence aux 
envoyés italiens. En même temps que la note du 4 juin, dont 
nous venons de citer les principaux passages, il avait envoyé aii 
général de Manteuffel l'ordre de pénétrer en Holstein avec ses 
troupes aussitôt que paraîtrait le décret de convocation des 
États. Il devait ensuite déclarer que, l'Autriche ayant par cette 
convocation déchiré la Convention de Gastein, lesDuclies retom- 
baient comme par le passé sous le condominium austro-prussien. 

« En conséquence le général de Gablentz était invité par le 
général de Manteuffel à envoyer quelques troupes partager avec 



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L'ALLEMAGNE NOUVELI,E. 



les siennes l'occupation du Sleswig, de même qu'il venait parta- 
ger celle du Holstein. Quanta la réunion des Etats, il s'y opposait 
formellement et comptait au besoin l'empêcher par la force, » 

Le Cabinet de Vienne, de son côté, tenait particulièremeiili 
ne pas compromettre la position qu'il avait prise à Francfort, cl 
le général de Gablentz reçut par télégraphe l'ordre de se repliw' 
sans aucune résistance vers Altona, évitant ainsi tout contact 
avec les Prussiens. Le casus hclli devenait difficile à créer, et le 
comte de Bismarck en concevait un grand dépit. Nouseafoj* 
une preuve dans ce télégramme du comte de Barrai : 

« Berlin, le -10 juin -isee. 

» Bismarck se montre extrêmement irrité contre le général Man- 
tcuifel qui, au lieu d'agir énergiquement contre les AutricliieBJ 
en entrant dans le Holstein, s'est laissé enguirlander par 
général Gablentz et a laisié échapper cette occasion de eoitP- 
— Comprenez-vous cela? m'a-t-il dit (suivent des réflexions pe« 
aimables pour le général). — Enfin, a-t-il ajouté, il y a encorela 
convocation des Etats qui peut amener un conflit. Il faut encorf 

attendre — ^ , 

r Signe : Barrai. »T ; 

Le général de La Marmora, auquel ce télégramme et"' 
adressé, le transmettait aussitôt à Paris en l'accompagnant d'iinf 
observation fort juste. 



Florence, 11 juin 1866. 



4 



■ « Barrai, disait-il, me mande que Bismarck est furieux coTiif 
IManteuffel qui n'a pas su, en occupant le Holstein, provoquera» 
conflit. Je ne vois pas trop comment Manteuffel pouvait tire' 
sur les Autrichiens qui se retiraient sans résistance. » — 

Le casus belli, si recherché par le comte de Bismarck, 1'" 
échappa encore le jour de la convocation des États. Au moffieul 
où le commissaire autrichien se présenta à Itzehoe pour pf»' 
céder à la réunion des députés holsteinois, il se vit en présenc* 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



d'une force militaire prussienne qui déclara s'opposer à l'accom- 
plissement de sa mission. Agissant alors d'après les ordres qu'il 
avait reçus, il se contenta de protester et se retira sans que sa 
résistance pût donner lieu à aucun acte de violence. En môme 
lenips, le général Gablentz, dont les forces militaires se bor- 
naient à une simple brigade, ordonna aussitôt d'évacuer Altona, 
et se retira par Hambourg et Harbourg sur le territoire hano- 
ïrien. Le prince Frédéric d'Augustenbourg, qui se trouvait k 
Itzehoe pour l'occasion, n'eut que le temps de se mettre eu 
sûreté de l'autre côté de la frontière. 

En quittant le Holstein, le général Gablentz adressa aux habi- 
tants une proclamation pour leur expliquer qu'il ne cédait qu'à la 
violence. «-Le chiffre de nos forces, disait-il, n'a pas été calculé 
defaçon à résister à une attaque d'une Puissance allemande qui 
jusqu'ici a été notre alliée. Je suis hors d'état de protéger le droit 
avec ma petite troupe. Me conformant aux ordres de l'Empereur, 
je cède à des forces supérieures et je quitte le pays. » — 

Aussitôt après le départ des Autrichiens, et malgré la protes- 
tation des membres des États, le Gouvernement prussien confia 
le gouvernement du Sleswig-Holstein à M. de Scheel-Plessen 
avec le titre de président supérieur (Ober Px-âsident), qui est 
celui des gouverneurs de province dans l'administration prus- 
sienne. M. de Scheel-Plessen, ainsi que nous l'avons dit plus 
haut, appartenait au parti de l'annexion prussienne. C'en était 
fait du sort des Duchés. 

Le lendemain 12 juin 4866, le comte Karolyi, Ambassadeur 
d'Autriche à Berlin, remettait au comte de Bismarck la note 
suivante pour lui demander ses passe-ports : 

« Monsieur le Comte, l'occupation violente, et en opposition 
avec les traités, du Holstein par les troupes prussiennes, oblige 
l'Empereur d'Autriche à rompre les relations diplomatiques avec 
la Prusse. Le baron de Werther a reçu ce matin l'avis que ses 
passe-ports sont à sa disposition. Le soussigné prie le comte de 
Bismarck de lui faire expédier les siens. 

» Signé ; Karolyi. » 

Cette rupture diplomatique n'était pas encore une déclaration 



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L'ALLEMAGNE MOUVELLE. 



de guerre ; mais elle en était le prélude, et le casus bdli s'appro- 
chait au gré du comte de Bismarck. Cepcndaut, comme l'avait 
dit avec raison le général de La Marmora, il était difficile de 
tirer sur des Autrichiens qui s'en allaient sans résistance. 

Pendant que le Président du Conseil des ministres se montrall 
furieux de toutes ces lenteurs, et cherchait, d'accord avec les 
envoyés italiens, un moyen de mettre le feu aux poudres, selon 
sa propre expression, le Roi se résignait à la guerre avec des 
formes et un langage beaucoup plus réservés. On ne saurait 
d'ailleurs mieux peindre la mise en scène de ces évolutions 
qu'en reproduisant le télégramme envoyé le 8 juin par le 
ministre d'Italie à la suite d'une audience royale. 



« Berlin, 8 juin 1866. 

>) Les Princes sont repartis ce matin pour leur destinatlôiTLe 
départ du Roi est retardé de quelques jours. Le Roi m'a dit 
que le moment d'entrer en campagne n'était plus qu'une ques- 
tion de jours ; qu'il avait pleine confiance dans la justice de sa 
CAUSE et la bravoure de son armée ; mais que la victoire était 
dans les mains de Dieu. — « Heureusement, a-t-il ajouté d'un air 
» ému, et en portant la main sur son cœur, j'ai la conscience 
» nette. Longtemps l'on m'a accusé de vouloir la guerre dans des 
» vues ambitieuses (1); mais maintenant, après le refus de l'Aii- 
>i triche d'aller au Congrès, son indigne violation du traité de 
» Gastein et les violences de sa presse, le monde entier sait quel 
» est l'agresseur. » — En me disant cela, le Roi m'a paru décidé à 
ne pas différer longtemps le commencement de la lutte. Toute- 
tefois il y avait dans sa voix quelque chose de triste, indiquant 
clairement la décision d'un homme résigné, qui ne croit pas 
pouvoir faire autrement. Au moment où finissait l'audience, 
comme j'exprimais à S. M. l'espoir de lavoir bientôt revenir w- 

(1) 11 faut rapprocher ce langage de celui tenu le ii mars d86G, c'osl- 
à-dire trois mois auparavant par le comte de Bismarck au général Go- 
vone — : « Je voudrais ramener l'Allemagne à un état de complications 
sembtible à celui de 1850, afin de pouvoir y trouver le moyen d'alteii- 
dre mon but qui est, je l'avoue haulement, de donner satisfaction à l'amii- 
lion de la Prusse, ambition qui s'étend, mais qui en même temps se limili 
à la domination de toute l'Allemagne du Nord. » — 




10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLii:. 



torieuse:— «La vie, comme la victoire, me répondit-elle en élc- 
nYantles yeux, est entre les mains de Celui qui est là-haut. » — 

Quittons maintenant la Cour de Berlin, et jetons un regard 
sur les mouvements des Puissances non allemandes. Le projet de 
Conférence ou de Congrès avait échoué par le refus de l'Autriche 
ije s'y rendre dans les conditions inacceptables qui lui étaient 
faites par les Puissances. Le Cabinet de Vienne ne pouvait en 
effet se faire aucune illusion sur le sort qui lui était réservé. Il 
s'agissait pour lui du sacrifice gratuit et bénévole de la Vénétie, 
saas aucune compensation, car que pouvait-on lui offrir en échange? 
jlieux valait certainement courir les chances de la guerre que 
d'accepter à l'avance les résultats de la défaite. D'ailleurs Fopi- 
nioE publique en Autriche n'admettait pas ce sacrifice anticipé, 
elle Gouvernement ne pouvait s'exposer à perdre son appui en 
lin moment si critique. 

La France avait accepté l'idée d'un Congrès avec la pensée do 
poiwoir en prolonger les délibérations jusqu'au 8 juillet, c'est- 
à-dire jusqu'à l'expiration du traité qui liait l'Italie à la Prusse. 
Forcée de renoncer à cet espoir, qu'il eût été plus sage de ne 
jamais caresser, elle voulut du moins prendre quelques pré- 
cautions contre les éventualités de la guerre devenue imminente 
et inévitable. Des négociations s'ouvrirent à Vienne, et elles 
permirent à l'Empereur de faire le II juin, dans une lettre à son 
ministre des Affaires Étrangères, la déclaration suivante : 

« Si, malgré nos efforts, les espérances dé paLx ne se réalisent 
pas, nous sommes néanmoins assurés, par les déclarations des 
Cours engagées dans le conflit, que, cpiels que soient les résul- 
tats de la guerre, aucune des questions qui nous touchent ne 
sera résolue sans l'assentiment de la France. » 

Cette lettre, publiée dans le Journal Officiel, communiquée aux 
Chambres législatives, était le programme politique du Gouver- 
nement (V- La neutralité pour le présent; et, pour l'avenir, des 
promesses rassurantes de la partde chacun des belhgérants.Ellc 
eût été parfaite dix ou douze ans plus tôt; mais avec le nouveau 

(1) Voir aux annexes, n" i . 






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276 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



droit Européen, tel que l'avaient créé la guerre de Danemark 
et le traite de Vienne, il lui manquait une chose essentielle, 
savoir, des garanties matérielles pour ces promesses des Puis- 
sances belligérantes. 

Comment, après avoir assisté pendant deux ans à la ™- 
lation de toutes les paroles, de toutes lee déclarations, de 
toutes les promesses, de tous les traités paf ces deux mêmes 
Puissances belligérantes, pouvait-on accorder une valeur quel- 
conque aux engagements éventuels qu'elles contractaient avant 
la campagne ? De toute l'histoire des deux dernières années, il 
se dégageait un fait brutal mais absolu dans sa certitude. C'est 
qu'après la guerre il faudrait imposer au vainqueur, par la 
crainte ou par la force, l'observance de ses promesses. Donc 
avec la lettre de l'Empereur, il fallait une armée pour en faire 
respecter la signature, une armée sans quoi rien ne vaut et rien 
ne se fait depuis que la force prime le droit. ■ 

_ « L'accord établi entre les Puissances neutres restera à lui 
seul un gage de sécurité pour l'Europe. » — 

C'était là aussi une des espérances formulées dans la lettre 
Impériale. La ligue des neutres, la localisation de la guerre, 
doctrines nouvelles sur lesquelles le lecteur connaît déjà notre 
opinion, et que nous n'avons plus à qualifier. 

En Angleterre ce fut M. Gladstone qui se chargea d'expliquer 

l'attitude du Gouvernement britannique en présence de 1» 

guerre qui allait éclater. Il avait été interpellé au Parlement par 

■ M. Kinglake dans la séance du 11 juin 1866, et sa répoase 

devait en quelque sorte servir de programme politique. 

Jamais, à aucune époque, le Parlement britannique n'eut à 
enregistrer dans ses annales un discours de ce genre. L'éclec- 
tisme des doctrines, l'absence d'opinion, l'absence d'influence, et 
de longues périodes pour expliquer l'effacement de l'Angleterre; 
telle fut cette curieuse harangue qui marqua le premier degré de 
l'amoindrissement vers lequel l'orateur commençait à entraîner 
son Gouvernement. Il faudrait, pour bien faire, reproduire en 
e:itiei'ce curieux document; mais ce serait mettre la patience 




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10 11 12 13 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



277 



du lecteur à une épreuve que nous ne nous sentons pas le droit 
de lui imposer. D'ailleurs ce que nous en avons dit en est le 
tableau Mêle. Qu'on en juge par le résumé suivant de son argu- 
mentation : 

^ Mon honorable ami a dit que, sans les complications de 
l'Italie, la querelle des Puissances allemandes aurait pu s'arran- 
irer. C'est bien possible ; mais je crois cependant que le contraire 
est également possible. — 

- La question Vénitienne n'est pas la seule qui menace la 
paix du monde. — 

_ Nous n'avons pas à défendre la politique de la France, et 
nous ne la défendrons pas. — 

_ Nous avons fait savoir à l'Autriche que ce serait une bonne 
jliose si cela pouvait se concilier avec son honneur, de s'ar- 
ranger avec l'Italie ; mais depuis que les événements ont pris le 
caractère aigu de ces derniers temps, nous regarderions comme 
un acte brutal et impoli de répéter ce conseil. — 

_ Dans l'affaire des Duchés, l'Autriche a pour elle le droit et 
la justice. — 

-Mais il y a d'autres points de la querelle sur lesquels nous 
lai refusons nos sympathies. — 

- Nous avons accepté l'idée d'un Congrès parce qu'on ne peut 
jamais écarter une tentative pacifique. — 



- C'est vraiment bien 

échoué. — 



regrettable que cette tentative ait 



Voilà ce que M. Gladstone disait le 11 juin devant l'Europe- 
attentive, langage qui ne justifiait que trop ce que M. le comte 
de Bismarck avait dit en 1865 : — « Prenez l'Angleterre pour ce 
qu'elle est et non pas pour ce qu'elle a été ou pour ce qu'elle 
pourra être. Pendant que nous bâtissions des casernes, elle n'a 
bâti que des magasins. Il eût été plus sage de faire l'un et 
l'autre. Il en est résulté que, dans une guerre continentale, elle 
est aussi impuissante que la Belgique. » — 

Nous ne partageons pas complètement cette manière de voir. 
Il est évident qu'en présence des armements considérables c^uc 



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L'ALLEMAGxNE KOUYELLE. 



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le régne de la force a imposés à tous les États du continent, l'of- 
ganisation actuelle de l'armée anglaise ne lui permet pas de 
peser dans les solutions européennes du même poids qu'elle le 
faisait avant -1 ^63. Mais il n'en est pas moins vrai que, gouvernée 
par des ministres habiles, la Grande-Bretagne peut, en utilisant 
les énormes ressources dont elle dispose, se faire à un moment 
donné, par de sages alliances et des résolutions prises en temps 
utile, le centre de ces résistances collectives qui seules sont 
appelées dans l'avenir à rétablir dans le monde civilisé l'empire 
du droit et de la justice, si jamais il doit y reparaître. 

Il nous reste à parler de la Russie. Ce sera bref; la Russie 
était avec la Prusse. On a dit que l'amitié des Souverains s e- 
tait scellée dans un pacte authentique et officiel par lequel la 
Prusse était assurée contre certaines conséquences d'une victoire 
autrichienne. Si un semblable traité a jamais existé, il a été 
vraiment bien secret ; plus secret que celui de la Prusse et de 
l'Italie. Mais nous sommes tentés de croire qu'il n'a pas existé et 
cela par l'excellente raison qu'il était inutile. Le Roi et l'Empe- 
reur s'entendaient parfaitement entre eux et cela suffisait. D'ail- 
leurs la Russie avait contracté une dette de reconnaissance 
qu'elle n'avait aucun intérêt à répudier, et le souvenir de l'atti- 
tude de la Prusse en 1863, pendant l'insurrection polonaise, 
était encore vivant à la Cour de Pétersbourg. Le chancelier 
prince Gortschakoff s'était prêté avec fort bonne grâce ans 
efforts stériles de médiation pacifique qui sont le prélude clas- 
sique de toutes les grandes ruptures, mais maintenant que 1» 
guerre était inévitable, la Russie s'abstenait, attendait les éTé- 
nements et faisait des vœux pour la Prusse. 

Telle était la situation de l'Europe au moment où l'Autriche et 
la Prusse, sans commencer encore les hostilités, venaient cepen- 
dant de rompre les relations diplomatiques par le rappel des 
Ambassadeurs. 



XIV 



Le Roi de Prusse nie l'existence du traité avec l'Italie. — M. de Bismarck 
ei le général Govone. — Fin do la Confédération germanique.— 
Forces respectives de la Prusse et de l'Aulriclie. — Commencement 
(les hostilités. —Confraternité germanique — Custozza et Sadowa. — 

Cession de la Vénélie. — Médiation de la France La Prusse offre un 

araiislice de trois jours à des conditions refusées par l'Autriche. 



Nous avons dit que dans les premiers jours de juiii, et au 
moment oii le projet de congrès avait dii être abandonné, le 
Gouvernement français avait ouvert des négociations à Vienne 
dans le but d'y obtenir, en échange de sa neutralité, certaines 
garanties contre les éventualités de l'avenir, c'est-à-dire qu'au - 
cnnedes questions touchant à ses intérêts politiques, mihtaires 
ou commerciaux, ne fût résolue sans son assentiment. A cette 
occasion il se passa un fait qui n'a été jusqu'ici que fort im- 
parfaitement divulgué. 

L'engagement que l'on demandait aux Puissances belligé- 
rantes était, sous une formule simple et concise, d'une portée 
cependant très-considérable, car il ouvrait à la France, sans en 
fixer d'avance les limites, un vaste champ d'intervention pour le 
jour où la puissance victorieuse établirait les résultats de sa 
victoire. C'était payer un peu cher la neutralité, et rien que la 
neutralité. Aussi, ne faut-il pas s'étonner si, au premier abord, 
cette demande souleva quelque résistance, et si on chercha à 



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280 



L'ALLEMAGNE NOUVELLK. 



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en restreindre les termes. De là une discussion dans le cours 
de laquelle on vint à parler de l'alliance de la Prusse et de l'Ita- 
lie. Qu'on juge de la surprise générale, quand on sut que le 
traité du 8 avril était nié par le Roi de Prusse et que l'Empe- 
reur d'Autriche ne croyait pas à son existence! 

La Reine douairière de Prusse, qui était fort opposée àla 
guerre, venait en effet d'écrire une lettre à l'Empereur Fran- 
çois-Joseph par laquelle elle lui faisait savoir qu'on l'avail 
trompé en lui parlant d'un traité de la Prusse avec l'Italie. -Le 
Roi, disait-elle, lui avait donné sa parole qu'il n'avait pas sigké 
DE TRAITÉ AVRC l'itahe; quo la convention existait sous forme de 
déclaration des ministres respectifs, mais que, jusqu'au jour où 
les hostilités auraient commencé, elle laissait au Roi entière 
liberté pour conclure avec l'Autriche une solution pacifique. Ce 
cas échéant, si l'Italie attaquait l'Autriche, la Prusse ne la secon- 
derait pas. — 

Cette lettre pour ainsi dire souveraine, écrite par la Reine 
douairière à son neveu, posait une affirmation si solennelle, si for- 
melle, qu'il était vraiment bien difficile que l'Empereur d'Autri- 
che pût mettre en doute la vérité des assertions qu'elle contenait 

En fait cependant ces assertions étaient inexactes, car le Roi de 
Prusse avait signé le traité d'alliance offensive et cUfenswe entre 
la Prusse et l'Italie le 4 9 avril et les ratifications en avaient été 
échangées le 20 avril au ministère des Affaires Étrangères» 
Rerlin, c'est-à-dire depuis sept semaines. Voici d'ailleurs te 
dates précises de cette négociation : . 

7 avril 1866. Signature, par le Roi de Prusse, des plein* 
pouvoirs du comte de Bismarck pour conclure le traité en 
son nom. 

8 avril. Conclusion du traité. 

14 avril. Signature et ratification du traité par le Roi Victor- 
Emmanuel à Florence. 

-ig-ao avril 1866. Signature et ratification du traité par le Roi 
Guillaume à Berlin, et échange des ratifications. 

8 juin 1866. Déclaration du Roi Guillaume qu'il n'a pas sign* 
le traité. 



L'ALLEMAGNE NOUVIÎl.LE. 



281 



Il ne fut pas facile d'obtenir de l'Empereur d'Autriche qu'il 
ouvrit les yeux devant les affirmations qui contredisaient la lettre 
de sa tante. 

Le Roi déclarant sur l'honneur qu'il n'avait pas signé, quand 
sa signature avait passé sous les yeux, des témoins qui juraient 
le contraire, c'était un acte encore sans précédents, et il faillit 
en résulter un temps d'arrêt dans les négociations. Cependant 
il fallut bien se rendre à l'évidence des faits. 

Cet incident, transmis par le télégraphe à Florence, y donna 
tort à réfléchir, et fut l'objet de pourparlers assez vifs avec le 
Cabinet de Berlin. Comment parvint-on à l'expliquer? On fit sans 
doute yaloir la raison d'État qui oblige, dit-on, à nier ce qu'on 
veut tenir secret; ce dut être néanmoins, de toutes les épreuves 
qu'eut à subir le Roi Guillaume dans sa longue carrière de Sou- 
Terain, une des plus douloureuses. 

II est juste de dire qu'il existe sur la valeur et sur la portée 
des affirmations officielles, dans des cas semblables, une doc- 
trine, nous pouvons même dire une jurisprudence particulière 
acceptée par un assez grand nombre d'hommes d'État. D'après 
cette jurisprudence un traité secret doit être absolument nié par 
ceux qui y ont pris part, parce que, disent-ils, sans cette néga- 
tion, le traité ne serait pas secre^ Supposons par exemple que 
la Reine douairière, profitant des privilèges de son rang, ait posé 
la question au Roi en termes péremptoires ; supposons qu'elle 
ait ainsi parlé : — « Votre Majesté a donc signé avec l'Italie un 
traité d'alliance contre l'Autriche ?» — Que pouvait faire le Roi ? 
S'il avait répondu : — « Oui, il l'a fallu, mon devoir de Souverain 
me l'a commandé, » — le traité n'était plus secret. Si le Roi avait 
évité de répondre ou défendu de lui poser la question, son 
silence ou sa défense constituaient un aveu. Il est donc fort pro- 
bable qu'on aura représenté au Roi que la négation pure et sim- 
ple était im devoir auquel il n'avait pas le droit de se sous- 
traire. Peut-être le Roi elit-il pu répondre à la Reine douairière 
qu'en effet il avait signé, mais que c'était un secret et qu'elle 
n'avait pas le droit de faire usage de cet aveu. Il est difficile de 
se prononcer à cet égard ; quoi qu'il en soit, il nous a paru néces- 
saire de donner ces explications pour conserver à notre récit 

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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tout son caractère de vérité. Nous racontons, nous ne jugeons 
pas, et nous reconnaissons sans peine que cette négation royale 
trouve son excuse, sinon sa justification dans une doctrine qm 
compte encore quelques partisans. 

Mais s'il peut exister un doute sur le caractère plus ou moins 
chevaleresque de cette fraude diplomatique qui fit alors tant de 
sensation, il ne peut en exister aucun sur celui de la politiquequi 
obligeait la royauté à descendre à de pareils compromis. 

Tout y était mensonge et duplicité. On trompait l'Italie, on 
trompait l'Autrictie, on trompait l'Allemagne, on trompait l'En- 
rope. 

Pendant que les négociations de Vienne assuraient à l'Autriclie 
la neutralité de la France, le comte de Bismarck cherchait à eu 
faire autant pour la Prusse. Le traité italien lui avait certauie- 
ment procuré de grands avantages, mais il savait que la majo- 
rité des États allemands était avec l'Autriche, et l'Italie elle-même 
le pressait instamment de prendre avec la France des engage- 
ments éventuels qui fussent une garantie contre toute ingérence 
imprévue. Nous ne pouvons mieux faire, pour donner une ju* 
idée de ce qui se passait alors à Berlin, que de reproduire une 
partie du rapport dans lequel le général Govone rendait compte 
à son Gouvernement de sa dernière conversation avec le comte 
de Bismarck, le 2 juin 1866. Ce document n'est pas nouveau, 
mais il est d'une telle importance par son authenticité etparses 
informations, qu'il s'impose de lui-même comme un élémen 
nécessaire à tout écrivain qui s'occupe des choses de ce tempS' 
Nous nous bornerons à en citer les passages nécessaires : 

« Le président du conseil me dit : — J'aurais bien voulu, aro 
à Paris pour m'aboucher avec l'Empereur et savoir quel est f 
maximum des concessions qu'il désire de notre part. " — 

« Je demandai alors si, de l'autre côté du Rhin, il n'y avait pas 
quelque territoire où l'on put obtenir un vote d'annexion a » 
France. Le comte de Bismarck répondit : — Aucun ; les agea 
français qui ont parcouru le pays l'ont reconnu eux-mêmes; 
peuples de par-là n'aiment ni leurs Gouvernements ni le'"' 
Souverains, mais ils veulent rester Allemands, de sorte quil" 



L'ALLEMAGNE KOUVKLLE. 



283 



nous resterait autre chose à faire qu'à indemniser la France avec 
h Dwrtie française de la Belgique et la partie française de la 
Suisse. — 

s Je répondis que cela paraissait bien difficile, mais que si on 
ne pouvait faire valoir un vote populaire, on pourrait peut-être 
jcrir eu vertu d'un autre principe, comme par exemple celui 
/une rectification de frontières pour donner à la France ce qu'on 
appelait ses frontières naturelles ; je me hâtai d'ajouter que Je 
/entendais aucunement parler de toute la rive gauche du Rhin ; 
mais je demandais s'il n'y avait pas quelque autre ligne géogra- 
phique qui pût donner satisfaction à la France. 

» Le comte de Bismarck répondit : — Oui, il y auraitla ligne de 
laMoselle. Je suis, ajouta-t-il, beaucoup moip<s allemand que prus- 
sien et je n'aurais aucune difficulté à souscrire la cession à la 
France de tout le pays compris entre le Rhin et la Moselle, le 
Mdinat, l'Oldenbourg et une zone de pays prussien ; mais le Roi 
est influencé par la Reine qui n'est pas Prussienne, et il ne pren- 
drait cette résolution que dans un moment suprême, à la veille 
de tout perdre ou de tout gagner. De toute manière, pour pou- 
voir préparer l'esprit du Roi à un arrangement quelconque avec 
la France, il serait indispensable de connaître le minimum des 
prétentions françaises, car s'il s'agissait de toute la rive gauche 
duHhin, deMayence, de Coblence et Cologne, il vaudrait mieux 
s'entendre de suite avec l'Autriche et renoncer aux Duchés et à 
tout le reste. » — 

Les événements précipitèrent leur cours, et rien ne fut formel- 
lement stipulé entre la France et la Prusse, si ce n'est l'assu- 
rance vague dont nous avons déjà parlé et que l'Empereur avait 
mentionnée dans sa lettre du 11 juin : — « Aucune des questions 
quinous touchent ne sera résolue sans notre assentiment. » — 

Le 1 1 juin, il y eut à Francfort une séance extraordinaire de la 
Diète, et l'Autriche notifia à l'assemblée fédérale l'entrée des 
troupes prussiennes dans le Holstein, malgré la protestation du 
Gouvernement autrichien. Par cet acte, le Gouvernement prus- 
sien se faisant justice à lui-même, contrairement aux règlements 
fédéraux, l'Autriche invoquait l'article 19 du pacte fédéral, et en 
demandait la répression par la Diète. En conséquence elle pro- 
posait la prompte mobilisation de tous les corps d'armée fédé- 



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L'ALLEMAGNE NOrVELLE. 



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raux n'appartenant pas à la Prusse, sous réserve des décisions 
ultérieures de l'assemblée pour la prompte organisation de 
1 armée fédérale et la prompte exécution des mesures adoptées, 
La Diète était également invitée à voter sur ces propositioBS 
dansune des plus prochaines séances. Le vote fut remis an 
14 juin. 

Mais le même jour, 14 juin, le Cabinet de Berlin fit paranir 
directement aux divers États confédérés un projet de réforme fé- 
dérale plus radical encore que le premier, et qui rejetait com- 
plètement l'Autriche en dehors de l'Allemagne. Bien que la lettre 
qui accompagnait cette proposition fût datée du 10 juin, elle 
était en réalité une réponse à la motion autrichienne. Sans en- 
trer dans le détail du projet de Berlin, nous en citerons les 
principales dispositions, d'abord pour en préciser le caractère 
agressif contre l'Autriche, ensuite parce que plusieurs d'entre 
elles reparurent après la guerre dans la constitution de la con- 
fédération du Nord de l'Allemagne. 

Le premier article était ainsi conçu : 



« La Confédération comprend tous les États qui en ont 
partie jusquici, à l'exception de l'Empire d'Autriche et 
Kojaume des Pays-Bas, pourtours territoires respectifs » 



du 



Ainsi, pendant que 1 Autriche proposait à la Diète de décréter 
1 exécution fédérale contre la Prusse, la Prusse lui demandait 
d exclure 1 Autriche de la Confédération. Défi pour défi • il ne 
restait plus qu'à tirer le canon. ' 

Les autres articles du projet remettaient au Parlement d'Alle- 
magne le soin des affaires communes. La marine allemande 
entretenue par le budget allemand passait, avec le port de Kiel 
et la baie de Jahde sous le commandement de la Prus'^e La 
force militaire était divisée en deux armées ; celle du Nord sous 
les ordres du roi de Prusse, celle du Sud sous les ordres du roi 
de Bavière. Quant aux rapports de la nouvelle Confédération 
avec les provinces allemandes de l'Autriche, ils devaient être 
règles ultérieurement par des traités et conventions dont l'éta- 
blissement était réservé au futur Parlement. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



28S 



En faisant parvenir ce projet de réforme directement et sépa- 
rémeat aux États confédérés, au lieu de le présenter en une 
séance diétale, le Cabinet de Berlin indiquait clairement qu'à 
ses yeux l'ancienne Confédération Germanique avait cessé 
d'exister. Mais si son heure approchait en effet, elle n'avait pas 
encore sonné, et, le 14 juin, la Diète se trouvait réunie au grand 
complet pour voter sur la motion autrichienne du \ \ juin de- 
niandaDt contre la Prusse l'exécution fédérale. Malgré la protes- 
tation solennelle de l'envoyé prussien, le vote eut lieu, et la 
proposition autrichienne fut adoptée à une majorité de neuf 
voix contre six. 

Il est intéressant de considérer ici la répartition des voix, 
parce qu'elle indique la force respective des deux camps qui 
vont bientôt se trouver en présence. 

Pour l'Autriche nous comptons : 

La première curie, c'est-à-dire l'Autriche ; 

La troisième, Bavière ; 

La quatrième. Saxe (royaume); 

La cinquième, Hanovre ; 

La sixième, W-nrtemberg ; 

Laliuitième, Hesse-Electorale ; 

La neuvième, Hesse-Darmstadt ; 

La seizième, Lichtenstein, Waldeck, les deux Reuss, Lippe, 
Lippe-Schaumbourg, Hesse-Hombourg ; 

De la treizième curie, qui comprenait Brunswick et Nassau, 
Nassau vota pour l'Autriche ; 

Delà douzième curie, Saxe-Meiningen, seule pour l'Autriche, 
tous les autres, savoir : Saxe-Weimar, Saxe-Altenbourg et Saxe- 
Cobourg étant englobés dans l'orbite prussien ; 

De la dix-septième curie, qui comprenait les villes libres. Franc 
fort seul pour l'Autriche. 

Contre l'Autriche et pour la Prusse : 

La septième curie, Bade ; 
La onzième curie, Luxembourg et Limbourg; 
La douzième curie, tous tes Duchés de Saxe à l'exception de 
Saxe-Meiningen. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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De la treizième curie, Brunswiclc; l 

La quinzième curie, Oldenbourg, Anhalt et les deux Schwarz- I 

Imrg ; ' 

De la dix-septième curie, toutes les villes libres à l'exception 

de Francfort. 

11 manquait à ce vote la deuxième curie, c'est-à-dire la Prusse 
qui avait protesté au début de la séance et refusé d'y prendre 
part, et la dixième curie (Holstein et Lauenbourg) qui pour le 
moment n'était pas représentée. Le vote du Grand-duché de 
Bade, dont le Souverain était gendre du roi de Prusse, manquait 
aussi de netteté, de telle façon que des deux côtés on était 
presqu'en droit de le revendiquer. Quoi qu'il en soit, le résultat 
proclamé par le président donnait 9 voix contre 6 en faveur de 
la motion autrichienne, et le représentant de la Prusse, renou- 
velant sa protestation, l'accompagna de la déclaration suivante; 

« Au nom et sur l'ordre auguste de Sa Majesté le Roi, son très- 
gracieux maître, l'envoyé déclare cjue la Prusse regarde le pacte 
fédéral en vigueur jusqu'à ce jour comme rompu; que partaat, 
loin de le tenir désormais comme obligatoire, elle le considérera 
comme expiré et agira en conséquence. » 

Ainsi finit la Confédération germanique après avoir duré un 
demi-sièclo de 1815 à 1866. 

Maintenant, si l'on considère que la deuxième curie (Prusse) 
n'avait pas pris part au vote du -1 4 juin; que la treizième ayant 
donné, Nassau, pour; et Brunswick, contre; son vote pouvait 
être regardé comme nul; que la seizième curie postérieurement 
au vote passa du côté de la Prusse par une déclaration de Lippe- 
Schaumbourg (1); on arrive à la conclusion qu'en fait, la Diète 
de Francfort s'était partagée en deux moitiés à peu près égales, 
attestant ainsi une dernière fois son impuissance complète en 

(1) Les votes de la 16" curie s'étaient ainsi reportés : Lichtcnslein, 
■ Hesse-Hombourg, Reuss (branche aînée), Lippe-Schaumbourg, soit4/"i 
pour l'Autriche; Lippe-Detmold, Waldeck, Rcuss (branche ca'delte), soit 
3/7 pour la Prusse. Après le vote, le Gouvernement de Lippe-Schaum- 
bourg ayant déclaré se ranger du côte de la Prusse, fit passer ainsi du 
côté prussien la majorité de la cuiie. 



L'ALLEÎJAGNE KOUVELLE. 



présence d'un désaccord entre les deux grandes Puissances 

allemandes. 

Cette date du 14 juin est mémorable. A partir de ce jour 
l'Allemagne devient un vaste champ de bataille où les Alle- 
mands vont s'entre-tuer avec autant d'acharnement et autant de 
haine que s'il s'agissait pour eux d'une guerre étrangère. 

Bien que le récit des faits de guerre ne soit pas à nos yeux a 
partie importante ni utile de ces études historiques, il est im- 
possible de les passer sous silence, parce que c'est au milieu 
des péripéties du champ de bataille qu'il faut chercher et dé- 
gager l'idée politique, c'est-à-dire ce qui reste debout après la 
guerre. 

Le vote du U juin avait partagé l'Allemagne en deux camps; 
il nous faut en établir la force respective (4). 

Du côté de l'Autriche : 

L'effectif autrichien com- 
prenant environ .... 340,000 hommes et 4,000 canons. 
Les alliés de l'Autriche. . 467,000 — 369 — 

Total 607,000 — ' 4"^369r' _ 

Les alliés de l'Autriche se décomposaient ainsi : 

Bavière 63,000 hommes et 4 44 canons. 

Wurtemberg 28,000 — S2 — 

Hesse-Darmstadt . . . 44,000 — 38 — 

402,000 — 234 — 

Si nous ajoutons à ce total celui que pouvaient fournir les 
autres États qui s'étaient déclarés pour l'Autriche, mais qui de 
fait se trouvaient plus ou moins sous la main de la Prusse, et 
presqu'en son pouvoir, nous trouvons : 

(1) Ces cliiffres ainsi que plusieurs détails sur les lails de guerre, sou! 
lires de l'ouvrage du colonel Ruslow, imprimé à Zurich en f866. — Cft 
ouvrage, sans êlre parfaitement impartial, est d'ailleurs correct et sé- 
rieux. 



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La Saxe (royaume). . . 24,000 liommes et 50 canons. 

Hanovre 21,000 — 50 - 

Hesse-Cassel 11,000 — 19 - 

Nassau 6,000 — 16 - 

Saxe-Meiningen. . . . 2,000 — 

Reuss-Grcitz 400 — 

Lichtenstein 

Francfort 1,000 — 

65,400 hommes 135 canons. 

Vu la situation de ces divers États, il leur fallait, avant de 
pouvoir réunir leurs contingents à celui de l'Autriche, faire 
d'assez longues marches à travers le pays ennemi, à l'exception 
des Saxons qui opérèrent de suite leur jonction. 

Du côté de la Prusse, les forces étaient numériquement plus 
nombreuses, savoir : 

Le contingent prussien . 417,000 hommes et 864 canons. 

Le contingent italien . . 253,000 — 480 - 
Le contingent des alliés 

allemands 44,000 — 86 - 

7('4,000 hommes 1,430 canons. 

Les alliés allemands étaient tous voisins et réunis aux Prns- 
siens dès le 16 juin, de sorte que, dans le Nord de l'Allemagne 
la Prusse entrait en campagne avec 461 ,000 hommes et 930 ca- 
nons, tandis que l'Autriche, qui avait dû envoyer de 100 à 
1 20,000 hommes avec 272 canons en Italie, n'avait à leur opposer 
qu'environ 450,000 hommes et 880 canons. 

L'intervention de l'Italie, bien qu'elle ne se traduisit par 
aucune victoire, n'en est pas moins le fait important et décisif 
de toute la campagne et celui auquel la Prusse dut tous ses 
.succès, car si l'Autriche n'avait pas été obligée d'envoyer une 
armée en Itahe, elle aurait pu, dès le premier jour, opposer à la 
Prusse une force supérieure en hommes et en canons, ce qui 
lui aurait donné le temps de recevoir les contingents de Bavière, 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



289 



de Wurtemberg et de la Hesse-Darmstadt, et peut-être aussi 
celui du Hanovre. 

Aussitôt après le vote de la Diète du 14 juin, le premier soin 
du Gouvernement prussien fut de mettre en demeure les trois 
Souverains de Hanovre, de -Saxe et de la Hesse-Électorale de 
prendre un parti militaire. En conséquence, dès le lendemain le 
roi Guillaume leur adressa une sommation identique sous forme 
de traité d'alliance offensive et défensive à conclure immédiate- 
ment, c'est-à-dire dans un délai de douze heures, savoir: 

\o Replacer leurs troupes sur le pied de paix du 1" mars 
dernier; 

2° Acceptation du Parlement allemand, et engagement de 
convoquer les électeurs à cet effet en même temps que la 
Prusse ; 

30 A ces conditions, garantie donnée par la Prusse aux Sou- 
verains, de l'intégrité de leur territoire et de leurs droits de 
souveraineté dans la limite de s propositions de réforme du 4 4 juin ; 

En cas d'assentiment, le Roi de Prusse s'engageait à défendre 
les États et à sauvegarder les droits de son nouvel allié comme 
les siens propres ; 

En cas de réponse négative ou évasive, le Roi de Prusse con- 
sidérerait le Souverain interpellé comme étant en guerre avec lui 
et agirait en conséquence. 

La proposition fut faite le matin et la réponse devait être don- 
née dans la journée. 

Les trois Souverains refusèrent. 

Le Roi de Hanovre motiva son refus sur ses engagements 
fédéraux qui ne lui permettaient pas de contracter une alliance 
en dehors de la Confédération germanique, et sur l'impossibilité 
d'accepter la partie des réformes militaires proposées le 14 juin, 
lesquelles équivalaient à une médiatisation et à la porte de ses 
droits souverains. 

Le Roi de Saxe, sans faire allusion aux dites réformes, se re- 
trancha dans ses devoirs fédéraux. 

L'Électeur de Hesse-Gasscl refusa et protesta. 

C'était précisément ce qu'on voulait à Berlin; on avait prévu 
ces refus et tout était préparé en conséquence. Contre la Saxe 




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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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l'armée de l'Elbe commandée par le général Herwarth voii Bit- 
tcrfeld; contre U Hanovre, le général de Manteuffel avec le corps 
d'occupation du Sleswig-Holstcin et le général Vogel de Fal- 
kenstein avec une autre division ; contre la Hesse-Électorale, le 
corps d'armée du général de Beyej-. Leurs opérations s'ouvrirent 
le lendemain i G juin, et dès le matin ils avaient franchi la fron- 
tière. 
Voici donc les hostilités commencées. 
On a beaucoup parlé dans ces derniers temps du sentiment 
de confraternité nationale qui de tous les peuples allemands 
ne faisait qu'une grande famille unie sous un même drapeau et 
toujours prête à se serrer pour la défense de la patrie commune. 
La guerre qui va se dérouler sous nos yeux donnera la juste 
mesure de cette confraternité germanique, et c'est à ce titre sur- 
tout qu'il est intéressant d'en étudier les péripéties. 

L'idée de la grande famille allemande est comme une légende 
(ju'on acclame quand elle peut servir, et qu'on répudie le jour 
où l'on n'en a plus besoin. L'a vérité est qu'il est difficile de trou- 
ver, dans l'histoire des peuples, des exemples d'une haine plos 
implacable que. celle dont tous les actes politiques du Cabinet de 
Berlin portent le caractère violent pendant la guerre de 1866 
contre FAutricne. 

Le comte de Bismarck ne négligea rien, absolument riea, pour 
anéantir la monarchie austro-hongroise ; ce fut un duel à mort 
que le vainqueur poussa aussi loin qu'il le put. Quand il s'arrêta, 
c'est que les forces lui manquaient pour continuer. Il n'avait pas 
atteint son but, mais il ne pouvait aller plus loin, et quand la 
paix fut faite, elle était au moins aussi nécessaire à la Prusse 
qu'à rAutriche. Le récit des événements démontrera la justesse 
de ces appréciations. 

Le comte de Bismarck a prétendu plus tard, dans un discours 
au parlement de Berlin, le 16 janvier 1874, qu'au commence- 
ment de la guerre il avait refusé de seconder la révolte des Hon- 
grois et des Dalmates, et de s'en faire une arme contre l'Autriche. 
Les faits prouvent le contraire, car dès le 15 juin, c'est-à-dire 
la veille même des premières hostilités, le président du conseil 
parlant avec le comte de Barrai, ministre d'Italie, lui exprimait 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



291. 



son regret que le Cabinet de Florence n'eût pas consejiti à faire 
en commun les frais d'une insurrection hongroise, et celui-ci se 
hâtait de le télégraphier à son Gouvernement. 

«Voici ce que Bismarck vient de me dire àl'instant... — « J'au- 
, rais voulu voir accepter par le général LaMarmora'la combi- 
» naison qui, au moyen de cpielques millions fournis en commun 
,nous aurait procuré une puissante insurrection en Hono-rie' 
, Les chefs hongrois que j'ai vus sont tous de mon avis » — 



«Berlin, 15 juin -1866. 



» Signé : Barral. » 



Deux jours après, la Prusse sommait en ciuelquc sorte l'Italie 
de déclarer la guerre à l'Autriche, et M. Usedom, ministre prus- 
sien à Florence, adressait au général La Marmora cette célèbre 
note du 17 juin qui fit une si grande sensation lorsqu'elle sortit 
du secret des archives pour servir d'écho aux protestations ami- 
cales par lesquelles le Cabinet de Berlin cherchait, en 1 874, à faire 
oublier les haines de ISBe. Ce document est trop intéressant et 
surtout trop instructif comme exemple de confraternité germa- 
nique, pour qu'il soit possible de le passer sous silence. Nous en 
citerons les principaux passages : 

8 Le système de guerre pour la campagne prochaine que la 
Prusse propose à l'Italie est celui d'une guerre à fond... Ainsi la 
Prusse ne songera pas aux obstacles que la nature ou l'art oppose 
depuis Lintz jusqu'à Cracovie ; mais elle poussera résolument 
vers Vienne les succès qu'elle pourra obtenir... 

« Les généraux Italiens sont indubitablement les meilleurs 
juges des opérations dont il s'agit ; cependant pour aller à l'unis- 
soEavecla Prusse, il faudra que l'Italie ne se contente pas de 
pénétrer aux frontières septentrionales de la Vénétie : il faut 
qu'elle se fraye le chemin vers le Danube, qu'elle se rencontre 
avec la Prusse, au centre même de la monarchie Impériale en 
un mot qu'elle marche sur Vienne. Pour s'assurer la possession 
durable de la Vénétie, il faut d'abord avoir frappé au coeur la 
puissance autrichienne. 

« Le Gouvernement prussien a fait étudier dernièrement avec 
soin la question hongroise ; il a acquis la conviction que ce pays 



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292 



L'ALLEMAGNK NOUVELLE. 






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soutenu également par Fltalie et par la Prusse, leur servira à son 
tour comme chaînon de ralliement et comme appui stratégique. 
c< Du nord et des confins de la Silésie prussienne, un corps 
volant, composé autant que possible d'éléments nationaux(l), 
pourrait pénétrer en Hongrie, et y joindrait les troupes italien- 
nes et les forces nationales qui n'auraient pas tardé à se former. 
L'Autriche perdrait à mesure que nous gagnerions, et les coups 
qui alors lui seraient portés ne frapperaient plus ses EXiRÉmÉs, 

MAIS SON COEUR. » 

<c C'est par toutes ces raisons que le Gouvernement prussien 
attache une si haute valeur à l'affaire hongroise et à l'action 
combinée sur ce terrain avec l'Italie, son alliée. Je propose au 
Cabinet florentia de pourvoir en commun aux frais nécessaires 
pour préparer l'accueil des expéditions indiquées et leur assurer 
la coopération de ces pays... 

« Florence, 17 juin 1866. Signé: Usedoji. » 

La lecture de ce document donne la mesure des sentiments qm 
animaient contre l'Autriche le Président du Conseil et son Gou- 
vernement. C'était une guerre à fond, et il s'agissait non pas de 
vaincre l'Autriche, mais de l'anéantir, de la frapper au coem. 

Voilà donc ce qui restait en 1866 des serments d'amitié échan- 
gés deux ans auparavant cà Carlsbad, et renouvelés ensuite a 
Schônbrunn ! . . \ 

Mais pourciuoi, dira-t-on, revenir sur ces tristes souvenirs? -»« 
les a-t-on pas depuis lors effacés dans des étreintes amicales, au 
moins aussi chaleureuses que les anciennes "? — Oui sans doute, 
mais il importe de constater la nature de ces épanchements et « 
bien marquer leur caractère intermittent, parce qu'un jour ou 
l'autre les rivalités qui avaient allumé cette haine doivent re- 
naître de leurs cendres mal éteintes. La Prusse, il ne faut P^ 
l'oublier, n'a pas pu achever son œuvre, elle fut arrêtée à moili' 
chemin; ce coeur de l' Autriche qu'elle voulait frapper, a échapP' 
à ses coups ; vienne est toujours là, Vienne, ville allemande, q"' 
suivant l'expression de M. de Bismarck, — . n'est pas plus dit- 

(1) Légion hongroise formée par tics transfuges, des déserteurs » 
prisonniers qui devaient être commandés par lUapka. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



Î93 



die à gouverner de Berlin qu'il n'est difficile de gouYemcr Pesth 
de Vienne. » - On peut, après de dures épreuves, cesser d'aimer 
ceux qu'on regardait comme des amis, mais il est rare qu'on 
puisse jamais aimer sincèrement ceux qu'on a si cordialement 
détestés. 

Dès le 16 juin, l'armée du général Herwarth de Bittorfeld 
passa la frontière, et pénétra en trois colonnes dans le royaume 
de Saxe. Le 18, il entrait à Dresde sans coup férir. Les Saxons 
ii'aTaientpas attendu les Prussiens. Déjà depuis le 15, et avant 
la déclaration de guerre, les équipages de la Cour, le trésor de 
l'État, les caisses de la maison du Roi avaient été expédiés par 
le chemin de fer à la frontière de Bohême, et l'armée saxonne 
avait commencé son mouvement de retraite sur Bodenbach, 
pour faire sa jonction avec les Autrichiens. Le -16, au matin, le 
Roi Jean avait quitté Dresde avec la famille Royale, et s'était ré- 
fugié en Bohême. Seule, la Reine douairière était restée dans son 
palais. 

Cette retraite précipitée des Saxons eut pour conséquence de 
livrer tout le Royaume aux Prussiens qui s'y établirent sans ren- 
contrer aucune résistance. Peut-être au point de vue stratégique 
était-il sage et prévoyant de conserver ainsi l'armée saxonne 
pour la porter intacte sous les ordres du général Bénédek. Il 
ne nous appartient pas de résoig.dre cette question ; cependant, 
ce ne fut pas sans étonncment qu'on apprit que 24,000 hommes 
avaient évacué le territoire de leur patrie, sans môme avoir vu 
les uniformes prussiens. Hcàtons-nous de diro qu'ils ne tardèrent 
pas à les voir en Bohême et à y donner, quelquesjours après, des 
preuves d'une valeur incontestable. Quant au Roi et à la famille 
Royale, ils étaient déjà le 16 au soir établis à Prague, et, le 17, 
M. de Beust arrivait à Vienne. 

Le Roi de Saxe, tout en fuyant devant l'armée prussienne, n'a- 
vait en aucune façon renoncé au Gouvernement de son pays ; il 
était accompagné de sa maison civile et militaire, et au milieu 
de son armée ; il avait même mandé auprès de lui le Corps diplo- 
matique étranger résidant à Dresde. Plus tard, quand la Cour 
saxonne, reculant devant les progrès des Prussiens, quitta 
Prague pour se réfugier, le 22 juin, à Ratisbonne, ce fut une des 



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préoccupations du Roi Jean d'y amener à sa suite les ministres 
étrangers accrédités en Saxe, et M. de Beust fut cliargé d'en 
faire la demande à leurs Gouvernements. La Russie y consentit 
pour quelque temps, mais en France, quand on apprit que la 
Cour de Saxe s'établissait en Autriche et allait résider à Scliôii- 
brunn, on fut d'avis qu'il était superflu de maintouir auprès 
d'elle un ministre spécial. Le baron Forth-Roucn qui était avec 
le Roi fut rappelé et l'Ambassadeur de France à Vienne se mit 
à la disposition de S. M. pour toute communication qu'il lui plai- 
rait de faire à l'Empereur. Cette détermination produisit alors 
une assez grande sensation, parce qu'on voulut y voir un com- 
mencement d'adhésion fi'ançaise aux entreprises de la Prusse; 
mais ce n'était pas le cas, ainsi que les événements l'ont promé 
plus tard. 

En même temps que les Prussiens s'emparaient de la Saxe, 11= 
prenaient possession de l'Électorat de Hesse sans plus de diffi- 
culté. Pendant la nuit du 45 au 16, le général de Beyer avait 
concentré son petit corps d'armée sur la frontière hessoise, elle 
16, à deux heures du matin, aussitôt après la réponse négative 
de l'Électeur, les Prussiens s'avancèrent dans ses États. Il fallait 
une journée pour arriver à Cassel; l'armée hessoise en profita 
pour déguerpir, et opéra deux jours plus tard sa jonction avec 
les troupes de Hesse-Darmstadt et de Bade. Il n'y avait pas autre 
chose à faire. Quant au prince Électeur, il attendit les Prus- 
siens dans son palais de Cassel, et, sur son refus réitéré d'accep- 
ter la médiatisation déguisée qui lui était offerte, il fut traité en 
prisonnier de guerre et transporté à Stettin où on lui assigna 
comme prison une partie du vieux château des ducs de Ponié- 
ranie. 

Restait le Hanovre. Le 16 juin, le général de Falkenstein passa 
la frontière à la tète de la treizième division, et, lelendemain il. 
il faisait son entrée dans la ville de Hanovre. Le Roi et le prince 
Roval avaient rejoint l'armée hanovrienne qui s'était concentrée 
au sud du royaume près de Gôttingen. La Reine était restée a 
Hanovre. De son côté, le général de Manteuffel, avec le corps 
d'occupation du Sleswig-Holstein s'avança le long de la rive 
gauche de l'Elbe, s'empara de la ville de Stade, et, prenant pos- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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session des chemins de for, vint faire sa jonction à Hanovre avec 
le général de Falkenstcin. 

Le Roi était encore à Gôttingen avec son armée, et son plan, 
fort sagement conçu, était de rejoindre les Bavarois, qui de leur 
côté, devaient venir à sa rencontre. Le 20 juin, il se décida à se 
diriger vers Gotha par Langensalza, mais bientôt se voyant cer- 
né de tous les côtés par les troupes prussiennes, et abandonné à 
ses propres ressources par les Bavarois, dont les lenteurs deve- 
naient iuexphcables, il dut changer de direction, et, après avoir 
vainement cherché à fixer, d'accord avec la Prusse, les termes 
(l'une capitulation honorable, il ne lui resta plus qu'à accepter 
labataille entre Langensalza et Merxleben. 

Malgré l'infériorité du nombre et les circonstances très-désavan- 
tageuses du combat, les Hanovriens eurent l'avantage, et l'ar- 
mée prussienne qui les avait attaqués fut vaillamment repoussée. 

Le combat de Langensalza fut le seul obstacle que les Prussiens 
rencontrèrent dans le Nord de l'Allemagne. 

Depuis huit jours, la petite armée hanovrienne manœuvrait par 
marches et contre-marches, entourée d'ennemis, ma! approvision- 
née, avec nh armement insuffisant, attendant en vain des alliés 
qui ne paraissaient pas, c'est-à-dire dans des conditions vraiment 
désastreuses, et cependant telle était la fidélité de ces braves 
soldats, tel était leur respect pour le Roi et la discipline, que 
pendant ce temps on n'eut à réprimer aucun acte d'insubordina- 
tion, de désertion ou même de maraudage. Et quand, le 27, il 
fallut combattre ou se rendre, le Roi put encore entendre le cri 
de la victoire comme dernier adieu de sa vaillante armée. 

La bataille de Langensalza avait sauvé l'honneur militaire des 
Hanovriens, elle ne put sauver leur destinée. 11 devint manifeste 
qu'une plus longue résistance était absolument impossible. Per- 
sonne ne bougeait en Allemagne. — Que faisaient les Autrichiens 
et les Saxons? Ils attendaient en Bohême. — Que faisaient les Hes- 
sois, les Wurtembergeois, les Badois, les Bavarois ? Rien ou moins 
que rien. — La petite armée de Hanovre devait-elle verser iidY- 
tilement son sang dans une lutte aussi inégale ? Elle capitula le 
27 juin. Le matériel de guerre passa à la Prusse, les hommes fu- 
rent licenciés et renvoyés dans leurs foyers, les officiers jurèrent 



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de ne plus servir contre la Prusse dans la campagne, le Roi et le 
prince Royal furent autorisés à se retirer où ils voudraient. Peu 
de temps après ils étaient à Vienne. 

La Reine était restée à Hanovre avec les princesses. S'il faut 
en croire les récits contemporains, elle n'eut pas à se louer des 
procédés de la Prusse. Soit que la résistance du Roi eût irrité la 
Cour de Berlin, soit que les richesses de la maison Royale de 
Hanovre eussent surexcité la cupidité des Prussiens, il se passa 
en Hanovre des scènes révoltantes, dont le souvenir étonne en- 
core de nos jours, bien que nous soyons devenus, par de tristes 
expériences, assez difficiles à étonner. Tout ce qui était prenable 
fut pris, sans respect et sans scrupule, et l'on vit des Prussiens 
se plaire à souiller par des actes impudiques les meubles et les 
appartements privés du Roi (1). 

Les Prussiens étaient les maîtres de tout le Nord de l'Alle- 
magne. Leurs efforts devaient désormais se concentrer sur l'ar- 
mée de Bénédek et sur celle des Confédérés qui s'étaient grou- 
pés autour de l'armée bavaroise. Comme il n'entre pas dans notre 
plan de suivre dans leur détail toutes les opérations de la 
guerre, nous nous bornerons à indiquer dans l'ordre chrono- 
logique les principaux faits d'arm«s, c'est-à-dire ceux qui ont 
exercé sur le résultat définitif de la campagne une influence pré- 
pondérante. Laissant donc l'armée de Bénédek dans sa fatale 
immobilité, attendre les Prussiens au lieu de marcher à leur ren- 
contre, laissant les Confédérés du Sud se fatiguer inutilement 
dans des marches et des contre-marches difficiles à comprendre 
et à justifier, nous passerons en Italie où se prépare la grande 
journée de Custozza. 

Pendant que les armées prussiennes occupaient la Saxe, 
l'Électorat et le Hanovre, M. de Bismarck chargeait le comte de 
Barrai de prévenir, par le télégraphe, le Gouvernement italien 
qu'il était urgent de commencer immédiatement les hostilités 



(1) Ces faits ont été portés à la connaissance du Roi dans tous leurs- 
horribles détails, pendant qu'il était à Vienne, au palais du Prince Ils- 
terhazy. — On les a vu3.se renouveler fréquemment dans la campagne 
de 1870. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



207 



contre 1 Autriche (1). Trois jours après, le 20 juin, la déclaration 
de guerre était remise par le colonel Bariola à l'Archiduc Albert 

C'était vraiment un étrange document que cette déclara' 
lion, et bien digne à tous égards de clore la période des nco-o- 
ciations ambiguës qui, depuis le commencement de l'année 
s'échangeaient entre les Cabinets. Mais il importait peu de bien 
oumal motiver l'entrée en campagne; il fallait agir, et le 23 
juin fut fixé comme date de l'action. 

L'armée autrichienne comptait environ 84,000 hommes et =>;2 
canons. Le 23 jum l'Archiduc Albert avait sous ses ordres 37 000 
hommes. ' 

L'armée italienne était de 110,(100 hommes et 192 canons 11 
y avait 90,000 hommes en ligne contre les Autrichiens (2 • 

Le 24, à trois heures du matin, après, une nuit orageuse le'^ 
Autrichiens, quittant leurs positions de Santa-Lucia et de 
San-Giorgiû s'avancèrent à l'ennemi, et, quelques heures plus 
tard, le combat s'engagea sur toute la ligne. La bataille dura jus- 
qu'au soir ; mais déjà, vers cinq heures, les Italiens perdaient 
toutes leurs positions, et à la fin de la journée, l'Archiduc Albert 
avait remporté une victoire signalée. 

La guerre avait commencé le 23,' et, le 24, l'armée italienne 
yamcue se retirait cà la hâte en deçà de la frontière Lombarde que 
l'Archiduc, par suite de conventions diplomaticjues, ne devait pas 
franclur. C'était mal commencer pour l'Italie dont le premier 
plan de campagne était bouleversé; c'était pour l'Autriche un 
premier succès de grande importance. 

Mais si la fortune lui souriait en Italie, il en était tout autre- 
ment en Allemagne. Les Confédérés du Sud, c'est-à-dire les 
armées de Bavière, de Wurtemberg, de Bade et de Hesse-Darms- 
tadt paraissaient tenir campagne pour la forme, plutôt que pour 
relier leurs forces et leurs mouvements avec ceux de l'armée 
autrichienne. De son côté, le général Bénédek, contrairement aux 
prévisions et à l'attente générale, laissait les Prussiens manœu- 

(I) Télégramme du comle tle Barrai du 17 juin. V. La Marmora, ch. XX. 
guerre de tsee''' '""' e-np^unlés à l'ouvrage du colonel llustow sur la 

17. 






I 




208 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



■'W. 









r:-.,, 



vrcr à leur aise sur la frontière et faire eu pleine liberté tous 
les préparatifs d'une attaque combinée. 

On lui a beaucoup reproché de n'avoir pas, dès le début des 
hostilités, porté la" guerre en Saxe et rencontré l'armée prus- 
sienne aux frontières du Royaume. Nous laissons aux écnyams 
miUtaires compétents le soin de décider si ce reproche est mérite. 
Il est évident que tout valait mieux que ce qu'il fit, puisque la 
campagne de Bohême ne fut pour lui et son armée qu'une série 
pour ainsi dire non interrompue de défaites successives aboutis- 
sant à un désastre. 

Du 24 Juin au 28, le général Clam-Gallas avec 60,000 hommes 
contre 120,000 Prussiens, cédant l'une après l'autre les positions 
que lui disputait l'ennemi, vaincu à Munchen-Grâtz et ralliant a 
grand'peine le gros de l'açmée entre Josephstadt et Kômgsgrâtz(l); 
le 26, les Autrichiens vaincus k Nachod ; le 27, un combat heureux 
àTratenau; le 28, de nouveaux échecs à Burgersdorf et Sopr, et 
ainsi de suite (2), jusqu'à la déroute de Kônigsgrâtz ou île 
Sadowa ; tel est le bilan de cette semaine mémorable. 

11 parait que l'idée du général en chef était de laisser lesPrus- 
siens s'engager dans les défilés montagneux qu'ils avaienta 
franchir pour venir à lui et de les attaquer au sortir des défiles 
au fur et à mesure qu'ils se déploieraient. C'était son plan, 
comme on disait à Vienne, et de ce plan, le peuple et les jour- 
naux de la capitale attendaient des merveilles. 

Le 3 juillet, la bataille s'engagea à huit heures du matin près de 
Sadowa; elle s'acheva à six heures du soir à Kônigsgrâtz parla 
déroute complète de l'armée autrichienne. Onze drapeaux, 
174 canons, 18, 000 prisonniers, sans compter les blessés, restaient 

au pouvoir des vainqueurs. Les débris de l'armée autrichienne 
repoussés et débordés de tous côtés se retiraient en désordre siif 
Pardubitz, passant l'Elbe sur des ponts de bateaux dont le nnm- 
bre était insuffisant. 

C'était la première fois que figuraient sérieusement sur un 

(!) Combats de Lic\)enau, Podol, Hûnnerwasser, Muncliengrâlz et 

^2) Combats de Nachod, Wisoliow et Skalilz, Kôniginhoff, Schwein- 
Bchadel, Salney, Jaromierz. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



290 



champ de bataille les fusils à aiguille et la nouvelle tactique mi- 
litaire qui était la conséquence du nouvel armement. L'effet en 
M surprenant et dépassa toutes les prévisions. C'est, à n'en pas 
douter, à cette immense supériorité du tir prussien qu'il faut 
attribuer la perte de la bataille, ou du moins les proportions 
énormes de la défaite. Les Prussiens n'attaquaient pas et ne se 
découvraient pas, mais tiraient environ sept coups par minute, 
aune distance plus grande que la portée des ijalles autri- 
chiennes, puis ils se repliaient en courant pour recommencer un 
peu plus loin. La trajectoire de leur fusil étant presque droite, 
il en résultait que leur tir à hauteur d'riomme portait presque 
toujours. Aussi jamais on ne vit autant de blessures, blessures 
assez légères en général, et surtout dans les jambes, rarement 
inortelles,mais suffisantes pour mettre les blessés hors de combat. 

Les officiers avaient plus souffert en proportion que les sol- 
dats et presque tous les corps étaient privés de leurs chefs, ce 
qui avait beaucoup contribué à la défaite. Avant d'arriver à 
300 mètres de l'ennemi, chaque cerps avait déjà perdu une partie 
de ses cadres et souvent jusqu'à un tiers de ses iiommcs. Ces 
proportions, déjà fort considérables, avaient mémo été dépassées 
dausplusieurs cas, et on citait un régimentqui, après avoir perdu 
66 officiers, avait été littéralement réduit à quelques hommes 
cpars, de sorte qu'on avait dû le considérer comme anéanti. 

Cette mort, à peu près certaine, qui frappait les hommes 
il une distance telle, que le sifflement des balles couvrait le 
bruit lointain de l'explosion des armes ; qui les faisait tomber 
ayant d'avoir approché l'ennemi, souvent avant de l'avoir vu; 
cette mort sans combat, sans lutte, avait exercé une dépres- 
sion considérable sur le moral des soldats, et, comme presque 
tous les officiers étaient tués, blessés et prisonniers , il ne s'était 
trouvé personne pour soutenir l'esprit de la troupe et arrêter 
les progrès do la démoralisation de l'armée. 

Cet état de choses et surtout le manque de généraux avait tel- 
lement désorganisé le commandement et les services, qu'on resta 
plusieurs jours à Vienne sans avoir de nouvelles précises ou un 
rapport détaillé sur la bataille. 

On avait appris c[ue Bénédek, qui était blessé, reformait son 



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300 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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armée à Olmûtz, renseignement fort ^peu rassurant pour les 
Viennois qui voyaient déjà les Prussiens s'avancer sur la 
capitale. L'Archiduc Guillaume avait été frappe à la tête, mais 
pas mortellement; le général comte Festetics de Tolna avait eo 
le pied broyé au point de rendre l'amputation nécessaire; le 
général Prince de Windiscligrâtz, qui un an auparavant s'asseyai 
à Carlsbad à la table du Roi Guillaume, avait été laisse pour mort 
sur le champ de bataille, criblé de coups de feu et de coups de 
lance, puis emmené prisonnier par les Prussiens. Enfin ion 
nommait plusieurs corps de cavalerie et d'infanterie qui, dans 
la retraite ou plutôt dans la déroute, n'étaient plus commandes 
que par leurs plus jeunes capitaines ou lieutenants. 

Ces résultats, vraiment désastreux pour l'Autriche, provenaient 
non-seulement des effets prodigieux du fusil à aiguille, mai» 
aussi et surtout de l'inexpérience de l'armée autrichienne qui, 
conservant en face de l'arme nouvelle et encore inconnue, 1 an- 
cienne tactique des charges à la baïonnette ou des charges de 
cavalerie, se fit ainsi décimer dès les premières heures de la jour- 
née. Ce fut une surprise, et il en résulta ce désarroi qui tai U 
perte! des batailles. Plus tard, quand la réflexion eut rempli 
les premiers moments d'effroi, on comprit qu'il y avait auir 
chose à faire que de s'exposer au début de la journée a nn 
mort à peu près inévitable, et que l'artillerie devenait en qu^ 
que sorte l'avant-garde des bataillons. Mais la première surpris 
avait produit son effet. L'armée de Bénédek, dispersée, ne pou- 
vait plus fournir les éléments d'une résistance sérieuse ; d'ailleur» 
dans leur retraite précipitée, les débris de cette armée avaien 
été dirigés sur Olmiitz, et il ne leur était même plus possiD^ 
d'arriver à temps pour menacer le flanc des Prussiens qu 
s'avançaient sur Vienne. 

Telle était la situation quand M. le comte de Men^dorn s 
rencht lui-même à l'armée "pour constater de visu l'étendue 
malheurs et des dangers auxquels il fallait faire face. ,^^^ 
Le temps pressait ; entre les Prussiens vainqueurs et la vi^^ 
de Vienne, il n'existait plus d'obstacles sérieux, c'était lattai^^ 
de quelques jours. Le Gouvernement autrichien prit alors u^^^ 
résolution suprême et proposa à l'Empereur Napoléon de 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



301 



mettre la Véaétie, à la condition d'obtenir la garantie d'un 
'^mistice en Italie, jusqu'à ce que cette cession eût été réalisée, 
n note insérée dans le Journal officiel à Paris fit connaître 

"^ces termes l'offre de l'Autriche et l'acceptation de la France : 

« Paris, le 4 juillet 1866. 

, Un fait important vient de se produire. Après avoir sauve- 
sardé l'honneur de ses armes en Italie, l'Empereur d'Autriche, 
arcédant aux idées émises par l'Empereur Napoléon dans sa 
lettre adressée le 11 juin à son ministre des Affaires Étrangères, 
fède la Vénétie à l'Empereur des Français, et accepte sa média- 
ton pour amener la paix entre les belhgérants. L'Empereur 
Napoléon s'est empressé de répondre à cet appel, et s'est immé- 
diatement adressé aux Rois de Prusse et d'Italie pour amener 
un armistice. » 

L'effet de cette nouvelle fut considérable. A Vienne et en 
Autriche, l'opinion revenue d'un premier moment de stupeur et 
d'affaissement, se releva spontanément à l'idée du retour pos- 
sible de l'Archiduc Albert à la tête de son armée victorieuse. 

Au quartier général prussien on redoubla d'ardeur et d'activité 
pour arriver à Vienne avant que la médiation française ne se 
mît entravers du chemin. , , ^ 

En Italie on reçut fort mal les ouvertures de la France, et 
le général Cialdini, réunissant à son armée ce qui restait de 
celle de Custozza, se prépara à passer le Pô, ce qu'il fit le 
8 juillet avec des forces considérables. Les Italiens voulaient 
absolument cueillir quelques lauriers, et il leur répugnait de 
recevoir la Vénétie en cadeau de bonne amitie. D'un autre 
•côté ils ne recherchaient pas avec une trop grande ardeur l'oc- 
casion d'une bataille, le souvenir de Custozza les rendait pru- 
dents Mais en présence du désastre qui avait frappe les Autri- 
chiens en Allemagne, il était probable qu'ils seraient obliges de 
rappeler près de Vienne une partie de leurs troupes, et alors, 
soit en les harcelant dans leur retraite, soit en occupant .le 
lendemain, les places et les positions qu'ils auraient évacuées 
la veille, on pouvait espérer une cueillette de lauwers qui ne 
seraient ni dangereux, ni difficiles à récolter. 






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302 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Ce fut a peu près ce qui arriva, car la résistance des Italiens 
determmee; et si on la prit au sérieux dans le commencement, 

pas mieux que de s entendre. 
Cependant, l'accueil réservé qu'ils firent aux première. 

We^rt't ?°™— ' f'-Çais empêcha le'"à 
Vienne de toute l'armée du Sud. 

como^-vIrinïf'^T ''' ^°T' nécessaires restent en arrière poui' 

la SlepVco,!°. '''''' '^'\ ?'y' '* P'°^^S''' de concert avec 
a lideie et courageuse population, les forteresses du Tyrol et de 

ili le Nord o™"" 1 ''' f''''' J° P^^« -- 1-^ reste dé l'a 1 
poui le ]\ord ou seront portés des coups décisifs. » - 

t«nT vï "'"'' T?' ''^f '■''n^" l'Archiduc Albert le 9 juillet en quit- 
itn J. r- ■?' '"""* P'' •^''^"^^^t^»"'^ PO"'- «'"Pécher les Ita- 
Sit ,tr/r ;;''-'°™"''^ '^'"" P^P^^^»- U^^^^om dans sa 
auïïpv. f K ?• '""'' ''"' •^""'■^^ ^"''^ère et triomphale 
qu devait aboutir aux portés de Vienne et frapper l'AutricL au 
cœur mémo de l'Empire. 

m.Hf.l! ^"'"''' ^'E'nP-^reur François-Joseph adressa un second 
n anife te a ses peuples. Ce qu'il en parut alors de ces procla- 

ZZLTTv^r'^'^''''^''' électorales, ducales etprinciè- 
les nîls " 'l 'T"'"^'''' ^""'^ "" ^°'"™*' ■' t°"tes à peu près 
ceaees dans des circonstances analogues 
les'hmesT,f "'' ''" ^^ J""^' fait exception. Ecrit, on le sent, 
Emiriii ïïi'""^' 'T "' ^'""'^ '°"^^-''^^° q'^i ^'^dresse à so^ 
tï te marn h? .'•' 'r" ^"''"'^ "^^"^^'^'■^' " ^ ^^gne un accent ' 
H 1^;, xts ; "■' ''''^'''''' '^ '^^ ^°»™ne"'> franchise. 

Heuieux les peuples a qm on peut encore parler ainsi et nui 

la ne meurent pas et se relèvent. 
Citons les passages marquants du manifeste Impérial : 

mi^ïic'e'e^IhSV'.ff'''' ' ^'En^pereur des Français pour un ar- 
empresse, mai. il s e.t offert spontanément, avec la noble inten- 



:>^1 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



303 



fon (le prévenir une effusion de sang ultérieure, comme média- 
tpm> d'un armistice avec la Prusse et de négociations prélimi- 
naires pour la paix. 

, J'ai accepté cette offre ; je suis prêt à la paix dans des condi- 
tions honorables pour mettre fin à l'effusion du sang et aux 
. jtresde la guerre. Mais jamais je n'accepterai une paix par 
' bases de la puissance de mon Empire seraient ébranlées. 



, Je suis résolu plutôt à une guerre à outrance avec la certi- 
tude de l'appui de mes peuples. 

a Toutes les troupes disponibles seront concentrées. La levée 
oui a été ordonnée et l'affluence des volontaires c[u'un nouvel 
élaa de l'esprit patriotique appelle partout aux armes, comble- 
ront les lacunes de l'armée. L'Autriche a été lourdement éprou- 
vée mais elle n'est ni découragée, ni écrasée. 

«Mes peuples ! ayez confiance en votre Empereur. Les peu- 
ples de l'Autriche ne se sont jamais montrés plus grands que 
dans l'adversité ! Moi aussi, je suivrai l'exemple de mes ancêtres, 
et, plein d'une confiance inébranlable en Dieu, plein de résolu- 
tion et de persévérance, je vous servirai d'exemple. 

» Ainsi donné dans ma résidence et capitale de Vienne, le 
10 juillet 1866. 

Signé : François-Joseph. » 

Trois jours auparavant, l'Empereur s'était adressé aux Hon- 
q-ois, sinon dans les mêmes termes, du moins avec autant de 
confiance. La Hongrie était alors travaillée et parcourue en 
tous sens par des émissaires prussiens ; il était urgent de faire 
' un appel suprême à la fidélité et à la bravoure de cotte nation 
guerrière. 

L'Empereur d'Autriche ne s'était pas trompé dans la confiance 
qu'il marquait à ses peuples ; sa parole fut le signal d'un relè- 
vement général des esprits. Vienne ne pouvait pas être défen- 
due, on se mit à l'œuvre pour enlever de la capitale les archives, 
le trésor de la Banque et tous les objets de valeur. De nombreux 
convois de bateaux à vapeur transportaient jour et nuit sur le 
Danube les caisses et fourgons envoyés à Comorn. Au début de 
laguerre, la Prusse avait placé ses nationaux sous la protection 
de l'Ambassade de France; ce fut à cette même Ambassade que 



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304 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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le Gouvernement autrichien s'adressa pour la protection des 
hôpitaux et de quelques autres établissements d'un intérêt euro- 
péen, comme par exemple l'Imprimerie impériale, dans laquelle 
se trouvaient encore, à moitié terminés, les titres de l'Emprunt 
de 18i)5 conclu et placé à Paris. 

S. M. l'Impératrice avait établi à Schônbrunn et à Laxenbourg 
des hôpitaux provisoires où les blessés recevaient, sous sa di- 
rection, les soins que réclamait leur état. L'impossibilité de les 
évacuer à l'intérieur était pour elle une cause de grande inquié- 
tude, d'autant plus que chaque jour apportait des nouvelles des 
excès de tout genre auxquels se livraient les Prussiens dans les 
villes et les campagnes qu'ils occupaient. SaMaje3té,en s'éloignant 
de Vienne, les avait spécialement recommandés à l'Ambassadeur. 
D'un autre côté onrecevaitd Olmiitz des nouvelles moins mau- 
vaises. L'armée de Bénédek commençait cà se reconstituer sous 
le commandement de nouveaux officiers, et le moral de la troupe 
se relevait sensiblement. Il y avait là 120,000 hommes qui de- 
vaient, au cas où les Prussiens entreraient à Vienne, comme cela 
paraissait probable, se porter vers Presbourg pour y rallier une 
partie de l'armée du Sud, sous le commandement en chef de 
l'Archiduc Albert. On comptait alors opposer aux Prussiens une 
armée de ^:0,000 hommes, et effectuer un retour offensif plus 
considérable et mieux combiné que la campagne de Bohême. On 
appreuait aussi de bonne source que les Prussiens avaient subi 
des pertes sérieuses dans la journée du 3 juillet, que leurs armées 
s affaiblissaient à mesure qu'ils s'éloignaient de leurs premières 
bases d'opération et que l'état sanitaire de la troupe n'était pas 
sans donner des inquiétudes. 

Ces informations étaient-elles parfaitement exactes, nous ne 
pouvons pas l'aftîrmer, mais ce qui est certain, c'est qu'on les 
acceptait comme telles au quartier général autrichien où on re- 
prenait grande confiance. 

Après la bataille de Kônigsgrâtz, le général Gablentz avait été 
envoyé par Bénédek au Roi de Prusse pour demander un armis- 
tice qui avait été refusé. Ce fut alors que se produisit l'oifre de 
médiation de l'Empereur Napoléon. 
Quand la nouvelle en parvint au quartier général prussien, elle 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



SOS 



fit reçue avec le plus grand mécontentement, d'autant plus 
1 and [|û'il fallait en dissimuler l'apparence. L'œuvre prussienne 
" mmençait à peine, et voilà qu'au moment où Vienne allait 
t mber aux mains du vainqueur, intervenait la France pour lui 
jrraeher sa proie ! 

Car on savait d'avance que la médiation sauvegarderait le ter- 
■inire de l'Empire ; l'Empereur François-Joseph l'avait dit dans 
son manifeste. 

niais la Prusse, quoique victorieuse, n'était pas en état d'oppo- 
UQ refus aux propositions pacifiques de l'intervention fran- 
aise'on fit donc bonne mine à mauvaise fortune, et le Roi Guil- 
iaumè répondit qu'il était prêt à négocier, pourvu qu'avant tout, 
l'Àutriclie acceptât en principe son exclusion de la Confédéra- 
tion germanique. 

Rien ne pouvait être plus désagréable au comte de Bismarck 
gue cette immixtion de la France venant ainsi se placer entravers 
jes opérations militaires. Il avait rêvé l'anéantissement de 
l'xlutriche et l'établissement par la force, de l'hégémonie prus- 
sienne ; ce'fut avec dépit, avec colère, qu'il se vit forcé de renoncer 
afcisolutionsfaciles et absolues que donnent les victoires, etd'en- 
tiw dans une nouvelle période de négociations qui ne devaient 
certainement pas lui procurer tout ce qu'il eût voulu prendre. 

Aussi garda-t-il de la médiation française un souvenir haineux 
et rancunier qu'il avouait encore dernièrement au Parlement de 
Berlin, dans une séance du 20 février 1878, où répondant au 
député Windthorst il disait : 

-» Je pourrais citer un grand nombre de cas où l'on s'est brûlé 
les doigts en intervenant entre des puissances belligérantes. Je 
rappellerai, par exemple, l'intervention de Napoléon après la 
liataille de Sadowa. L'affaire n'a pas été faite très-publiquement._ 
■ Mais je sais ce que j'ai pensé alors et Je ne l'ai pas oublie. J'ai 
pris soigneusement note de cette intervention, et il aurait peut- 
être été plus profitable aux intérêts français que la France ne se 
M pas érigée alors en apôtre de paix. » — 

Nous reviendrons sur ces profits dont parle ici M. de Bismarck 



cm 



10 11 12 13 



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306 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 






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l.rf. 



et dont la France aurait pu avoir le bénéfice si elle ne se fût 
pas érigée en apôtre de la paix. 

Au mois de juillet 1866, quelles que fussent les notes de ven- 
geance que le ministre prussien prenait soigneusement contre la 
France médiatrice, il n'en faisait pas moins très-bon accueil à 
ses ouvertures. 

L'Empereur d'Autriche avait accepté en principe la sortie de 
l'Autriche de la Confédération germanique ; mais il avait refusé 
d'y consentir formellement avant de connaître les autres condi- 
tions qui devaient faire partie des préhminaires de paix. A cette 
occasion il avait môme renouvelé la déclaration formelle que 
plutôt que de conseatir à une cession de territoire, l'Autriche 
préférait continuer la guerre, dussent tous ses peuples périr ea 
combattant pour le sol et l'honneur de la patrie. 

M. de Beust, dont l'activité s'accommodait mal du rôle un peu 
effacé de ministre in partibus {fidelium), d'un prince dépossédé 
et voyageur, s'était donné une mission à Paris, un peu pour la 
Saxe dont l'avenir était incertain, un peu pour l'Autriche dont le 
sort allait se décider. 

, Le Prince Napoléon devait partir pour l'Italie afm d'y faire 
accepter l'armistice par le Roi son beau-père. Le général Lebœuf 
était désigné pour recevoir des Autrichiens les places du qua- 
drilatère, cà titre de commissaire français. Une flotte française 
allait partir pour Ancône afin de garantir jusqu'à la paix la; ceS' 
sation des hostilités. 

Les troupes autrichiennes du Sud se dirigeaient à marches 
forcées et par des trains militaires vers Vienne et Presbourg et 
l'Archiduc Albert les y avait devancées. 

De leur côté les Prussiens s'avançaient vers Vienne aussi vite 
que le leur permettaient les impedimenta de la route, et la néces- 
sité de ne pas marcher en avant dans un pays ennemi sans bien 
assurer ses communications en arrière. Dans la journée du 9 ils 
étaient déjà à Iglau et leur entrée à Vienne paraissait à la fois 
prochaine et certaine. Tout était prêt pour les recevoir, c'est-à- 
dire que tout était vide, car ils étaient précédés d'une réputation 
de pillards que du reste ils avaient tout fait pour mériter. Depuis 
qu'ils avaient mis le pied sur le sol autrichien, ils avaient jeté le 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



307 



masque de confraternité allemande qui eût gêné leur commerce, 
etils prenaient tout ce quileurtombait sous les mains. Il n'y avait 
d'exception que pour les maisons ou châteaux qui servaient de 
résidences au Roi et au Prince Royal. En leur présence, on 
n'osait ni prendre ni voler ; mais partout ailleurs, depuis les 
généraux jusqu'aux soldats, c'était une exploitation réglée, et 
quis'étendait des chaumières jusqu'aux palais, des ctables de la 
terme aux écuries seigneuriales, des cuisines aux salons, de 
l'oratoire des religieuses aux églises des villes. Les belles rési- 
dences du comte Harrach, des Kinsky, des TrauttmansdorfT 
avaieat été lestement dégarnies de leur contenu. En un mot, 
c'était la mise en pratique bien étudiée et bien organisée du pro- 
gramme que le général de Manteuffel exposait un an auparavant 
à Carlsbad en juin 1865. 



_ < Si on manc[ue d'argent, ce n'est pas en bavardant dans un 
Parlement qu'on en trouve ou qu'on en fait venir dans son pays. 
Il n'y a pour en trouver qu'un seul moyen pratique, c'est la 
guerre, la guerre chez les autres. Partir à la tête de son armée et 
aller prendre chez ses voisins ce qu'il faut à son armée et à son 
piïs(1). » 

Pour arriver à un résultat plus complet, les corps d'armée 
étaient suivis de marchands Juifs qui, sur place, achetaient et 
payaient soit au comptant, soit en fort bonnes traites, tout ce que 
leur apportaient les officiers elles soldats. De cette façon rien 
n'échappait au pillage, car les pillards n'avaient pas à compter 
avec la difficulté du transport ou même quelquefois la honte de 
l'action. Un officier n'eût pas osé se montrer avec la montre d'un 
pauvre paysan et n'eût peut-être pas pensé à la lui prendre ; mais 
grâce aux marchands Juifs la chose se simplifiait et devenait un 
commerce facile. On prenait la montre, on la portait au Juif et on 
recevait trente ou quarante thalers qu'on mettait dans son sac. 
Et il en était de même pour les meubles, les chevaux, les objets 
d'art, les tableaux, la lingerie, l'argenterie, les bijoux et jusqu'aux 

(I) Celte phrase caractéristique et authentique a déjà été citée dans 
le cliap. XI, p. 210. 




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■|.-l' 



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3 = 




h- ' — = 




3f8 • L'ALLEMAG.NE NOUVELLK. 




= 


voitures. Tout cela livré aux Juifs prenait aussitôt la route de 




co — = 


■i^'-' Berlin. On conçoit sans peine les sentiments qu'excitait alors 
H'' _ dans le peuple de Vienne et des provinces non envahies le récit 




ip^ — ^ 


H^;^^ de toutes ces prévarications, racontées le plus souvent par ceux 






B:t*'' ■ qui en avaient éié les victimes. 




^ 


H*'-*'-^ Telle était la situation quand furent apportées cà Vienne, le U 




en — = 


H ^■.' au matin, par un secrétaire d'ambassade français, M. Lefebvre 
H^ de Béhaine, les premières propositions pour une suspension 
H?^ d'hostilités de trois jours. 




(T, — = 


H^:- Elles étaient ainsi formulées : 

Hmê — « Ne pouvant conclure sans le consentement de l'Italie l'ar- 




-J — = 


m- mistice proposé par la France, mais voulant cependant donner à 
■ l'Empereur Napoléon un témoignage de ses bons sentiments, le 
H ■ Roi, afm de laisser le temps de constater les intentions du 




co — = 


m%h Gouvernement italien, est prêt à ordonner à ses troupes, à titre 
H ■ ■ réciproque, de s'abstenir de tout acte d'hostilité contre l'armée 
■ . Austro-Saxonne pendant trois jours, sous les conditions sui- 




KO — = 


■ vantes : 

■ ^ 1» Le terrain situé entre la position actuelle de l'armée 

■ ïi-? prussienne et la Thaya('l) sera évacué immédiatement par les 




^ = 




o = 


H^;"' troupes autrichiennes ; 

M':'i. 2° En dehors du cas prévu dans l'article '!«'•, toutes les 




l_J = 


B*<y„ troupes prussiennes, toutes les troupes autrichiennes de l'ar- 




h-" ^ 


m0i niée du Nord et du Sud, et les troupes saxonnes, ainsi quêteurs 
■,r'*' convois d'artillerie et de munitions, s'arrêteront à l'endroit où 




h-" = 


B-?W ils se trouveront le jour de la signature du présent arrangement 




M = 


■ ■■■' et s'abstiendront de tout mouvement ; 

1 3° Les troupes prussiennes, jusqu'à l'expiration du délai con- 




h- ' ^ 


1 ,'• venu, se tiendront à trois milles de distance d'Olmûtz ; 




co = 


■■ "') 4° Le chemin de fer entre Dresde et Prague sera ouvert aux 
■•■j, j; transports du matériel d'approvisionnement en vivres de l'armée 




h- ' ^ 


B'^/-; prussienne. « 

B*^' Ces propositions ne furent pas acceptées par l'Autriche 




h- ' ^ 
en = 


B ' . parce qu'elles étaient impraticables en ce qui concernait l'armée 
B'-- (1) La Thaya est une petite rivière sur la frontière méridionale de la 




h- ' ^ 


K Moravie à 6 ou 7 milles allemands d'iglau; cette délimilation rappro- 




h- ' ^ 

h- ' ^ 
CO ^ 


■ . cliait sensiblement de Vienne l'armée prussienne. 


1 




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L'ALLKMAGNE NOCYELLE. 



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du Sud déjà en route et qu'il était impossible d'arrêter pour la 
laisser exposée aux attaques de l'armée italienne qui n'avait pas 
encore accepté la trêve. Elles permettaient également aux 
Prussiens, tout en restant à trois milles d'Olmiitz, de cerner la 
nlace de tous côtés de manière à rendre une capitulation néces- 
saire à la reprise des hostilités. 

En conséquence, M. Lefebvre de Béhaine retourna le môme 
iour à midi au quartier général prussien, porteur d'un contre- 
nroiet proposant une ligne de démarcation infranchissable, de 
la Thaya à un point situé près d'Eisgrub, à 2 milles ouest de 
Lundenburg, et de là, suivant parallèlement le chemin de fer 
iusqu'à la hauteur d'Olmiitz. On ne s'attendait pas à Vienne à 
voir ces propositions acceptées, et en efTet on apprit, le 16, 
qu'elles avaient été refusées par la Prusse. 

Pendant ce temps les belligérants avaient continué leurs 
mouvements. 

Les Prussiens s'étaient avancés en Moravie ; le Roi de Prusse 
était entré à Brûnn, et y avait établi son quartier général ; le 
Prince Frédéric-Charles s'approchait de Lundenburg st y opérait 
sa jonction avec l'armée du Prince Royal pour de là marcher 
ensemble sur Vienne ou sur Presbourg, dont ils n'étaient plus 
séparés que par quelques heures de route, mais aussi par le 
Danube à franchir. 

De son côté, l'armée de Bénédek avait quitté Olmiitz et s'a- 
vançait vers la Hongrie; l'armée du Sud arrivaità Vienne, trans- 
portée à grande vitesse par les trains du Sud-Bahn (chemin de 
fer du Midi], et campait dans le Prater et tout le long du Da- 
nube. L'Archiduc Alljert avait pris le commandement suprême 
et on se préparait à disputer, jusqu'à la dernière cartouche, le 
passage du fleuve qui semblait prendre sa part de la défense en 
grossissant à vue d'œil. L'Archiduc avait adressé à ses troupes un 
ordre du jour plein d'espoir et d'énergie qui commençait ainsi : 

— Il Soldats duNord et du Sud ! Fidèles et braves Saxons! nous 
allons apporter dans notre action cette unité qui règne dans nos 
sentiments! Une armée plus puissante que jamais se réu- 
nit composée de combattants éprouvés, braves et pei>=.'vé- 



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rants qui, d'un côté avec la couscience d'une victoire déjà 
remportée, et, de l'autre côté, brûlant de se venger d'undésastre 
immérité, sont impatients de mettre fin à l'arrogance de l'en- 
nemi. 

» Accomplissons cette grande œuvre par l'union de nos forées 
et n'oublions jamais que le succès est acquis aux hommes de 
tète et de cœur, aux hommes de calme et d'énergie, et que, 
quels que soient ceux que la fortune favorise, celui-là seul est 
perdu qui se laisse intimider et désespère. » 

L'opinion publique et l'élan national avaient répondu à cet 
appel chaleureux. Cela ne suffisait pas sans doute pour modi- 
fier en fait une situation des plus critiques, mais cela faisait 
pressentir une résistance désespérée. 

En Europe, on tenait l'Autriche pour anéantie; au quartier 
général de l'Archiduc Albert on avait au contraire bon espoir 
et ferme confiance. 

C'est ainsi que les choses étaient le -1 5 juillet 1866. 




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XV 



le Cabinet de Berlin engage l'Autriche à renoncer à la médiation Fran- 
çaise. — Intervention de la France. — On renonce à appuyer l'inter- 
venlion par une démonstration militaire. — Conséquences de cette 
résolution. — Préliminaires de paix proposés par la France et accep- 
tés par les belligérants. — Suspension des hostilités. — Conférences 
do ïïikolsbourg. — Signature de l'armistice et des préliminaires de 
paix par la Prusse, l'Autriche et la Bavière. 






L'avant-garde du 1" corps d'armée prussien avait occupé 
Brûnn le 12 juillet, et le bourgmestre, docteur Ghiskra, lui avait 
fait un accueil d'une grande prévenance, fort différent de celui 
que les troupes prussiennes étaient habituées à recevoir depuis 
qu'elles avaient passé la frontière. Le lendemain, 13 juillet, le 
Roi fit son entrée dans la ville et y établit son ciuartier général 
jusp'au 17, c'est-à-dire pendant quatre jours. C'est de Briinn 
qu'était parti M. Lefebvre de Béhaine pour porter le 1 4 à Vienne 
les propositions d'armistice qui n'avaient pas été acceptées. 

Brûnn est une grande ville manufacturière, capitale de la Mo- 
ravie, et son bourgmestre, le docteur Ghiskra, membre du 
Reichsrath, appartenait à la fraction libérale et avancée du parti 
allemand, qui, sans se prononcer ouvertement contre le Gouver- 
nement Impérial, cherchait à concilier les devoirs de la fidélité 



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au souverain avec les tendances unitaires de la grande Allema- 
o-ne. Pour lui, les Prussiens étaient des frères plutôt que des 
ennemis; il l'avait trop bien montre par l'accueil empressé qdl 
avait fait k leur avant-garde, pour que le Roi ne lui en marquât 
pas sa satisfaction. Aussi Sa Majesté le fit-elle appeler dès son 
arrivée et le retint-elle à diner. 11 ne s'était pas encore trouvé à 
pareille fêle, et il en fut, comme on le vit plus tard, très-forte- 
ment impressionné. 

Le lendemain, '. 4 juillet, M. de Bismarck se rendit chez lui dans 
la matinée et y resta fort longtemps. Cette visite avait pour but 
d'employer la municipalité de Briinn comme intermédiaire, etde 
faire parvenir à Vienne l'invitation de renoncer à la médiation 
française. M. Herring, riche industriel de Brûnn, fut, à ce qu'il pa- 
raît, présent à l'entrevue, et, quelques jours après il vint àViennei 
accompagné d'un autre habitant notable de la ville, nomme 
M. Gomperz. Ils étaient munis d'une passe prussienne, etlebiit 
apparent de leur voyage était de rétablir, sous de certaines res- 
trictions, les communications postales avec Briinn. AussitôUr- 
rivé, M. Herring s'empressa d'aller rendre compte du langage que 
le comte de Bismarck avait tenu en sa présence au D"' Gliisto 

D'après son rapport, le Président du ministère prussien awt 
déclaré : — « que la guerre n'avait d'autre but que d'obliger 1 Aï- 
triche à. sortir de la Confédération. La Prusse voulait à toutprB 
établir son influence et son autorité exclusive jusqu'à la ligne du 
Mcin; si l'Autriche acceptait ce programme, la paix pourrait se 
négocier immédiatement; dans le cas contraire la guerre dewail 
continuer jusqu'à ce que l'-^utriche fût contrainte à accepter. On 
ne s'opposerait pas à Berlin à ce que l'Autriche se reliât, par des 
traités réciproques, aux Etats du Sud de l'Allemagne, pourvu que 
la Prusse eût sa liberté d'action dans le Nord. Quant aux frais de 
guerre, le Roi savait que l'Autriche ne pourrait pas les payer, et, 
bien que Sa Majesté eût fait figurer une indemnité de guerre dans 
les premières conditions posées comme préliminaires de paix, le 
Roi ne comptait pas insister sur ce point. Il était très- regrettable 
qu'à Vienne on eût provoqué la médiation de la France, et il à\ 
été beaucoup plus sage et plus pratique de s'entendre directement 
L'Empereur Napoléon ne manquerait pas de demander quelquf 
avantage en retour de sa médiation, ce qui imposerait à la Prussf 
l'obligation de réclamer une compensation du sacrifice nécessain 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



313 



oour paver la médiation française (1). Si, au contraire, et il en 
était encore temps, l'Autriche s'entendait directement avec la 
Prusse, cette compensation devenait inutile , et la paix pouvait 
se conclure plus facilement et plus promptement ». — 

C'était le 1 9 juillet que M. Herring avait porté les ouvertures 
(lu comte de Bismarck à la connaissance du Gouvernement autri- 
chien et des personnages les plus notables de la ville. ■ 

Pour bien comprendre le caractère et le but de cette démarche , 
il est nécessaire de jeter un coup d'œil d'ensemble sur la situation. 

L'armée autrichienne qui était à Olmiitz s'avançait vers le Sud, 
se repliant sur la frontière de Hongrie, pour opérer sa jonction 
avec les corps ciui revenaient d'Italie. Elle était forte de 11 ',' 00 
hommes. 

De la Vénétie et des frontières méridionales il était déjà arrivé 
30 000 hommes à S'-Pôlten sur le Danube, et, comme on avait 
organisé de dix à douze trains par jour sur le Sud-Bahn, ou 
pensait avoir dans quatre jours environ 80,000 hommes avec le 
matériel correspondant. Des divisions de cavalerie observaient 
la marche des Prussiens, et le passage du Danube devenait de 
jour en jour plus difficile. 

Du côté des Prussiens, l'armée du prince Frédéric-Charles 
s'étendait de la ligne de la Thaya à Lundenburg, et celle du 
Prince Royal se portait sur sa gauche pour arrêter Bénédck, et 
marcher ensemble sur Vienne ou sur Presbourg, suivant les cir- 
constances. Tout ce que la Prusse possédait de forces militaires 
était en^^agé ; les derrières de l'armée commençaient à s'éclaircir 
à mesure qu'elle avançait en pays ennemi, et c'était une cause 
d'affaiblissement qui devenait sérieuse, surtout si la guerre devait 
encore se prolonger quelque temps. Déjà pour remplir les vides 
il fallait appeler sous les armes de très-jeunes recrues et dégar- 
nir tous les pays de l'intérieur, à ce point que du Rhin à Berlin 
on eût à peine compté de 20 à 2b, 000 hommes. Jamais la Prusse 
n'avait été plus désarmée chez elle. 
Dételle sorte que, si la Prusse tenait l'Autriche, elle n'en était 

{{) M de Bismarclc préparait ainsi les voies pour pouvoir réclamer la 
Silésie autrichienne, à la possession de laquelle la Prusse atlachait du 
pris. 







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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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pas moins elle-même dans une situation fort grave et qui pomait 
d'un moment à l'autre devenir critique. 

A ce moment, comme l'a dit M. de Bismarck dans son discours 
aux Chambres, du 1 6 janvier \ 87 j , il entrevit des résistances qui 
allaient aiTéter la marche triomphale des Prussiens et empêcher 
la réatîsation complète de ses espérances, 

— « L'Empereur Napoléon avait fait pressentir la possibilité de 
son intervention et mis en avant des préliminaires de p^ix qui 
consacraient l'intégrité du territoire de l'Empire d'Autriche et le 
maintien de la Couronne de Saxe ; il avait même laissé compren- 
dre cju'au besoin ces préliminaires pourraient être recommandés 
à l'acceptation de la Prusse d'une façon plus pressante que par 
de simples conseils (1). » — 

il était donc de la plus haute importance d'écarter à tout prix, 
pour le moment du moins, l'intervention française, car elle me- 
naçait de compromettre tout le succès de la campagne, et le plus 
sûr moyen, le seul moyen d'y parvenir, était de persuadera 
l'Autriche que cette intervention, loin de la servir, ne ferait 
qu'augmenter à son détriment les exigences de la victoire. 

Si l'Autriche, donnant dans le piège, eût écouté ces perfides 
conseils, on eût aussitôt, pour la forme, ouvert des négociations 
d'armistice. Et pendant ce temps, l'Italie devenue libre de ses 
mouvements se fût avancée, ainsi qu'il ava% été convenu dans 
la note du 17 juin, reconstituant au bénéfice de la Prusse la 
division nécessaire des forces autrichiennes à laquelle on devait 
les victoires de Bohême. Et comme l'Italie pouvait toujours, à 
un moment donné, rompre par un refus de concours préalable- 
ment concerté, les négociations entamées par la Prusse, l'Au- 
triche isolée, ramenée au lendemain de Sadowa, retombait à la 
merci du vainqueur qui poursuivait sa marche et la frappaitm 
cœur avant qu'on pût arrêter ses coups. 

Tel était le plan que les ouvertures de MM. Ghiskra, Her- 
ring et compagnie devaient réaliser. Ils étaient sans aucun 
doute de bonne foi quand ils se firent auprès de leur Gouver- 



(1) Discours de M. 
1874. 



de Bismarck au Parlement de Berlin le 16 janvier 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



31o 



nement les parlementantes de la Prusse, et ils ignoraient que celui 
(font ils portaient la parole, n'était pas liomme à se contenter 
des conditions bénignes qu'il les avait chargés de transmettre, il 
voulait bien certainement que l'Autriche sortit de la Confédéra- 
tioa' mais il voulait aussi qu'elle en sortît amoindrie, .^man- 
teiée humiliée, rançonnée, et frappée au cœur. Il l'avait ainsi 
déclare au Gouvernement italien : 
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« Le système de guerre que la Prusse propose à l'Italie est celui 
d'une guerre à fond. Si au commencement, le sort des armes 
lui est propice, les alliés ne s'arrêteront pas aux obstacles inter- 
médiaires ; ils chercheront plutôt, à pousser l'Autriche dans ses 
derniers retranchements et jusqu'à sa dernière ressource. Ils ne 
se contecteront pas, après une victoire, d'occuper tel territoire 
qu'une paix favorable pourra leur faire garder. Au contraire, et 
sans égard pour la configuration territoriale future, ils tâche- 
ront avant tout de rendre la victoire définitive, complète, irré- 
vocable (1). >> 

11 n'était guère possible de préciser plus clairement, plus 
brutalement, le caractère implacable de la guerre. 

Aussi le Gouvernement autrichien laissa-t-il parler le bourgue- 
mestre de Brûnn et préféra-t-il ne pas lâcher la proie pour 
l'ombre. L'intervp' 'on française bouleversait toutes les espé- 
rances de la Prusse; par conséquent elle était en principe favo- 
rable à l'Autriche, et l'Autriche continua à s'en servir. Cette 
intervention d'ailleurs avait été à son début présentée dans des 
conditions très-sérieuses, et qui paraissaient en garantir l'cfti- 
cacité. Ainsi ciue l'a dit lui-même M. de Bismarck : — « L'Empe 



reur avait fait comprendre qu'au besoin, les préliminaires de 
paix qu'il proposait pourraient être recommandés à l'acceptation 
de la Prusse d'une façon plus pressante que par de simples 
paroles (%). '> — 

Eu effet, on avait montre à Paris un empressement qui 
s'était immédiatement traduit par des démarches significatives. 
M.Benedetti avait reçu l'ordre de se rendre au quai'tier général 



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(l)Noie de M. Uscdom, déjà cilée. 

(2) Séance du 16 janvier 1874, du Parlement de Berlin. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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prussien, en même temps que Je prince Napoléon était envoyé 
auprès du roi Victor-Emmanuel pour le presser d'accepter l'ar- 
mistice, el; vaincre des résistances que la correspondance télé- 
graphique de Florence faisait pressentir. 

D'un autre côté l'Ambassadeur d'Autriche avait reçu de 
l'Empereur Napoléon des assurances formelles et on avait 
donné l'ordre de faire partir une escadre pour le port de 
Venise. L'Empereur avait écrit de sa propre main au prince de 
Metternich pour lui annoncer le départ de la flotte, et ce billet 
autographe était trois jours après à Vienne, sur le bureau du 
comte de Mensdorff, ayant passé sous les yeux de l'Empereur 
François-Joseph. D'autres aussi l'avaient vu, et quelques 
heures plus tard on en tenait la copie chez les Prussiens. 

Toutes ces circonstances indiquaient une certaine énergie dans 
l'œuvre de médiation, et c'est précisément ce qui inquiétait la 
Prusse. 

En ce moment la situation se résumait ainsi : 

L'Empereur Napoléon avait offert sa médiation ; le Roi de 
Prusse (c'est-à-dire son ministre), très-mécontent, mais effrayé 
des conséquences possibles d'un refus, avait accepté la média- 
tion française et promis de faire connaître sans retard, par 
l'intermédiaire de M. de Goltz, son Ambassadeur à Paris, i 
quelles conditions il pouvait consentir à un armistice (1). 

C'était le commencement d'une phase nouvelle dont il était 
possible de tirer un grand parti. Nous avons déjà exposé l'état 
relatif des forces belligérantes ; la Prusse victorieuse, mais fati- 
guée ; l'Autriche vaincue, mais loin d'être épuisée ; les Allemands 
du Sud, sous les armes, valant ce qu'ils valaient, mais n'étant 
pas avec la Prusse. Que se passa-t-il alors en France? Comment 
cette médiation, qui se présentait dans des conditions si excep- 
tionnelles, qui était en fait l'arbitré presque tout-puissant des 
destinées allemandes, comment cette médiation fmit-elle par 
aboutir au plus mauvais résultat qu'il fût possible de prévoir? 



(1) Tclcgramme de M. Drouyn do Ltiuvs au duc de Gramont, du 6 
juillet 1866. 



L'AI.LI'MAGNE NOUVELLE. 



317 



c'est ce qu'il est assez difficile de bien expliquer et certainement 
impossible de justifier. 

M. Drouyn de Lhuys, nous avons eu l'occasion de le dire plus 
haut, avait, dès le mois de mars, blâmé les encouragements 
donnés officieusement sinon officiellement à l'alliance de l'Italie 
avec la Prusse. 11 prévoyait que cette alliance devait amener la 
ruine de l'Autriche, et considérait ce résultat comme contraire 
aux intérêts français. Ses conseils n'avaient pas prévalu, et la 
France se trouvait, quatre mois après, en présence d'un fait de 
raerre qui ne tendait à rien moins qu'à modifier, à son détri- 
ment, les conditions de l'équilibre continental. 

Le lendemain de la bataille de Sadowa, il se rendit chez l'Em- 
pereur et lui exposa la gravité de la situation (1) : 

« Sire, lui dit-il, nous nous trouvons en face d'événements 
qui peuvent être aussi funestes pour la France que les défaites 
du premier Empire. Dans les circonstances actuelles, je suis 
d'avis que Votre Majesté convoque le Corps Législatif et donne 
l'ordre de réunir immédiatement sur la frontière de l'Est une 
armée d'observation de 80,000 hommes. En même temps il serait 
prescrit à M. Benedetti, notre ambassadeur auprès du Roi de 
Prusse, de déclarer à celui-ci que vous vous verrez obligé d'oc- 
cuper la rive gauche du Rhin si la Prusse ne se montre pas mo- 
dérée dans ses exigences vis-à-vis du vaincu, et si elle réalise 
des acquisitions de territoire dénature à déséquilibrer l'Europe. 
Le Rhin est totalement dégarni de troupes, et tout indique qu'une 
intervention, telle que je la propose, atteindrait le but désiré, 
d'autant mieux que le maréchal Randon vient de m'assurer qu'au 
vu de ses états, il est prêt à envoyer très-rapidement un corps 
d'armée de 80,000 hommes. » 

L'Empereur accéda tout d'abord aux vues de son ministre des 
Affaires Étrangères, et il fut arrêté qu'une note, conçue dans le 
sens indiqué, paraîtrait le lendemain au JournaZ officiel en même 
temps que les décrets nécessaires. 

C'était une résolution pour ainsi dire providentielle, car elle 

(d) Une partie de ce récit a déjà paru dans un petit livre publié par 
M. llansen en 1878, sous le litre de « A travers la diplomatie. » 11 
s'appuie sur des informations aullientiqucs. 

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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était à la fois sage, politique, pratique et d'un succès infaillible. 
Au point de vue pratique, la question se réduisait à la prompte 
mobilisation sur la frontière d'un corps d'armée de 80,000 
hommes, lequel était plus que suffisant pour assurer à la mé- 
diation française une action prépondérante ; et comme il est tou- 
jours utile d'accompagner les assertions de preuves à l'appui, 
nous en donnerons deux,tirées de deux sources bien différentes ; 
la première, de la correspondance de l'Ambassadeur de France 
à Vienne,témoin pour ainsi dire oculaire des faits qu'il signalait 
à l'attention de son Gouvernement; la seconde, venant de M. de 
Bismarck lui-même. 

— « La Prusse est victorieuse, écrivait l'Ambassadeur (1),mais 
elle est bien près d'être épuisée. Du Rhin à Berlin le pays est 
presque dégarni de troupes, et il n'y aurait pas à rencontrer 
maintenant plus de 15 à 20,000 hommes. Vous pouvez donc 
dominer la situation par une simple démonstration mintaire, et 
vous le pouvez en toute sécurité, car la Prusse est incapable en 
ce moment d'accepter une guerre avec la France. Ne lui offrez 
pas plus qu'elle ne demande. Que l'Empereur fasse une simple 
démonstration militaire, et il sera étonné de la facilité ayec 
laquelle il deviendra, sans coup férir, l'arbitre et le maître de la 
situation. » — 

Voici maintenant le témoignage de M. de Bismarck : 

C'est au parlement de Berlin, le 16 janvier .1874, répondant 

à un orateur qui lui reproche d'avoir formé contre rAutriclie 

une légion de déserteurs hongrois. 

— « Après la bataille de Sadowa, dit^l, je ne pouvais négliger 
aucun moyen de défense si je ne voulais pas voir nos succès 
compromis par l'intervention de la France. 

« Car si la France alors n'avait que très-peu de troupes dis- 
ponibles, néanmoins m petit appoint peu considérable de troupes 
FRANÇAISES eût suffl poup faire une armée très-respectable en 
s'unissant aux corps nombreux de l'Allemagne du Sud qui, de 
leur côté, pouvaient fournir d'excellents matériaux dont l'organi- 
sation seule était défectueuse. Une telle armée nous eût mis de 



(1) Correspondance politique du duc de Gramont. 



I/ALLEMAGNE NOUVELLE. 



319 



mime abord dans la nécessité de couvrir herlin et d'abandonner 

tocs NOS SUCCÈS EN AUTRICHE (1 ). » 

Donc il suffisait d'un corps d'armée très-peu considérahle, mo- 
bilisé sur le Rhin, pour donner à la médiation Française une pré. 
pottdérance décisive. La guerre était impossible ; la Prusse ne 
pouvait, à aucun prix, courir le risque de voir son armée placée 
eatre les Autrichiens, les Allemands du Sud et les Français ; la 
paix se faisait par force, et d'autant plus facilement, qu'il n'en- 
trait pas, dans le projet de médiation, la pensée de disputer ou 
Je refuser à la Prusse les avantages légitimes de ses victoires. 

Mais ce corps d'armée de 80,000 hommes était-il disponible et 
uuuv'ait-on le mobiliser en temps utile ? 

Il ne peut exister aucun doute à cet égard, car non-seulement 
le ministre de la guerre en avait informé M. Drouyn de Lhuys, 
jiais, sans entrer dans le détail des états de situation militaire 
ett juillet 1866, il suffit de considérer les effectifs des corps réu- 
nis en divisions actives à Paris, à Lyon et à Châlons. Ils for- 
maient à eux seuls un total de onze divisions d'infanterie et un 
effectif de 80,000 hommes auxquels se joignaient 8,000 chevaux 
de la cavalerie de Lunéville, Lyon, Versailles et delà garde, et 
(OOpiècesde canon attelées, qui en moins de quinzejours, pou- 
vaient être réunis sur un point déterminé de la frontière. Quant 
à la réserve, elle aurait fourni plus tard, si on avait cru devoir 
l'appeler (ce qui ne serait jamais arrivé], 227,000 hommes ha- 
billés, équipés et instruits (2). 

Hien, absolument rien, ne s'opposait donc à l'exécution du plan 
proposé par M. Drouyn de Lhuys à l'Empereur, après la bataille 
de Sadowa. 

Par quelle fatalité ce plan fut-il écarté après avoir été accep- 
té? Nous allons le dire en peu de mots. 

Le lendemain du jour où l'Empereur avait arrêté avec son mi- 
nistre des Affaires Etrangères les mesures que le Journal officiel 
devait porter à la connaissance du public, le journal parut sans 

(1) Procès-verbal de la séance du Parlement do Berlin du 16 janvier 
1874. Discours du prince de Bismarck. 

(2) Mémoires du Maréchal comte Randon. Tome II, 6« partie. 




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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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les décrets convenus, et l'Empereur informa M. DrouyndeLhuys, 
qu'ayant changé d'avis, il était résolu à se borner au rôle de mé- 
diateur pacifique entre les deux belligérants. 

Voici ce qui s'était passé : Dans l'intervalle, ceux qui avaient 
poussé l'Empereur à seconder officieusement la conclusion du 
traité de l'Italie avec la Prusse, avaient réussi à ébranler i 
résolution. L'Empereur, comme on le sait, était alors souffranlet 
affaibli par la maladie. I/idée d'être entraîné par une attitude trop 
énergique à l'obligation de faire la guerre, l'inquiétait considéra- 
blement ; mais, plus encore que cette raison pour ainsi dire per- 
sonnelle, deux autres causes jetaient le trouble en son esprit. 
— « Vous ne pouvez, lui avait-on dit, vous prononcer contre la 
Prusse après avoir poussé l'Italie dans ses bras. Ce serait trabir 
le Roi Victor-Emmanuel. Il fallait refuser votre consentement au 
traité avec la Prusse si vous vouliez prendre la résolution que 
vous conseille M. Drouyn de Lhuys. Tout au plus vous est-il per- 
mis de rester neutre. » — 

On parvint à le convaincre qu'il y avait de sa part un enga- 
gement moral vis-à-vis de l'Italie et qu'il n'avait pas la libertéde 
le rompre. 11 fut même question un instant, par delà les frontiè- 
res, de livrer à la publicité les documents qui démontraient que 
le traité du 8 avril avait été approuvé et conseillé par l'Empereur. 
Sous l'empire de ces préoccupations et des conseils qui les a- 
vaient fait naître, craignant peut-être le scandale qui pourrait 
résulter des publications italiennes, l'Bmpereur renonça à l'idée 
d'appuyer sa médiation par une démonstration militaire. Et ce- 
pendant les arguments à l'aide desquels le parti italien avait ob- 
tenu l'abandon de ses premières décisioùs ne résistaient pas» 
un instant de discussion. 

Pourquoi, en effet, reculer devant l'aveu complet des actes an- 
térieurs ? Pourquoi ne pas répondre ainsi aux récriminations 
italiennes? 

— « C est vrai, fidèle aux sentiments que j'ai professés de tout 
temps pour l'indépendance italienne ; fidèle au programme que je 
m'étais donné en 1859 - « l'Italie libre, de la Méditerranée à 1'.^ 
driatiquc, »— je vous ai conseillé de vous alliera la Prusse, parce 
que sans cette alliance vous n'auriez peut-être jamais eu la Ve- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



321 



nétie. Vous l'avez maintenant, c'est moi qui vous la donne, car 
je l'ai reçue à la condition d'arrêter la guerre. Le but est atteint, 
et maintenant je veux la paix, parce que la prolongation de la 
nierre affecte les intérêts de la France. Donc j'interviens comme 
médiateur entre les belligérants ; je respecterai les droits légiti- 
nics de la victoire ; mais je veux la paix et je me déclarerai con- 
tre toute Puissance qui voudra continuer la guerre. » — 

Que pouvait répondre l'Italie à un pareil langage ? Absolu- 
ment rien. 

Mais on faisait valoir auprès de l'Empereur un second argu- 
ment plus puissant que le premier, du moins en apparence. 

— « Ne vous engagez pas, lui digait-on, dans une politique qui 
peut, en fm de compte, vous entraîner à une guerre sérieuse que 
la France n'est pas en état d'entreprendre. Les exigences de l'ex- 
pédition Mexicaine ont affaibli le chiffre des effectifs et des ap- 
provisionnements, à ce point que les forces disponibles du pays 
sont dans un état d'insuffisance qui impose l'abstention. » 

C'était d'abord une erreur matérielle qu'il eût été assez facile 
deconstater,car les états militaires pouvaientêtre non-seulement 
consultés, mais aussi facilement contrôlés, et le ministre de la 
guerre offrait 80,000 hommes immédiatement. Mais c'était encore 
plus une erreur politique qu'une erreur matérielle; car s'il fallait 
se préoccuper des forces disponibles de la France, il était au 
moins aussi nécessaire de se préoccuper des forces étrangères que 
l'on pouvait être appelé à rencontrer. 

' Or il ne s'agissait pas alors de combattre l'Allemagne ; non, 
l'.^llcraagne était avec la France. Il ne s'agissait que de la Prusse, 
la petite Prusse, la Prusse d'autrefois qui se serait trouvée seule 
contre l'Autriche, la Bavière, le Wurtemberg, la.Hesse, les Du- 
chés de Bade et de Nassau et la France. 

Et la Prusse ainsi isolée n'eût jamais accepté la guerre, jamais 
à aucun prix. 

La guerre était impossible, absolument impossible. 

Et par conséquent il suffisait d'une démonstration, d'un geste, 
si on peut s'exprimer ainsi, pour réaliser le but de l'intervention 
projetée. 



* nr»*- r,> ^ i^<#,^.^>^ rf .V 



322 



L'ALLEMAG?iE NOUVELLE. 



Voilà ce qu'ignoraient ou voulaient ignorer les adversaires 
de la médiation armée, raisonnant comme si l'attitude énergique 
conseillée par M. Drouyn de Lhuys pouvait aboutir à un conflit 
dangereux. 

Dédaigneux des informations extérieures, uniquement oc- 
cupés de faire entrer dans la politique officielle du Souverain la 
doctrine Prusso-Italienne dontils se faisaient depuis six mois les 
agents officieux, ils inventèrent une situation qui n'existait pas, 
et avec elle des devoirs et des périls imaginaires. L'Empereur 
se laissa tromper par toute cette mise en scène, et il abdiqua 
le grand rôle que les événements lui avaient créé. 

Les résultats de cette regrettable résolution ne se firent pas 
attendre longtemps. Aussitôt après avoir reçu la réponse du 
Roi de Prusse acceptant la médiation française, on s'était décidé 
à envoyer M. Benedetti au quartier général prussien, et le 
Prince Napoléon auprès du roi Victor-Emmanuel. Mais comme 
le Cabinet de Florence était parfaitement au courant de tout ce 
qui se passait à Paris, il savait déjà que la médiation française 
se composerait exclusivement de paroles et de conseils, et il me- 
surait d'après ces informations le degré d'autorité qu'il conve- 
nait de lui accorder. Aussi quand on apprit, en Italie, que le 
Prince Napoléon allait se mettre en route pour demander une 
suspension immédiate des hostilités, on s'entendit aussitôt avec la 
Prusse et le résultat de cette entente fut que la mission du 
Prince dut être ajournée. La nouvelle en vint à Vienne le 1'2 
juillet. C'était un premier symptôme. 

Pendant ce temps, il s'établissait un échange d'idées entre la 
France, la Prusse et l'Autriche sur les conditions préalables d'un 
armistice d'abord, et ensuite sur les préliminaires qui pourraient 
servir de base à des négociations de paix. 

Le^ 12 juillet, M. Drouyn de Lhuys, sans connaître encore les 
conditions que devait lui communiquer M. de Goltz, avait cepen- 
dant reçu de l'Ambassade de Prusse certaines informations qu'il 
transmettait aussitôt à Vienne par un télégramme ainsi conçu : 



« Paris, le 1 2 juillet 1 866. 
» La Prusse subordonne la conclusion d'un armistice à l'accep- 




cm 



10 11 12 13 14 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



323 



tatiou préalable par l'Autriche de certains préliminaires de paix. 
Nous ne connaissons pas en détail ces préliminaires, mais nous 
pensons que le principal est celui qui aurait pour conséquence la 
sortie de l'Autriche de la Confédération germanique ; les autres 
seraient de moindre importance, et resteraient d'ailleurs soumis 
à une discussion. Dans les circonstances présentes, l'Empereur 
pense que la continuation de la lutte est la ruine de l'Au- 
triclie ('1). » 

Nousavons cité ce télégramme en entier, etnous ferons de même 
pour quelques autres documents officiels qui yont suivre, parce 
que ces citations authentiques donnent un tableau fidèle et sai- 
sissant des impressions du temps où ils ont été expédiés. Ainsi 
par exemple, il est manifeste, d'après la dernière phrase de ce 
télégramme, que le 12 juillet on croyait à Paris que l'Autriche 
était irrévocablement perdue, et qu'il ne s'agissait plus que d'en 
sauver les débris. On s'exagérait la gravité de la situation qui 
était grave,critique même,mais aucunement désespérée, et onne 
tarda pas à en avoir la preuve dans la réponse de l'Ambassadeur 
de France, écrite le lendemain, en sortant de chez le comte de 
Mensdortr auquel il avait communiqué les conditions prussiennes. 

En voici les termes : 

« Vienne, le 13 juillet 1866. 

» Avant de consentir à la sortie de l'Autriche de la Confédéra- 
tion, l'Empereur François-Joseph a absolument besoin de con- 
naître les autres conditions qui font partie des préliminaires de 
paix. Si, parmi ces conditions, il s'en trouvait d'inacceptables, 
comme par exemple une cession de territoire, l'Autriche préfère 
courir la chance des armes et périr avec honneur, s'il le faut, 
plutôt que d'acheter son salut à ce prix. Le sacrifice que l'on de- 
mande à l'Autriche ne peut se faire qu'avec la certitude qu'il 
amènera l'armistice et la paix, certitude qui ne peut exister que 
si les autres préliminaires, à l'acceptation desquels l'armistice et 
la paix paraissent aussi subordonnés, sont acceptables. L'Empe- 
reur François-Joseph donnera une réponse catégorique aussitôt 
qu'il les connaîtra. Il ne peut s'engager sans être éclairé sur l'é- 
tendue de ses engagements. » 

(i) Télégramme publié dans les documents diplomatiques de 1867. 



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324 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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On ne pouvait pas répondre avec plus de dignité, ni avec plus 
de sagesse ; mais ce n'était pas là le langage du désespoir. L'in- 
tégrité du territoire de l'Empire était stipulée comme base néces- 
saire de toute négociation préalable. Sans déclamation, sans 
phrases pompeuses, l'Empereur déclarait que lui, son armée el 
son pays ne déposeraient pas les armes s'il s'agissait d'une ces- 
sion de territoire. 

C'était déjà un premier mécompte pour la Prusse, car elle avait 
rêvé l'annexion de la Silésie autrichienne comme complément 
de la Silésie prussienne et des annexions saxonnes qui étaient 
résolues à Berlin. Mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, ilrégnait 
encore de l'incertitude sur le caractère de la médiation française; 
on ne savait pas au quartier général prussien qu'elle devait se 
limiter à des conseils et des pourparlers, et on n'osa pas de 
prime abord repousser une condition dont la France se faisait le 
ïjienveillant et pressant intermédiaire. 

Le 1 4 juillet, M. Drouyn de Lhuys communiqua par télégraphe 
et par correspondance aux Puissances belligérantes les prélimi- 
naires de paix dont l'Empereur Napoléon recommandait l'accep- 
tation. En voici le texte : 






l.'rK 



K.:'. 



« L'intégrité de l'Empire autrichien, sauf la Vénétie, sera main- 
tenue. 

» L'Autriche reconnaîtra la dissolution de l'ancienne Confédé- 
ration germanique et ne s'opposera pas à une nouvelle organi- 
sation de l'Allemagne dont elle ne fera pas partie. 

>> La Prusse constituera une union de l'Allemagne du Norf 
comprenant tous les États situes au Nord de la ligne du Mei»' 
Elle sera investie du commandement des forces militaires de ces 
États. 

)) Les États allemands, situés au sud du Mein, seront libres J« 
former entre eux une union de l'Allemagne du Sud qui jouirad'nn* 
existence internationale indépendante. Les liens nationaux à 
conserver entre l'union du Nord et celle du Sud seront librement 
réglés par une entente commune. 

» Les Duchés de l'Elbe seront réunis à la Prusse, sauf les dis- 
tricts du nord du Sleswig, dont les populations, librement 
consultées, désireraient être rétrocédées au Danemark. 



I/ALLEMAGlVK NOUVELLE. 



32S 



» L'Autriche et ses alliés restitueraient à la Prusse une partie 
des frais de la guerre. 

» Si ces bases étaient adoptées par les parties belligérantes 
un armistice pourrait être conclu immédiatement, et la voie se- 
rait ouverte au rétablissement d'une paix équitable et solide. .. 

11 n'était pas encore question, comme on le voit, de modiflcations 
territoriales ; mais le dernier mot des Puissances belligérantes 
et surtout de la Prusse, n'avait pas encore été dit. Ce n'était à 
proprement parler, qu'une entrée en matière. M. Benedetti 
arrivé le 13 au soir au quartier général, avait télégraphié dé 
Czernagora que la Prusse ne consentirait à se prêter aux négo- 
ciations d armistice ou de paix qu'avec l'assentiment de l'Italie 
et sous la condition que la France se chargerait do faire accepter 
les préliminaires de paix à l'Autriche. 

De son côté l'Empereur d'Autriche attendait, pour se pronon- 
cer, de savoir si la Prusse avait accepté les préliminaires français 
On était arrivé au 15 juillet, et, comme nous l'avons déjà 'dit 
une première tentative pour une trêve de trois jours avait échoué' 
Des deux côtés il se faisait des mouvements de troupes considé- 
rables, et tout se préparait pour quelque grande bataille. 

L'Italie repoussait toute idée d'armistice, d'accord avec la 
Prusse, qui se donnait ainsi le moyen de négocier ad référendum 
c'est-a-dire sans jamais s'engager irrévocablement. Mais comme 
l'armée italienne se bornait à exécuter des promenades militaires 
dans les pays évacués, on ne se préoccupait pas beaucoup de ces 
refus, d'autant plus que les rares petits combats qui se livraient à 
Farrière-garde autrichienne n'étaient pas à l'avantage dos vo- 
lontaires itaUens. Nicotera venait d'essuyer un échec à Gondino. 
Sur ces entrefaites, l'Ambassadeur de Prusse à Paris, M. de Goltz, 
reçut l'ordre d'informer le Gouvernement français que la Prusse 
demandait, dans l'Allemagne du Nord, l'annexion de certains 
territoires destinés à assurer la contiguïté et la sécurité de ses 
frontières. Au premier abord cette communication fut accueillie 
avec assez de réserve; - sans rien préjuger sur la légitimité des 
exigences prussiennes, on pensait que les questions de ce genre 
nedevaientpas se trancher sans l'intervention del'Europe ;— mais 

19 



3-26 



L'ALLEMAGNE KOUVELIB. 



j^ —^m^., 



c'était précisément ce que le Ccabinet de Berlin voulait évitera 
tout prix. 

Observateur habile et d'ailleurs très-bien renseigné, M. de 
Goltz sut utiliser les divergences d'opinion qui se manifes- 
taient autour de lui ; on croyait la Prusse en pleine \ictoire, 
ce qui était vrai; et aussi en pleine puissaûëe, ce qui n'était pas 
vrai ; l'Ambassac^Uh'it qu'on craignait la guerre avec la Prusse, 
et qu'on ferait beaucoup pour Teviter. Il profita si bien de la 
circonstance, il fit tant de confidences et tant de promesses 
qu'en fin de compte il obtint tout ce qu'il demandait, et put an- 
noncer à son Gouvernement qu'en dehors des réserves poséefjar 
les préliminaires de paix, le Gouvernement français lui laissait 
toute liberté d'action dans le nord de l'Allemagne. 

Les préliminaires de paix, tels que nous les avons reproduits 
ci-dessus, avaient été acceptés en principe par l'Autriche, et dès i! 
le 15 juillet on s'était empressé d'en informer M. Bcnedetti, qui 
était arrivé le soir même à Brûnn. Mais déjà M. de Goltz avait 
fait connaître au quartier général prussien le résultat qu'il avait 
obtenu à Paris, et aux conditions de la paix la Prusse avait ajouté 
comme cause primordiale la reconnaissance par^rAutriclie des 
modifications territoriales qu'elle ferait à son bénéfice dans le 
nord de l'Allemagne. Aussi M. Benedetti répondait-il, le 16 juil- 
let, au ministre des Affaires Étrangères : 

« Je considère comme certain que les propositions seront reje- 
tées par le Cabinet de Berlin, si l'Autriche ne consent pas cà ajouter ' 
une clause qui assure à la Prusse quelques avantages territoriaux 
dont le résultat soit d'établir la contiguïté de ses frontières. » 

Et, aussitôt après avoir expédié cette réponse, il partait pour,^ 
Vienne, afin de se mettre en communication directe avec Paris, ' 
ce qui n'était plus possible en Moravie. 

Cependant les négociations se poursuivaient activement entre 
la France, la Prusse et l'Autriche, et il eût été permis d'entrevoir 
une entente prochaine sans la résistance opiniâtre de l'Italie qui 
paraissait décidée à tout compromettre. On était revenu à l'idée 
de la mission du prince Napoléon, et le 16 il avait quitté Paris 
pour se rendre auprès du roi Victor-Emmanuel. — <c II devait, au 
nom de l'Empereur, insister pour l'acceptation de l'armistice, et 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



327 



préparer ainsi la prompte conclusion des engagements relatifs 
àlaVénétie (1). » 

Le Cabinet de Vienne avait espéré davantage et commençait à 
regretter la cession anticipée de la Vcnétie quïl avait faite le 
(Jfjuillet, non pas qij^ se fût jamais attendu à voir la France 
taire la guerre cà son'bénéfice : mais il et. •"- core sous l'im- 
pression des premièrôs 'âfesur anes données pctr l'Empereur au 
prince de Metternich, et il croyai* que ces assurances l'autori- 
saient à compter sur un concours un peu plus effectif que ne 
pouYaient l'être de simples conseils ; après la cession de la Vé- 
nétitMl lui semblait que le respect du territoire autrichien devait 
être imposé à l'Italie aussi bien qu'il l'avait été à la Prusse par 
les préliminaires. 

Le comte de Mensdorff tenait ouvert sur son bureau le. billet 
autographe de l'Empereur ÏNapoléon au prince de Metternich, 
annonçant le départ de l'escadre française pour Venise, et il de- 
mandait cà quelle date devait partir cette escadre. 

M..Benedetti était à Vienne depuis le 1 6 ; le 1 8 il eut une der- 
nière entrevue avec le comte de Mensdorff et le comte Esterhazy, 
en présence de son coUèguol'Âmbassadeur de France ; ony établit 
départ et d'autre les limites extrêmes de la négociation. 

La Prusse insistait sur des annexions territoriales qui devaient 
être prises sur le Hanovre et la Hesse-Electorale. C'était une 
condition sine quà non qui n'avait pas encore été formulée à 
Vienne, et il était nécessaire de savoir l'accueil que lui ferait 
l'Autriche. Sans se prononcer formellement, le comte de Mensdorff 
laissa néanmoins comprendre que l'Autriche souscrirait facile- 
ment à la contiguïté des frontières Prussiennes, aux dépens du 
Hanovre et de l'Électorat, si à ce prix on pouvait sauver l'indé- 
pendance de la Saxe. C'était un point fort important pour la 
négociation. M. Benedetti partit aussitôt après pour Lundenbourg 
etNilîolsbourgoîileRoi avait transporté, depuis le 17, son quar- 
tier général dans le château même de la comtesse de Mensdorff 
qui le tenait de son père le prince Dietrichstein. 

Le lendemain, <! 9 juillet, le Cabinet de Berlin, trouvant dans 



(I)' Dépêche île M. Drouyn de Lhuys, du 19 juillet 1S66, publiée au 
Liïre Jaune de 1867. 



328 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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les préliminaires et dans les communications qui les avaient 
accompagnes ou suivis, des garanties suffisantes pour coûclure 
un armistice, se déclara prêt, sous la condition de réciprocité 
de la part de l'Autriche, à s'abstenir de tout acte d'hostilité 
pendant cinq jours, terme dans lequel la Cour devienne aurait 
à faire connaître spn acceptation des préliminaires. Ces coadi- 
tions ayant été également consenties par l'Autriche, il fut arrête 
d'un commun accord que les hostilités seraient suspendues de 
part et d'autre le 22 juillet à midi. 

Le 22, de grand matin, les deux plénipotentiaires autrichiens, 
le comte Karolyi et le. général comte de Degenfeld étaient partis 
pour Nikolsbourg. Quant au plénipotentiaire italien, comtede 
Barrai, il refusa de s'associer aux négociations, et peu s'en fallut 
qu'il we formulât une protestation officielle. 

Or, par une coïncidence assez remarquable, en même temps 
que parvenait à Vienne la nouvelle du refus de l'Italie de sous- 
crire à l'armistice et aux préliminaires de paix, on y apprit le 
môme jour que la flotte autrichienne, sous le commandement du 
vice-amiral Tegetthoff, venait de remporter une victoire signalée 
à Lissa, dans l'Adriatique. Une frégate cuirassée avait été coulée 
à fond, une autre avait sauté, et, malgré leur supériorité numé- 
rique, les vaisseaux italiens avaient dû se retirer avec des perles 
considérables, abandonnant leur mouillage et renonçant à toute 
tentative de débarquement. On donnait à la bataille de Lissa le 
nom significatif de — « Custozza di mare. >> 

On avait cinq jours pour discuter les bases de la paa^ 
D'accord sur la réorganisation de la Confédération germanique, 
à l'exclusion de l'Autriche, il ne restait plus à débattre que les 
projets d'annexion de la Prusse et la question d'indemnité. 

M. de Bismarck avait indiqué tout d'abord comme condition 
nécessaire l'agrandissement territorial de la Prusse dans le 
nord de l'Allemagne, et comme cette question n'avait pas ee 
précisée dans le premier texte des préliminaires français, elle 
devint aussitôt l'objet d'une discussion très-vive. Il demandait 
aussi la cession de la Silésie autrichienne et une rectification de 
frontière qui entamait le territoire de la Bohème. Mais ces pré- 
tentions étaient tellement contraires aux préliminaires deja 



« 



L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 



329 



acceptés par la Prusse, qui consacraient l'intégrité du territoire 
autricliien, qu'elles ne furent pas maintenues, lien fut de même 
pour ce qui concernait le royaume de Saxe, car si l'Autriche, 
sous la pression de ses revers militaires, et dans l'impossibilité 
de faire autrement, consentait à l'annexion d'une partie du 
Hanovre et de la Hesse-Électorale, qu'il lui était d'ailleurs fort 
difficile de défendre, par. contre, elle ne -voulait à aucun prix 
abandonner la Saxe qui avait partagé son sort, et dont l'armée 
avait combattu avec la sienne. L'Empereur d'Autriche en faisait 
une question d'honneur, et jusqu'au dernier moment il résista 
aux exigences de la Prusse, qui tout en respectant l'intégrité du 
territoire saxon, insistait pour englober e'e petit royaume dans 
ie cercle prussien de la Confédération du Nord. 

On était ainsi arrivé au 23 juillet sans avoir pu tomber 
d'accord ; les plénipotentiaires autrichiens demandèrent de pro- 
longer pendant cinq jours encore la suspension des hostilités, ce 
qui leur fut refusé; enfin le 26, à cinq heures du soir, le Roi 
de Saxe ayant lui-même conseillé de cesser la résistance, on 
envoya de Vienne l'ordre de signer d'abord un acte dit prélimi- 
naires de paix, puis un armistice de quatre semaines. Voici la 
substance de ces deux documents. 

Préliminaires de paix. 

Art. 1er. Intégrité du territoire de la Monarchie autrichienne, 
à l'exception du royaume Lombard-Vénitien. 

Art. 2. Reconnaissance par l'Autriche de la dissolution de la 
Confédération germanique, et d'une nouvelle Confédération dite 
duNord, dentelle ne fait pas partie. Consentement de l'xiutriche 
aune Confédération des États allemands au sud duMein, devant 
s'allier par des conventions ultérieures avec la Confédéi'ation du 
Nord. 

Art. 3. L'Autriche abandonne à la Prusse les Duchés de 

Sloswig et Holstein avec cette réserve que les populations des 

districts du nord du Sleswig seront de nouveau réunies au 

Danemark, si elles en expriment le désir, par un vote librement 

émis (1). 

(l)Celle réserve avait été demandée par la France, et faisait partie des 
premiers préliminaires proposés p \r l'Empereur. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



1^. 



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Art. i. Indemnité de guerre à payer par l'Autriche de 40 mil- 
lions de thalers, réduite à 20 millions de thalers, par suite de 
diverses compensations. 

Art. 8. Le Roi de Prusse, à la demande de l'Empereur d'Au- 
triche, consent à respecter l'intégrité territoriale du royaume de 
Saxe, sous la réserve de régler par un traité spécial la part d'in- 
demnité de guerre à payer par la Saxe, et la future position de 
1^ Saxe dans la Confédération du Nord. Par contre l'Empereur 
d'Autriche promet de reconnaître la nouvelle organisation que le 
Roi de Prusse établira dans le nord de l'Allemagne, y compris les 
annexions qu'il jugera bon de faire. _ ^ , 

Art. 6. Le Roi de Prusse s'engagea décider le Roi d'Italie a 
accéder à l'armistice et à la paix dès que l'Empereur Napoléon 
lui aura rétrocédé la Vénétie. 

Lf^arti-ffes 7,''s, 9 «^cernent l'armistice et quelques rè^f-, 
ments de détail. V,-- 

La convention d'armistice était do quatre semaines, et com- 
mençait le a août. Elle spécifiait avec soin une ligne de démar- 
cation que les armées ne devaic arichir sous aucun prétexte; 
en deçà de cette hgne elles pouvaient se mouvoir librement: 
l'entretien des troupes prussiennes restait à la charge des pro- 
vinces occupées par elles, mais sans qu'elles puissent préleTer 
des contributions en argent. Un paragraphe (art. 8) disait que les 
propriétés, magasins et approvisionnements de l'État ne seraient 
pas saisis par les Prussiens, en tant du moins que ces derniers 
n'en eussent piis possession avant le commencement de l'armis- 
tice. D'autres paragraphes réglaient certains détails relatifs aux 
ambulances, aux malades et à l'administration. 

Deux jours après, la Ravière conclut une convention d'armis- 
tice qui ne diffère de celle-ci que pour la ligne de démarcation 
réglée sur les bases de l'uti possidetis. 

Ici se présentent quelques incidents que nous rapporterons 
avant d'aller plus loin, parce qu'ils ont une signification morale 
d'un véritable intérêt. Ce sont aussi des précédents qu'il est bo» 
d'inscrire dans l'histoire pour les y retrouver un jour à titre 
d'enseignements. 



L'ALLEMAGiN'E KOUVELLE. 



33i 



On a vu que les conventions d'armistice dataient du 2 août, 
bien que les actes eussent été signés pour l'Autriche et la Prusse 
le 26, et pour la Bavière le 28 juillet ; mais il avait été déclaré 
incidemment à l'article 9 des préliminaires que la suspension 
d'armes serait prolongée jusqu'à cette date. — « Cet armistice 
datera du 2 aoàt, jour jusqu'auquel la présente suspension 
d'armes sera prolongée. » 

Or, aussitôt après les signatures du 26 juillet, on réfléchit, au 
quartier général prussien, qu'il y avait là du 26 juillet au 2 août 
un espace de 6 jours francs qui pouvaient s'employer utilement 
à l'aide de quelques subtilités d'interprétation dans les engage- 
ments contractés. Si la suspension d'armes se prolongeait du 
S6 juillet au 2 août, cela ne voulait pas dire que les clauses de 
l'armistice fussent en vigueur avant cette dernière date. On 

ouvait donc encore traiter le pays a, '- iChien suivIÉt les,|9is de 

.guerre pourvu qu'il ne fût pas fait usage des armes. 

En conséquence on expédia de tous côtés des ordres à cet effet. 

Dans le district d'Eger, en Bohême, le major Winterfeld, com- 
mandant des troupes prussjijPpes, reçut l'ordre de lever sur les 
habitants une imposition d'u6 quart de l'impôt annuel et de le 
faire immédiatement dans les vingt-quatre heures. 

L'article 7 de la convention du 26 juillet portait ces mots : — 
«Des contributions en argent ne seront pas levées par la Prusse. » 
- L'ordre venait de Nikolsbourg et était arrivé le 30 juillet. 

Le même jour, les troupes prussiennes, malgré les stipulations 
expresses de l'article 8 (voir ci-dessus) prenaient possession de 
la fabrique Impériale de tabac de Sedletz, près de Kûttenberg, 
s'emparaient de tout le matériel, enlevaient tous les approvi- 
sionnements, et réduisaient à la misère plus de 2,000 habitants 
du pays qui ne vivaient que de cet établissement national. 

Ce qui se passait en Bavière était plus grave encore. Il avait 
été convenu à Nikolsbourg qu'à partir du 28 il ne serait 
plus tiré un coup de fusil, ce qui plaçait la Bavière dans le 
même cas que l'Autriche, c'est-à-dire la suspension d'hostilités 
jusqu'au 2 août, et l'armistice après le 2 août. M. de Bismarck 
en avait pris l'engagement formel avec M. de Pfordten. Or mal- 
gré les ordres expédiés, ou soi-disant expédiés, du quartier gé- 



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332 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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néral, le général deManteuffel et le Grand-DucdeMecldembourg- 
Schwerin continuaient à s'avancer et à prendre possession des 
territoires, poursuivant sans s'arrêter un plan qu'il était d'ail- 
leurs très-facile de comprendre, et qui avait pour but de créer 
une, possession d'état avant l'cchcance du % août. 

Le général de Manteuffel voulait à tout prix s'emparer de Wiirtz- 
bourg; mais s'il était facile de feindre l'ignorance des engage- 
ments pris à Nikolsbourg, il l'était moins, à ce qu'il paraît, de 
triompher de la résistance des Bavarois. Pour la première fois, 
il fallut renoncer aux faciles conquêtes qui jusqu'ici avaient 
marqué la marche militaire des Prussiens dans l'ouest de 
l'Allemagne, et après un combat de quelques heures, la position 
de l'armée prussienne était telle que, sans être positivement 
battue, elle n'avait plus aucun intérêt à ignorer la convention 
de Nikolsbourg dont la nouvelle était d'ailleurs connue dans 
tout le pays. 

Quant au Grand-Duc de Mecklenibourg-Schwerin, arrivé tard 
sur le champ de bataille, il voulait à tout prix faire quelque 
chose de militaire; aussi sans s'inquiéter de la suspension 
des hostilités, il s'emparait, au nom du Roi, des cercles ba- 
varois où il paraissait à la tête du deuxième corps d'armée 
de réserve, fort de 22,000 hommes et 66 canons. Parti de Leipzig 
le 20 juillet pour combiner l'invasion du nord-ouest de la Ba- 
vière avec les opérations de l'armée qui était sur le Mcin, il était 
le 28 près de Baireuth, c'est-à-dire précisément le jour même 
où le général de Manteuffel venait de signer une convention 
d'armistice avec le prince Charles de Bavièr'e. 

Il se passa alors un fait qui mérite d'être consigné, afin de 
servir d'exemple pour les négociations de l'avenir. Le quatrième 
bataillon des gardes du corps Bavarois (Baù-ischea Leibregimenl) 
était entré à Baireuth le 27 juillet, et s'en était retiré aussitôt en 
apprenant que les Prussiens s'avançaient en nombre considérable 
pour l'occuper. Il était à Kirchenlaibach, opérant sa retraite 
vers Kemnat, quand on apprit la signature de l'armistice de 
■Wùrzburg. C'était le 28 juillet. 

Après avoir en vain parlementé pour revenir à Baireuth, ce 
quatrième bataillon isolé et chercliant à rallier ses nationaux, 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



333 



continua sa retraite jsar Saint-Jolicann, Weiden et Weidcnberg, 
couvert par la convention de Wûrtzbourg. Il avait malheureuse- 
ment compté sans le Grand-Duc de Mecklembourg-Schwerin, 
qui voyait avec un extrême mécontentement la campagne se ter- 
miner sans qu'un fait d'armes eût illustré son commandement. 
Le fait d'armes vint enfin à la dernière heure; mieux eût valu 
fqu'il ne vînt pas ; que le lecteur en soit juge ! 

La suspension d'armes de Nikolsbourg était du 26 juillet, celle 
de Wiirtzbourg du 28. Or le 29, le Grand-Duc, se portant avec 
des forces considérables à Saint-Johann, fit littéralement écraser 
le malheureux bataillon bavarois. On raconte que ces pauvres 
gens, cernés de tous côtés par un ennemi dix fois plus nombreux, 
surpris dans la confiance de l'armistice par cette attaque sou- 
daine et injustifiable, montrèrent un courage héroïque; mais 
que pouvait un bataillon contre tant d'agresseurs ? Ils fnreirt 
anéantis, et le Grand-Duc revint en vainqueur célébrer son 
triomphe à Nurcnberg. L'opinion publique se montra sévère, 
même en Prusse, contre ce triste et inutile fait d'armes, auquel 
heureusement, disaient les Prussiens, l'armée du Roi n'avait pas 
pris part (1). 

A peine connut-on dans l'ouest la conclusion de l'armistice 
que de tous côtés l'armée des Confédérés se disloqua. Dès le 30 
au matin, les Badois reprirent la route du Grand-Duché de 
Bade ; les Wurtembergeois qui étaient réunis à Marktbreituugen 
se replièrent le jour même vers le Sud et la Souabe ; les Autri- 
chiens vers Munich ; les Hessois de Darmstadt par les chemins 
de fer vers Manheim et le Rhin. Les troupes de Nassau et de la 
Hesse-Électorale, moins heureuses que leurs alliés, furent les 
seules qui ne purent regagner leur patrie. 

i^insi se terminait pour cette armée confédérée une campagne 
qui, àpart quelques petits combats honorables, mais improduc- 
tifs, avait en grande partie consisté en marches et en contre- 
marches dont il est assez difficile de saisir la combinaison. Il lui 
avait manqué une direction vigoureuse et concentrée dans un 






(1) Voir l'hisloire de la guerre de 1866 par le colonel yV. liuslow. 3« par- 
lie, chapitre \". 

•19. 






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334 



L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 






commandement unique, car les troupes étaient bonnes et très- 
disciplinées. « Les corps de l'Allemagne du Sud, disait en 1 874 
M. de Bismarck, pouvaient fournir d'excellents matériaux ; l'or- 
ganisation seule était défectueuse. » 

Retournons maintenant à Nikolsbourg et aux négociations de 
paix d'où va sortir la nouvelle Allemagne, c'est-à-dire l'Allemagae 
prussienne. Pour bien saisir les diverses parties de cette œuvre 
complexe, il est nécessaire de les étudier séparément, les unes 
api'ès les autres, bien qu'en réalité tout se fit presque simulta- 
nément. Avec l'Autriche on avait conclu l'armistice et jeté les 
bases préliminaires d'une paix définitive. Il restait encore à s'en- 
tendre avec les États confédérés qui avaient été les alliés de l'Au- 
triche ; avec l'Italie qui paraissait vouloir protester contre une 
paix répondant imparfaitement à toutes ses espérances ; avec la 
France qui commençait à s'inquiéter de cette grande révolution 
politique s' accomplissant sous ses yeux, et pour ainsi dire sous le 
couvert de son manteau. Commençons par la France. 



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XVI 



^égocialions enlrc la France et la Prusse au sujet de compensations 
lerriloi-iales réclamées par la France. — Le Cabinet de Berlin propose 
de les prendre ailleurs qu'en Allemagne. — Les négociations demeurent 
sans résultat. — Récit inexact d'une entrevue entre IH.M- de Bismarck 
et Benedetli. — Séjour de M. Von der Pfordten à Nikolsbourg. — Deux 
versions différentes sur les incidents de ce séjour. — Programme poli- 
tique du Gouvernement, bavarois. 



M 



Le \\ juin -isee, l'Empereur Napoléon s'exprimait en ces 
termes dans la lettrp adressée à son Ministre des Affaires 
Étrangères, et publiée au Journal officiel : 

I Si, malgré nos efforts, les espérances de paix ne se réali- 
sent pas, nous sommes néanmoins assurés par les déclarations 
des Cours engagées dans le conflit que, quels que soient les 
résultats de la guerre, aucune des questions qui nous touchent 
ne sera résolue sans l'assentiment de la France. » 

Les déclarations de l'Autriche avaient été formulées dans 
une convention secrète, créant des engagements réciproques 
et définis. 

Avec la Prusse, les choses n'étaient malheureusement pas 
ainsi stipulées, et, au lieu d'engagements, on n'avait que des 
assurances. 

M. de Bismarck avait compris de tout temps que les succès 
militaires de la Prusse devaient créer pour la France le besoin 
d'augmenter proportionnellement la sécurité de ses frontières. 



il 



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336 



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L'ALLEMAGNE KOUVELLK. 



Il avait admis, dès oi.gine du conflit austro-prussien, la néces- 
sité de cette compensation. 

Vers la fin de 1865, étant allé eu France, il avait cherché à 
établir avec l'Empereur Napoléon une espèce d'entente préa- 
lable ; mais ses efforts n'avaient pas abouti, parce que ses 
propositions ou plutôt ses avances étaient vagues et mal défi- 
nies. Ce qu'il offrait était plutôt une complicité qu'un accord, 
et, ni comme complice, ni comme allié, il ne donnait des ga- 
ranties suffisantes. 

On a souvent blâmé l'Empereur de ne pas l'avoir écouté 
alors, etco reproche n'est pas mérité. N'avait-on pas devant les 
yeux l'expérience encore récente de la campagne politique dont 
la guerre austro-prussienne menaçait de devenir le dénouement 
forcé? Il eût été aussi imprudent qu'injustifiable d'accorder sa 
confiance à un Ministre qui n'eût pas manqué de s'en servir au 
détriment de la France, le jour où il en eût trouvé une occa- 
sion avantageuse. Aussi, à cette époque-là, la réserve de l'Em- 
pereur fut-elle habile et irréprochable. 

Ce fut plus tard, lorsque la guerre devint inévitable, au mo- 
ment où les Puissances belligérantes se préoccupaient d'acqué- 
rir, soit des alliances, soit des promesses de neutralité ; ce fut 
alors que le Gouvernement français eût bien fait de poser 
franchement les conditions de sa neutralité. Il valait mieux 
traiter avec les Prussiens avant la bataille que de chercher à le 
faire après la victoire. 

Pour bien mettre en relief l'état des rapports de la France 
avec la Prusse au moment des négociations de JN'ikolsbourg, » 
est nécessaire de remonter au mois de mai et de revenir sur 
quelques documents dont nous avons déjà entretenu nos Icf- 
teurs. 

A cette époque, M. de Bismarck s'exprimait ainsi avec le géné- 
ral Govone, appelé à Berlin pour préparer l'alliance de la Prusse 
avec l'Italie, en vue de la guerre contre l'Autriche (1) : 

« Les difficultés sérieuses, nos véritables inquiétudes vien- 
nent de rattitud£ de la France. Elle garde le silence avec la 

(1) Rapport du général Govone adressé à son Gouvernement le -- 
mai 1866. 




cm 



10 11 12 13 14 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



337 



Prusse, et ses représentants dans les Cours secondaires tra- 
vaillent dans le sens de l'Autriche. On dit, il est vrai, que ces 
agents font la politique de M. Drouyn de Lhuys, peut-être 
même avec plus de zèle qu'on ne leur en demande, et que ce 
n'est pas là la politique de l'Empereur (1 ) ; cependant il n'en 
est pas moins inquiétant pour nous de commencer la guerre 
avec la menace de 300,000 hommes qui peuvent nous tomber 
sur le dos au moment où nous serions bien engagés. » 

,( Je répondis (c'est le général Govone qui parle) : — Mais Je 
croyais que Votre Excellence avait des intelligences avec l'Em- 
pereur et qu'EUe s'était entendue avec lui; et si c'est le cas, 
vous pouvez avoir en lui une confiance aveugle, parce qu'il est 
un parfait gentilhomme et ne trompe jamais ses amis. Nous 
pouvons, nous autres, en rendre témoignage. » 

, Le comte de Bismarck, pesant chacune de ses paroles, me 
dit alors : — Il y a six mois, quand je parlai à l'Empereur des 
événements qui se préparaient alors, et qui sont actuels au- 
jourd'hui, il paraissait vouloir se contenter de quelques arran- 
gements qui convenaient aussi bien à la Prusse qu'à la France ; 
mais maintenant que nous sommes a la veille d'une solution, et 
qu'il conviendrait d'arriver à des conclusions pratiques et plus 
positives, il refuse absolument de s'expliquer. » 
« Je repris : — Mais toute l'Europe sait quelles sont les 

{convenances de la France, et les désirs de l'Empereur ne peu- 
vent guère être autre chose. » 
« Le comte de Bismarli :- Il s'agit en somme pour la Prusse, 
dans cette campagne, d'acquérir une prépondérance non con- 
testée sur une partie de l'Allemagne, et de s'attacher cette 
partie de l'Allemagne par des liens indissolubles. La Prusse 
peut-elle, le Roi peut-il, pour obtenir ce résultat, commencer a 
céder à la France des provinces étendues, de race allemande 
et de sang allemand ? Il conviendrait bien mieux à l'Empereur 



l\\ Ce n'est pas la première fois que nous voyons opposer ainsi la 
Doliiquc personnelle de l'Empereur à la politique orfic-e!le de son rru- 
Sie des Affaires Etrangères. En principe, cette Ihcorioestmadmissible, 
car le Ministre ne parlait et n'agissait qu'avec la sanction du Souverain 
et nar son ordre. Cette opinion prenait sa source dans les mouvements 
que se donnaient pour l'accréditer, certains entiemetleurs officieux tres- 
assurcs dans leur langage, et en rapports quotidiens avec les Cabinets 
étrangers. La politique française y perdait une partie de son aulonle et 
de son efficacité. 



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338 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



do s'emparer de la BELGIQUE ct des pays de la frontière française 
où on parle le français. » 

« Le général Govone : — Je répondis que, en ce qui concer- 
nait la Belgique, ce pays avait une vitalité et un sentiment 
d'autonomie si réels que son annexion présenterait des diffi- 
cultés capables d'en détourner l'Empereur, et que, d'un autre 
côté, il n'en était pas moins de première nécessité d'avoir la 
France avec nous dans les circonstances présentes. » 

Nous arrêtons ici les citations textuelles du rapport italien, 
d'où il résulte que déjà, le 22 mai 1866, M. de Bismarck admet- 
tait pour la France la nécessité d'une compensation, et la 
cherchait ailleurs qu'en Allemagne, et notamment en Belgique, 

Onze jours plus tard, le général Govone, au moment de 
quitter Berlin, va prendre congé de M. de Bismarck. 11 est reçu 
le soir, à neuf heures, dans le jardin du ministère d'État, et là, 
pendant une promenade qui se prolonge jusqu'à dix heures, le 
Président du Conseil revient encore sur la question des com- 
pensations françaises. On est arrivé au 2 juin, la guerre est 
devenue imminente ; il faut préciser davantage (1). 

« Pour une seule chose, dit-il, il m'aurait plu de me rendre à 
Paris. J'aurais voulu m'aboucher avec l'Empereur afin de 
connaître le maxifhum des concessions cpv'il désire de nous 
pour la France, o 

« Je demandai (le général Govone) si, en dehors du Rhin, il 
y avait quelque partie du pays où un vote pour l'annexion à 
la France pût, en quelque manière, réussir. Le comte de 
Bismarck répondit : — Aucune ; les agents français eux-mê- 
mes (2), qui ont parcouru le pays pour connaître 'les disposi- 

(-!) Bien que ce second rapport du général Govone soit fort connu, nous 
avons cri. nécessaire d'en reproduire quelques passages, et môme de les in- 
tercaler dans le texte, parce que,indépendamrr;ent de l'intérêt qui s'yalla- 
chc, ils sont un des éléments les plus concluants de noire argumenlalion- 
La traduction en est littérale et se ressent un peu de cette exactitude, 

(2) De quels agents français M. de Bismarck voulait-il parler? Il cûl élé 
bien embarrassé de les nommer. Cette phrase donn-ait à supposer que 
l'idée d'annexion de ces provinces n'était pas nouvelle, et qu'on avait 
déjà étudié les dispositions de la population. Peut-être quelques touris- 
tes s étaient-ils livrés à des recherches semblables, mais jamais aucun 
agent français n'avait reçu ni accompli une mission de ce genre. 




cm 



10 11 12 13 14 



L'ALLEMAGNE NOCVELLE. 



339 



tion? des populations, rapportent tous qu'aucune voLation, qui 
ne fût pas fictive, ne pourrait réussir. Personne n'aime son 
propre Gouvernement, ni la dynastie régnante sur son terri- 
toire ; mais tous sont et veulent rester Allemands ; de sorte 

Qll'iL NE BESTERAIT Qu'a. INDEMKISER LA FRA^'CE AVEC LA PARTIE FRAN- 
ÇAISE DE LA Belgique et de la Suisse. » 

« Je lui répliquai que cela était extrêmement difficile ; mais 
que, si l'on ne pouvait faire valoir la volonté populaire, peut- 
être pourrait-on mettre en avant quelque autre principe, comme, 
par exemple, celui des frontières naturelles ; j'ajoutai aussitôt 
que je n'entendais pas faire allusion à toute la rive gauche du 
Rhin ; mais n'y avait-il pas quelqu'autre ligne géographique 
qui pourrait convenir à la France ? 

« A quoi le comte de 15ismarck répliqua : — Si , il y aurait 
u Moselle. Je suis, a-t-il ajouté, moins Allemand que Prus- 
sien, et je n'aurais aucune difficulté à sovscrii e la cession à la 
France de tout le pays compris entre le riun et la moselle : le 

PALATINAT, OLDENBOURG, UNE PARTIE DU PAYS PRUSSIEN, ETC. LC Roi 

cependant, sans l'influence de la Reine qui n'est pas Prussienne, 
aurait de très-graves scrupules et ne s'y déciderait que dans 
un moment suprême, lorsqu'il serait sur le point de tout perdre 
ou de tout gagner. De toute manière, pour travailler {sic) l'es- 
prit du Roi en vue d'un arrangement quelconque avec la 
France, il serait nécessaire de connaître la limite minimum des 
prétentions de celle-ci, parce que, s'il était question de toute 
la rive gauche du Rhin, Mayence, Coblence et Cologne, mieux 
vaudrait s'entendre avec l'Autriche et renoncer aux Duchés et à 
beaucoup d'autres choses. » 

Le lendemain (3 juin), M. de Bismarck s'entretenait du même 
sujet avec l'Ambassadeur de France et kd tenait à pou près le 
même langage, tout en se montrant un peu plus réservé qu'il 
ne l'avait été avec l'Envoyé italien. Voici la substance de cette 
conversation, d'après le rapport adressé le 4 juin par M. Rene- 
detti à M. Drouyn de Lhuys. 

« Il me disait hier, en me témoignant ses inquiétudes sur nos 
intentions, qu'il aurait bien voulu vous pressentir, avant l'ou- 
verture de la guerre, pour le cas surtout où la Prusse, comme 
il en manifeste la confiance, remporterait de grands succès. J'ai 
relevé de ce qu'il m'a dit que le Roi se refuse toujours à admet- 




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L'ALLEMAGNE KOdVELLE. 



tre qu'il pourrait être conduit à céder une portion du territoire 
actuel de la Prusse. Suivant Sa Majesté, au dire du moins de 
M. de Bismarck, les compensations qu'il pourrait y avoir lieu 
d'offrir à la France devraient être prises partout où onpark fran- 
çais sur sa fronlière. Le Président du Conseil aurait lui-même 
fait remarquer à son Souverain que , pour disposer de ces terri- 
toires, il faudrait d'abord les conquérir. Il a échappé cepciidanl 
au Président du Conseil de dire que si la France revendiquail 
Cologne, Bonn, et même Mayence, il préférerait disparaître de 
la scène politique plutôt que d'y consentir. — Sans que je l'aie 
pressé en aucune façon de s'expliquer davantage, il a indiqué 
qu'il ne croyait pas impossible de décider le -Roi à nous aban- 
donner LES BORDS DE LA HAUTE MOSELLE (la province de Trêves 
sans doute qu'il n'a pas nommée) (1) , qui, jointe au Luxem- 
bourg, où la réunion à la France serait favorablement accueillie, 
redresserait notre frontière do manière à nous donner toule 
satisfaction. Je me suis borné à lui rappeler que le Luxembourg 
n'est pas plus une propriété sans maître que la Belgique et 
certains cantons de la Suisse ; ne voulant pas d'ailleurs accepter 
la discussion sur ces éventualités, ni lui laisser supposer que 
ses combinaisons pouvaient avoir quelques chances d'être exa- 
minées à Paris, j'ai rompu l'entretien sur ce sujet, de manière 
à lai faire comprendre que je ne désirais pas le continuer. Je 
ne saurais dire si M. de Bismai'ck, en s'ouvrant avec moi à cet 
égard, sans que rien lui en fournît le prétexte, a voulu me pres- 
sentir ou vous faire connaître dès à présent, par mon intermé- 
diaire, les concessions qu'il pourrait vous offrir, et celles que 
nous devrions nous abstenir de lui demander ; mais je n'eu 
serais pas surpris, ces sortes d'expédients lui étant générale- 
ment habituels (?)... » 

La question des compensations françaises avait fait, comme 
on le voit, de grands progrès pendant cet intervalle de douze 
jours. C'est que la guerre approchait, et, suivant le langage d» 
général Govone, il fallait à tout prix s'assurer du concours, ou 
du moins de la neutralité de la France. 

(1) Il avait été plus précis la veille avec le général Govone en disant ! 
Tout le pays compris entre le Rhin et la Moselle, le Palalinat, Olda- 
bourg, une partie dupays prussien, etc. 

(2) <c Mission en Prusse, » p. 164. 




cm 



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L'ALLEMAG.^E NOUVELLE. 



341 



P Pour la première fois, M. de Bismarck s'était enfui décidé à 
'narler sérieusement de ce qu'il pouvait céder à la France. La 
Bekique, il ne l'avait pas ; la Suisse française, pas davantage ; 
les principautés Danubiennes, encore moins, et la France n'en 
awit que faire. 11 n'était pas sérieux d'offrir ainsi des pays dont 
011 ne disposait pas,- en échange d'une complicité ou d'une neu- 
tralité bienveillante. M. de Bismarck le comprenait mieux que 
jout autre ; aussi avait-il offert à l'Ambassadeur de France les 
BORDS DE LA HAUTE MOSELLE et envlsagé avoc l'envoyé d'Italie des 
sacrifices encore plus considérables (1). Il est vrai qu'avec ce 
deraier, il avait subordonné ces sacrifices à l'éventualité d'un 
mment suprême, lorsqu'il s'agirait pour le Roi de tout perdre ou 
k tout gagner. 

Or, ce moment suprême se présenta précisément vers le 
4 juillet, après la bataille deSadowa. C'est M. de Bismarck qui 
l'a reconnu lui-même par ces paroles que nous avons déjà ci- 
tées, et dont nous rappelons la substance pour éviter d'y ren- 
voyer le lecteur. — « Après la bataille de Sadovva,un petit ap- 
poiat peu considérable de troupes françaises en s'unissant 
à l'armée de l'Allemagne ' du Sud , nous eût mis , de 
prime abord, dans la nécessité de couvrir Berlin et d'aban- 
donner tous nos succès en Autriche (2). » — 

Supposons que, ce jour-là, l'Ambassadeur de France à Berlin 
se fût présenté au quartier général prussien, et eût tenu ce 
langage : — Les succès de la Prusse ont dépassé vos espérances, 
et tous les résultats que vous poursuiviez vous sont acquis. 
C'estle moment de faire la paix et d'en régler les conditions. La 
guerre ne saurait se prolonger sans toucher aussi à d'autres 

I (n Le eéiiéral Govone n'élait pas le seul avec qui M. de Bismarck se 
lùtesprimé dune manière aussi catégorique. On lit en effet dans une 
brochure olficielle, publiée par M. de Schacten, ancien ministre de 1 Elec- 
teur de liesse à lierlin, le récit suivant qui n'a jamais ete démenti., 
parce qu'il est vrai. . . , n- i . 

C'était le 21 juin 4866; l'envoyé Hessois dit au comte de Bismarck . 
_ « Etes-vous donc si sûr de la victoire? — Oh! pas du tout, répondit le 
comte; mais croyei-vous donc que je laisserai venir Benedek a Berlin .' 
Si Bénédek est vainqueur, j'offre te Rhin à Napoléon. » 

(2) Discours déjà cité de M. de Bismarck au l'arlement de Berlin, dans 
la séance du 16 janvier 1874. 



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342 



L'ALLE "AGÎ(E NOUVELLE. 



intérêts que ceux des puissances belligérantes. A la demande 
de l'Autriche, la France intervient comme médiatrice. Elle accepte 
toutes les conséquences légitimes de vos victoires; vous en avez 
vous-mêmes formulé le programme ; l'Italie recevra pleine salis- 
faction par la cession de la Vénétie. Voici ce que. la France de- 
mande : D'abord pour l'Autriche, l'intégrité de son territoire, 
moins la Vénétie ; ensuite pour la France, une rectification de 
sa frontière comprenant le Palatinat et une partie des terri- 
toires d'Oldenbourg (principauté de Birkenfeld) et de la pro- 
vince de Trêves. Je dois en même temps vous informer que 
80,000 hommes sont mobilisés et dirigés sur notre frontière.-' 

Que serait-il arrivé? M. de Bismarck l'a dit lui-même. - Les 
conditions de la France eussent été acceptées. —■ 

C'est précisément ce que voulait et proposait M. Drouyn de 
Lhuys, et ce que l'Empereur avait commencé par approuver, 

Nous avons dit par suite de quelle malheureuse intrigue cette 
résolution sage, habile et patriotique avait été écartée. 

Quand la nouvelle en parvint au quartier général prussien, 
l'étonnement fut si grand qu'on ne voulut pas y croire. - 
«C'est impossible, disait-on, il y a là quelque piège dont il faut 
nous garder ; » — et M. de Bismarck en était tellement con- 
vaincu qu'il fit alors près du bourgmestre de Brùmi la dé- 
marche que nous avons racontée, pour engager l'Autriche à 
renoncer à la médiation française. — « L'Empereur Napoléon, 
disait-il, dans son langage tranchant, ne manquera pas de 
demander quelque avantage pour payer sa médiation, et cela 
nous imposera l'obligation de réclamer de l'Autriche un plus 
grand sacrifice, pour compenser ce que nous aurons à donner 
à la France. » — 

Quand M. de Goltz lui confirma, dans tous ses tristes détails, 
le revirement politique qui lui donnait la pleine liberté de ses 
mouvements, laissant les intérêts de la France à la merci de la 
générosité prussienne, il fallut bien se rendre cà l'évidence. La 
France ne demandait plus rien, et d'ailleurs qu'importaient ses 
demandes, du moment où elle renonçait à les appuyer, .et à 
utiliser les circonstances qui la rendaient toute-puissante? 

Telle était la situation, quand M. Benedetti arriva à Briinii, 




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L'ALLEMAGNE KÇUVELLE. 



343 



le 13 juillet, pour discuter en médiateur les conditions d'un 
ariiiistice. M. de Bismarck n'était pas homme à ne pas profiter 
de ses informations ; tout autre ministre, d'ailleurs, en eût fait 
autant à sa place. Aussi voyons-nous son langage se modifier 
considérablement. Ce qu'il offrait à la France avant la guerre, 
quand la victoire était incertaine, ce qu'il eût donné à la 
France, sans hésiter, le 4 juillet, si Elle avait appuyé sa de- 
mande par un langage ferme, une attitude résolue, une démons- 
tration militaire quelconque, il n'entendait pas l'accorder à la 
France désarmée et pour ainsi dire suppliante. Des bords de la 
Moselle et de l'Oldenbourg, il n'en est plus question, si ce n'est 
pour faire comprendre clairement à l'Ambassadeur de France 
que les succès do la Prusse ne permettent plus d'y penser. 

Mais comme le ministre prussien sentait bien qu'il était im- 
possible de frustrer aussi complètement le Gouvernement fran- 
çais des espérances qu'il avait pu concevoir, sans provoquer tôt 
ou tard des ressentiments avec lesquels il faudrait compter, plus 
il écartait l'idée des compensations allemandes, plus il faisait va- 
loir celle des acquisitions territoriales en dehors de l'Allemagne. 
Il avait trop de perspicacité pour ne pas comprendre que cet 
excès de condescendance, dont M. de Goltz avait recueilli le 
bénéfice, ne pouvait être, après tout, qu'un accident dans la 
politique française, le produit momentané d'une intrigue éphé- 
mère, et qu'avant peu le Gouvernement, s'inspirant des sentiments 
légitimes de la nation, reviendrait, forcément à la question des 
compensations ou des garanties nécessaires auprès d'un voisin 
devenu si fort et si puissant. Il comprenait aussi que si, grâce 
à la décision du 4 juillet, la France était pour le moment humble 
, _ et désarmée, ces forces dont elle avait refusé de faire l'usage 
F pacifique qui eût fait pencher la balance, ces forces n'avaient 
pas pour cela cessé d'exister, et pouvaient encore reparaître à 
la frontière allemande assez à temps pour y changer du tout au 
tout les résultats acquis et ceux qui restaient, à acquérir. 
L M Donc s'il prenait avantage de la situation pour écarter pércmp- 
r ï toirement l'idée des compensations allemandes; d'un autre côté, 
il paraissait encore attacher un grand prix à concerter un accord 
avec la Franco. Seulement il donnait à cet accord une portée 



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L'ALLEMAGNE NOLVELLE. 



d'autant plus grande qu'elle était moins définie. — « Les revers 
de l'Autriche, disait-il (4), permettaient à la France et à la Prusse 
de modifier leur état territorial, et de résoudre dès à préseat k 
plupart des difficultés qui continueraient à menacer la paix de 
l'Europe. — Je lui rappelai, dit M. Benedetti, qu'il existait des 
traités, et que la guerre qu'il désirait prévenir serait le premier 
résultat d'une telle politique. — M. de Bismarck me répondit que 
je me méprenais, que la France et la Prusse unies et résolues à 
redresser leurs frontières respectives en se liant par des enga- 
gements solennels, étaient désormais en situation de régler en- 
semble ces questions, sans crainte de rencontrer une résistance 
armée, ni de lapart de l'Angleterre, ni de la part de la Russie. »- 

Ces rectifications de frontières, combinées entre les deux 
Puissances, devaient se faire : pour la Prusse, aux dépens de la 
Saxe, du Hanovre, des Hesses et de Nassau ; pour la France, ans 
dépens de la Belgique et du Luxembourg. 

Ce n'était d'ailleurs ni plus ni moins qu'une offre de compii- 
cité lucrative, substituée au marchandage d'une neutralité qui 
avait beaucoup perdu de son prix depuis qu'elle avait produit 
son effet, en assurant à la Prusse la liberté de ses mouvements 
et l'alliance italienne, conditions essentielles de ses succès. 

Depuis lors le chancelier Prussien a cherché plusieurs fois à 
se disculper, en quelque sorte, d'avoir fait à la France des pro- 
positions aussi radicales ; c'était vraiment une peine bien inulOe. 
Étant donnés les nouveaux principes de la politique allemande; 
ceux qui avaient présidé à la liquidation de la guerre du Dane- 
mark, ceux qui avaient présidé aux préparatifs de la guerre 
austro-prussienne ; étant donné le nouveau droit proclamé au 
Parlement de Berlin, M. de Bismarck était parfaitement logique 
en disant à la France : — <( Aujourd'hui, si nous nous unissons 
et nous entendons, nous sommes les plus forts; prenons en- 
semble ce que nous voulons l'un et l'autre. » — Et du moment 
où on négociait avec le Cabinet de Berlin, il fallait être prêta 
négocier sur ces bases. 
Mais les instructions de l'Ambassadeur de France ne lui pei'- 

(4) Dépêche du comte Benedelli, datée de Brûnn, le 15 juillet lS6'i, 
publiée dans le récit do sa .•nission en Prusse, p. 18S. 




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10 11 12 13 14 



L'ALLEMAGNE KODVELLE. 



345 



mettaieiu pas do s'engager dans ces grandes aventures ; il ne fit 
qu'écouter et informer. 

Le 24 Juillet, le quartier général du Roi de Prusse était à 
î^ikolsbourg, les hostilités étaient suspendues, les négociations 
(l'armistice et de paix touchaient à leur terme. 

Du 4 au 24 juillet, il s'était écoulé vingt jours pendant lesquels 
on avait fait en France de tristes réflexions. Pouvait,on laisser 
ainsi l'omnipotence prussienne s'établir tout autour du terri- 
toire français sans rien faire pour la sécurité des frontières? On 
avait renoncé à toute démonstration militaire, on avait préféré 
attendre de la reconnaissance ou de la complaisance prussienne 
ce qu'il eût été si facile de réclamer avec autorité ; mais encore 
fallait-il le demander si on ne pouvait plus l'exiger. L'opinion 
publique commençait à s'émouvoir, et on sentait vaguement 
qu'il se commettait quelque part des fautes énormes. L'Em- 
pereur était parti pour Vichy ; il était très-malade, malade à ce 
point d'inspirer de sérieuses inquiétudes, et soufi"rant cruelle- 
ment du mal dont il ne s'est jamais guéri. M. Drouyn de Lhuys ■ 
se rendit auprès de lui. 

Alors, trop tard, hélas ! il fut résolu qu'on enverrait à M. Be- 
nedetti, qui se trouvait à Nikolsbourg, l'ordre de pressentir 
M de Bismarck sur les compensations territoriales que récla- 
mait la sauvea-arde des intérêts français. On demandait à la 
Prusse le redressement de la frontière de l'Est et son concours 
pour obtenir du Roi des Pays-Bas, moyennant un dédommage- 
ment pour ce souverain, la cession du Luxembourg. Ce n'était 
après tout que ce que M. de Bismarck avait déjà off'ert comme 
base d'un accord préalable. Mais la situation n'était plus la 
même Non pas qu'il ne fût encore nécessaire pour le Cabmet 
de Berlin de ménager la France ; mais autre chose est de me- 
nacer une puissance en entretenant par des promesses ses légi- 
times espérances, ou de donner satisfaction immédiate a ces 
mêmes espérances. Entre ces deux manières, il y a une grande 
distance que M. de Bismarck ne se voyait plus oblige de franchir. 
Les troupes confédérées des États méridionaux de 1 Alle- 
magne avaient salué la nouvelle de l'armistice avec un enthou- 
siasme dont elles avaient rarement donné le spectacle pendant 






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346 



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L'ALLEMAGiNE NOUVELLE. 



la campagne. En quelques heures, chaque corps d'armée avail 
regagné son pays, et l'empressement de cette dislocation sem- 
blait impliquer un grand désir de paix. Donc de ce côté les chan- 
ces d'une nouvelle campagne avec l'appui de la France avaient 
à peu près disparu. 

D'ailleurs il existait alors dans les conseils du GouverncmeBt 
français un conllit permanent qui enlevait à la politique officielle 
du Ministre des Affaires Étrangères l'autorité si nécessaire en 
pareille circonstance. Pendant que M. Drouyn de Llniys obtenait 
de l'Empereur les instructions expédiées à ''I. Benedetti le 
25 juillet, il se faisait à Vichy un travail sen^-^'ible à celui qui 
s'était fait h Paris du 4 au 5 juillet. Le ministre „'e l'intérieur et 
le ministre d'Italie agissaient dans un sens opposé S' celui de 
M. Drouyn de Lhuys ; M. Nigra parce qu'il craignait de voir la 
France intervenir en faveur de l'Autriche et rompre avec la 
Prusse ; le ministre de l'intérieur, à cause des premiers enga- 
gements de sa politique prusso-italienne. 

On raconte même qu'en ce moment, le prince Napoléon reve- 
nant de Florence où il avait été envoyé pour presser l'adhésion 
de l'Italie à l'armistice, ces deux personnages allèrent au-devant 
de lui, à quelque distance de Vichy, pour le mettre au courant 
de la situation, et l'engager à user de son influence contre les 
propositions de M. Drouyn de Lhuys. 

Et pendant ce temps l'Ambassadeur de Prusse, M. de Goltz, 
tenu par M. Nigra et d'autres encore, fort au courant de tout 
ce qui se passait à Vichy, sachant que le crédit de M. Drouyn de 
Lhuys était devenu intermittent, et s'ébranlait sous les efforts 
convergents d'un parti puissant et soutenu, informé des moin- 
dres détails de la santé précaire de l'Empereur, faisait son de- 
voir d'Ambassadeur, et écrivait à M. de Bismarck que tout en 
France conspirait contre une politique énergique.— On pouvait 
donc en toute sûreté laisser parler M. Benedetti, sans rien céder 
ni rien promettre de ce qu'on ne voulait ni céder ni promettre, 
Derrière les paroles du représentant de la France, il n'y avait 
pas, il ne pouvait plus y avoir ce qu'on avait pu craindre un 
instant d'y trouver, l'appui d'une résolution énergique et d'une 
déinoastration militaire. — 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



347 



Aussi quand le 26 jmllet, M. Bcnedctti, en exécution des or- 
dres reçus, voulut pressentir M. de Bismarck sur les compensa- 
tions territoriales que réclamaient les intérêts français, le mi- 
nistre prussien n"hésita-t-il pas à déclarer : — « qu'après les 
succès considérables des armées prussiennes, le Roi, vainqueur 
de l'Autriche, ne pouvait plus faire à la France l'abandon d'une 
portion quelconque du territoire prussien dans les provinces rhé 
lianes. Peut-être, ajouta-t-il, pourrait-on trouver dans le Pala- 
tinat les compensations que laFrance croyait équitable d'obtenir ; 
il inclinait foutefojfS à penser qu'il serait préférable de concerter 
uiie autre combi nà,..,,_in. » — Et en rendant compte le même Jour 
de, cet entretien ff satisfaisant au ministre des Affaires Éti'an- 
gères, M. B' nedetti écrivait en terminant : — «Je n'apprendrai rien 
de nouveau à Votre Excellence en lui annonçant que M. de Bis- 
marck est d'avis que nous devions la chercher (la compensation) 
en Belgique, et qu'il m'a offert de s'en entendre avec nous (1). » 

En transmettant à M. Benedetti l'ordre de pressentir M. de 
Bismarck au sujet des revendications françaises, M. Drouyn 
de Lhuys s'était fait le fidèle interprète, non-seulement de l'opi- 
nion publique, mais encore et surtout du sentiment public qui 
ne se trompait pas, et avait comme l'intuition des nécessités de 
la situation. Il y avait, pour ainsi dire, unanimité dans le pays 
pour reconnaître, comme l'écrivait alors lui-même M. Benedetti, 
— « qu'en présence des importantes acquisitions que la paix 
assurait au gouvernement prussien, un remaniement territorial 
était nécessaire à la sécurité de la France (2). » — 

La voix de la nation s'était fait entendre à l'Empereur, malgré 
les efforts puissants qui cherchaient à l'étouffer. Car il ne faut 
pas croire que les instructions envoyées à Nikolsbourg fussent, 
au moment de leur expédition, de simples ouvertures destinées 
à être appuyées ou abandonnées suivant l'accueil qu'elles y rece- 
vraient. Non! c^uand ces instructions furent rédigées, il était 
parfaitement entendu que les revendications de la France se- 
raient soutenues avec toute l'énergie et la résolution nécessai- 
res. C'était un véritable retour aux idées du 4 juillet. Rien n'y 

(i)|Mission en Prusse, fagc 199. 
('2) Mission en Prusse, page 177. 



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348 



L'ALLKMA'INE NOUVELLE. 



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manquait; la démonstration militaire pouvait encore se faire; 
les circonstances, moins favorables qu'au 4 juillet, étaient en- 
core telles, cependant, que la Prusse n'aurait pas hésité un ins- 
tant à tenir ses promesses. 

Malheureusement, la résolution fut de courte durée. On per- 
suada de nouveau à l'Empereur qu'il était impolitique d'exiger, 
presque avec menace, ce qui pourrait s'obtenir sans violence 
parle simple effet d'une confiance réciproque. On rassura là 
Prusse, on ir • r.ssura si bien que, lorsque M. de Bismarck vit 
clairement qu'il n'avait plus rien à craindre, il refusa tout. 

Le jour même où M. de Bismarck opposait aux ouvertures de 
M. Benedetti une fm de non-recevoir, à peine déguisée sous des 
apparences de courtoisie, les préliminaires de paix et l'armis- 
tice se signaient à Nikolsbourg, et de sa médiation pacifique, 
la France n'avait recueilli que deux satisfactions indirectes : la 
cession de la Vénétie à l'Italie, et la clause de l'article 3 des 
pi'éliminaires de paix, qui réservait aux populations des districts 
du Nord du Sleswig le droit d'être de nouveau réunies au Dane- 
mai'k, si elles en exprimaient le désir, par un vote librement 
émis. — Pour la France, rien. 

Quelques jours après la signature de l'armistice et des préli- 
minaires, M. de Bismarck fit demander à la France la recon- 
naissance officielle et immédiate des aanexions que la Prusse 
avait faites ou voulait faire jusqu'à concurrence de quatre mil- 
lions d'habitants. On se rappelle que M. de Goltz avait déjà ob- 
tenu le consentement de l'Empereur pour ces annexions prus- 
siennes, contrairement à l'opinion de M. Drouya de Lhuys qui 
pensait que ces acquisitions de territoire devaient être soumises 
à la sanction d'un congrès européen. Aussi, en s'adressant au 
ministre des Affaires Étrangères, M. de Goltz ne fut-il pas surpris 
de voir que sa demande était accueillie avec quelque réserve. H 
admettait, d'ailleurs, que cette reconnaissance devait entraîner, 
comme réciprocité de la part de la Prusse, une rectification de 
frontière devenue nécessaire. 

L'Empereur, comme on le sait, était alors très-souffrant, à 
Vicliy, et M. Drouyn de Lhuys dut, en conséquence, ditférerde 
quelques jours la réponse à la communication de l'Ambassadeur 



L'ALLEMAGNE KOIVELLE. 



349 



de Prusse. M. de Goltz, bien au courant des divergences et des 
rivalités qui désagrégeaient le Conseil, pensa qu'il aurait plus 
facilement raison des autres ministres que du ministre des Af- 
faires Étrangères ; il se rendit donc aussitôt chez le ministre 
d'État pour lui faire part de la démarche qu'il -yenait de faire 
auprès de son collègue, et le prier d'appuyer télégraphiquement 
auprès de l'Empereur la demande de la Prusse. Cette visite est 
du 3 août, et il résulte d'une lettre du ministre d'État qui a été 
publiée depuis lors (1) que, tout en accédant à son désir et ap- 
puyant sa demande auprès de l'Empereur, le ministre fit néan- 
moins observer à l'Ambassadeur que cette question de la recon- 
naissance des grandes annexions lui semblait solidaire de celle 
de la rectification des frontières françaises, et que probablement 
on lui manifesterait la volonté de les traiter simultanément. 

Ce fut en effet ce qui arriva, et, le S août, M. de Goltz, reve- 
nant chez le ministre d'État, lui communiqua la réponse de son 
collègue, savoir : — qu'une communication dans ce sens avait 
été faite par M. Benedetti à M. de Bismarck, et qu'on croyait 
devoir attendre une réponse à cette suggestion avant d'aller plus 
avant dans les négociations. — 

En effet, de nouvelles instructions avaient été envoyées à 
M. Benedetti, à la suite des pourparlers de Nikolsbourg, dont il 
avait transmis à Paris le résultat à peu près négatif, et, comme 
il avait déjà quitté le quartier général prussien, elles lui avaient 
été expédiées à Berlin où il les trouva à son arrivée. Elles lui 
prescrivaient de soumettre à la considération de M. de Bismarck 
un projet de traité destiné à rester secret provisoirement, et 
qui, en rectifiant la frontière française, devait comprendre la 
rive gauche du Haut-Rhin, jusques et y compris la forteresse de 
Mayence {%). 

L'Ambassadeur était invité à donner, sans retard, au Gou- 
vernement prussien, communication de ce document, et à venir 
ensuite rendre compte des dispositions avec lesquelles il aurait 
été accueilli. 

(l)LelUe de M. Roiiher, publiée par M. Benedelti dans le livre de s 
mission en l'russe, p. 19o. 

[î] Benedetli. Mission en Prusse, p. 187 et 197, 

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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On était au 6 août. M. Benedetti prévoyant les résistances que 
soulèverait cette nouvelle proposition, jugea fort sainement qu'il 
valait mieux ne pas affronter les premières impressions qui en 
suivraient la communication, et il envoya le projet au comte de 
Bismarck, avec une lettre dont nous reproduisons les termes pour 
les opposer plus tard au récit pittoresque, mais inexact, que le 
ministre prussien fit de cet incident au Parlement de Berlin. La 
lettre d'envoi était ainsi conçue : 

« Mon cher Président , 

» En réponse aux communications que j'ai transmises de Ni- 

» kolsbourg à Paris, à la suite de notre entretien du 26 dumois 

>) dernier, je reçois de Vichy le projet de convention secrète que 

» vous trouverez ci-joint en copie. Je m'empresse de vous en 

» donner connaissance, afin que vous puissiez l'examiner à voti'i 

» loisir. Je suis, du reste, à votre disposition pour en conférer 

» avec vous quand vous en jugerez le moment venu. 

» Tout à vous. Signé: Bînedetti. 

» Dimanche, 6 août 1866. » 

Le moment vint le lendemain 7 aoiit. — M. de Bismarck, 
conuue on pouvait le prévoir, ne voulut pas entendre parler de 
céder Mayence, ni la partie des provinces rhénanes qui devait 
l'accompagner ; il maintint ses anciennes propositions relatives 
aux compensations non allemandes ; on ne s'entendit pas, et 
M. Benedetti partitpour Paris, pour expliquer verbalement l'état 
de la question. 

Le fait est que les propositions de la France, destinées à être 
discutées dans le secret des Cabinets, avaient été divulguées, et, 
qu'en Allemagne, elles avaient soulevé une opposition si una- 
nime, que tout autre sentiment paraissait devoir s'effacer de- 
vant celui d'une résistance commune. Ce que demandait la 
France, elle ne pouvait plus l'obtenir que les armes à la maiDi 
et c'était La guerre, non plus seulement avecla Prusse, mais avec 
toute l'Allemagne; car les États du Sud eussent profité de l'occa- 
sion pour racheter, au prix d'une coopération pour la cause alle- 
mande, les rançons dont la Prusse les avait frappés ou menacés. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



351 



II 



Il est superflu cFindiquer comment et par qui les propositions 
secrètes avaient été portées à la connaissance du public ; on le 
deTine aisément. M. Benedetti n'eut pas de peine à démontrer 
qu'il fallait désormais renoncer à obtenir quoi que ce fût, en ce 
genre, de la bonne grâce du Gouvernement prussien ; de son 
côté, M. de Goltz s'en expliqua directement avec l'Empereur, 
.içt le projet envoyé à Berlin le 6 août fut complètement aban- 
donné. 

. Ainsi finirent les pourparlers relatifs aux compensations terri- 
toriales, ou rectifications de frontière, que le Gouvernement 
français avait espéré obtenir pacifiquement de la reconnaissance 
ou de la bonne foi du Gouvernement prussien. Dans toute cette 
question, M. Drouyn de Lhuys avait vu juste dès le principe. 
La politique qu'il chercha à faire prévaloir eût donné à l'Em- 
pire une situation prépondérante, et assuré pour longtemps la 
paix européenne. Les résultats négatifs de la politique con- 
traire blessèrent profondément le sentiment national, et, de 
cette blessure non cicatrisée, naquirent les inquiétudes et les 
récriminations qui, à partir de la paix de Prague, troublèrent 
sans discontinuer les rapports de la France et de l'Allemagne-. 

Cinq ans plus tard, M. de Bismarck faisant allusion aux négo- 
ciations dont nous venons de parler, en donna devant le Parle- 
ment de Berlin un récit inexact et imaginaire, destiné à pro- 
duire sur son auditoire germanique l'effet d'une scène historique 
et populaire. C'était dans la séance du 2 mai 1871, et voici la 
traduction littérale de son discours : 

« Après le 6 août 1866, je vis entrer l'Ambassadeur de France 
» dans mon cabinet, tenant un ultimatum à la main, nous som- 
» mant de céder Mayence, ou de nous attendre à une déclaration 
» de guerre immédiate. Je n'hésitai pas à répondre : — « Bien, 
a alors nous aurons la guerre. « — Cela fut télégraphié à Paris. 
» Là on raisonna, et l'on prétendit ensuite que les instructions 
» reçues par l'Ambassadeur de France avaient été arrachées à 
» l'Empereur Napoléon pendant une maladie. » 

Le lecteur en sait assez pour relever lui-même toutes les 
inexactitudes de ce langage ; mais afin de lui éviter un retour 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



aux pages précédentes, nous allons les indiquer sommairement. 
En disant cfu'après le 6 août, il vit entrer l'Ambassadeur de 
France dans son cabinet, tenant un ultimatum à la main, M. de 
Bismarck s'écartait de la vérité en deux points, et se trouvait 
démenti par les documents officiels et authentiques. Si en effet 
on se reporte à la lettre du 6 août que li^i écrivit M. Benedetti, 
en lui envoyant le projet de convention secrète, lettre que nous 
avons citée ci-dessus, on voit que l'Ambassadeur avait expédié 
le dit projet avec la lettre, la veille de l'entrevue, précisément 
pour n'avoir pas à l'apporter avec lui le lendemain, et éviter 
toute espèce de scène du genre de celle que M. de Bismarck a 
décrite dans son discours de 4 871 , à la grande admiration de 
la Chambre de Berlin. 

11 n'est donc pas vrai que le Président du conseil vit entrer 
dans son cabinetl'Ambassadeur tenant à la main un ultimatum ; 
le traité proposé était depuis vingt-quatre heures dans les 
mains du Président du conseil. 

Le second point, inventé par M. de Bismarck pour les besoins 
de sa cause et de son effet de tribune est beaucoup plus grave. 
C'était, dit-il, un ultimatum accompagné de la menace d'une 
déclaration de guerre immédiate. Or la lettre d'envoi du 6 août 
démontre précisément que le projet, loin d'être présenté comme 
un ultimatum, lui avait au contraire été communiqué pour !/«'•' 
pût l'examiner à loisir, et en conférer avec l'Ambassadeur g«o«'i 
il jugerait le moment venu. 

Donc le document n'était pas un ultimatum ; donc la menace 
de déclaration de guerre ne l'accompagnait pas ; donc l'élan pa- 
triotique qui dicta au Président du conseil cette belle réponse ; 
— « Bien, alors nous aurons la guerre » — est de pure invention 
et de fabrication posthume. 

Il y eut, le 7 août dans le cabinet du Président du Couseil, une 
conversation diplomatique, courtoise, «ans aucun de ces soubre- 
sauts ni de ces scènes dramatiques dont il se plut à amuser ses 
députés en 1871. On discuta, on ne s'entendit pas. M. Benedetti 
partit pour Paris, et le télégraphe prussien informa M. de Goltz. 

— « A Paris, on raisonna. » — Cela veut sans doute dire qu'on 
discuta de nouveau le projet de convention, et c'est vrai, les do- 




10 11 12 13 14 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



I 



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cuments le prouvent; d'ailleurs M. Bcnedetti y était allé pour 
cela. 

— « Et l'on prétendit ensuite que les instructions reçues par 
l'Ambassadeur de France avaient été arrachées à l'Empereur Na- 
poléon pendant une maladie. » — 

Quel est donc cet on qui renseignait ainsi le Cabinet de Berlin, 
et qui en appelait avec lui de César malade à César en santé? 
Kous voulons l'ignorer. 

L'Empereur était sérieusement affecté par la souffrance, c'est 
vrai. S'il eût été dans toute la force de son esprit généralement 
si droit, si synthétique et à la fois si tempéré, jamais il n'eût 
abandonné la résolution que lui avait suggérée son ministre des 
Affaires Étrangères, et qu'il avait adoptée dans la journée du 4 
juillet. Mais si quelque chose avait été arraché à sa maladie, 
c'était bien plutôt ce revirement inattendu qui avait substitué à 
une politique de sages garanties, celle qui sur la foi de vagues 
promesses avait placé la France à la merci de la Prusse, atten- 
dant avec une aveugle confiance l'effet des bonnes paroles de 
M. de Goltz et de la reconnaissance de son Gouvernement. 

Ces bonnes paroles de Berlin, de Paris, de Brûnn, de Nikols- 
bourg, ces invites à l'entente cordiale, à l'alliance, à la compli- 
cité, à la coopération, veut-on savoir ce qu'en pensait au fond 
du cœur celui qui en était alors si prodigue? Il l'a dit depuis 
avec une franchise qui le découvre si elle ne le glorifie point. 
— « Il n'a jamais pensé qu'il y eût là rien de sérieux, mais il 
croyait qu'il était utile, dans l'intérêt de la paix, de laisser à la 
diplomatie française les illusions qui lui sont particulières, aussi 
longtemps cjue cela serait possible. Par ces motifs, il se taisait 
sur les demandes qu'on lui faisait, et il négociait dilatoirement, 
sans jamais faire de promesses (1). » — Tout n'est pas exact dans 
ces déclarations faites à quatre ans de distance, mais l'idée in- 
time en ressort bien nette et sans ambages. Quel enseignement 
pour l'avenir ! 

Dès que la Prusse eût fait entendre le 19 juillet les premières 
paroles de trêve et ouvert les pourparlers qui aboutirent à l'ar- 
mistice du 22 juillet, la plupart des princes allemands confédérés 

(1) Circulaires prussiennes de 1870. 

20. 



* 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



OU de leurs représentants accoururent à Viomic.Lc Roi deHanowe 
y était déjà depuis quelcfues jours; on vit arriver le 21 le Grand- 
Duc de Hesse, puis le Prince Frédéric de Wurtemberg, tous deux 
logés au palais Impérial; puis le Duc de Nassau et les ministres 
von der Pfordten et Dalwigk. Le Roi de Saxe était au château de 
Schônbrunn, et son ministre, M. de Reust, revenu de Paris, l'ai- 
dait de ses conseils. 

L'intégrité du territoire saxon faisait partie des préliminaires de 
paix proposésparl'Empereur Napoléon àl'acceptation de laPrusse, 
et le Roi s'en montrait alors fort reconnaissant envers l'Empe- 
reur, envoyant à Paris les protestations les plus chaleureuses. 

Le 23 août, M. von der Pfordten se rendit à l'Ambassade de 
France, accompagné du comte de Rray, alors ministre de Bavière 
à Vienne. Il venait demander un sauf-conduit pour pouvoir tra- 
verser les avant-postes prussiens, et aller à Nikolsbourg, négo- 
cier un armistice bavarois combiné avec celui de l'Autriche. Il 
était fort ému, et très-affecté de la pénible mission que lui avait 
en quelque sorte imposée son Souverain. Ses préoccupations 
s'accrurent encore quand il apprit que si l'Ambassade de France 
était chargée de la protection des sujets prussiens en Autriche, 
il n'en résultait pas qu'elle eût le droit de donner des passes 
pour les avant-postes prussiens; il fallait donc qu'il s'y présen- 
tât sans sauf-conduit, et comme simple parlementaire, si toute- 
fois on consentait au quartier général à lui en reconnaître le 
titre. C'est ce qu'il fit le lendemain de grand matin. 

Il était d'ailleurs complètement rallié au programme des pré- 
liminaires de paix ; mais il avait conseillé au Cabinet de Vienne 
de continuer la guerre plutôt cpie de céder une parcelle de ter- 
ritoire. Il paraissait aussi attacher un grand prix au maintien 
de l'intégrité territoriale du royaume de Saxe, dût-on pour lob- 
tenir souscrire aux annexions que la Prusse réclamerait en 
Hanovre, dans la Hesse-Électorale et le Hrunswick. Cette opinion 
s'établissait de jour en jour davantage à Vienne, et malgré la 
présence du Roi de Hanovre, le Gouvernement se montrait assez 
indifférent à son égard. Le Roi, de son côté, se tenait sur la 
réserve, maintenant avec beaucoup de dignité la position 
qu'il avait prise dès le premier jour en refusant les propo- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



3oS 



sitions prussiennes équivalant à une médiatisation déguisée. 
M. de Pfordten s'étant rendu, le matin du 24 juillet, aux avant- 
nostes prussiens, dut à la surprise de l'offlcier auquel il s'adressa 
Je pouvoir continuer jusqu'à iNikolsbovu'g. Déjà le prince Fré- 
déric de Wurtemberg avait eu la même chance, profitant du 
prestige de l'ordre de l'Aigle noir, le premier ordre de Prusse, 
dont il portait les insignes en se présentant aux grand'gardcs. 
S'il faut en croire le récit que fit plus tard le ministre bayarois 
de son arrivée à Nikolsbourg, elle ne fut rien moins qu'agréable, 
et M. de Bismarck refusa même pendant quelque temps de le 
recevoir. Le Président du Conseil paraissait très-mécontent de sa 
présence au quartier général, et se plaignait aux généraux de 
ce que la consigne donnée aux avant-postes n'eût pas été exécu- 
tée avec plus de rigueur. Peu s'en fallut môme que le ministre 
bavarois n'eût à se retirer devant des impolitesses personnelles. 
Cependant, après une attente prolongée à dessein, M. von der 
pfordten réussit à conclure un armistice de trois semaines pour la 
Bavière et pour les autres États du Sud. M. de Bismarck voulait 
que l'armistice fût accompagné comme pour l'Autriche, de pré- 
liminaires de paix ; mais M. von der Pfordten s'étant déclaré 
sans pouvoirs à cet effet, il finit par passer outre. 

Le ministre bavarois avait quitté Nikolsbourg le 29 juillet, 
avant signé l'armistice le iS (1), et était revenu directement à 
Vienne, après être convenu avec le Gouvernement prussien que, 
à partir du 28 au soir, il ne serait plus tiré un coup de fusil. 
Nous avons vu que cette convention ne fut pas fidèlement exé- 
cutée par les Prussiens. 

Il existe sur le séjour de M. von der Pfordten à Nikolsbourg, 
et sur les impressions qu'il en rapporta, deux versions diffé- 
rentes, et comme elles ne manquent d'intérêt ni l'une ni l'autre, 
MUS allons les donner. Nous ferons toutefois observer que 
la première, celle qui va suivre, est la seule qui mérite créance, 
étant la reproduction à peu près textuelle du langage que tint 
le ministre bavarois à Vienne, dans la journée du 30 juillet 1 866, 
quelques heures avant son départ pour Munich. 

Nous avons déjà dit qu'il rapportait de Nikolsbourg des im- 

(1) Voir aux annexes. N» 2. 




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pressions désagréables et un souvenir fàclioux des marnais 
procédés qu'il avait eu à endurer. Il parait même que M. de Bis- 
marck, prétendant qu'il était arrivé à Nikolsbourg contrairement 
aux règlements militaires, avait parlé un instant de le faire ar- 
rêter comme prisonnier de guerre, menace brutale, mais ridicule; 
car M. von der Pfordten étant envoyé par son Souverain en 
parlementaire pour traiter de l'armistice, il était couvert parte 
lois de la guerre aussi bien que par les lois de l'honueur mili- 
taire. Au surplus, le Président du Conseil prussien n'avait pas 
tardé à reconnaître que tout cet appareil de rudesse ne produi- 
sait pas sur le ministre bavarois i'efîet qu'il s'en était promis, 
et comme, en ce moment, l'armée prussienne engagée dans l'ouest 
avait au moins autant besoin d'une suspension d'armes que 
l'armée des Confédérés, les négociations avaient été conduites 
assez facilement et assez rapidement. 

En présence des événements qui venaient de s'accomplir, 
M. von der Pfordten exposait ainsi la ligne de conduite que la 
Bavière était appelée désormais à suivre : 

— Aussi longtemps qu'il croirait la Confédération des États du 
Sud possible, le Gouvernement bavarois ferait tous ses efforts 
pour la réaliser. Il ne prétendait à aucune prépondérance, il 
n'élevait aucune prétention, soit réelle, soit honorifique, et ac- 
ceptait la parité la plus absolue avec ses futurs confédérés. H 
considérait la Confédération du Sud comme possible si elle 
se constituait sur la base des préliminaires de paix proposés 
par la France, c'est-à-dire avec la Bavière, le Wurtemberg, le 
grand-duché de Bade et la Hesse Grand'Ducale. 

Mais si la Prusse, par ses exigences, amoindrissait encoreies 
États du Sud, M. von der Pfordten doutait que ceux-ci pussent 
alors trouver,en se confédérant, les éléments dévie et de sécu- 
rité nécessaires, et il pensait qu'ils en seraient réduits à se fondre 
dans la grande union allemande sous l'hégémonie prussienne, 

Dans ce cas la Bavière, ou plutôt (pour se servir de l'expres- 
sion même du ministre}, le Gouvernement bavarois tel quil 
était constitué au moment où il parlait, se séparerait des 
autres États, et, ne voulant à aucun prix faire partie de la 



L'ALLEMAfiNE NOUVELLE, 



357 




Confédération prussienne, il resterait isolé et indépendant. 

Le Roi de Bavière avait déclaré de la manière la plus formelle 
à son ministre d'État qu'il était résolu à abdiquer plutôt que de 
voir ses armées commandées par la Prusse, et son Gouverne- 
ment représenté à l'étranger par la diplomatie prussienne (1). 
M, von der Pfordten l'encourageait dans cette résolution, ne 
voulant pas, disait-il, après vingt années de lutte et de résis- 
tance, donner un démenti aux principes qui l'avaient toujours 
inspiré; mais avant de se retirer de l'arène, le Roi et son ministre 
épuiseraient toutes leurs forces et leurs ressources. 

De retour à Munich, M. von der Pfordten avait l'intention de 
convoquer les chambres, et de leur présenter la situation telle 
que les événements l'avaient faite, afm qu'elles pussent, en con- 
naissance de cause, prendre une décision et prononcer si le Par- 
lement voulait l'indépendance de la Bavière, ou son absorption 
par la Prusse. Il leur dirait que, pour créer la Confédération du 
Sud avec quelques chances de durée, il fallait modifier les lois 
fondamentales de la monarchie pour les adapter à une organisa- 
lion pratique et efficace de l'union des États confédérés. Il leur 
ferait entrevoir le rôle que la Confédération du Sud était appelée 
à jouer dans un avenir qu'il ne croyait pas fort éloigné, et leur 
déclarerait que désormais la Bavière et les États du Sud n'a- 
vaient plus d'autre alliance possible que celle de la France ; que 
le temps était passé où il était de tradition et de politique alle- 
mande de repousser toute ingérence française. La Prusse n'avait- 
elle pas appelé l'Italie contre eux, contre l'Allemagne? La Ba- 
vière n'avait plus maintenant qu'un péril à redouter, l'absorption 
prussienne, et qu'une alliance à rechercher, celle de la puissance 
dont les intérêts n'admettaient pas cette absorption. 

Si les chambres ne répondaient pas à son appel, et si le parti 

itaire allemand faisait pencher la balance du côté de la Prusse, 
[ors le Gouvernement dissoudrait le Parlement et poserait, dans 
le nouvelles élections, la question devant le pays. 

D'après les paroles du comte de Bismarck, et celles que le Roi 

(1) Ces déclarations sont assez curieuses à rapprocher de l'état de 
ihoses actuel, qui est précisément celui que le Roi croyait ne pas pou- 
oir supporter, c'est-à dire la médiatisation avec une couronne. 



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358 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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avait tenues à M. von der Pfordten, au moment de son départ, 
il paraissait certain que la Prusse voulait demander à la Bayière 
des sacrifices territoriaux de quelque importance, et peut-être 
même la ville de Bayreuth avec un périmètre considérable. La 
Hesse Grand'Ducale avait aussi à sacrifier sa province de Ober- 
Hesse, et le Wurtemberg perdrait aussi une province. Ces an- 
nexions devaient avoir pour effet de réduire la Confédération du 
Sud à des proportions qui la rendraient impossible, et le ministre 
bavarois comptait dans ce cas s'adresser à la bienveillante mé- 
diation de la France pour obtenir de la Prusse qu'elle y renonçât. 

Il croyait savoir, ou plutôt il savait que le Grand-Duc de Bade 
désirait personnellement faire partie de la Confédération prus- 
sienne, ce qui s'expliquait par ses liens de parenté, le Grand- 
Duc étant le gendre du Roi. 

Ce Prince venait même d'écrire à ce sujet une lettre qu'on avait 
reçue l'avant-veille (28 juillet) au quartier général prussien, dans 
le but de se rapprocher de son beau-père. Mais d'une part, le Ca- 
binet de Berlin, malgré ses protestations de repentir et de soumis- 
sion, ne paraissait pas empressé de souscrire aux vœux du Prince, 
et de l'autre, la population du Grand-Duché ne partageait pas les 
sympathies prussiennes de la Cour ; il y avait donc des chances 
pour que Bade ne fût pas englobé dans le cercle prussien. 

Dans la Hesse au contraire la situation était pour ainsi dire 
l'inverse, et si la Cour résistait à l'absorption prussienne, les 
Chambres, appartenant en majorité à l'opinion démocratique de 
la grande Allemagne, étaient très-favorables cà cette absorption. 

En Wurtemberg, les partis opposés luttaient avec des forces à 
peu près égales-, le Gouvernement, il est vrai, voulait se séparer 
de la Prusse et agissait en conséquence ; mais si l'opinion pu- 
blique se déclarait en faveur de la grande union allemande, on 
pouvait prévoir que le Gouvernement ne lui résisterait pas, sur- 
tout s'il était, comme devait l'être la Hesse, affaibli par une perte 
territoriale. 

Toutes ces considérations faisaient ressortir les difficultés que 
devait rencontrer la formation d'une Confédération du Sud. 

Elles s'augmentaient encore par suite des mouvements que se 
donnait M. de Beust pour entraîner les petits États du Sud, et 



L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 



3S9 



même la Bavière dans la Confédération du Nord. Du jour où, 
malgré ses efforts, il avait vu la Saxe incorporée, bon gré mal grô^ 
daus la dite Confédération, il s'était préoccupé de l'idée d'y faire 
■sntrer les autres avec elle, afin que la Saxe n'y fût pas seule 
■ ^e son espèce. Sa pensée était de s'assurer ainsi le concours 
d'autres États dans le futur Parlement allemand, et de grouper 
autant que possible les intérêts communs des anciens alliés pour 
ea faire la base d'une opposition politique dans la future organi- 
sation de la Confédération. M. von der Pfordten repoussait cette 
combinaison qui, à ses yeux, manquait de sens pratique. 

En effet, il était facile de constater à première vue, que même 
dans ce cas, les coalisés ne représenteraient pas la majorité dans 
janouvelle Confédération prussienne,et qu'ils y seraient constam- 
mentà l'état de minorité opprimée, comme par exemple l'avaient 
étélesÉtats du Sud dans la Confédération américaine. Cependant 
si le Gouvernement bavarois était, en ce qui le concernait, bien ' 
résolu à fermer l'oreille aux suggestions du ministre saxon, 
même s'il les faisait appuyer par le Cabinet devienne, on ne pou- 
vaitpas en dire autant des autres Etats, et il était à craindre qu'à 
Stuttgardt et à Darmstadt elles fussent mieux accueillies. 

M. von der Pfordten traitait de chimères les illusions à l'aide 
desquelles M. de Beust défendait son programme. Cette opposition 
dont il cherchait à grouper les éléments ne parviendrait jamais, 
disait-il, à acquérir dans la nouvelle Allemagne une importance 
véritable. Un an de durée suffisait pour amalgamer tous ces Etats 
par la fusion des intérêts matériels et l'assimilation complète 
desforces militaires dont la Prusse s'appliquerait à effacer les dif- 
férences sous son commandement supérieur. M. von der Pfordten 
•croyait qu'à la fm de cette période on chercherait en vain à faire 
ievivre dans l'armée fédérale les souvenirs de l'ancienne patrie 
ou les tristesses du passé. L'Allemagne prussienne lui paraissait 
destinée fatalement à devenir, pour un temps, un véritable État 
homogène d'une puissance immense et redoutable. 

Un seul danger la menaçait, selon lui, et la menaçait sérieu- 
sement. C'était l'expansion des idées révolutionnaires, qui, à 
l'aide des circonstances, devaient tôt ou tard se développer dans 
de'grandes proportions et venir se heurter de front contre le 
Gouvernement prussien. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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De là, disait le ministre bavarois, pourraient naître des luttes 
intestines dont il était difficile alors de prédire le résultat ; 
mais parmi les éventualités de l'avenir, il fallait prévoir désor- 
mais, de la part de la Prusse, une politique agressive et une 
guerre étrangère qui pouvaient devenir une nécessité ou un 
moyen de salut pour le Gouvernement prussien lorsque celui-ci, 
menacé à l'intérieur par des passions qu'il ne pourrait plus con- 
tenir, se verrait obligé de détourner à tout prix l'ardeur des 
populations vers un autre but pour échapper à sa ruine. 

Dans ce cas, l'Autriche et la Bavière pourraient être pour la 
Prusse ce que l'Italie avait été pour l'Autriche dans la dernière 
campagne, et si elles ne suffisaient plus à elles seules pour vain- 
cre l'Allemagne du Nord, elles pouvaient du moins, en paralysant 
une partie de ses forces, devenir d'utiles alliées pour toute autre 
Puissance belligérante. — 

Nous venons de reproduire, sinon avec les mêmes mots, du 
moins avec une grande exactitude d'expression le remarquable 
discours que tenait M. von der Pfordten le 30 juillet 1866, avant 
de retourner à Munich. On croirait, à certains passages, lire le 
texte d'une prophétie, tellement les faits postérieurs ont justi- 
fié ses prévisions. Ce document, car la source où nous l'avons 
puisé nous permet de lui donner ce nom, suffirait à lui seul 
pour illustrer la carrière d'un homme d'Etat. En se plaçant au 
point de vue que les circonstances du moment créaient au Mi- 
nistre bavarois, tout est juste, tout est sage et profondément 
pensé dans ces réflexions sur le présent ou sur l'avenir. Peut- 
être s'exagérait-il un peu la rapidité de l'action révolutionnaire, 
et par contre ne faisait-il pas une part assez considérable aw 
embarras financiers, conséquence forcée d'un énorme budget 
de guerre ; mais on ne peut pas demander à un homme d'Etat, 
quels que soient son expérience et son talent, de lire dans l'a- 
venir comme nous lisons dans le passé. D'ailleurs s'il s'est 
trompé, il ne s'est trompé que de date, et si l'action dissolvante 
de l'idée révolutionnaire n'a pas encore produit les effets qu'il 
en redoutait, elle grandit assez vite pour justifier les craintes 
qu'elle lui inspirait il y a douze ans. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



361 



Nous avons dit plus haut qu'il existait une seconde version 
relative au séjour de M. von der Pfordfen à Nikolsbourg; nous 
allons la donner sous toute réserve, et en indiquant son or'io-iue 
C'est un récit fait en 1 868 par M.de Bismarck lui-même à un^per- 
sonnage très-haut placé qu'il est inutile de nommer. Le lecteury 
retrouvera la même préoccupation de mise en scène que dans le 
discours du 2 mai '1871 que nous avons cité plus haut.Cette res- 
semblance suffirait à elle seule pour rendre le tableau suspect. 

Quoi qu'il en soit, nos informations sur cet entretien sont 
d'une telle précision qu'elles ont par cela même un véritable 
intérêt. Voici le récit du Ministre prussien : 

-M. von der Pfordten était déjà depuis vingt-quatre heures à 
Nikolsbourg, et ni le Roi, ni le Président du Conseil n'avaient 
voulu le recevoir.— Que venait-il faire au quartier général prus- 
sien? Il ne s'agissait plus ni de discuter ni de négocier, par 
conséquent sa présence était inutile. On ne l'avait pas fait ap- 
peler, il était venu sans autorisation préalable, et de fait il était 
prisonnier de guerre. — Telles étaient les réponses que l'on avait 
opposées à ses demandes réitérées jusqu'à la soirée du 26. — 
Mors il se produisit un incident qui changea du tout au tout hi 
situation. M. Benedetti venait do présenter au Gouvernement 
prussien une demande de rectification de frontières comportant 
pour la Prusse des sacrifices qu'elle était décidée à refuser. 
M. de Bismarck comprit le parti qu'il pouvait tirer de cette cir- 
constance. Il lit appeler M. von der Pfordten. 

Celui-ci arriva aussitôt. Il était pâle, défait, presque chance- 
lant sur ses jambes, et convaincu que des lèvres du Président 
du Conseil allait tomber, avec les dures conditions du vainqueur, 
FaiTÔtquidevait mutiler la Bavière, finis Bavarix ! — Quelle ne fut 
pas sa stupéfaction, quand au lieu de l'accueil hostile auquel il 
s'était préparé, il vit le Président du Conseil courir à sa rencon- 
tre et lui ouvrir les bras. — Il n'y a qu'un instant, lui dit-il, vous 
étiez encore un ennemi et un ennemi vaincu, maintenant vous 
êtes un ami, un' allié, un frère. — La France nous demande 
Mayence et le Rhin (1). Nous sommes Allemands tous les deux, 

(1) Cela n'était pas exact à Nikolsbourg, le 20 juillet. II ne fut ques- 
tion de Mayence et du Rhin que le 6 août, à Berlin. 

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et tous les deux également blessés par cette prétention. Venez 
avec nous, que l'armée bavaroise s'unisse à l'armée prussienne 
contre l'étranger (1) notre ennemi commun, et nous nous ar- 
rangerons ensemble. —A peine ces paroles furent-elles pronon- 
cées que M. von der Pfordten se jeta, les larmes aux yeux, dans 
les bras de M. de Bismarck, et dans cet embrassement^ solen- 
nel se scella l'alliance militaire de la Prusse et de la Bavière. - 

Telle est la version qui se donnait à Berlin en 1868; nous 
croyons pouvoir l'affirmer avec certitude, et c'est pour cela que 
nous la reproduisons. 

Nous y relevons des erreurs qui nous obligent à la considérer 
comme un récit fantaisiste inventé dans le but d'expliquer les 
traités militaires secrets qui accompagnèrent le traité de Prague, 
et en faussèrent l'esprit au bénéfice de la Prusse. Il est constant, 
en effet, que la France n'ayantpas formulé la demande de Majence, 
pendant le séjour de M. de Bismarck à Nikolsbourg, celui-ci ne 
pouvait en faire le principal sujet de son attendrissement pa- 
triotique avec le Ministre bavarois. Mais indépendamment de 
cette preuve, en quelque sorte matérielle, des écarts d'imagi- 
nation sur lesquels s'appuie ce récit, nous considérons comme 
une preuve morale d'égale valeur le langage tenu à Vienne le 
30 juillet par M. von der Pfordten, tel que nous l'avons rapporte 
avec une exactitude scrupuleuse sur laquelle il ne peut exister 
aucun doute. Nous n'admettons pas en effet que de son propre 
mouvement, et sans y être provoqué, le Ministre bavarois ait 
pu, en sortant de cet embrassement fraternel, développei' pen- 
dant plus d'une heure un programme politique aussi diamétra- 
lement contraire aux engagements que, d'après le récit deM.de 
Bismarck, il venait de contracter. 

Il est d'ailleurs nécessaire de remarquer ici les dates qui ont 
une grande importance au point de vue des incidents dont nous 
rappelons le souvenir. Ce qui n'était certainement pas vrai le 
28 juillet a pu le devenir un mois plus tard,, quand le traite 
de paix définitif entre la Prusse et l'Autriche fut conclu à Berlm 

(-1) L'Italie n'était-elle donc pas aussi l'étranger ? et cet élan de palrm- 
tisme allemand contre l'ingérerce étrangère n'était-il pas un peu l.»- 
dif? 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



363 



le 22 août suivant. Alors, eu cfl'et, il avait été question un iuslanl 
d'une demande de rectification de frontière, impliquant la ces- 
sion de Mayence, et bien que cette demande eût été abandonnée 
parla France dès le 1 8 août, il est fort possible qu'à Berlin, on 
se soit servi de cet argument pour agir sur le Gouvernemenl 
bavarois, et le rendre moins rebelle à la convention militaire 
secrète qui suivit le Traité de paix. 

Quoi qu'il en soit, et même en admettant que sous l'empire 
des nécessités du moment, le Gouvernement bavarois ait été 
obligé d'adoucir certaines résistances dont le programme du 30 
juillet contenait la ferme expression, on en retrouve la trace of- 
iicielle dans le discours que M. von der Pfordten prononça cinq 
joursaprès la signature du Traité de paix, le 27 août, à la Chambre 
des députésde Bavière, et qu'il tei-minait ainsi : — « Pleinement 
ittiéfendante et ottfonome, vis-à-vis du dehors ; libre et forte à l'in- 
térieur par le souvenir d'une histoire millénaire, par son fidèle 
attachement au Roi et à la patrie, et par les bienfaits d'une 
constitution respectée, la Bavière suffira tout lïabord à elle- 
même et à son propre déoelopfement; mais elle n'oubliera jamais 
i|u'elle veut rester pays et peuple Allemand, et que sa force 
apparlient nou-sculement à elle-même, mais à toute la commu- 
naulé germanique. » 






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XVII 



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Conventior.s d'armistice avec le Wurtemberg, Bado et liesse Daniistadl. 

Difficultés soulevées par rilalic. — Armistice entre l'Autriche et l'ilalie. 

— Le Roi de Hanovre et le Duc de Nassau à Vienne. — TraUcs do paix 
définilifs de la Prusse avec le Wurtemberg, Bade et la Bavière. — Traité 
de Cession de laVénélie à la France par l'Autriche. — Traité de paix de 
la Prusse avec l'Autriche et avec la Saxe. 



L'article 3 de la Convention d'armistice signée à Nikolsbotirg 
le 28 juillet 1866 entre la Prusse et la Bavière spécifiait que le 
Roi de Prusse avait autorisé son commandant de l'armée du 
Mein à accorder aussi aux troupes des Gouvernements de Wur- 
temberg, de Bade 'et du Grand-Duché de Hesse, un armistice 
sur la base de Vuli possidetis, commençSnt le môme jour et de la 
môme durée, c'est-à-dire de quatre semaines à partir du 2 août. 

Les négociations de paix devaient s'ouvrir ensuite à Berlin 
entre la Prusse et les quatre Etats Allemands. 

Le 1=^ août une convention d'armistice fut conclue à Eisingen 
près de Wurtzbourg avec le Wurtemberg. Les signataires furent; 
pour la Prusse, le Baron deManteulîel, commandant en chef 1 ar- 
mée du Mein; pour le Wurtemberg, le Baron de Neurath, prési- 
dent du conseil privé; le Général Hardcgg, Ministre de la guerre; 
et le Baron de Warnbuler, Ministre des Affaires Etrangères. 

Il se produisit alors un incident qui fut le premier indice 
de la résolution prise par le Roi de Prusse de déposséder de 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



36b 



ses Etats le Duc de Nassau. Les plénipotentiaires Wurtem- 
bergeois avaient insisté pour que l'armistice s'étendît également 
aux troupes de Nassau, qui réunies à l'armée wurtembergeoise, 
ne faisaient qu'un même corps ; mais le Général de Manteufïel 
refusa d'y souscrire, sous prétexte qu'il n'avait pas d'instruc- 
tions à cet égard. Il en avait au contraire, et de bien formelles, 
car le Duché de Nassau était, comme la Hesse-Electoralc, voué à 
l'annexion prussienne. Il en était de même de toute la partie de 
la Hesse Grand'Ducale située au nord du Mein. Mais nous ver- 
rons plus tard pour quelle raison cette province ne fut qu'en- 
globée dans la Confédération du Nord. 

Des conventions à peu près semblables ayant été conclues 
avec Bade et Hesse-Darmstadt, les hostilités furent suspendues 
dans toute l'Allemagne. 

Les Saxons, au nombre d'environ 24 à 25,000, étaient can- 
tonnés en Autriche dans les environs de Vienne, faisant l'admi- 
ration de la population par leur discipline et la régularité de 
leur conduite. Dispersés dans les bourgades, logés en grande 
partie chez les habitants, ils n'avaient pas tardé à en devenir les 
amis et s'étaient attiré la sympathie générale par leur caractère 
doux et prévenant. Il était d'ailleurs difficile de voir une troupe 
mieux tenue, mieux équipée, mieux exercée et mieux commandée. 
Le peuple do Vienne les saluait de ses bravos comme il l'eût 
fait pour ses propres régiments. Car aux premières nouvelles de 
l'armistice la capitale de l'Autriche avait repris le cours habituel 
de sa vie facile et insouciante, et, le soir dans les jardins du 
Yolks-Garten, la musique des Saxons remplaçait celle des ré- 
giments décimés àKônigsgrâtz ou échelonnés le long du Danube. 

Donc en Allemagne tout était' à la paix. 

Que se passait-il en Itahe, et qu'avait fait le Gouvernement 
Italien depuis le 22 juillet, jour où tous les plénipotentiaires 
s'étaient réunis à Nikolsbourg, après être convenus d'une trêve 
provisoire qui s'étendait jusqu'au 2 août? 

Les Plénipotentiaires Italiens, c'est-cà-dire le Comte de Barrai 
et le Général Govone, s'étaient absolument refusés à prendre 
part aux négociations de l'armistice Austro-Prussien, et M. de 
Bismarck, après avoir reçu la promesse de la rétrocession de 



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300 



I/ALLKMAGN'E NOUVELLK. 



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la Vénétie au Roi Victor-Emmanuel, s'était décidé à passer 
outre. — Du moment, disait-il, où la Vénétie est acquise à l'Ita- 
lie, la Prusse se trouve dégagée vis-à-vis de son alliée et ne lui 
reconnaît pas le droit de venir entraver la conclusion de la 
paix. — Ne pouvant donc avoir le concours de l'Italie, le Cabi- 
net de Berlin avait pris le parti de s'en passer ; les préliminaires 
de paix avaient été signés, l'ère pacifique s'était ouverte, et 
l'Italie risquait de se trouver seule en face de l'Autriche, situa- 
tion que cette dernière puissance envisageait d'ailleurs sans 
aucune inquiétude. 

Le 30 juillet, on reçut à Vienne, dans la soirée, un télégramme, 
annonçant qu'au dernier moment, lorsque tous les plénipoten- 
tiaires présents à Nikolsbourg se disposaient à partir, et en 
l'absence des représentants de l'Autriche qui s'étaient déjà re- 
tirés, le comte de Barrai avait annoncé l'adhésion de son Gou- 
vernement à l'armistice prussien de quatre semaines. 

Dans la nuit une autre dépêche, complétant la première, lit 
savoir que cette adhésion avait été faite sous forme condition- 
nelle et que l'Italie subordonnait la question de l'armistice à 
l'acceptation préalable par l'Autriche des propositions suivantes; 

< " — Maintien des positions militaires acquises sur la base de 
Vuti possidetis ; 

2° — Cession de la Vénétie à l'Italie sans conditions ; 

3° — Vote plébiscitaire dans la Vénétie au moment de sa ré- 
trocession ; 

i" — La réserve de faire valoir dans les négociations de la 
paix les prétentions de l'Italie au Tyrol méridional. 

Ces conditions produites au dernier moment ne pouvaient 
plus se discuter en temps utile-, car la suspension d'armes ex- 
pirait le 2 août, et le temps manquait matériellement pour réu- 
nir les plénipotentiaires Autrichiens et Italiens. Ces derniers 
-avaient de leur côté rendu la réunion impossible en quittant 
Nikolsbourg le 30 pour retourner à Berlin. Il y avait d'ailleurs 
quelques-unes de ces propositions que l'Autriche était absolu- 
ment décidée à repousser, quelles que pussent être les consé- 
quences de son refus. 

Aussi la première impression du Cabinet de Vienne fut-elle 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



367 



que l'ensemble de ces circonstances n'était pas le résultat d'un 
cas fortuit, mais que le Gouvernement italien avait agi, d'accord 
avec M. de Bismarck, pour laisser la question de l'armistice 
entre l'Autriche et l'Italie, vague et indécise, afin d'y trouver 
un point d'appui et un moyen de pression dans les négocia- 
tions de paix qui allaient s'ouvrir à Prague. 

Nous ne partageons pas cette opinion, et nous croyons 
plutôt que le Gouvernement italien en prescrivant à ses pléni- 
potentiaires de quitter dès le 30 juillet le quartier général de 
Nikolsbourg, avait voulu, au contraire, les éloigner d'un centre 
où il ne se sentait plus soutenu comme il l'avait espéré. 11 n'i- 
gnorait pas en effet que le comte Karolyi avait été envoyé à 
Nikolsbourg pour demander à M. de Bismarck si la Prusse 
comptait appuyer les prétentions italiennes sur le Tyrol méri- 
dional et que ce dernier avait déclaré que le Roi ne les appuie- 
rait pas. Nous verrons parce qui suit que l'Italie se. tourna alors 
vers la France et qu'elle y trouva encore dans une certaine me- 
sure un secours extraordinaire. 

Pour bien apprécier l'importance de cette clause de Yuiipossi- 
dttis que le Gouvernement italien voulait introduire dans les 
conditions de l'armistice, il faut rappeler qu'après avoir cédé la 
Vénétie à la France, l'Autriche, jugeant inutile de défendre un 
territoire qui devait bientôt cesser de lui appartenir, s'était con- 
tentée de laisser des garnisons dans les places fortes et avait 
rapidement porté sur les rives du Danube tout le reste de son 
armée. Les Italiens, de leur côté, s'étaient avancés à mesure que 
les Autrichiens se retiraient, occupant les villages quand ils les 
savaient évacués, et s'y installant après les avoir pavoises de 
drapeaux aux trois couleurs. C'était plutôt une promenade mili- 
taire qu'une campagne ; car, à l'exception de deux ou trois 
rencontres avec l'arrière-garde autrichienne, qui les avait bat- 
tus, ils se tenaient à distance de l'ennemi. Cependant , comme 
rien ne s'opposait à leur marche, ils avaient passé la frontière 
du Tyrol depuis le 13 juillet, et se trouvaient, à la fin du mois, 
avancés de quelques milles à l'intérieur. Il y avait en réalité une 
possession militaire d'une certaine partie du Tyrol autrichien 
par les troupes, volontaires et autres, commandées par Gari- 



368 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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baldi, Nicotcra et quelques autres chefs. Or, de cette posses- 
sion, le Cabinet de Florence avait rêvé de se faire un droit 
pour demander à la paix l'annexion du Tyroi à l'Italie. 

Bien que le Gouvernement autrichien eût appris l'adhésion 
conditionnelle de l'Italie à l'armistice prussien , cette communica- 
tion ne lui ayant pas été faite directement, il n'en voulut tenir 
aucun compte, d'autant plus qu'il n'était aucunement disposé à 
consentir aux demandes itaUennes. M. le comte de Mensdorff fit 
donc savoir aux généraux italiens que l'Autriche, considérant la 
trôve d'armes comme expirée le 2 août à quatre heures du matin, 
les troupes autrichiennes avaient reçu l'ordre d'agir en consé- 
quence. En même temps on prenait des mesures pour ramener 
vers le sud des régiments qu'on en avait fait revenir quelques 
jours avant. 

Mais le Cabinet de Florence ne se souciait guère de se trouver 
seul en face de l'Autriche, et, le 1er août, on apprit à Vienne 
qu'il avait fait proposer par le général La Marmora au général 
autrichien commandant la place de Legnano, une prolongation de 
huit jours pour la suspension d'hostilités, annonçant que, pen- 
dant ce temps, le Gouvernement ferait des propositions relatives 
à l'armistice. L'Empereur François-Joseph ayant adhéré, la trêve 
fut ainsi prorogée au 1 août. 

Alors commença entre les deux Gouvernements une discussion 
sommaire des conditions de l'armistice. Tout d'abord l'Autriche 
déclara refuser la clause de Vuti possidetis et exiger préalable- 
ment à toute signature l'évacuation complète du Tyrol ; sur le 
second point, savoir la cession de la Vénétie sans condition, le 
Cabinet de Vienne répondait que la Vénétie avait été cédée à la 
France et qu'elle lui serait remise sans autre condition que le 
rachat du matériel de guerre laissé dans les forteresses et une 
répartition équitable de la dette publique ; le troisième point, 
c'est-à-dire le vote plébiscitaire, ne soulevait de sa part aucune 
objection ; une fois la Vénétie cédée à la France, peu lui impor- 
tait qu'on y fit des plébiscites ou qu'on n'en fit pas ; sur le 
quatrième point, il y avait un désaccord absolu, et le Cabinet 
de Vienne protestait contre toute rectification de frontière en 
dehors de la Vénétie. 



L'ALLI-MAG^iK ^OUVELLE. 



C69 



Dans le même temps se poursuivaient à Vienne les négocia- 
tions relatives à la cession de la Vénétie à la France, et comme 
cette province ne pouvait être rétrocédée à l'Italie que dans les 
conditions de sa première cession, ce traité austro-français tou- 
chait directement les intérêts italiens. Il était donc naturel que le 
Cabinet de Florence fût tenu exactement au courant de toutes les 
péripéties d'une négociation dont il était seul à bénéficier. 11 s'était 
ainsi établi entre Paris et Florence une communauté d'idées et 
une intimité de rapports qui permirent aux amis de l'Italie d'in- 
sister avec succès auprès de l'Empereur pour qu'il recommandât 
à Vienne l'acceptation de ViUi poasiietis militaire, réservant les 
autres questions pour la négociation de la paix définitive. 

Mais l'Autriche, malgré les instances de la France, ne voulut 
jamais y consentir. 
^» L'Empereur François-Joseph se refusait à admettre que l'Italie, 
^■dont les armes ne comptaient pas encore un succès, fût plus 
^■exigeante dans ses conditions d'armistice que ne l'avait été la 
I^B Prusse après ses victoires. Les préliminaires de paix dont l'Em- 
!■ pereur des Français avait pris l'initiative, qu'il avait approuvés 
■^ et recommandés aux belligérants, consacraient l'intégrité du 
territoire autrichien, sauf la Vénétie ; l'Empereur François-Jo- 
seph ayant cédé la Vénétie, avait le droit comme le devoir de 
défendre le reste de son Empire. Les Italiens n'avaient aucune, 
raison militaire pour continuer l'occupation du Tyrol méridio- 
nal ; n'ayant pas d'indemnité à réclamer ni à attendre, ils 
n'avaient aucun gage à retenir, le but final de la guerre étant 
atteint parla cession du royaume lombard-vénitien. La condition 
de Xiili possidelis militaire était donc en réalité inspirée par le 
désir de révolutionner le pays, et d'y faire naître par l'intimida- 

Ition de leurs armées un mouvement factice sur lequel ils s'ap- 
puieraient plus tard pour revendiquer une partie de la province. 
Or, si quelques villes renfermaient des éléments hostiles à 
l'Autriche, toute la population des campagnes lui était, au con- 
traire, dévouée et sympathique, et si ouvertement, que c'était 
chose facile à constater ; mais que pourrait faire une population 
désarmée et intimidée en présence de l'armée italienne ? Rien 
n'était plus facile que d'organiser un vote forcé ou une manifes- 

21. 



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370 



L'ALt.EMAGNi NOUVELLE. 



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tation quelconque dans de semblables conditions, et une fois 
le fait accompli, on l'opposerait aux conseils de la France, en 
déclarant que les principes de son Gouvernement l'obligeaient à 
tenir compte du vœu des populations. 

La l'evendication du Tyrol, ou d'une partie quelconque du 
ïyrol, ne pouvait pas d'ailleurs être réservée pour la discussion 
de la paix," les préliminaires français ayant posé catégorique- 
ment la limite des sacrifices de l'Autriche. Dans le cas où l'Ita- 
lie persisterait à ne pas se contenter de la Vénétie, le Cabinet 
de Vienne était décidé à continuer la guerre. 

Tel était le langage du comte de Mensdorff le 8 août. On était 
fort loin de s'entendre entre Vienne et Florence, et, d'un autre 
côté, la Prusse paraissait se désintéresser de la question. Livrée 
à elle-même, l'Italie voyait s'évanouir graduellement les chances 
de satisfaire ce qu'on appelait le complément de ses aspirations 
nationales. Le parti italien fit alors à Paris un nouvel effort, et 
l'Empereur intervint personnellement dans le débat. 

L'Autriche fut informée que l'Empereur Napoléon, s'appro- 
priant la proposition de Yuti possidetis, la recommandait à l'ac- 
ceptation de l'Empereur François-Joseph comme base de 
l'armistice, sous la réserve expresse que cette condition ne pré- 
jugeât en rien le règlement des questions territoriales au mo- 
ment où on discuterait les clauses définitives de la paix. Le 
Gouvernement français citait à l'appui de sa proposition l'exem- 
ple de la Prusse, qui occupait encore des territoires autrichiens 
qu'elle devait rendre quand la paix serait conclue, et celui de 
l'Autriche elle-même, qui détenait en Vénétie les places fortes 
qu'elle devait remettre plus tard. Enfin, il faisait valoir comme 
dernier argument les conséquences du refus de l'armistice pour 
le Cabinet de Vienne, la reprise des hostihtés en Italie pouvant 
rallumer la guerre en Allemagne, auquel cas l'Autriche ne de- 
vait plus compter que sur elle seute. 

Mais nous avons déjà donné les raisons que l'Autriche opposait 
aux exigences de l'Italie. Elles étaient de telle nature qu'on ne 
pouvait espérer que le Cabinet de Vienne y renoncerait, même 
en les voyant combattues par le Gouvernement français. Et puis 
on ne se faisait pas à Paris une juste idée de la situation. La 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



371 



guerre ne pouvait plus se rallumer en Allemagne ; la Prusse ne 
la désirait pas, et même, jusqu'à un certain point, ne pouvait 
plus la faire. L'Italie était seule, et on ne la craignait plus. Aussi 
la réponse de l'Autriche fut-elle courtoise, mais négative. Pour 
bien préciser la situation, nous allons en reproduire la substance. 



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— Le Cabinet de Vienne se rendait parfaitement compte des 
conséquences que pouvait entraîner son refus d'accéder aux 
conditions italiennes ; il ne les craignait pas, disait-il ; mais le 
déplaisir qu'il éprouvait de ne pouvoir adhérer à une proposition 
recommandée par l'Empereur le préoccupait beaucoup davantage. 
S'il eût été informé plus tôt que Sa Majesté avait l'intention de 
proposer Yuti possidetis comme base d'armistice, il n'eût pas 
manqué de faire ressortir aux yeux de l'Empereur les raisons 
qui rendaient cette condition inacceptable par l'Autriche ; mais 
jusqu'alors on ne la lui avait jamais indiquée que comme posée 
par l'Italie conjointement avec la cession du Trentin, comme 
préliminaire de paix. Si donc, à son très-grand regret, le Cabi- 
net de Vienne se voyait dans la nécessité de ne pas accepter l'ait 
possidetis, il en rejetait toute la responsabilité sur le Gouverne- 
ment italien, qui le premier, avait opposé son refus aux propo- 
sitions de Sa Majesté, quand l'Empereur, dans ses préliminaires 
de paix, avait établi en principe l'intégrité du territoire autri- 
chien, sauf la Vénétie. 

L'Autriche avait cédé la Vénétie ; si l'Italie de son côté voulait 
s'en contenter, adhérer aux préliminaires de l'Empereur, et 
déclarer qu'elle renonçait à tout territoire autrichien autre que la 
Vénétie, l'armistice serait aussitôt signé sans difficulté. 

Le Cabinet de Vienne ne considérait pas Vaii possidetis comme 
la condition habituelle d'un armistice, et dans la guerre qui venait 
de se faire, il n'avait jamais été considéré ainsi, mais seulement 
comme une condition suffisante pour une suspension d'armes de 
courte durée. Pour un armistice on avait toujours choisi d'autres 
bases, et la Prusse victorieuse n'avait pas hésité à faire reculer 
ses armées bien en deçà de la ligne de démarcation tracée pen- 
dant la suspension des hostilités sur la base de ViUi possidetis. 
On ne pouvait d'ailleurs, de l'occupation de la Bohème et de la 



372 



L'ALLEMAGNE KOUVELLK. 



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Moravie par la Prusse jusqu'à la paix, tirer un argument en faveur 
de l'occupation d'une partie du Trentin par l'Italie pendant l'ar- 
mistice. La Prusse ne comptait pas revendiquer à la paix les ter- 
ritoires qu'elle occupait en Autriche ; au contraire le Roi s'était 
formellement engagé à les évacuer et il avait reconnu l'intégrité 
du territoire autrichien, sauf la Yénétie, comme une des clauses 
de la paix. La Prusse ne comptait pas fair^ de la possession de 
ces territoires l'objet de négociations ultérieures ; elle n'en réser- 
vait pas la discussion. De même aussi l'Autriche, en cédant la 
Vénétie, n'avait pas formulé des réserves sur la possession des 
forteresses qu'elle y occupait encore, et à la paix elle les remet- 
trait ainsi qu'elle s'y était engagée. 

L'Italie au contraire avait déclaré vouloir garder le Trentin et 
SI elle réservait la discussion des frontières pour les négoriations 
de paix, c'était, d'après son propre aveu, pour revendiquer la 
possession de ce territoire. Il n'y avait donc aucune similitude 
entre les conditions de la Prusse et de l'Autriche pendant l'ar- 
mistice et celles que l'Italie prétendait obtenir. 

Le Cabinet de Vienne espérait que l'Italie revenant à une ap- 
préciation plus équitable des situations respectives et des droits 
que les événements de guerre qui s'étaient passés sous ses yeux 
avaient pu lui donner jusqu'à ce jour, comprendrait qu'il estutt 
degré de spoliation auquel un Empire ne se soumet qu'à la der- 
nière extrémité. 

Du moment où la Vénétie était acquise à l'Italie, le traité 
d alliance qm obligeait la Prusse était exécuté. D'après les assu- 
rances données par le comte de Bismarck au comte Karolyi, 
et répétées encore tout récemment au conseiller Hoffmann et 
a d autres personnages, la Prusse ne soutiendrait pas la nou- 
velle prétention du Cabinet de Florence ; aussi le Cabinet de 
Vienne se croyait-il en droit de penser que la guerre ne serait 
pas ralluméee en Allemagne par les exigences italiennes. - 

Ainsi s'exprimait le comte de Mensdorff le 8 août, et joignant 
les actes aux paroles, il faisait repartir pour le Sud des convois 
de troupes qui allaient grossir l'armée dont l'Archiduc Albert 
avait toujours le commandement. 



L'ALLEMAGNK NOUVELLI!. 



373 



II 



Le Sud-Bahn consacrait tous ses trains aux transports de 
guerre, de sorte que les Italiens voyaient s'organiser de nouveau 
en face d'eux ces forces autrichiennes dont ils avaient cru être à 
jamais délivrés. La Prusse les avait complètement abandonnés ; 
la France ne pouvait plus rien en leur faveur ; le général de La 
Marmora ayant fait demander le 7 août une prolongation de la 
suspension d'armes qui devait finir le 10, l'Archiduc Albert avait 
seulement consenti à une prolongation de vingt-quatre heures. 

« C'est assez, disait-il, si l'Italie consent à se retirer du Tren- 
tin, et dans le cas contraire, un plus long délai n'a d'autre but 
que de permettre à l'ennemi de concentrer ses forces. Si dans 
viagt-quati-e heures le Tyrol autrichien n'est pas évacué, nous 
attaquerons et repousserons les Italiens. » 

Une dernière démarche se fit encore à Vienne par le Gouver- 
nement français, dans la journée du 9 août; le comte de Mens- 
dorff y répondit par le télégramme suivant : — « On a donné 
l'ordre de conclure l'armistice aussitôt que les troupes italiennes 
auraient évacué le Tyrol. i> — 

II ne restait plus à l'Italie que deux alternatives : ou combattre, 
ou céder. Elle céda, et dès le lendemain le Cabinet de Florence 
annonça que l'ordre d'évacuer le Tyrol était en pleine exécution. 
Aussitôt partirent de Vienne des instructions autorisant l'Archi- 
duc Albert, dont le quartier général était à Goritz, à signer l'ar- 
mistice dès qu'il se serait assuré de la position des troupes ita- 
liennes et des volontaires italiens. 

En même temps l'Empereur Napoléon adressait une lettre au 
Roi Victor-Emmanuel pour lui exprimer la satisfaction que lui 
avait causée son adhésion à l'armistice et lui rappeler que la 
Vénétie devait être rendue à l'Italie à la conclusion de la paix (1 ). 

Le 12 août, l'armistice fut conclu et signé àCormono ouCor- 
mons, petite ville située au pied des montagnes, à environ dix 
kilomètres à l'ouest de Goritz, par les généraux Petiti et Môring. 
Sa durée était de quatre semaines, et il devait être dénoncé 
dix jours à l'avance, sans quoi il se prolongerait de plein droit. 
La ligne de démarcation suivait les frontières de la Vénétie 

(I) Voir aux annexes, n» 3, 



374 



L'ALLEMAGNE KOtVELLE. 



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depuis la mer jusqu'à Palmanova, puis la Torre jusqu'à Tar- 
cento, le Tagliamento jusqu'à Tolmezzo, et la crête des monta- 
gnes jusqu'à Monte Cagliano. Pour Palmanova et les ouvrages 
extérieurs de Venise, on avait établi un rayon de un mille alle- 
mand, soit environ sept kilomètres et demi. C'est ainsi que le 
journal officiel en rendait compte le lendemain 13 août, à Vienne. 
Le 17 août, l'Archiduc Albert adressa à toute l'armée autri- 
chienne un ordre du jour que nous reproduisons en entier. C'est 
l'accent de la vérité, sans emphase et sans exagération, l'aveu sin- 
cère des revers, la simple mention des victoires. Pour les âmes 
vulgaires, les malheurs de la patrie sont une source intarissable 
de colères et de récriminations aussi bruyantes que stériles; il 
est bon de voir comment l'àme élevée d'un soldat patriote sait au 
contraire faire face à la mauvaise fortune, au nom du devoir, de 
l'honneur et de la fidélité. 



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« Quartier général de Vienne, 17 août 1866. 

» Soldats, la conclusion de l'armistice au nord et au snd a 
probablement mis un terme aux opérations militaires. 

' Dans la première période de cette guerre, vous avez en l'oc- 
casion de donner des preuves de votre dévouement à toute 
épreuve et de votre courage héroïque dans les grandes batailles 
comme dans les petits combats. 

» Sur le théâtre de la guerre au sud, le succès de nos armes 
sur terre et sur mer contre un ennemi vaillant et supérieur en 
nombre a suffisamment parlé. 

» Au nord aussi où le sort des armes ne nous a pas été favora- 
ble, le monde entier s'accorde à reconnaître le courage que vous 
avez opposé à la supériorité du nombre de nos ennemis, à une 
arme à feu plus perfectionnée et aux circonstances défavorables 
qui mettent la persévérance du soldat aux plus dures épreuves. 

M Volant au secours de la capitale menacée au nord et au sud, 
l'armée rassemblée sur les bords du Danube a, par ses positions 
imposantes, arrêté l'ennemi dans sa marche. 

» Lorsque l'Italie, profitant du départ de l'armée du sud, inonda 
de troupes nouvellement rassemblées les parties ouvertes del» 
Vénétie, et conmicnçait déjà à franchir les frontières des pro- 
vinces allemandes, une armée venant du nord s'est de nouveau 
portée à sa rencontre avec une rapidité jusqu'ici sans exemplei 



I>'ALLEJ!AGNE NOUVKLL!{. 



et, se joignant à la vaillante troupe chargée de la défense du 
Tyrol, a forcé l'ennemi à battre en retraite sur tous les points et 
à demander un armistice. 

j L'armée autrichienne, attaquée de deux côtés par les armées 
de deux Etats puissants, et abandonnée de la fortune sur le 
théâtre décisif de la guerre, a fait ainsi tout ce qu'il était pos- 
sible d'attendre d'elle dans des circonstances pareilles. 

j La guerre a imposé de lourds sacrifices à l'Empire, mais le 
saag de tant de milliers de ses héros n'aura pas coulé en vain : 
elle a acquis à l'Autriche, à son armée, de glorieux souvenirs 
et de précieuses leçons, les sympathies reconnaissantes de la 
patrie, l'estime de ses adversaires, et le respect du monde entier. 

«Puisse l'armée, riche des expériences qu'elle a recueillies, 
regarder l'avenir avec une confiance inébranlable! 

sNous nous rendrons toujours avec joie à l'appel de notre au- 
guste Souverain, répétant la devise avec laquelle nous avons 
commencé et fini la guerre : 

■» Vive l'Autriche ! Vive l'Empereur! 

» Signé : l'Archiduc Albert, Maréchal. » 

La guerre était finie ; il ne restait plus qu'à en régulariser par 
des traités de paix les conquêtes et les sacrifices. 

Au milieu de tous ces pourparlers et des conventions militaires 
qui en avaient été les conséquences, trois princes étaient restés 
complètement en dehors des négociations, le Roi de Hanovre, 
fElecteur de Hesse et le Duc de Nassau. C'est qu'avec ces trois 
princes le Roi de Prusse ne voulait pas négocier, ayant résolu de 
les déposséder. L'Electeur de Hesse, traité avec une dureté in- 
justifiable, avait été, malgré son grand âge, interné comme pri- 
sonnier de guerre à Stetiin ; le Roi de Hanovre et le Duc de 
Nassau étaient à Vienne. 

Depuis la capitulation de Langensalza, le Roi n'avait plus eu 
aucun rapport avec le Gouvernement prussien, et ce silence pre- 
nait, au moment des armistices, une signification menaçante. 
Déjà circulaient dans la presse allemande des bruits alarmants 
sur le sort du Hanovre. On parlait d'enlever au Royaume cer- 
taines parties de son territoire pour les annexer à la Prusse ; 
on parlait aussi de l'annexion de tout le Royaume. 



37G 



I/ALLlîMAGNE NOUVELLE. 



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Bien que le fioi fût encore traité à Vienne comme Someraiii, 
allié de l'Autriche, il était peu informé de ce qui se passait; on 
le tenait pour ainsi dire à l'écart des négociations, tandis qu'au 
contraire rien ne se faisait sans la participation et le conseil du 
Roi de Saxe. Cette réserve du Cabinet de Vienne s'expliquait 
par un fait que l'on n'ayouait pas encore, mais que l'on devait 
bientôt connaître. 

Le Hanovre avait été sacrifié à la Prusse par tous ses an- 
ciens confédérés. Il ne serait pas juste de dire que ce sacrifice 
se fit sans résistance ; mais la Prusse ayant, dès le début des 
négociations, posé comme première conséquence de ses vic- 
toires le droit de faire à son avantage des modifications terri- 
toriales dans le nord de l'Allemagne, l'Autriche, en adhérant a 
cette condition forcée, s'était placée par cela même dans 1 im- 
possibilité d'intervenir contre ces spoliations. 

Se voyant ainsi isolé, le Roi de Hanovre avait pris le parti de 
traiter directement avec le Roi de Prusse, et lui avait adresse 
une lettre à Mkolsbourg, portée par un de ses aides de camp 
le 28 juillet. Dans cette lettre, le Roi expliquait comment il avait 
cru devoir rester fidèle juscju'au bout à ses engagements fédé- 
raux, et s'était ainsi vu obligé, bien à regret, de prendre part a 
une guerre que personne ne déplorait plus que lui. - La victoire 
de la Prusse avait terminé la guerre; il en acceptait les consé- 
quences, et demandait au vainqueur les conditions de la paix. - 

Le Roi de Prusse avait refusé de recevoir et de lire la lettre. 

C'était peut-être un fait sans précédent dans les rapports in- 
tergermaniques que ce refus blessant d'un Roi à un autre Hoi; 
aussi était-il impossible de se tromper sur le sens de cet outrage 
volontaire. Ce n'était pas seulement le résultat de l'iiifatuation 
produite par les faveurs de la fortune, c'était surtout un acte 
politique, car bien qu'on n'eiit pas ouvert à iNikolsbourg la 
lettre du Roi de Hanovre, M. de Bismarck en avait porté le con- 
tenu à la connaissance de son Souverain, ayant reçu simultané- 
ment par une lettre du ministre hanovrien, comte de Platen- 
Hallermund, toutes les informations nécessaires. 

Repoussé par le Roi Guillaume d'une manière qui fermait la 
porte à toute communication ultérieure, abandonné par l'Au- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



377 



triclic et par la Bavière, n'ayant rien à attendre de l'Angleterre 
dont le Gouvernement avait déclaré, dès le 27 juin, sa neutralité 
à l'égard des belligérants, et dont les ministres n'étaient aucu- 
nement disposés à s'en départir en faveur du Hanovre, le Roi 
Georges se décida le 2 août à faire faire une démarche auprès de 
l'Empereur Napoléon, qui par sa position de médiateur accepté, 
paraissait devoir posséder une certaine influence sur les résul- 
tats définitifs de la paix qui allait se conclure.' Nous ne repro- 
duirons pas ici tous les arguments, ou plutôt tous les faits sur 
lesquels Sa Majesté hanovrienne appuyait ses justes réclama- 
tions. On en trouvera le détail dans la note-circulaire adressée le 
Sjuillet aux Cours étrangères par le Gouvernement hanovrien. 
Elle est insérée en entier aux annexes (l ). 

Malheureusement au commencement d'août, les situations n'é- 
taient plus les mêmes qu'au commencenient de la guerre, et 
l'influence de la France avait, pour ainsi dire, disparu en Alle- 
magne. A Berlin, elle était entièrement effacée, effacée à ce point 
que non-seulement la Prusse ne tenait plus compte des recom- 
mandations françaises, mais au contraire elle paraissait avoir le 
parti pris de les braver presque ouvertement. A Vienne, le Gou- 
vernement commençait à trouver la médiation française par trop 
italienne, et lui retirait peu à peu sa confiance et ses préve- 
nances. Nous en verrons bientôt la preuve. Donc en appelant à 
son secours l'intervention française le 2 août 1866, le Roi de 
Hanovre comptait sur une force qui n'existait plus. L'arrêt avait 
été rendu à Nikolsbourg, il fut exécuté sans merci. Le Hanovre 
fut pris par la Prusse. 

Une semaine après, c'est-à-dire le 9 août, le Duc de Nassau fît 
une démarche analogue à celle du Roi de Hanovre. Comme ce 
dernier, il était demeuré en dehors de toutes les négociations. 
Le général qu'il avait envoyé auprès du général de Manteuffel 
pour faire appliquer aux troupes de Nassau le bénéfice de l'ar- 
mistice, avait reçu pour toute réponse que, faute d'instructions, 
U était impossible de négocier avec lui ; que les troupes de Nassau 
qui montaient à 5,000 hommes, n'avaient en conséquence qu'à 

(I) Voir aux annexes, n» 4. 



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3:8 



L'ALLKMAGNE KOUVELLE. 



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se tenir en deçà de la ligne de démarcation convenue avec les 
autres États, et qu'on n'irait pas les y attaquer. 

Le Duc craignait que le silence du Cabinet de Berlin, Joint à 
d'autres indices qu'il avait recueillis indirectement, ne tût la con- 
séquence d'un projet d'annexion, et bien qu'il comprît que 
l'Empereur Napoléon n'eût aucune raison particulière pour 
prendre sa cause en main, cependant il espérait qu'il lui accor- 
derait ses bons offices pour obtenir dans la future Confédération 
prussienne une position analogue à celle des autres princes non 
dépossédés, qui devaient en faire partie. Il espérait d'autant plus 
le succès de l'intervention Impériale, qu'il ne faisait aucune 
difficulté d'accepter toutes les conditions imposées par la Prusse 
à ses futurs confédérés, et que cette Puissance ne devait pas 
obtenir, par l'annexion du Duché de Nassau, des avantages 
plus considérables que ceux qui lui étaient assurés par les en- 
gagements fédéraux que le Duc était prêt à contracter. 

Malheureusement l'arrêt était irrévocable, et le Roi Guillaume 
avait résolu de s'emparer des États de Nassau. Par les mêmes 
raisons que pour le Hanovre, la voix du Gouvernement français 
ne pouvait plus se faire entendre à Berlin avec quelque chance 
de succès. Déjà, en effet, les rapports de la France et de la 
Prusse s'étaient considérablement refroidis. On en était arrivé 
à cet état de défiance réciproque qui se continua depuis lors 
sans interruption ; le jour même où le Duc de Nassau croyait 
servir sa cause en la plaçant sous l'égide de la France, ce même 
jour, le comte de Bernstorff, ministre de Prusse à Londres, tra- 
hissait, par ordre, le secret qu'on était convenu de garder sur 
un projet encore soumis à la discussion des Cabinets, et infor- 
mait lord Stanley que l'Empereur Napoléon réclamait de la 
Prusse les anciennes frontières de IS'IS, la rive gauche de la 
Sarre et le Luxembourg. 

C'était l'histoire du soi-disant ultimatum dont nous avons 
déjà démontré la fausseté. 

Nous sommes arrivés maintenant à la fin de la période des ar- 
mistices et nous entrons dans celle des traités de paix définitifs, 
qui ont servi de base à l'état politique de l'Allemagne de 1 86'' à ) 870. 

Le premier de tous fut celui delà Prusse avec le Wurtemberg. 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



379 



U l'ut signé à Berlin le 13 août !866 par MM. de Bismarck et de 
Savigny, d'une part ; de l'autre, par le baron de Varnbuhler, 
ministre des AtTaircs Etrangères, et le lieutenant-général de 
llardegg, ministre de la guerre. Par ce traité le Roi de Wurtem- 
berg reconnaissait toutes les stipulations des préliminaires de 
•Mkolsbourg, gardait l'intégrité de son territoire, et s'engageait à 
payer à la Prusse une indemnité de guerre de huit millions de 
(loriiis, soit environ <7.i ïO.OOO francs. La Reine de Wurtemberg 
était la sœur de l'Empereur Alexandre, et ce fut à l'interventiou 
toute-puissante de la Cour de Russie que furent accordées ces 
conditions pour ainsi dire exceptionnelles. 

Aussitôt après, c'est-à-dire le 17 août, vint le traité de paix 
avec Bade. Ici la négociation se fit en famille , le Grand-Duc 
étant le gendre du Roi de Prusse son vainqueur, en n'ayant en 
réalité jamais été son ennemi. Il on fut quitte pour six millions 
(le florins, soit environ 12.840.000 francs, et l'acceptation des 
préliminaires de Nikolsbourg. 

Le lendemain 18 août, on signa à Berlin le traite d'alliance qui 
devait servir de base à la nouvelle Confédération prussienne. Nous 
ne pouvons mieux faire, pour en donner une juste idée, que d'en 
reproduire le préambule et les principales dispositions. " 

« Pour donner une expression légale à l'alliance convenue sur 
la base des notes identiques prussiennes du 16 juin 1866 entre 
la Prusse, Mecklembourg-Schwerin, Saxe-Weimar, Mecklem- 
bourg-Strelitz, Oldenbourg, Brunswick, Saxe-Altenbourg, Saxe- 
Cobourg-Gotha, Anhalt, Schwarzbourg-Sondershausen, Schwarz- 
bourg-Rudolsfadt,Waldeck, Reuss cadette, Scliaumbourg-Lippo, 
Lippe, Lûbeck, Brème et Hambourg : les États alliés ont résolu 
de conclure un traité d'alUiance. » 

«Art. 1. — Les Gouvernements ci-dessus désignés concluent 
une alliance offensive et défensive pour le maintien de l'indépen- 
dance, de l'intégrité, ainsi que de la sécurité intérieure et exté- 
I iiieure de leurs Etats, et s'engagent dès à présent à la défense 
"commune de leurs possessions qu'ils se garantissent récipro- 
quement par le présent traité d'alliance. » 

Les autres articles reproduisaient les propositions prussiennes 
du 10 juin précédent, dont les deux plus importantes étaient de 



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380 



I/ALLIÎMAGNE INOUVKLLE. 



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donner au Roi de Prusse le commandement en chef des troupes 
de tous les Gouvernements alliés, et de stipuler la convocation 
d'un Parlement fédéral. 

Parmi les signataires du nouveau pacte, figuraient, à titre de 
plénipotentiaires, des personnages dont les noms comme ceux 
de lîeust et de Seebach marquaient de la même manière dans 
le camp opposé. C'était une des conséquences de la théorie des 
patries multiples sur les avantages de laquelle nous avons déjà 
eu l'occasion d'appeler l'attention du lecteur. 

[.e *22 août, ce fut le tour de la Bavière. Depuis plusieurs 
jours déjà le baron von der Pfordten et le comte de Bray étaient 
à Berlin et négociaient les conditions de la paix, si l'on peut 
donner le nom de négociations à ce genre de conférence. C e- 
taient des vaincus appelés pour entendre l'arrêt du vainqueur. 
Il fut moins dur qu'on ne pouvait s'y attendre ; mais si la 
Bavière en fut quitte pour des sacrifices relativement faibles, 
elle ne le dut certainement pas à la générosité de la Prusse. 
D'autres considérations contribuèrent à tempérer les exigences 
du Cabinet de Berlin et les conventions militaires secrètes qui 
suivirent le Traité, expliquèrent suffisamment la modération 
apparente du document officiel. Le paiement de 30 millions de 
llorins, soit environ 64.200.000 francs, l'annexion à laPrusse des 
districts de Gersfeld et d'Orb, ainsi que de l'enclave de Cauls- 
dorf, tel fut le prix de la paix bavaroise. 

Dans le même temps on négociait à Vienne le traité de cession 
de la Vénétie à la France, et à Prague le traité de paix entre 
l'Autriche et la Prusse. 

Pour le premier on était à peu près d'accord sur tous les 
points, excepté sur le partage de la dette publique au sujet 
duquel il s'était engagé un débat très-soutenu. Dans un premier 
projet de convention proposé à l'examen du Cabinet de Vienne 
au commencement d'août, le Gouvernement français avait stipule 
que la part de la dette publique autrichienne afférente au royaume 
Lombard-Vénitien, demeurerait attachée à la possession terri- 
toriale, c'est-à-dire passerait à la charge de l'Italie. M. le comte 
de Mensdortr n'acceptait pas cette formule ou du moins voula" 
la compléter et la préciser en y ajoutant ces mots ■. — aAupi'"' 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



381 






■ ^^ata de la population, » — qui donnaient la véritable signification 
de ra/féce'îce." L'Autriche en effet gardait le souvenir des diffi- 
cultés que cette expression un peu vague- avait soulevées dans 
l'application du Traité de Zurich, et dont la solution s'était ter- 
minée par une répartition de la dette Lombarde qu'elle ne con- 
sidérait pas comme équitable. Voulant à tout prix éviter un 
résultat analogue, le Cabinet de Yiennc substituait le mol 
mportionnelle au mot afférente. 

Cet incident d'apparence secondaire prit tout à coup des pro- 
portions considérables, et devint bientôt l'objet des discussions 
les plus animées. Le parti italien, qui était très-fortement repré- 
senté et secondé à Paris, attachait une grande importance an 
mode de répartition de la dette afférente à la Vénétic. A dire 
vrai, il n'en voulait pas entendre parler, et prétendait recevoir la 
province sans aucune charge de dette pubUque, sauf celle des 
créances spéciales du Monte-Veneto auxquelles l'Empire d'Au- 
triche était complètement étranger. 

Sous son inspiration, le Gouvernement français, modifiant S(?s 
propositions du 1 "■■■ août, avait envoyé le \ 8 du même mois ujic 
autre rédaction, dans laquelle il avait supprimé le mot de dette 
pubUque autrichienne tout en maintenant le principe de l'affr- 
iwcê. D'après cette dernière rédaction, l'Italie ne prenait à 
sa charge que la seule dette afférente au royaume Lombard- 
fénitien. 

C'était bien ce qu'on voulait à Florence et ce que l'Autriche 
refusait de consentir. 

Ce changement de rédaction produisit à Vienne un ciTet très- 
ressenti, d'autant plus qu'il fut habilement exploite par le Ca- 
binet de Berlin. 

A peine sut-on dans les cercles financiers de la capitale que la 
France appuyait ainsi les prétentions italiennes, qu'en quelques 
heures l'esprit public se tourna contre elle avec plus d'empor- 
tement peut-être que contre la Prusse elle-même. Les ministi-es 
déclarèrent qu'ils remettraient leur démission à l'Empereur 
plutôt que de souscrire à de pareilles conditions. — « Si nous 
avions, disaient-ils, la faiblesse d'y consentir, nous serions lapidés 
dans les rues. » — Et de tous côtés on accusait la médiation fra i;- 



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L'ALLKMAGNE KOUVKI.LK. 



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çaise d'avoir, depuis quelque temps, changé do caractùrc, et de 
s'être transformée en pression hostile cà l'Autriche. 

Aussi le lendemain, 19 août, la rédaction française fut-elle 
unanimement refusée, et on y répondit par une contre-proposi- 
tion ainsi formulée : —«Une part équitable do la dette publique 
autricliienne demeurera attachée à la possession territoriale: 
elle sera ultérieurement fixée par des commissaires spéciaux 
désignés à cet effet par Sa Majesté l'Empereur d'Autriche et Sa 
Majesté lEmpereur des Français. » — 

Une circonstance particulière avait aussi contribué à encoura- 
ger la résistance contre la rédaction française. Le Gouvernement 
italien avait fait parvenir le matin même par un intermédiaire 
officieux, dont il s'était déjà fréquemment servi depuis l'armistice, 
des assurances très-satisfaisantes sur les facilités qu'il était dis- 
posé à admettre pour la fixation de la dette, en sort que les 
exigences de la France paraissaient dépasser les siennes, et que 
loin de faciliter la paix, la France paraissait l'entraver. On pou- 
vait dire du parti italien cà Paris qu'il était plus italien que l'Italie. 
C'est sans doute à cette étrange coïncidence qu'il faut attribuer 
k vivacité presque hostile avec laquellesepoursuivitcettediscus- 
sion jusqu'au dernier moment. Mais il ne faut pas perdre de vue 
qu'on était alors en pleine négociation à Berlin et à Prague pour 
les traités de paix définitifs et que déjà M.Bencdetti avait fait la 
célèbre communication du 6 août, dont le Cabinet de Berlin avait 
divulgué le secret et dénaturé le caractère, cherchant à s'en servir 
pour ameuter l'Allemagne contre la France.La maindu ministre 
Prussien était au fond de tous ces malentendus. 

En effet, pendant qu'à Paris il faisait dire par M. de Goltz, de 
tenir bon, de maintenir la rédaction française, et qu'elle sérail 
reproduite dans le traité de paix austro-prussien ; d'un autre 
côté, à Vienne, on recevait do Prague une dépêche du plénipo- 
tentiaire autrichien, écrivant que M. de Bismarck proposait pour 
rédaction une phrase ainsi conçue : - « Liquidation des dettes qui 
se^-ont reconnues AKéreates m royaume Lombard- Vénitien, con- 
formément aux précédents du traité de Zurich... » — 

La dépêche autrichienne ajoutait qu'en demandant cette ré- 
daction, le comte de Bismarck déclarait s'appuyer sur la raison, 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



S«3 



qu'aux yeux de la Prusse, la cession faite à la France par l'Au- 
triche n'était qu'une' Action sans valeur, attendu que la Vénétie 
avait été, en réalité, conquise par les armes prussiennes, aussi 
bien que la Lombardie l'avait été par les armes françaises, la 
défaite de Sadowa ayant contraint l'Autriche à en faire le sa- 
crifice (1). 

Aussi proposait-il de faire fixer la quotité de la dette affé- 
rente au territoire cédé, par l'arbitrage d'une Puissance neutre, 
qui serait l'Angleterre ou la Russie, et de ne pas confier ce soin 
à des commissaires français qui n'avaient rien à faire dans cette 
question. 

A ces propositions formelles sejoignaient des observations ver- 
bales anti-françaises. — « Le Cabinet de Vienne, disait-on, devait 
enfin, trop tard malheureusement, s'apercevoir que la médiation 
française lui avait été dès le commencement plus nuisible qu'u- 
tile. En cette dernière circonstance, la France n'était que l'agent 
de l'Italie, et sa médiation dépassait les bornes de l'équité. L'in- 
tervention des commissaires français devait être fatale à l'Autri- 
che, tandis que l'arbitrage d'une des deux grandes Puissances ci- 
dessus désignées offriraitdes garanties d'autantmeilleures que le 
Cabinet de Berlin se rallierait sans difficulté à leur équitable 
sentence. » — 

Placé ainsi entre les exigences de la France et les suggestions 
delà Prusse, le Cabinet de "Vienne prit un terme moyen. Il refusa 
la rédaction française et se rallia à la rédaction prussienne, mais 
en même temps il refusa l'arbitrage d'une Puissance étrangère 
et maintint le paragraphe qui remettait à des commissaires spé- 
ciaux austro-français le soin de fixer les dettes afférentes à la 
Vénétie. 

A Paris, on crut inutile de prolonger une discussion dont l'in- 
succès était désormais certain, et qui n'eût abouti qu'à compro- 
mettre inutilement le Gouvernement Impérial en Autriche et en 
Allemagne ; on accepta la rédaction austro-prussienne et le traité 
I ■ fut signé le 24 août 1866. 

L'art. 2 qui avait soulev 



soulevé tant de difficultés était ainsi conçu : 



(■1) Cette assertion du ministre prussien était matériellement fausse ; 
le sacrifice ou la restitution de la Vénétie datant du 12 juin 1866, soit 
plus de trois semaines avant la bataille do Sadowa. 



384 



L'ALLEMAGM-: NOUVELLE. 



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« Les dettes qui seront reconnues afférentes au Royaume 
Lombard-Vénitien, conformément aux précédents du traité de 
Zuricli, demeurent attachées à la possession du territoire cédé. 

» Elles seront fixées ultérieurement par des commissaires spé- 
ciaux désignés à cet effet par Sa Majesté l'Empereur des Français 
et Sa Majesté l'Empereur d'Autriche. » 

Pour le texte complet nous renvoyons le lecteur aux annexes (1). 



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Les négociations de paix entre l'Autriche et la Prusse avaient 
(ité suivies à Prague par les plénipotentiaires austro-prussiens 
dans le même temps que se discutait à Vienne le traité de ces- 
sion de la Vénétie, et la conclusion de la paix avait même pré- 
cédé de vingt-quatre heures celle du traité de cession. Le 23 
août en effet,- le baron de Brenner pour l'Autriche, et le baron 
de Werther pour la Prusse, avaient signé le traité de Prague. 

Or le lendemain, 24 août \ 866, en signant avec l'Ambassadeui' 
de France le traité de cession de la Vénétie à la France, le comte 
de Mensdorff avait gardé le silence sur la conclusion de la paix, 
de sorte que ce fut plus tard et par une autre voie que l'informa- 
tion pai'vint dans lasoirée à l'Ambassade de France. Cet incident, 
peu important en lui-môme, avait cependant une signification 
qui ne fut pas perdue ; il venait à l'appui de ce qu'on avait pres- 
senti en France, savoir un refroidissement de relations récipro- 
ques, dû aux derniers efforts en faveur de l'Italie ; il n'avait at- 
tendu pour se manifester que le moment où la médiation fran- 
çaise avait cessé d'être utile. 

Les négociations du traité de Prague, sans présenter de sé- 
rieuses difficultés, donnèrent cependant naissance à deux ou 
trois épisodes qu'il est bon de ne pas passer sous silence. 

On aura peut-être remarqué que la convention signée à Xi- 
kolsbourg entre l'Autriche et la Prusse, différait sensiblement des 
préliminaires de paix proposés par la France et acceptés par les 
l)el!igérants, en ce qui concernait les Etats du sud de l'AUemagm'. 
Le quatrième paragraphe des préliminaires français assurait en 
effet à l'Union du Sud une existence internationale' indépen- 
dante, qui avait été considérée dans le principe comme le germe 



(1) Voir aux annexes, n° S. 



L'ALLEMAGNE KOllVELLE. 



385 



d'une seconde Confédération, capable, dans certaines circon- 
stances, de contrebalancer avec l'alliance autrichienne, les entre- 
prises de la Confédération prussienne. 

Les négociateurs prussiens avaient fait disparaître cette clause 
du texte de Nikolsbourg propose à l'examen des Autrichiens. 
Toutefois, cette omission n'avait pas passé inaperçue, et si les 
plénipotentiaires autrichiens ne l'avaient pas relevée, c'est que 
par égard pour le Roi de Saxe qui l'avait demandé, l'Empereur 
d'Autriche avait consenti à ce qu'on n'insistât pas pour la faire 
rétablir. Du jour où le Gouvernement saxon s'était vu incorpo- 
ré, malgré lui, dans la Confédération , il avait cherché à y 
faire entrer avec lui les autres États du Sud, dans l'espoir chi- 
mérique d'organiser ainsi une force d'opposition contre la 
Prusse. 

M. de Beust, d'accord avec le Roi de Saxe, avait repré- 
senté à l'Empereur d'Autriche, que, puisqu'il n'avait pu sauver 
la Saxe de l'union prussienne, il pouvait du moins prendre en 
considération les raisons qui leur faisaient désirer que l'u- 
nion du Sud ne se formât pas sans elle, et comme l'Empereur 
sentait avec amertume l'impossibilité où il se trouvait de donner 
une marque de sa reconnaissance pour le concours que lui 
avait prêté l'armée saxonne, il avait cru devoir céder aux ins- 
tances du Roi et de son ministre. M. de Beust, et le Cabinet 
de Vienne, qu'il avait en partie gagné à ses idées, ne croyaient 
pas d'ailleurs que la Confédération du Sud, réduite à la Bavière, 
laHesse, le Wurtemberg et Bade, put désormais se trouver dans 
des conditions de vitalité suffisante pour jouir d'une existence 
internationale indépendante. 

L'intérêt saxon ne s'accordait en cette question, ni avec 
celui de l'Autriche, ni avec celui des États du Sud. Il jetait assez 
naturel que le Cabinet de Dresde qui avait jusqu'ici disputé en 
quelque sorte à la Bavière le premier rang des Etats secondai- 
res, éprouvât une grande répugnance à se voir absorbé dans la 
Confédération prussienne, d'autant plus que cette absorption en- 
traînait nécessairement l'effacement des personnalités saxonnes 
les plus en vue; mais il ne pouvait convenir à l'Autriche 
de hâter le moment où tous les Etats du Sud iraient se ranger 

22 



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386 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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sous la bannière prussienne; quant à la Saxe, c'était pour 
ainsi dire une question géographique, et si l'Autriche ne pouvait 
pas la défendre, elle devait fatalement devenir prussienne. D'un 
autre côté le Cabinet de Berlinn'étaitpas très-favorable aux clani^ 
unitaires du parti démocratique qui poussait les États du Sud 
vers la Confédération du Nord. M. de Bismarck n'aimaitpasàles 
voir entrer dans le domaine prussien par une porte qu'il n'avait 
pas ouverte. Voilà pourquoi on vit reparaître à Prague dans le 
traité de paix du 23 août la clause primitive qui avait été 
écartée à Nikolsbourg. 

A cette occasion, quand il fut question du sort de la Saxe, 
M. de Bismarck déclara que si pour rester Adèle aux prélimi- 
naires de Nikolsbourg, la Prusse maintenait l'intégrité territo- 
l'iale du Royaume, par contre elle entendait restreindre considé- 
rablement les droits régaliens de la Couronne saxonne, et qu'ils 
feraient l'objet d'un traité spécial à négocier ultérieurement ; 
mais que dans aucun cas il ne voulait de M. de Beust comme 
négociateur. En conséquence ce dernier offrit sa démission au 
Roi de Saxe qui l'accepta et le recommanda à la bienveillance de 
l'Empereur d'Autriche. Quelques semaines plus tard, l'Empereur 
le prit à son service. 

Pendant les négociations de Nikolsbourg, M. de Bismarclc 
n'avait pas caché aux plénipotentiaires autrichiens le déplaisir 
avec lequel il insérait dans les préliminaires de paix la clause 
relative aux parties du Sleswig dont les populations devaient 
être consultées pour savoir si elles voulaient être allemandes 
ou danoises. C'était, disait-il, un des nombreux inconvénients 
de l'ingérence française, et de cette médiation que l'Autriche 
avait eu, selon lui, la malheureuse idée de solliciter. — « Nous 
nous serions bien mieux entendus directement, » — ajoutait-il, 
laissant entrevoir très-clairement l'intention, sinon défaire dispa- 
raître cet article dans le traité définitif, du moins d'en atténuer 
considérablement la portée. A Vienne on se montrait sur cette 
question d'une indifférence très-grande, et ] 'opinion publique, tout 
entière aux malheurs de l'Autriche, ne s'occupait guère des habi- 
tants du nord du Sleswig. D'ailleurs cette clause en faveur du 
Danemark était duc en effet à la seule initiative du Gouverne- 



L'ALLEMAGNE NOOVELLI^. 



3S7 



ment français, et pour les belligérants, c'était en quelque sorte 
la partie étrangère de leurs arrangements. 

Cependant le comte de Mensdorff ne se sentait pas libre de 
consentir à l'abandon d'une condition qui avait fait partie des 
hases acceptées pour l'armistice et les préliminaires, et voulant 
éviter d'être mis en demeure par le Cabinet de Berlin de répu- 
l»dier les consentements du 19 juillet, il prit les devants, et pen- 
dant les pourparlers de Prague, il prévint confidentiellement 
le Gouvernement français de l'intention du Cabinet de Berlin, 
d'omettre dans le traité de paix la clause en vertu de laquelle 
les populations du Sleswig septentrional devaient être librement 
consultées. Ceci se passait le 4 4 août et les négociations appro- 
chaient de leur terme. Elles durèrent encore neuf jours, pendant 
lesquels on parvint, non sans peine, à faire maintenir dans le 
traité du 23 août la clause des préliminaires. Elle fut inscrite 
dans l'art. 5 devenu célèbre par le déni de parole et de justice 
aïec lequel la Prusse en a répudié les engagements. Cet article 
était ainsi conçu : 



R-i-.. 



8 Art. 5. S. M. l'Empereur d'Autriche transfère à S. M. le Bol 
de Prusse tous les droits que la paix de Vienne du 30 octobre 
t864 lui avait reconnus sur les Duchés de Sleswig et de Hol- 
stein, AVEC cette réserve que les populations des districts du nord 

DD SLESWIG SERONT DE NOUVEAU RÉUNIES AU DANEMARK SI ELLES EN 
EXPRIMENT LE DÉSIR PAR UN VOTE LIBREMENT ÉMIS. » 



U ne fut jamais exécuté ; et quand en lisant cet engagement 
solennel on le voit sanctionné par la signature du Roi au nom 
de la Très-Sainte et Indivisible Trinité, on fait malgré soi 
d'étranges réflexions sur la valeur des traités en général et de 
certaines garanties en particulier. 

Nous avons porté aux annexes (1) le texte officiel du traité 
de Prague, et on pourra en prendre connaissance pour le détail 
des différents articles. L'indemnité de guerre à payer par 
l'Autriche fut fixée à la somme de 40 millions de thalers, soit 
150 millions de francs. Par contre, comme l'Autriche avait 

(1) Voir aux annexes, n" 6. 



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388 



L'ALLIÎMAGNE KOLVELLK. 



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encore le droit d'exiger 45 millions de thalersdes Duchés dont 
elle faisait l'abandon, et que, dans l'intervalle de l'armistice à 
la paix, l'armée prussienne avait réquisitionné pour 5 millions 
de thalers, la somme à payer se trouva réduite à 20 millions de 
thalers, et les vingt autres millions se compensèrent par les 
créances. Donc, la perte pécuniaire de l'Amriche fut en réalité 
de 40 millions de thalers, savoir : 20 millions payés, 15 raillions 
perdus et non remboursés, S millions non remboursés pour frais 
d'entretien des troupes ennemies. 

En même temps que se signait à Prague le traité de pais 
austro-prussien, le Gouvernement prussien faisait connaître au 
Roi de Saxe ses intentions ou plutôt ses conditions pour le 
traité à intervenir qui devait régler la position du Royaume dans 
la Confédération du Nord. Ces conditions étaient draconiennes. 
Sans parler de l'indemnité de guerre de dix millions de thalers, 
on demandait l'incorporation complète de l'armée saxonne dans 
l'armée prussienne ; les Saxons devant prêter serment au Roi 
de Prusse et être entièrement fondus dans les régiments prus- 
siens tenant garnison en Prusse, pendant que les Prussiens 
tiendraient garnison en Saxe. C'était la mise en pratique delà 
théorie des deux Souverains, l'un militaire et l'autre civil, et 
le Roi Jean n'acceptait pas, il était menacé de la guerre et pré- 
venu qu'en ce cas, la Saxe serait annexée comme l'avait été le 
Hanovre. A vrai dire, le Cabinet de Berlin savait parfaitement 
que ces conditions étaient inacceptables, et son unique but, en 
les imposant au Roi de Saxe, était d'éluder la clause des préli- 
minaires qui avait garanti l'intégrité du territoire saxon, en 
faisant dépendre cette intégrité de conditions impossibles. On 
espérait ainsi pousser le Roi Jean à l'abdication. 

C'était, en effet, une résolution à laquelle il avait sérieuse- 
ment pensé en apprenant le rôle effacé qui lui était désormais 
imposé par la Prusse ; mais, avant d'avoir recours à cette me- 
sure extrême, il s'adressa encore une fois à l'Autriche et à la 
France. Le baron de Brenner, qui venait de négocier la paix à 
Prague, fut envoyé à Berlin pour représenter au Gouvernement 
prussien que ses exigences étaient incompatibles avec les 
engagements qu'il avait consentis, en acceptant les préliminaires 



y 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



389 



^Pde Nikolsbourg. Elles avaient, en effet, pour conséquence ma- 
nifeste de rendre l'intégrité de la monarchie saxonne véritable- 
ment dérisoire. Si un Souverain pouvait , dans une certaine 
mesure, sacrifier une partie de son autorité pour la confondre 
dans la représentation d'une autorité supérieure et nationale, 
d'un autre côté, il existait une certaine limite de sacrifices au 
delà de laquelle la souveraineté n'était plus qu'une vaine appa- 
rence, et la Prusse, en s'obligeant à maintenir l'intégrité du 
territoire saxon, s'était, par cela même, engagée à ne pas dé- 
passer cette limite. 

Tels étaient les arguments que le baron de Brenner était 
chargé de faire valoir à Berlin et que le Gouvernement français 
avait promis d'appuyer. On n'attendait pas un très-grand su;;cès 
de. cette démarche ; mais il avait paru utile de la tenter avant 
l'abdication du Roi. Cependant on n'était pas préparé à voir 
l'Envoyé autrichien accueilli par des paroles violentes et inju- 
rieuses ; aussi les premiers rapports du baron de Brenner cau- 
sèrent-ils à Vienne autant de surprise que de mécontentement. 
M. de Bismarck l'avait reçu aussi mal que possible, sans même 
employer dans son langage les règles de la politesse en usage 
pour les relations officielles. Le Roi de Prusse, beaucoup plus 
doux dans la forme, n'avait pas été plus accommodant dans le 
tond ; mais au moins il avait témoigné pour le Roi Jean une 
considération particulière, qui, disait-il, augmentait beaucoup 
le regret avec lequel il se voyait contraint, bien malgré lui, à 
user de sévérité à son égard. 

Quant à la réponse de M. de Bismarck, elle mérite d'être re- 
produite, d'autant plus que nous pouvons le faire avec une 
■ A grande exactitude, sinon textuellement. 

I B — (t Le Président du conseil avait tout d'abord contesté au 
T baron de Brenner le droit de parler en faveur du Gouverne- 
ment saxon. L'Autriche, par son traité de paix et par ces mêmes 
préliminaires dont on arguait contre la Prusse, s'était engagée 
à reconnaître tout ce que ferait le Roi de Prusse dans le nord de 
l'Allemagne, et avait promis de ne pas s'en mêler. Par consé- 
quent, elle n'avait aucun droit d'intervenir entre la Prusse et la 
Saxe. D'ailleurs, la position de rAulrichc et de la Prusse n'était 

22. 



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L'ALLKMAG.NE KOIIVELLE. 



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pas la même à l'égard des préliminaires de JNikolsbourg ; ces pré- 
liminaires avaient été soumis à la Prusse victorieuse, et celle-ci, 
eny souscrivant pargénérosité et par condescendance, avait gardé 
elle seule le droit de les interpréter et de fixer les limites de sa 
condescendance ; c'était à ce point de vue qu'il fallait se placer 
pour apprécier les obligations du Roi Guillaume. Or, Sa Majesté 
commençait à se fatiguer de l'immixtion des Puissances étran- 
gères dans des affaires qui ne les regardaient pas et qu'il appar- 
tenait au Roi seul de décider. 11 était nécessaire de bien s'enten- 
dre une fois pour toutes à ce sujet, et M. le baron de Brenuer 
pouvait répétera son Gouvernement que Sa Majesté n'avait pas 
l'mtention de se laisser influencer par les représentations de 
l'Autriche, ni même par celles de la France, dans le règlement 
de ses rapports avec les princes qu'elle avait vaincus. Au con- 
traire,_Ie Roi voyait ces interventions de mauvais œil, et, pour 
tout dire, lui, ministre du Roi, devait déclarer au baron de 
Brenuer que l'intervention de l'Autriche et de la France en 
faveur du Roi de Saxe n'aurait d'autre effet que d'aggraver le 
sort de ce Souverain. Il fallait à tout prix fermer la porte à l'in- 
gérence des étrangers dans les affaires d'Allemagne qu'il appai'- 
tenait désormais à la Prusse de régler seule, et puisque le Roi 
de Saxe avait appelé l'Autriche et la France à son aide, il servi- 
rait d^exemple et apprendrait à ses dépens aux princes allemands 
ce qu'ils ont à gagner on agissant de la sorte. » 

Il était difficile de tenir un langage plus arrogant et plus dur 
que celui dont nous venons de reproduire très-fidèlement la 
substance. Quoi qu'il en soit, l'impression rapportée à Vienne 
par l'Envoyé autrichien fut que le Président du conseil ne tarde- 
rait pas à reconnaître les exagérations de ses discours, et que 
le Cabinet de Berlin ne sanctionnerait pas les menaces dont il 
s'était fait le violent interprète ; et de fait le baron de Brenner 
ne se trompait pas ; car, après cette bourrasque diplomatique, 
l'emportement du ministre prussien ne tarda pas à se calmer, 
et on put s'apercevoir qu'une autorité supérieure avait rappelé 
le fougueux homme d'État à une attitude plus mesurée. La Saxe 
fut laissée de côté, et son tour ne vint qu'en dernier après tous 
les autres Etats allemands, de telle sorte que le Roi Jean se vit 
seul, isolé, à l'entière merci de son vainqueur. Ce fut seulement 



y} 



L'ALLEMAG.NE KOUVELLE. 



391 



le 21 octobre, c'est-à-dire plus de six semaines après l'incident 
dont nous venons de parler, que se signa le traité de paix entre 
la Prusse et la Saxe Royale, et en vérité il ne fut pas plus rigou- 
reux que les autres. 

D'un autre côté, la Cour de Saxe avait fait de graves réflexions 
pendant cet intervalle de temps. Elle avait compris que, faisant 
désormais partie de la Confédération du Nord, le Roi devait 
nécessairement perdre le commandement de l'armée saxonne et 
on s'y était résigné. Il n'était plus question d'abdication ; tout 
au contraire, sous l'empire des circonstances, il s'était établi 
entre les deux Souverains de Saxe et de Prusse un courant 
sympathique qui paraissait devoir promptement et facilement 
remplacer la grande amitié austro-saxonne. Ce fut certainement 
un moment pénible que celui où il fallut renoncer par un traité 
à la plupart des droits régaliens et aux privilèges les plus mar- 
quants de la Royauté ; mais la couronne resta sur la tête du Roi 
de Saxe comme une fiction, sinon comme une réalité, et on se 
contenta de la fiction. Quant aux Saxons, ils n'y perdaient pas 
grand'chose, et beaucoup d'entre eux pensaient même y gagner. 

Le fait est que le souvenir des premières amertumes ne tarda 
pas à s'effacer, et que peu de temps après, le Roi de Prusse n'eut 
pas d'allié plus intime que le Roi de Saxe, ni les Prussiens de 
meilleurs amis que les Saxons. Le traité de paix du 21 octobre 
établissait entre la Prusse et la Saxe des rapports identiques à 
ceux des États allemands signataires du traité d'alliance conclu à 
Berlin le 18 août et constituant la Confédération du Nord. L'in- 
demnité de guerre était de 10 millions de thalers, soit francs 
37,500,000. On trouvera aux annexes l'analyse du document par 
articles (1). Ils n'offrent rien de particulier si ce n'est dans la 
dernière clause relative à la restitution des objets enlevés pen- 
dant la guerre. Elle est ainsi conçue : 

«Art. 22. En tant que les objets faisant partie de la propriété 
de l'Etat qui auraient été enlevés en Saxe pendant la guerre, et 
qui ne peuvent pas être considérés comme butin de guerre, 
d'après les principes du droit international , n'auraient pas 

(1) Voir aux annexes, n» 7. 



^1 



392 



I/ALLEMAGXE NOUVELLK. 



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encore été rendus, S. M. le Roi de Prusse prendra des mesures 
pour que la restitution se fasse le plus tôt possible. De ces 
objets font partie notamment, les locomotives, tenders, wagons 
et rails saisis sur les chemins de fer, de môme que les approvi- 
sionnements ou métaux précieux et autres produits vénaux eale- 
vés dans les mines royales de Friedberg. » 

Or, il ne faut pas oublier que la guerre ne s'était pas faite un 
seul instant sur le territoire saxon. Dès le premier jour des 
hostilités, l'armée saxonne s'était retirée avec la famille royale 
sur le territoire autrichien, abandonnant la Saxe aux Prussiens, 
sans faire même un simulacre de résistance. Ceux-ci s'étaient 
avancés, accompagnés et précédés de protestations amicales. — 
« Nous ne faisons pas la guerre au pays ni aux Saxons qui sont 
nos frères; nous respecterons les propriétés , nous entrons cliez 
vous en amis(1). » — On les avait acccueillis sans opposition ;ce 
n'était pas une conquête, c'était une promenade à quelques 
lieures de Berlin. Rien ne venait troubler leur repos ; la guerre 
se faisait en Bohême, elle descendait en Moravie, elle marchait 
vers le Danube; mais, en Saxe, on n'en ressentait pas les effets. 

C'étaient de vrais loisirs pour les troupes prussiennes ; de ces 
loisirs elles tirèrent un bon profit ; elles organisèrent un pillage 
régulier et enlevèrent de Saxe tout ce qu'on pouvait enlever. 
Le Roi qui, paraît-il, ne se faisait pas à cet égard de grandes 
illusions, avait fait partir d'avance ce qu'il ne voulait pas per- 
dre ; mais il n'avait pu soustraire aux convoitises prussiennes 
les richesses lourdes et métallurgiques, ainsi qu'une foule d'au- 
tres objets de grande valeur. Tout cela, pendant la guerre, 
avait pris la route de Berlin ; l'article 22 que nous venons de 
citer avait pour but de le faire revenir à Dresde. Ainsi se trou- 
vait réparée une partie des maux causés par ce pillage régu- 
lier, méthodique et organisé dont nous avons eu déjà à raconter 
les étranges procédés. 

Encore un enseignement pour l'avenir. 



(1) Proclamalions du général Ilerwai-tli do BiUerfeld, et du prince 
rr.Jdéric-Charlcs, le 16 juin 1866. 



^1 



XVIIl 



Loi d'annexion du Hanovre, de la Hesse-Eleclorale et de Kass^au à la 
Prusse. — Trailés de paix de la Prusse avec la Hesse Grand'Oucale, 
la principauté de Reuss et le Duché de Saxe-Meiningen. — Trailé de 
paix entre l'Autriche et l'Italie. — Saisie de la fortune privée du Roi 
de Hanovre. — Traités militaires. — Démission de M. Drouyn de 
Lhuys. — Nomination de M. de Beust au ministère des Affaires Étran- 
gères à Vienne. 



Nous avons cru devoir rompre l'ordre chronologique des 
traités de paix, reconstitutifs de l'Allemagne, afin de ne pas 
séparer en deux parties les négociations prusso-saxonnes. Il nous 
faut revenir maintenant à la date du 23 août, c'est-à-dire à celle 
du traité austro-prussien. 

Quelques jours avant la signature de ce traité, le 17 aoiit, le 
Gouvernement prussien avait saisi les Chambres de Berlin du 
projet de loi relatif à l'annexion du royaume de Hanovre, 
de l'électorat de Hesse, du duché de Nassau et de la ville libre 
de Francfort (1). C'était une bonne occasion pour se rappro- 
cher du Parlement avec lequel le Gouvernement était depuis 
quelques années en état de rupture ouverte. On se rapprocha 
en effet; le projet de loi fut adopté pour ainsi dire sans 
discussion et promulgué le 20 septembre. Il avait été voté le 



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{V, Voir aux annexes, n° 8. 



394 



L'ALLEMAGNE NOOVELLE. 



I " du mois, après un discours de M. de Bismarck qui définis- 
sait avec clarté et précision le nouvel état de choses créé par 
les victoires de la Prusse. Nous en ferons une brève analyse el 
en citerons quelques passages. 

S'adressant à la Chambre des députés, le Président du Conseil 
l'engageait à voter en faveur du Gouvernement, un bill d'indem- 
nité pour toute la durée de son administration extra légale. 

« Durant les quatre dernières années, disait-il, nous avons 
défendu notre manière de voir réciproquement avec plus ou 
moins d'aigreur, et sans réussir à nous convaincre. La paix entre 
nous ne serait même pas possible en présence des affaires exté- 
rieures, si l'on exigeait de l'une ou de l'autre des parties l'aveu 
qu'elle a eu tort. 

» Nous désirons la paix, non pas parce que nous avons le 
sentiment de notre faiblesse ; au contraire, nous sommes bien 
plus forts qu'il y a quelques années ; nous ne désirons pas la 
paix pour échapper à une mise on accusation éventuelle à la- 
quelle nous ne croyons pas et que nous ne craignons pas; nous 
voulons la paix simplement parce qu'à notre avis, elle est, en 
ce moment, nécessaire à la patrie. 

» Voilà pourquoi, ajoutait ensuite le ministre, nous vous ten- 
dons la main, et le rapport de la commission prouve que cette 
main ne sera pas repoussée. 

» Il s'agit de trancher des questions de politique extérieure. 
Si vous remarquez ce qui se dit à l'étranger, si vous parcourez 
les journaux de Vienne, vous y retrouverez l'expression des 
haines et de l'animosité qui existent depuis longtemps contre la 
Prusse et qui ont entraîné l'Autriche à une guerre qu'elle n'au- 
rait pu éviter, quandméme elle l'eût voulu. 

>.■ Considérez l'attitude des populations de l'Allemagne du 
Sud représentées par leurs armées. Vous y trouverez, sauf 
quelques exceptions, les mêmes sentiments d'hostilité. Vous ne 
voyez pas une seule puissance en Europe dont le bienveillant 
concours soit acquis à l'organisation de la nouvelle Confédéra- 
tion du Nord, et qui ne veuille y intervenir à sa façon. Notre 
tâche n'est donc point achevée, et son achèvement exige l'uuion 
du pays tout entier. » 



Telle est la subtance du discours prononcé le < <=' septembre i 866 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



395 



t 



par M. de Bismarck au Parlement de Berlin. Une majorité de 
273 VOIX sur environ 300 votants lui servit de sanction, et comme 
le fait remarquer un écrivain allemand sympathique et contem- 
poram, on ne peut se défendre, en enregistrant un succès aussi 
éclatant, de constater avec quelque surprise que ces mêmes 
députes qui faisaient alors si bon marché des droits souverains 
du Hanovre, de la Hesse et de Nassau, avaient été pendant 
deux ans les défenseurs infatigables des droits bien moins in- 
contestables du prince d'Augustenbourg sur les Duchés de 
Sleswig et de Holstein. Ils étaient évidemment de la môme 
famille que les syndics de la Couronne dont nous avons eu déjà 
roccasion de parler. 

La veille du vote d'annexion, une députation de Hanovrieus 
avait été reçue par le Roi et lui avait en vain demandé de se 
contenter de l'incorporation du Royaume dans la Confédération 
du Nord. On trouvera aux annexes le texte de l'adresse et la 
réponse du Roi. Nous y avons également placé la protestation 
par laciuelle le Roi George V répondit, le 23 septembre, à la loi 
d'annexion qui avait été promulguée le 20 du même mois (Ij. 

Il ne restait plus que trois petits États à châtier et à coordonner 
dans le nouveau système : la Hesse Grand'Ducale, la Princi- 
pauté de Reuss (branche aînée) et le Duché de Saxe-Meiningen. 

Le 3 septembre 1 866, un traité de paix signé à Berlin régla 
les destinées de la Hesse Grand'Ducale. Il avait fallu tout un 
mois pour défendre pied à pied la souveraineté du Grand-Duc 
contre les projets d'annexion de la Prusse, et encore ne dut-il 
qu'à l'Empereur de Russie, dont il était le beau-frère, de ne pas 
partager le sort des autres princes dépossédés. Sa situation se 
comphquait anssi par la position géographique du Grand-Duché 
dont' le territoire se trouvait coupé on deux par le cours du 
Mein, c'est-à-dire par la ligne de démarcation qui formait la 
limite de la nouvelle Confédération. C'est pourquoi le traité de 
paix entre la Hesse Grand'Ducale et la Prusse présentait des 
difficultés considérables. Il en résulta pour le Grand-Duché un 
état de choses mixte qui ne donna satisfaction complète ni au\ 

(1) Voir aux annexes, n"» 9 et 10. 



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396 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 







uns ni aux autres. L'indemnité de guerre fut fixée à trois mil- 
lions de florins, soit 6,420,000 francs. L'administration des postes 
grand'ducales passait à la Prusse. Le Grand-Duc reconnaissait 
Tes préliminaires de paix conclus à Nikolsbourg, et en acceptait 
toutes les conséquences. Des rectifications de frontières et des 
échanges de districts établissaient l'unité territoriale dans laltesse 
Grand'Ducale, et la séparaient complètement de la Hesse-Electo- 
rale annexée à la Prusse. Le Grand-Duc entrait avec tous ses 
territoires situés au nord de la ligne du Mein dans la Confédéra- 
tion du Nord, et le contingent militaire de cette zone passait sous 
le commandement du Roi de Prusse. Pour la partie méridionale, 
la Hesse Grand'Ducale conservait son autonomie. Telles étaient 
les principales clauses du traité Hesso-Prussien, dont la signature 
entraînait, comme on le voit, l'adhésion du Grand-Duc à la spo- 
liation de l'Electeur, c'est-à-dire du chef de la Maison Hessoise. 
Avec la principauté de Reuss (branche aînée) ce fut bientôt 
réglé. Elle fut englobée dans la Confédération du Nord, et la 
Princesse régente ayant fait amende honorable sur tous les 
points, elle en fut quitte pour une somme de cent mille tlialers, 
soit 378,000 francs, à payer pour le fonds des officiers et soldats 
invalides de l'armée prussienne. Un emprunt de 1 20,0C0 thalers, 
que cette habile Princesse fit émettre à cette occasion par le 
Gouvernement princier, couvrit les frais de la négociation, et, si 
nous en croyons le livre du colonel Rûstow, que nous avons 
déjà cité, il lui resta après l'opération un assez joli bénéfice, le 
traité fut signé le 26 septembre. 

Le 8 octobre, ce fut le tour du Duché de Saxe-Meiiiingen. Les 
négociations duraient déjà depuis quelque temps avec le Duc 
Bernhard, qui ne pouvait pas se résigner aux dures conditions 
du vainqueur. Ce Prince qui, pendant quarante-cinq ans, avait 
régné sur le -duché avec autant de sagesse que de dévoùmeut, 
préféra abdiquer plutôt que de devenir, par ses résistances per- 
sonnelles, un prétexte pour les rigueurs de la Prusse.— " Ce 
que je ne puis faire, ce que je ne puis accepter, disait-il, mon fils 
plus libre que moi peut y souscrire.»— Il abdiqua le 20 septembre, 
et se retira emportant avec lui l'amour et l'estime de son peuple. 



I 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



397 



a proclamation simple et brève mérite d'être rapportée. Elle 
était ainsi conçue : 



« A mes fidèles Meiningeois. 

» La main de fer de la destinée nous a frappés aussi. Je 
quitte aujourd'hui le Gouvernement du pays que j'ai régi pen- 
dant quarante-cinq ans avec amour et fidélité. 

» Je le fais avec douleur et une profonde émotion; j'avais 
espéré rester votre Duc jusqu'à la fin de mes jours, et je n'ai 
pris cette résolution que pour vous épargner des sacrifices que, 

•d'une autre manière, je ne pouvais détourner de vous ni du 
pays. 
» Le Gouvernement passe à mon fils, le prince héritier George, 
que Dieu veuille assister dans ses voies difficiles ! 

» Le Prince entre avec toute sa vigueur dans le temps nou- 
veau et saura probablement mieux s'y adapter que cela ne m'a 
été possible. 

» Accueiilez-le avec confiance et amour, de même que cer- 
tainement il viendra au-devant de vous avec confiance et 
amour. 
» Que Dieu protège ma chère patrie 1 

» Meiningen, 20 septembre 1866. 

» Signé : Berkhard Erich Fheund. » 

Il est facile devoir, par le texte même de cette proclamation, 
que l'abdication du Duc Bernhard lui avait été imposée par la 
Prusse. Le 21 , le Duc George monta sur le trône démantelé de 
son père, et le 8 octobre furent signés les articles de sa média- 
tisation réelle. Il n'y fut pas question d'une indemnité pécu- 
niaire; en vérité cela n'en valait plus la peine; on lui prit un 
village auquel il dut renoncer ; les postes, les télégraphes, le 
commandement militaire passèrent au Roi de Prusse, le Duché 
fut placé dans la Confédération du Nord et le Duc George resta 
dans son château de Meiningen avec une fortune convenable. 

Tous, les traités de paix étaient signés, sauf celui de la 
Saxe-Royale. Il le fut, comme nous l'avons dit plus haut, le 

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398 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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21 octobre, et, à partir de ce jour, la nouvelle Allemagne fut 
constituée. 

Pour compléter la nomenclature des traités qui suivirent la 
guerre de -1866, il nous faut encore ajouter, à tous ceux que 
nous avons mentionnés, celui de l'Autriche et de l'Italie. La 
Prusse avait témoigné le désir de voir les négociations s'ouvrir 
à Prague ou à Berlin; mais le Cabinet de Florence avait trop 
vivement ressenti les procédés de M. de Bismarck à Nikolsbourg 
pour se montrer empressé d'obtempérer aux suggestions prus- 
siennes. D'un commun accord, les deux Puissances contractantes 
décidèrent que la paix se négocierait à Vienne, et les conférences 
s'ouvrirent à cet effet au commencement de septembre. 

Le général comte Menabrea, plénipotentiaire italien, arrivé le 
.30 août, avait été reçu la veille par l'Empereur François-Joseph; 
l'Autriche était représentée par le comte Félix de Wimpffen. 
Les négociations durèrent un mois, mais sans soulever de 
grandes difficultés, et plutôt à cause du grand nombre de ques- 
tions incidentes que par suite de désaccord sérieux. Deux points 
seulement soulevèrent un débat important ; de la part de l'Au- 
triche, la prétention, bientôt abandonnée, de fixer proportion- 
nellement à la population du territoire cédé, la quote-parl 
italienne de la dette vénitienne ; de la part de l'Italie, la de- 
mande d'insérer dans le traité un article dans lequel la ques- 
tion d'une rectification ultérieure des frontières serait posée en 
principe. 

Sans repousser absolument l'idée en elle-même, l'Empereur 
François-Joseph pensait que ces questions pourraient se traiter 
plus tard dans de meilleures conditions, quand les deux Gou- 
vernements auraient pratiqué pendant quelque temps des 
rapports de bon voisinage. — « Toute rectification, disait-il, con- 
sentie en fait ou en droit, au moment des négociations, aurait 
nécessairement aux yeux de l'armée et du pays le caractère 
d'une conséquence forcée de la guerre malheureuse qui venait 
de se terminer. La nation y verrait toujours un sacrifice imposé 
par la Prusse et se révolterait contre cette dernière condescen- 
dance de son Gouvernement. Plus tard, de gré à gré et dans 
toute la liberté de leurs actes, les deux États pourraient consul- 



L•ALLEMAG^'E NOliVELLE. 



399 



ter leurs intérêts réciproques et s'entendre sur le meilleur 
moyen de les satisfaire. » — 

Après avoir insisté pendant quelques jours, le comte Mena- 
brea finit par céder, et l'accord s'étant établi sur tous les autres 
points, le traité de paix fut signé le 3 octobre 1866. 

La question de la dette avait été résolue de la manière sui- 
vante : 

Le Gouvernement italien prenait à sa charge toute la dette 
(lu Monte Lombardo-Veneto qui avait été affectée à l'Autriche 
par le traité de Zurich, plus celle qui s'y était ajoutée depuis le 
4 juin 11859, ainsi qu'une somme de 35 millions de florins pour 
la partie afférente à la Vénétie, de l'emprunt de 1854 et pour le 
matériel de guerre non transportable (<!). L'échange des ratifi- 
cations se fit le 1 2 octobre. 



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Nous avons terminé la série des actes internationaux qui, en ré- 
tablissant la paix, sanctionnèrent les résultats de la guerre. C'est 
pour l'Allemagne et l'Italie, c'est pour l'Europe entière une ère 
nouvelle. Arrêtons-nous un instant avant de nous y engager, et 
jetons un dernier regard vers ce passé qui va disparaître dans 
l'oubli ou se recueillir dans l'attente. 

Un des traits les plus saillants des négociations que la Prusse 
victorieuse imposa à ses frères vaincus, après la courte campa- 
gne de 1866, est leur caractère économique et mercantile. On 
est frappé du soin avec lequel toutes les questions sont prévues 
et étudiées au point de vue du gain commercial ou financier. 
La partie politique occupe à peine quelques articles ; quelques 
lignes suffisent pour régler la position des contractants, soit 
dans L-i Confédération du N.ord, soit en dehors de cette Confé- 
dération; mais, en revanche, que de paragraphes consacrés à 
des revendications pécuniaires ou industrielles 1 Jadis la guerre 
était avant tout un combat, une passe d'armes ; en 1866, c'est 
une affaire ; les généraux de la Prusse sont comme les capitaines 
marins d'une compagnie d'armateurs ; c'est une entreprise au- 
tant qu'une guerre, et pendant que les uns font campagne, les 



(1) Voir, pour l'analyse dos arlicles du traité, aux annexes, n» 11. 



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400 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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autres étudient avec soin tout ce qu'on pourra retirer du vaincu. 
Do l'argent d'abord, puis ensuite des territoires productifs, des 
exploitations lucratives ; en un mot, tout ce qu'on pourra obtenir 
sans le ruiaer complètement et en faire un ennemi irréconci- 
liable. Cette dernière considération et la crainte de provoquer 
une intervention étrangère fixent seules la limite des exigences. 

Malgré l'éclat des victoires, la guerre n'avait pas produit tout 
ce qu'on avait espéré à Berlin; l'Autriche, qu'on voulait frappe» 
AU COEUR, sortait de la lutte, certainement amoindrie et mutilée, 
mais non point anéantie ; le but n'était pas atteint, mais (866 
était une étape sérieuse vers le but à atteindre. C'est ainsi que 
la Prusse en accepta les résultats et fit la paix de Prague en vue 
de l'avenir. 

Les indemnités de guerre payées par l'Autriche et ses alliés 
s'élevaient à la somme de 288,455,000 francs ainsi répartis : 

Autriche 150,000,000 fr. 

Bavière 64,200,000 

Saxe 37,300,000 

Wurtemberg 17,120,000 

Bade 12,840,000 

Hesse-Darmstadt 6,420,000 

Reuss-Aînée 375,000 

Total 288,435,000 fr. 

auxquels il faut ajouter comme bénéfices, les annexions du Ha- 
novre, de la Hesse-Électorale et du Duché de Nassau. 

Un autre chapitre très-important comprenait la fortune parti- 
culière des Princes dépossédés, qui, sous un prétexte ou sous un 
autre, fut séquestrée par le Gouvernement prussien et constitua 
plus tard ce fameux fonds dit fonds des reptiles, dont l'emploi 
arbitraire et sans contrôle devint un des puissants leviers de 
l'influence prussienne en Allemagne et à l'étranger. 

Cette fortune des Princes dépossédés échappait, par son carac- 
tère personnel et privé aux conséquences de la guerre; mais 
elle était très-considérable et le Gouvernement prussien voulait 
absolument s'en emparer comme il avait fait des États annexés. 



v\ 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



401 



D'un autre côté, les Princes, s'appuyant sur les principes du 
droit commun aussi bien que sur ceux du droit des gens, 
avaient adressé directement leurs réclamations au Roi Guil- 
laume; et le Roi éprouvait quelques scrupules à mettre la 
main sur la fortune privée de ses parents et alliés, simplement 
par droit de force et en violation de toute justice. 

Il serait trop long et trop déplaisant de donner ici le détail 
des artifices pitoyables et des mauvais subterfuges à l'aide 
desquels on fit durer pendant plusieurs mois un simulacre 
de négociations, uniquement destiné à couvrir la spoliation, 
d'un semblant de légalité ou de nécessité; aussi nous conten- 
terons-nous de citer quelques traits de la procédure prussienne 
en matière d'annexion. Nous avons déjà eu l'occasion d'ap- 
précier les sentiments de justice et d'équité dont s'inspiraient, 
suivant les circonstances, messieurs les syndics de la Cou- 
ronne; nous retrouverons quelque chose de semblable dans les 
procédés du Gouvernement avec les Princes vaincus. 

Dès le 15 juin, au moment où les Prussiens envahissaient le 
Hanovre, quelques heures après la sommation adressée au Roi 
George, celui-ci avait eu, d'accord avec tous ses ministres, la 
sage précaution de faire immédiatement partir pour l'Angle- 
terre les valeurs qui auraient pu tomber au pouvoir de l'ennemi, 
et, entre autres, une somme d'environ 19 millions de thalers, soit 
33.780.000 francs, représentés par des titres de rentes et autres 
papiers fiduciaires. Cette mesure servit de prétexte aux pre- 
mières revendications de la Prusse. 

Dès le commencement de juillet, pendant que les armées se 
rencontraient en Bohême, le Roi George, alors réfugié en Thu- 
ringe, après la capitulation de Langensalza, apprit que le Gou- ' 
vernement prussien, prétendant que la somme envoyée en An- 
gleterre appartenait h l'État (Staats-gelder' , en exigeait la res- 
titution immédiate, menaçant, dans le cas contraire, de saisir et 
arrêter tous les revenus privés du Roi. Cette prétention du 
Gouvernement prussien était injuste, car la plus grande partie 
des titres qui avaient été sauvés appartenaient au domaine 
privé du Roi ; cependant, comme l'enlèvement s'était effectué en 
quelques heures, il n'avait pas été possible de faire un inven- 







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402 



L'ALLEMAGNlî KOCVELLE. 



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taire, et le Roi de Hanovre, voulant éviter par-dessus tout jus- 
qu'à l'apparence d'un détournement, à son bénéfice personnel, 
des deniers de l'État, publia le 13 juillet un rescrit ordonnant 
que, jusqu'au rétablissement de la paix, les revenus de ces va- 
leurs ne seraient pas employés pour les dépenses royales, mais 
conservés pour être répartis plus tard à qui de droit. 

Malheureusement, dans la précipitation du départ, on avait 
oublié les livres et registres portant les numéros et souches des 
litres enlevés à la cupidité prussienne ; or sur les derrières de 
l'armée combattante, la Prusse avait organisé des commissariats 
civils,dont la mission consistait principalement à faire mainbasse 
sur tout ce qui pouvait se prendre ; nous avons vu plus haut 
comment ces messieurs avaient travaillé en Saxe ; celui dont te 
Hanovre avait été affligé était le CAvil-commissa'r von Hardenberg 
qui ne tarda pas à découvrir les registres ; tout aussitôt il décréta 
le séquestre des titres et l'opposition au paiement des intérêts. 

Ce fut ainsi que le Roi de Hanovre se vit tout à coup dépos- 
sédé de ses biens et réduit à s'adresser directement au Roi de 
Prusse pour lui demander de faire lever au moins provisoi- 
rement le séquestre des revenus de sa maison. Il le fit dans une 
lettre autographe écrite le 28 juillet au Roi Guillaume à Nikols- 
bourg. La question était embarrassante ; il ne s'agissait pas ici 
d'un butin de guerre ; ce n'était ni plus ni moins qu'un vol ma- 
nifeste, un acte non-seulement illégal, mais criminel et déloyal. 
On ne pouvait le justifier. Que répondre? Le Roi de Prusse 
ne répondit pas et refusa de recevoir la lettre de son cousin 
germain. 

Cette conduite inqualifiable du Gouvernement prussien ne 
pouvait manquer de provoquer en Europe un blâme universel; 
elle y causa aussi quelque surprise, car jusqu'à ce jour la Cou- 
ronne de Prusse n'avait pas encore donné l'exemple de ces de- 
prédations privées, et on ne l'en savait pas capable. 

Aussi le Gouvernement Britannique ne crut-il pas pouvoir se 
dispenser d'offrir ses bons ofiices au Roi de Hanovre, se rappe- 
lant un peu tard qu'il était Prince de la Grande-Bretagne, Pau' 
d'Angleterre et cousia germain de la Reine. Sous les auspices 
du Duc de Cambridge intervenant comme agnat de la maison d" 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



403 



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Hanovre, des négociations s'ouvrirent à Berlin, et, après des 
vicissitudes dont nous renonçons à décrire les phases successi- 
ves, on arriva de part et d'autre à une convention qui fut signée 
le 29 septembre 1867 par les mandataires respectifs des deux 
Souverains, savoir : pour le Roi de Hanovre, son ancien minis- 
tre d'Etat Windthorst, et, pour le Roi de Prusse, les conseillers 
privés Konig et WoUny. 

Cette convention, rédigée en 12 articles, était loin de répondre 
aux revendications légitimes de la maison de Hanovre, mais elle 
sauvegardait, dans une certaine mesure, la fortune personnelle 
des Princes et des Princesses et substituait une spoliation par- 
tielle à une spoliation complète. 

L'art. \'" reconnaissait au Roi George V le château de Her- 
renhaus avec ses dépendances ainsi que le domaine de Calen- 
berg, sous la réserve que tous ces biens seraient régis par la 
Prusse aussi longtemps que Sa Majesté le Roi George V n'aurait 
pas renoncé pour lui et ses successeurs à la couronne de 
Hanovre. 

L'art. 2 — reconnaissait au Roi George la propriété d'une 
somme de 600.000 liv. sterling, soit 15 millions de francs, dé- 
posés à la Banque d'Angleterre. 

L'art. 3 — attribuait au Roi de Prusse tous les autres biens 
du Roi et de la Couronne de Hanovre. 

L'art. 4 — compensait cette cession par un paiement fait au 
Roi George de 11 millions de thalers en titres de rente prus- 
sienne à 4 1/2 pour 100 et 5 millions de thalers en numéraire. 
Mais attendu qu'il restait encore à régler certaines garanties sur 
lesquelles l'accord ne s'était pas établi, il était convenu que de 
part et d'autre on nommerait des commissaires chargés de ce 
règlement. 

Les art. 5-6-7 — réglaient des questions de détail relatives aux 
impôts, aux pensions et charges des domaines Royaux, aux pa- 
tronats et co-propriétés de biens indivis avec d'autres branches 
de maisons princières. 

L'art. 8 — sauvegardait les propriétés personnelles et particu- 
lières de la Reine de Hanovre, du Prince héréditaire Ernest- 
Auguste et des Princesses Frédérica et Mai-ie. 



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404 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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L'art. 9— établissait que, quatre semaines après la ratification 
du traité ; d'une part, le séquestre placé sur les biens du Roi 
George serait levé, et, de l'autre, le Roi restituerait les -valeurs 
qui avaient été envoyées en Angleterre. 

Les art. 10 et 1 1 — réglaient des répartitions d'intérêts ccliuf 
ou à échoir. 

L'art. 12— final, était ainsi conçu : — « Ce traité sera ratifié 
et les ratifications en seront échangées à Berlin dans un délai 
de quatre semaines. » 



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Ce traité, comme on le voit, renfermait plusieurs conditions 
draconiennes, et les plénipotentiaires prussiens, dûment auto- 
risés et munis de pleins pouvoirs réguliers, le présentaient 
plutôt comme un ultimatum que comme une négociation. Ce 
fut ainsi que l'accepta le Roi de Hanovre ; mais du jour où il 
eut échangé sa parole et sa signature contre la parole et la 
signature du Roi de Prusse son cousin, il cessa les récrimi- 
nations et ne s'occupa plus que de remplir strictement et loyale- 
ment les clauses du traité. 

De son côté le Roi Guillaume paraissait disposé à en faire 
autant. Il donna sa ratification, pure et simple, sans conditions, 
promettant d'exécuter fidèlement la convention et de donner 
les ordres indispensables pour que les autorités compétentes 
fissent à cet efTet ce qui était nécessaire. Le Roi George fit 
revenir en Hanovre toutes les valeurs qui en avaient été enle- 
vées le '13 juin 1866 et elles furent remises au délégué prus- 
sien. En Prusse on leva le séquestre qui avait été placé sur la 
fortune du Roi de Hanovre. 

Mais tout cela n'était qu'une mise en scène destinée à sauver 
les apparences. Le Gouvernement prussien avait négocié avec 
la ferme résolution de ne pas remplir ses obligations, et, dès 
que le Roi de Hanovre eut tenu sa parole, le Roi de Prusse 
reprit la sienne. Rien n'est plus instructif et à la fois plus 
attristant, que l'histoire de cette répudiation. 

L'Impératrice d'Autriche, Marie-Thérèse, définissait ainsi ces 
parjures politiques dans une lettre écrite à son fils Joseph 11 : 
— « Vouloir agir à la prussienne et en même temps retenir les 



yl 



L'ALLEMAGINE NOUVELLE. 



403 



apparences d'honnêteté (1). » — C'était une tradition ; il en fut 
du traité du 29 septembre 1867 comme de l'art. 5 du Traité de 
Prague, comme de tous les traités, de tous les articles, de tous 
les engagements qui se signeront désormais dans de semblables 
conditions, et qui n'ont de valeur que si l'intérêt ou la force 
en assure l'exécution. 

Ce serait perdre le bénéfice de l'expérience et négliger les 
plus précieux enseignements dé l'histoire que de ne pas enregis- 
trer ces pratiques habituelles qui font de la déloyauté dans les 
transactions publiques une théorie à l'usage des forts. C'est pour- 
quoi nous les signalons à l'attention du lecteur, nous réservant 
de revenir plus tard sur cette importante question et d'examiner 
comment le droit des gens peut opposer une barrière efficace 
et constante aux emportements et aux prévarications de la 
force. 

Quelques semaines après la ratification du traité du 29 sep- 
tembre 1867, la Gourde Prusse fut prise d'un étrange scru- 
pule, et se crut obligée de soumettre la convention des deux 
Souverains à l'approbation des Chambres. Cette résolution était 
d'autant plus inattendue que, depuis longtemps déjà, on avait 
perdu l'habitude à Berlin de consulter le Parlement. On ne lui 
demandait pas son concours pour le vote du budget; on ne lui 
avait soumis aucun des traités politiques et financiers conclus 
avec tous les États allemands à la fin de la guerre, et en der- 
nier lieu on ne lui avait donné à voter qu'une loi d'annexion 
qui échappait à toute discussion parlementaire. Ce retour spon- 
tané et soudain à des formes constitutionnelles, pour ainsi dire 
tombées en désuétude, s'expliquait d'autant plus difficilement 
qu'il ne s'agissait ici que des biens privés du Roi de Hanovre, 
et non pas des deniers publics. On n'avait pas, dans la négo- 
ciation, réservé la sanction parlementaire, ainsi qu'il est d'usage 
dans les pays à constitution ; on avait traité de Prince à Prince ; 
c'était un Roi vainqueur qui avait dit à un Roi vaincu : — «Voici 
ce que je vous laisse et voilà ce que je prends, v 

Que venait donc faire le, Parlement entre les deux cousins"? 



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(1) Ârnclh : Correspondance de Marie-Tliérèse el de Joseph 11, p. 362. 

23. 



406 



L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 






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i;iinpéralricc M;irie-Tliérèse l'a parfaitement expliqué ; le Par- 
lement intervenait pour permettre au Roi vainqueur d'agw a h 
prussienne m retenant :es apparences de l'honnêteté. 

Or depuis les victoires de 1 866, le courant de l'opinion avail 
pris dans les Chambres une nouvelle direction. L'ivresse du 
succès avait effacé les rancunes du passé, le Gouvernemeat 
était le maître. Cependant la manœuvre n'était pas aussi facile 
qu'elle paraissait l'être, car ce'que l'on demandait aux Cham- 
bres n'était ni plus ni moins qu'un vote contraire à la signa- 
ture du Roi. Nous passons sous silence les débats au milieu 
desquels se déroula l'intrigue dont nous avons suffisamment 
indiqué le caractère. Le Président du Conseil dut prendre la 
parole dans la discussion; et peu s'en fallut que ses efforts ne 
vinssent échouer devant le respect de la signature Royale, dont 
plusieurs membres du Parlement ne paraissaient pas vouloir 
faire aussi bon marché que le Gouvernement. M. de Bisniard 
fit alors intervenir des accusations directes contre le Roi dépos- 
sédé; il évoqua des complots et des conspirations inventes 
pour les besoins de la cause, et poussa la violence de ses im- 
provisations jusqu'à l'oubli des convenances et l'emploi d in- 
jures grossières contre la personne même de George V. Ce tu 
une séance de triste mémoire dans les annales parlementaires 
de la Prusse ; le but fut non-seulement atteint, mais dépasse, 
car les apparences, qu'on avait voulu retenir, disparurent sou» 
la pression exercée par le premier ministre. Personne ne s} 
trompa. Ce n'était pas le Parlement qui forçait le Roi à violer 
sa parole. C'était au contraire le Gouvernement qui forçait If 
Parlement à sanctionner la parole violée. 

Tous les biens de la Maison de Hanovre furent placés sous le 
séquestre. 

Ainsi vota le Parlement et ainsi décrétais Roi de Prusse en pro- 
mulguant, le 2 mars 1 868, la loi qui déchirait sa signature du 29 
septembre 1867. On avait mis cinq mois à cette laide opération. 



Nous avons donné la nomenclature et l'analyse des princi- 
paux actes diplomatiques à l'aide desquels la paix succéda à la 
guerre dans le centre de l'Europe. 



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I/ALLEMAG>)E NOUVELLE. 



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L'Italie s'est complétée ; elle devrait être satisfaite, elle ne 
l'est qu'à moitié, car elle voulait davantage. 

L'Autriche, vaincue sans être considérablement affaiblie^ 
sort de cette terrible épreuve moins maltraitée qu'elle ne l'avait, 
craint après les premiers désastres. 

La Prusse est agrandie; l'Allemagne du Nord est à elle, et les. 
Princes allemands sont les vassaux de son Roi. Elle aussi vou- 
lait davantage ; mais elle accepte son triomphe comme une étape- 
dans la voie de ses aspirations ; elle attendra et se préparera ; 
la Confédération du Sud est une fiction; car en signant les. 
traités de paix qui assurent à la Bavière, au Wurtemberg, à 
Bade et à Darmstadt une existence nationale qui leur est propre 
et leur permet de conclure un pacte fédéral, en signant ce 
témoignage apparent de leur autonomie, la Prusse victorieuse 
leur a imposé des conventions militaires secrètes qui placent 
leurs armées sous les ordres et à la disposition du Roi, chaque 
fois qu'il en aura besoin. Dans les documents apparents, devant 
le droit des gens, ce sont des États libres ; en réalité ce sont 
des vassaux comme les autres; au point de vue militaire ils 
sont aussi bien dans la Confédération du Nord que les autres 
États qui la composent. Les préliminaires de Nikolsbourg, les 
traités de paix signés à Berlin ou à Prague, tous ces actes ne 
sont vraiment que des chartes secondaires. La vérité est tout 
entière dans les conventions militaires imposées par la force aux 
vaincus du Sud de l'Allemagne, comme elles l'avaient été par la 
nécessité et l'intérêt aux alliés du Nord. Toutes les forces de l'Al- 
lemagne sont à la Prusse, toutes, excepté l'armée autrichienne. 

C'est bien là la situation créée par la guerre de 1866, et en 
présence de laquelle se trouvent désormais les grandes Puis- 
sances de l'Europe. L'ancien équilibre s'est déplacé, quel est 
celui qui va le remplacer? 

Ce n'est pas au lendemain des cataclysmes qu'il est possible 
d'en bien apprécier les conséquences ; à la suite des grandes 
perturbations, il se fait dans tous les esprits une espèce d'é- 
tonnemcnt qui marque la phase de transition et pendant lequel 
les yeux ne s'ouvrent pas encore à la nouvelle lumière. C'est 
ce qui arriva, non-seulement en Allemagne, mais dans toute 






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408 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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l'Europe. Le fait le plus saillant de cette grande épopée, le 
résultat le plus important de cet ébranlement général, les traités 
militaires secrets de la Prusse et des États allemands passèrent 
pour ainsi dire inaperçus au milieu des négociations pacifiques, 
et cependant tout l'avenir était là et pas ailleurs. 

A peine la paix de Prague fut-elle signée, que le Gouverne- 
ment autrichien se mit à l'œuvre pour accomplir dans l'admi- 
nistration militaire et civile les réformes dont la campagne de 
1866 avait démontré la nécessité. La presse et les bourgeois 
réclamaient la mise en accusation du général Bénédek et de 
tous les généraux qui avaient été battus ; peu s'en fallait qu'ils 
ne criassent à la trahison, ainsi que le font presque toujours 
les poltrons que la prudence a retenus, pendant la guerre, 
éloignés des champs de bataille. Il répugnait au Gouvernement 
de céder à ces exigences vulgaires ; ceux qu'elles mettaient en 
cause demandèrent et obtinrent leur procès militaire. On com- 
mença l'enquête, mais bientôt un ordre de l'Empereur la fil 
interrompre ; l'Archiduc Albert, le vainqueur de Custozza, le 
chef et le héros de l'armée avait voulu devancer la sentence des 
juges et saluer à son arrivée Bénédek, que poursuivait avec 
acharnement la colère des cafés et des brasseries de la capitale. 

Il faut le dire à la louange de la nation Autrichienne, les 
insulteurs de l'infortune furent bientôt réduits au silence par le 
mépris public ; le peuple, le vrai peuple refusa de les suivre 
dans leui-s attaques rétrospectives. Il respecta la douleur de 
l'armée vaincue et opposa le souvenir de sa valeur à celui de 
ses revers. Il se fit un silence patriotique sur les tristes épreuves 
dupasse; on se serra autour de l'Empereur comme pour le 
consoler et le fortifier; et ce fut au milieu des témoignages 
de .sympathie et de fidélité que François-Joseph entreprit do 
relever son Empire et de réparer les ruines de la guerre. 

Le général John s'était acquis une véritable renommée en 
Italie comme chef d'état-major de l'Archiduc Albert ; il était 
aussi fort populaire; son nom rappelait Custozza et n'était 
mêlé à aucune des défaites de la campagne ; il était indiqué 
pour le ministère de la guerre et il y fut appelé au commence- 
ment de septembre. En même temps l'Archiduc Albert recevait 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



409 



le commandement supérieur de l'armée et partageait avec le 
ministre la direction générale des forces de l'Empire. 

Cette nouvelle organisation avait des partisans enthousiastes 
et aussi des adversaires opiniâtres. Son but était de combler dans 
la haute administration militaire une lacune que la guerre de 
1866 paraissait avoir mise en évidence. Il s'agissait de — « l'ap- 
titude au combat » - (schlagfertigkeit) qui devait désormais être 
portée à un degré de perfectionnement que le ministre de la 
guerre, occupé, absorbé par les questions d'administration, 
n'avait jamais pu atteindre. Le commandant supérieur devait 
avoir dans ses attributions tout ce qui concernait l'instruction, 
l'éducation militaire, la discipline, le bon esprit des troupes, 
et aussi leur hygiène, tandis que les questions de personnel 
et d'administration, le recrutement, la remonte, les achats et 
entretiens de matériel, la comptabilité et la juridiction res- 
taient comme par le passé dans celles du ministère de la guerre. 
Les deux administrations devaient s'entendre sur toutes les 
mesures qu'elles jugeraient à propos d'ordonner et, dans le cas 
de divergence, recourir à la haute décision du Souverain. L'Em- 
pereur s'était réservé la collation des grades. 

Au premier abord ces réformes militaires furent accueillies, 
sinon avec grande confiance, du moins avec cette faveur que 
montre en général le public pour les nouveaux systèmes, sur- 
■ tout quand l'expérience a condamné les anciens. Mais il ne 
suffit pas de changer pour avancer; faut-il encore que le chan- 
gement soit un progrès, et puisse s'adapter aux exigences de la 
situation. Or le système de la séparation des pouvoirs en ce qui 
touche l'armée n'était pas précisément nouveau; il avait été 
pratiqué jadis dans des circonstances plus favorables, et il 
n'avait pas produit de très-bons résultats. On s'en souvint au 
bout di3 quelques semaines, et le premier étonnement passé, 
on se demanda si après une guerre ruineuse, il était bien sage 
de créer une organisation militaire qui devait nécessairement 
avoir pour conséquence d'augmenter considérablement les 
dépenses au lieu de les diminuer. 

Lfi commandant supérieur devenait en effet un généralissime 
irresponsable qui disposait à son gré des troupes, du matériel, 



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410 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



de l'équipement, en un mot, de tout ce qui constitue les grandes 
dépenses de l'armée ; et, à côté de lui, le ministre subalterne 
n'avait qu'à enregistrer les frais du commandant supérieur pour 
les présenter aux Chambres. 

Il était à peu près certain que cette organisation rencontre- 
rait des obstacles considérables dans le fonctionnement régu- 
lier des institutions quasi-parlementaires de l'Empire. Aussi 
longtemps que durerait la patente Impériale de septembre 1865, 
qui depuis un an avait suspendu tous les pouvoirs de l'Etal, 
autres que ceux de la Couronne, aussi longtemps que l'Empe- 
reur était le seul maître absolu, la nouvelle combinaison pou- 
vait fonctionner tant bien que mal; mais elle ne pouvait 
résister au premier choc d'une discussion parlementaire; et 
cette discussion devenait imminente, car le Gouvernement ne 
pouvait tarder à réunir les Chambres et à les mettre en mesure 
de se prononcer. Tous les ministres en avaient la conscience et 
ne s'en cachaient pas. 

La nomination de l'Archiduc Albert au commandement supé- 
rieur de l'armée émanait de l'Empereur seul, en dehors de son 
Conseil qu'il n'avait pas consulté, et cette circonstance expli- 
quait à un certain degré la liberté avec laquelle chacun appré- 
ciait ou critiquait l'acte souverain. Le fait est que la mesure 
décrétée par l'Empereur lui avait été suggérée par la nécessité 
de rétablir dans l'armée l'unité du commandement; elle eîit été 
d'une utilité incontestable avant ou pendant la guerre, mais 
elle avait le défaut de venir trop tard, et précisément au 
moment où le contrôle des Chambres allait en paralyser 
l'action. Dans la pratique du régime parlementaire auquel 
les nécessités de la situation ramenaient forcément le Gouver- 
nement autrichien, l'autorité est à peu près inséparable de la 
responsabilité, et le ministre ne peut être réduit au rôle secon- 
daire que lui attribuait la nouvelle organisation. 

II était donc facile de prévoir qu'avant peu il se produirait des 
changements ou des conflits dans l'organisation politique de 
l'Empire. L'opinion publique les pressentait et il en résultait uu 
état anormal et indécis éminemment transitoire. Le comte de 
Meusdorff, qui ne s'était jamais trompé une seule fois depuis qu'il 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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était ministre, qui avait toujours donné les bons conseils, qui 
avait presque toujours vu faire le contraire de ce qu'il conseil- 
lait, commençait enfm à se fatiguer du rôle qu'il avait cru de- 
voir jusque-là garder par obéissance, et il lui tardait de dégager 
sa solidarité d'une politique qu'il avait rarement approuvée ; le 
ministère n'était plus homogène et chacun sentait que ses jours 
étaient comptés. 

Le premier acte du nouveau ministre de la guerre fut de 
soumettre à la sanction Impériale une décision dont la signifi- 
cation était considérable. Elle enlevait aux Princes étrangers qui 
avaient combattu l'Autriche les régiments dont ils étaient les 
colonels honoraires. C'étaient les régiments d'infanterie : Prince 
royal Frédéric-Guillaume de Prusse n» 20 ; Guillaume I- Roi 
de Prusse n° 34; Frédéric-Guillaume-Louis, Grand-Duc de Bade 
(1- 50 ; Frédéric-François, Grand-Duc de Mecklembourg n" 57 ; 
les régiments de cuirassiers, comte Wrangel, n° 2 ; et Charles, 
Prmce de Prusse, n° 8; et le régiment de hussards, Frcderic- 
Charles, Prince de Prusse Wl. 

Tous ces corps ne devaient plus être désormais désignes que 
par leurs numéros respectifs, sans qu'il fût jamais fait mention 
de leurs anciens propriétaires. t , - 

On fut surpris de voir figurer, parmi les Princes dont les re- 
oiments autrichiens cessaient de porter le nom, le Grand-Duc de 
Bade, qui avait pris les armes contre la Prusse; mais le gendre 
du Roi Guillaume passait à juste titre pour être Prussien, toutes 
ses sympathies étaient à Berlin et on le considérait en Alle- 
magne comme l'agent princier de son beau-père. 

Ainsi s'effaçait en partie une des plus anciennes traditions 
des Cours allemandes, en vertu de laquelle, dans les visites 
princières, se faisaient auparavant les échanges d uniformes 
dont nous avons déjà eu l'occasion de parler. 

Quelques jours après, l'Ambassade de France à Vienne était 
invitée par M. de Bismarck à informer le Gouvernement autri- 
chien du prochain retour du baron de Werther revenant 
prendre la gestion de la légation de Prusse et y joindre le titre 
de légation de la Confédération du Nord en Autriche 
Dans les derniers jours d'août, M. Drouyn de Lhuys avait 



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412 



L'ALLEMAGNE NOCVELLE. 






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déclaré à l'Empereur sa résolution de quitter le ministère des 
Affaires Étrangères. Il lui devenait en effet très-difficile de 
diriger désormais la politique étrangère du Gouvernement Im- 
périal au milieu d'éléments nouveaux qu'il avait toujours com- 
battus, et dans une situation qui était précisément celle contre 
laquelle il n'avait cessé de protester. Il avait été remplacé par 
M. le marquis de Moustier, alors à Constantinople, et, depuis le 
'\" septembre, l'intérim des Affaires Étrangères était géré par 
le ministre de l'intérieur. 

Le premier devoir du nouveau ministère était de faire con- 
naître à la France et à l'Europe encore inquiète, les principes 
qui désormais allaient inspirer la politique Impériale, en pré- 
sence des événements considérables qui venaient de s'accomplir. 
Une circulaire diplomatique, datée du 16 septembre 1SÛ6, et 
restée célèbre dans les annales de cette époque, fut adressée 
aux agents et publiée au Journal OffvAel. Nous ne saurions 
passer sous silence cet étrange document qui fit alors une 
grande sensation, non pas malheureusement par la logique de 
ses déductions, mais par l'autorité de langage et de confiance 
avec laquelle il opposait l'optimisme dos espérances aux cruelles 
déceptions du présent et aux périls certains de l'avenir (i). 

Il ne serait pas juste, hâtons-nous de le dire, de juger la 
dépêche circulaire du 16 septembre -1866, sans tenir compte des 
circonstances au miheu desquelles elle fut publiée. 

L'opinion publique en France, ainsi que le constatait le docu- 
ment officiel, était émue. 

<< Elle flotte incertaine, disait le ministre, entre la joie de voir 
les traites de 1815 détruits et la crainte cfue la puissance de la 
Prusse ne prenne des proportions excessives. » 

C'était en effet la préoccupation générale de tous les esprits; 
mais 1 opinion publique ne flottait pas et n'était pas incertaine. 
Uepuis longtemps les traités de 1 8 1 5 n'inquiétaient plus et n'Iiu- 
miliaient plus la France. L'avènement de l'Empereur, la guerre 
de Crimée, la guerre d'Italie en avaient effacé le souvenir et 
annule les effets. Ce qu'il en restait de ces traités, suffisait à 
(1) Voir le lexlc complet de la dépCche circulaire, annexe, no 12. 






L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



413 



peine pour attester qu'ils avaient vécu, et la France, bien loin 
de gagner quelque chose à la destmction de l'ancienne Confé- 
dération germanique, se sentait désormais menacée par une 
Prusse trop puissante pour ne pas être très-dangereuse. 

Le pays ne se trompait pas sur les résultats déplorables de la 
politique qui avait prévalu contre les premières inspirations de 
l'Empereur. La Prusse s'était agrandie outre mesure, et la 
France, sa voisine, n'avait rien ajouté à la sécurité de ses fron- 
tières en présence de cette force nouvelle et prépondérante. 
L'opinion publique était justement alarmée et il fallait la ras- 
sm-er à tout prix. Ce fut là sans aucun doute la cause et l'ori- 
gine de la dépêche du 46 septembre. Effort inutile qui fit au 
contraire plus de mal que de bien, en appelant la discussion 
sur des assertions qui n'étaient ni soutenables ni discutables. 
Peut-on changer les faits avec des commentaires ? Peut-on, à 
l'aide de sophismcs presque naïfs, masquer un échec aussi con- 
sidérable que celui auquel avait abouti la politique du nouveau 
Cabinet? Non, et ce fut une faute nouvelle ajoutée aux an- 
ciennes que de vouloir en quelque sorte imposer au public la 
satisfaction et la confiance par des arguments presqu'enfantins 
et des phrases vides de sens. Mieux eût valu cent fois recon- 
naître loyalement les mécomptes de cette triste campagne et 
parler à la France un langage sobre, ferme et sincère. 

Mais vouloir démontrer que la Prusse, victorieuse de l'Au- 
triche, hautaine et déloyale dans ses relations internationales, 
maîtresse absolue de toutes les forces de l'Allemagne (1 \ sou- 
tenue par la Russie, alliée de l'Itahe, était pour la France une 
voisine plus rassurante et plus pacifique que cette vieille Con- 
fédération, uniquement bâtie pour la paix et incapable pour la 
guerre, c'était vraiment braver trop ouvertement le bon sens 
du public et montrer avec trop peu d'habileté aux Puissances 
étrangères la faiblesse de la situation. 

L'Empereur ne s'y était pas trompé, et quand plus tard, sorti 
des étreintes de la maladie et des accablements de la douleur, 
il se mit sérieusement et personnellement en présence des faits : 



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(i)Rn vertu des convenlions militaires secrètes. 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 






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— « Je vis clairement, dit-il, que la guerre avec la Prusse étaii 
inévitable » — (1 1; et pendant que le Journal Officiel entonnait 
le chant de confiance du 1 6 septembre, il faisait appeler ses gé- 
néraux, il leur disait le danger de la France et la nécessité de 
préparer la défense. 

Il faudrait une étude beaucoup plus longue et beaucoup plus 
approfondie que ne le comporte le cadre restreint de ces souve- 
nirs pour expliquer les véritables raisons de cette contradiction 
apparente entre un Cabinet qui proclame la paix et la sécurité 
et un Souverain qui voit la menace et pense à préparer la dé- 
fense (2). Nous croyons être dans le vrai en disant que la dé- 
pêche du 1 6 septembre trouvait son excuse dans la nécessité de 
faire bonne contenance devant des faits accomplis, qu'il n'était 
plus temps de conjurer, et qu'il fallait subir comme les consé- 
quences et le châtiment des fautes passées. Il n'eût pas été sans 
péril de laisser un libre cours au mécontentement populaire et 
de se poser en ennemi déclaré de la nouvelle et glorieuse Al- 
lemagne. Le Cabinet jugea plus prudent de se montrer satisfait 
et de cacher ses mécomptes. 

Malheureusement il est plus facile de rassurer un peuple 
habitué à la louange et à la gloire que de l'éclairer sur les dan- 
gers qui le menacent et les sacrifices nécessaires à son salut. 
Les accents pacifiques de la satisfaction plaisent davantage aux 
nations orgueilleuses que le cri inquiet de la sentinelle et l'a- 
larme des prévoyants. Aussi quand plus tard, de 1867 à (870, 
l'Empereur, de plus en plus frappé de la marche des événements, 
multiplia ses efforts pour éclairer l'opinion publique ; quand il 
soumit aux Chambres un projet de loi pour une réforme mili- 
taire indispensable ; quand il fit appel au Parlement sous toutes 
les formes et avec une persévérance inébranlable ; le Parlement 
détourna la tête et ne voulut pas voir. En vain le maréchal Niel 

H) Noie revue et corrigée par l'Empereur, reproduite par M. F. Boin- 
villiers dans son livre intitulé « Paris le Tyran », p. 48o. 

(2) Pour se faire une idée juste et complète de cette situation anor- 
male et exceptionnelle, il faudrait se leporier aux déliais de la Gharabrc 
des députés en 1867 et relire les discours du Ministre d État et ilciM.ta- 
lour du Moulin dans les séances mémorables des 16 mars et 29 juin* 
cette année. 



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plaçait-il sous les yeux des Chambres des chiffres incontestables 
qui se dressaient comme des menaces saisissantes et prochaines ; 
— « ses adversaires, tout en se montrant bienveillants pour sa 
personne, étaient aussi incrédules qu'intraitables ; la guerre n'en- 
trait pas plus dans leurs prévisions que dans leurs goûts » — (1). 
Et, des réformes demandées, il ne sortit qu'un système insigni- 
fiant de mobilisation théorique qui n'augmentait pas sérieuso 
ment les forces du pays. 

Pendant qu'en France un nouveau ministère cherchait ainsi à 
rétablir par des dépêches souriantes l'équilibre de ses relations 
extérieures, l'Autriche se préparait de son côté à inaugurer aussi 
avec des hommes nouveaux, un système de gouvernement mieux 
adapté à la situation que les événements lui avaient faite. Il 
était manifeste que l'ancien Cabinet ne répondait plus aux cir- 
constances. Manquant de prestige et d'homogénéité, divisé au 
Conseil, souvent en divergence avec l'Empereur lui-même, le Ca- 
binet n'avait plus de raison d'être ; l'opinion publique était donc 
toute préparée à sa retraite. Cependant ce ne fut pas sans une 
certaine surprise qu'on apprit, le 27 octobre, que M. le baron de 
Beust était nommé ministre des Affaires Étrangères et de la mai- 
son de l'Empereur. 

Le sentiment général n'était pas favorable à ce nouveau choix 
de l'Empereur; d'abord parce qu'un pays se sent toujours plus 
ou moins humilié et froissé quand son Souverain va choisir un 
étranger pour lui confier les rênes du Gouvernement ; puis on 
voyait dans cette nomination une marque de dépit et une pro- 
vocation aussi impolitique que stérile à l'égard de la Prusse et 
surtout de M. de Bismarck. Bon nombre d'Autrichiens ayant pris 
leur parti des malheurs passés, voulaient désormais vivre en 
paix avec leurs voisins : - « Pourquoi, disaient-ils, aller chercher 
cet agent saxon qui est antipathique à M. de Bismarck, qui est 
étranger chez nous, ne connaît pas nos affaires et poursuivra a 
nos dépens la satisfaction de ses rancunes personnelles? N'avons- 
iious donc personne chez nous qui le vaille ? N'est-ce pas un af- 
front immérité, après les sacrifices que nous avons faits, que de 

(1) Paroles de Napoléon III dans le compte rendu d'un entrelien revu 
et corrige par l'Empereur. 



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nous voir tous éloignés de la direction de nos propres affaires, 
éloignés de la confiance de notre Empereur qui cependant 
vient de mesurer notre fidélité? » —D'autres critiquaient amère- 
ment le choix d'un homme d'Etat qui, pendant la période de 
controverse allemande qui avait précédé la guerre, avait prisrini- 
tiative de plusieurs propositions anti-autrichiennes, dirigées 
contre la préséance Impériale, et destinées à faire descendre 
l'Autriche du premier rang des Confédérés pour la noyer dans 
une organisation commune. D'autres encore voyaient avec dé- 
plaisir un Saxon protestant appelé, par ses fonctions de ministre 
de la maison de l'Empereur, à prendre part à tous les actes 
catholiques de la famille Impériale. 

Mais s'il se trouvait un nombre considérable de rnécontcnls 
qui blâmaient et critiquaient le choix de l'Empereur, il ne man- 
quait pas de Viennois qui au contraire saluaient presqu'avec en- 
thousiasme l'avènement du nouveau ministre. Le parti libéral et 
parlementaire,le parti desbanquiers Israélites et des israélitesnon 
banquiers voyait dans la nomination du baron de Beust une rup- 
ture de l'Empereur avec toutes les vieilles traditions de la maison 
Impériale et ils en témoignaient hautement leur satisfaction. 

De sorte que si la Cour, la noblesse et une partie de l'Empire 
voyaient avec déplaisir l'introduction du nouveau venu dans les 
Conseils du Gouvernement, par contre, la bourgeoisie parlemen- 
taire et la haute finance Israélite lui faisaient un accueil empressé. 
Il se trouvait aussi un groupe d'hommes sages et impartiaux 
qui, avant de se prononcer, voulaient le voir à l'œuvre. Il était 
certain que l'état politique et intérieur de l'Autriche appelait 
impérieusement une réforme radicale. Tout le monde était 
mécontent; chacun des peuples dont se composait la monarchie 
Impériale protestait contre l'organisation de l'Empire à ce point 
de lui refuser avec éclat toute espèce de concours. L'opposition 
grandissait cà vue d'œil et peu s'en fallait qu'elle ne prît le ca- 
ractère et les proportions de la révolte. Le Cabinet de Berlin 
fomentait l'esprit de sédition par ses agents et ses libéralités; 
il avait encore grand besoin de la faiblesse de l'Autriche. 

Il fallait donc à tout prix substituer à l'exclusivisme viennois, 
désormais impraticable, un système quelconque qui, sous forme 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



417 



de compromis, fît une part équitable aux diverses nationalités 
de la monarchie. Or pour une entreprise de ce genre il n'était 
pas facile de trouver un ministre capable de la bien conduire. 
Hongrois, il soulevait la colère et les méfiances des Allemands 
de l'Autriche ; Viennois ou Autrichien, la Hongrie lui tournait 
le dos ; Bohême, Croate, Polonais, l'Autriche et la Hongrie le 
combattaient ensemble. Un étranger, un Saxon, avait du moins 
cet avantage de se présenter avec un cœur libre et un esprit 
ouvert à toutes les transactions. C'était là, disait-on, ce qui avait 
décidé l'Empereur à choisir le baron de Beust. 

Depuis plus d'un demi-siècle toute administration autri- 
chienne était organisée d'après un système hiérarchique d'obéis- 
sance passive et d'absence d'initiative de la part des employés. 
Chaque emploi était circonscrit de manière à ce que le titulaire 
n'eût jamais à se mouvoir, ni à penser en dehors de la sphère 
restreinte de ses attributions. 11 était donc assez difficile de trou- 
ver dans ce personnel, nécessairement secondaire, un homme 
qui répondît aux exigences d'une situation aussi nouvelle 
qu'exceptionnelle. Le baron de Beust était d'une grande activité, 
et bien que ses mouvements, alors qu'ils partaient de Dresde, 
n'eussent en définitive rien produit de bon, cependant on pou- 
vait espérer que sur une scène moins restreinte, son activité 
serait plus heureuse. Ce fut sans aucun doute une raison qui 
vint se joindre à la première pour engager l'Empereur à lui 
confier le mandat des réformes nécessaires. 

En principe, c'est toujours une mauvaise chose que d'intro- 
duire des étrangers dans les Conseils de la Couronne; mais il 
faut reconnaître qu'en cette circonstance il y avait des raisons 
exceptionnelles qui semblaient justifier le choix du Souverain. 
Nouveau venu sur le terrain des rivalités traditionnelles, na- 
tionales, légendaires, des différents peuples de la monarchie 
autrichienne,le baron de Beust fit ce qu'un indigène n'eût peut- 
être pas réussi à faire; par son entremise la discussion remplaça 
la protestation, et de la discussion sortit enfin un modus vivendi 
dont nous aurons à reconnaître plus tard les mérites et les dé- 
fauts. Pour cette œuvre de médiateur, l'étranger valait mieux, 
que les belligérants. 






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XIX 



Programme politique du nouveau minisire. — Le dualisme Austro-Hon- 
grois. — Rappoits de l'Autriche et de la Prusse. — Rapports de l'Au- 
triche avec la Russie. — Indires d'un prochain soulèvement dans les 
provinces Turques. — Projet de conférence. — Rapports de l'Autriche 
et de l'Ilalip. — Réflexions finales. 



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Dans la matinée du 2 novembre -1866, le baron de Beust était 
assis au ministère des Affaires Étrangères, à ce même bureau (jue 
venait de quitter quelques jours auparavant le comte de Mens- 
dorff, comblé des témoignages d'estime et d'affection de sou 
auguste Souverain. 

Dès le 5 du même mois, le nouveau ministre développait aux 
représentants des Puissances étrangères le programme de sa 
politique intérieure et extérieure. 

— Il ne se dissimulait pas les difficultés de la situation qu'il 
allait entreprendre de modifier. Elles étaient de deux natures : 
les unes toutes intérieures lui" paraissaient les plus ardues ; les 
autres, extérieures, ne l'inquiétaient pas. 

A l'intérieur, il se proposait, avant tout, de rétablir dans les 
Conseils de l'Empire l'homogénéité qui leur faisait défaut depuis 
assez longtemps, et dont l'absence, disait-il, avait paralysé 
pendant toute la dernière période les tentatives de réforiiH-S 
partielles vainement poursuivies par le Gouvernement. — 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Il y a-vait certainement quelque chose de vrai dans cette obser- 
vation rétrospective; mais n'était-il pas juste aussi de tenir 
compte des difficultés de la politique étrangère, de l'antago- 
nisme austro -prussien et des exigences de la guerre ? Depuis 
plus de deux ans le Gouvernement se débattait contre une 
agression implacable et, quand bien même le Cabinet eût été 
unanime dans sa doctrine, les événements l'eussent toujours 
réduit à l'impuissance. Il faut la paix pour les grandes ré- 
formes. 

— Prenant l'Empire d'Autriche tel qu'il était en réalité, c'est- 
à-dire le considérant comme une réunion de peuples divers ratta- 
chés les uns aux autres par des liens politiques et une commu- 
nauté d'intérêts incontestable, le nouveau ministre prétendait 
resserrer ce principe d'union sans porter atteinte aux droits 
antérieurs ni aux traditions historiques auxquelles les popula- 
tions attachaient un si grand prix. Il paraissait d'ailleurs dis- 
posé à faire de larges concessions aux idées d'autonomie pro- 
vinciale, tout en dégageant d'une manière absolue et bien définie 
la part des intérêts communs à tout l'Empire, pour la placer 
sous la sauvegarde d'un Gouvernement franchement et sincère- 
ment constitutionnel. 

Au moment où il abordait, pour essayer de les résoudre, des 
difficultés aussi complexes, il se trouvait en présence d'un ma- 
laise général ; il n'y avait pas dans tout l'Empire un seul peuple, 
une seule race, une seule province qui fût satisfaite. Le Gou- 
vernement n'avait devant lui que des mécontents, presque des 
adversaires. Pouvait-il les contenter tovis à la fois? C'était ma- 
tériellement impossible, car chacun d'eux prétendait l'entraîner 
de son côté. Pouvait-il leur résister? Pas davantage, car il 
n'avait plus le prestige de la force, ni celui de la prospérité. 11 
fallait nécessairement commencer par se rapprocher de l'une 
des nations de la monarchie pour faire cesser à tout prix l'isole- 
ment du pouvoir Impérial. Et du moment où il fallait choisir, 
le mieux n'était-il pas de s'adresser au plus fort? C'est pourquoi 
le premier soin du Cabinet devait être de poursuivre le règle- 
ment silaborieux des affaires de Hongrie, non pas que les Hon- 
grois fussent plus nombreux que les Slaves ou les Croates, mais 



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L'ALLEMAGNE NOIVELLE. 



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ils étaient mieux organisés dans leur résistance politique ; leurs 
griefs étaient mieux précisés et leur antagonisme était plus 
redoutable. Une fois d'accord avec la Hongrie, le Gouvernement 
ne serait-il pas plus fort, et dans de meilleures conditions, pour 
traiter avec la Boliême et avec les Polonais delà Gallicie? — 

Le seul danger de ce système était d'éveiller, chez toutes les 
nationalités dont se composait l'Empire d'Autriche, le désir assez 
légitime d'obtenir un traitement identique à celui que récla- 
mait la Hongrie. C'était pour cette raison que jusqu'à ce jour 
on avait hésité entre l'assimilation complète de toutes les pro- 
vinces sous un régime nouveau et uniforme, et le dualisme 
entre les deux parties de l'Empire que sépare le cours de la 
Leitha. 

La Leitha est une petite rivière formée, dans l'Archiduché 
d'Autriche, de deux affluents qui se rencontrent près de Neu- 
stadt. Elle coule sur la limite de la Hongrie pendant quelques 
lieues, passe à Bruck et rentre en Hongrie pour aller se jeter 
dans un bras du Danube près d'Altenbourg. 

En prenant le cours de la Leitha pour limite pohtique de deux 
moitiés de l'Empire ainsi divisé en partie cisleithanienne au 
nord, et partie transleithanienne au sud, on maintenait le 
champ de la discussion ouvert à toutes les transactions, car à 
vrai dire, cette frontière était une fiction ; fiction géographique, 
aussi vague, aussi peu correcte que tout l'ensemble des prin- 
cipes et des théories sur lesquels reposait l'édifice politique de 
la monarchie autrichienne. Mais ce qui dans des circonstances 
ordinaires eût été une cause d'insuccès, pouvait au contraire 
servir utilement dans la situation exceptionnelle qu'il s'agissait 
de rectifier. Un programme défini et parfaitement clair eût 
soulevé, dès le premier jour, des conflits implacables de la part 
de toutes les Diètes, excepté peut-être celle de Hongrie appelée 
à en bénéficier. Il était plus sage de laisser encore planer une 
certaine incertitude sur les projets du Gouvernement et de n'en 
préciser que les traits généraux de conciliation, de transaction 
et d'égale bienveillance. 

Le baron de Beust avait opté pour le dualisme. Il est difficile 
d'admettre qu'il ait jamais pu considérer l'organisation du dua- 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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lisme austro-hongrois comme un résultat définitif et complet ; 
mais il considérait avec raison que le premier pas dans la voie 
des réformes nécessaires était un accord avec la Hongrie. Or, à 
la fin de 1866, les Hongrois, qui avaient tenu dans leurs mains 
les destinées de la monarchie pendant les mois de juillet et . 
d'août, parlaient de leurs droits beaucoup plus que de leurs 
devoirs. Voyant l'Autriche exclue pour ainsi dire de l'Allemagne, 
et obligée de chercher désormais son nouveau centre de gravité 
dans ses provinces non allemandes, ils avaient résolu d'y tenir 
le premier rang, et l'orgueil national des Magyares s'était en- 
flammé à ce point qu'on ne supportait plus à Pesth ni la langue, 
ni même le costume des Allemands. 

Il n'eût pas été prudent, même pour un étranger, de passer 
dans les rues avec un chapeau de forme cylindrique, parce que 
le peuple y voyait un emblème germanique qui l'exaspérait. Les 
noms des rues, les enseignes de boutiques et de magasins, jadis 
inscrits dans les deux langues, avaient été remplacés par le hon- 
grois seul. Plus de pantalons, plus de redingotes; partout, 
depuis le seigneur jusqu'à l'artisan, la culotte serrée et la botte 
hongroise, le justaucorps boutonné {dolman), le chapeau mou 
aux bords retroussés ou le bonnet d'astrakan (fapka) sur f o- 
reille. Ce n'était donc pas chose facile que de s'avancer alors 
vers ce peuple exalté qui ne voyait que lui seul dans l'Empire, 
pour qui François-Joseph n'était pas Empereur, mais Roi de 
Hongrie, ou plutôt légitime héritier de la Couronne de Saint- 
Étienne, non encore sacré, non encore assermenté, non encore 
couronné . 

Dieu seul savait les exigences qui allaient se lever tout à coup, 
peut-être commodes obstacles insurmontables, aux premiers pas 
du Gouvernement sur le terrain des transactions. L'essentiel 
était de gagner quelques esprits sages ou fatigués, dans le groupe 
magyare que la nation honorait de sa confiance. 

Or, il y avait alors en Hongrie un homme qui jouissait d'une 
estime si considérable et d'une popularité si grande, que la na- 
tion entière l'écoutait comme un oracle et ne résistait jamais à ses 
conseils. Il s'appelait Déak, et avait débuté dans la vie comme 
avocat. Doué d'un esprit très-sagace et assez méfiant, il offrait à 



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L'ALLEMAGNE NOrVELLE. 



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ses concitoyens un type complet des qualités et des défauts de 
leur race ; de sorte que les Hongrois s'aimaient eux-mêmes en 
aimant Déak ; sa vie était simple, presque austère; il fuyait les 
grandeurs par un sentiment qui tenait de la fierté au moins 
autant que de l'humilité. Presque toujours à Peslh, il y habitait 
une modeste chambre au second étage de l'hôtel de la Reine 
d'Angleterre et prenait ses deux repas à la table d'hôte. Sa tenue 
était toujours la même; il portait un paletot à demi flottant, 
fermé autour du col par une passementerie tressée et le petit 
chapeau mou national. Quand il passait dans la rue, chacun 
le saluait. Déak était le vrai Roi de la Hongrie; tout le monde 
lui obéissait ; sans lui rien ne se pouvait faire; avec lui tout pou- 
vait s'entreprendre. 

Ce fut donc, non pas contre Déak, mais autour de lui que se 
dressèrent toutes les batteries du nouveau ministre. Et aussi 
longtemps que Déak ne fut pas convaincu que l'accord proposé 
était avantageux pour la Hongrie, les négociations ne produisi- 
rent rien. H vint un jour enfin où Déak ayant à peu près obtenu 
tout ce qu'il voulait, promit son concours au Gouvernement 
Impérial. Ce jour-là le dualisme fut établi et la Hongrie figura 
dans l'organisation politique de la monarchie autrichienne, 
comme étant une moitié de l'Empire. 

Nous touchons à la fm de 1 866, c'est-à-dire à la limite de ces 
souvenirs; nous n'aurons donc pas à raconter les phases succes- 
sives des négociations qui se terminèz'ent en 1867 par le couron- 
nement de l'Empereur François-Joseph comme Roi de Hongrie. 

Ce qui se fit alors dure encore aujourd'hui. La Couronne 
Royale de Saint-Étienne partage avec la Couronne Impériale de 
l'Autriche la représentation politique de tous les peuples de 
l'Empire; tout se fait désormais par moitié, tout, jusqu'aux 
formules diplomatiques et administratives. 11 n'y a plus d'Empire 
d'Autriche ; on dit maintenant la monarchie Austro-Hongroise et 
le territoire soumis au sceptre des Hapsbourg s'appelle l'Austro- 
Hongrie. Les affaires étrangères, la guerre, les finances consti- 
tuent des ministères communs pour les deux parties de la mo- 
narchie. Elles sont séparées pour tout le reste, ayant leurs 
ministres, leurs Parlements et traitant leurs affaires commune? 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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au moyen de délégations qui se réunissent alternativement d'un 
côté et de l'autre de la Leitha, à Vienne ou à Pestli. Ce système, 
comme on le voit, suppose le fait d'une parité absolue entre les 
deux moitiés d'Empire, ainsi dotées du mécanisme gouverne- 
mental et traditionnel des États autonomes ; une moitié alle- 
mande et une moitié hongroise. 

A vrai dire, c'est une fiction; car au nord de la Leitha, les 
Allemands sont en minorité, et la partie cisleithanienne de la 
monarchie est une agglomération de races et de peuples diffé- 
rents où les Slaves, Tchèques, Polonais et Ruthènes tiennent 
plus de place que l'élément germanique des provinces autri- 
chiennes ; au delà de la Leitha les Hongrois eux-mêmes sont 
aussi en minorité et dans ces pays de la Couronne de Saint- 
Étienne, l'élément Magyare est débordé de tous côtés par les 
Croates, les Slaves, les"Transylvains, les Bukovins, les Dalmates 
et les lUyriens. 

Donc le dualisme actuel de l'ancien Empire d'Autriche est à 
peu près aussi éloigné des conditions réelles et virtuelles de la 
monarchie que l'était, en i 864,1e Parlement unique qui siégeait 
à Vienne, composé d'Allemands, et ayant la prétention de 
représenter tous les peuples sur lesquels régnait l'Empe- 
reur. 

Jadis, c'est-à-dire au commencement de ce siècle, les races 
allemande et hongroise avaient l'une et l'autre une supério- 
rité marquée sur celles qui les environnaient. Les Allemands, 
unis et pacifiques, lettrés, philosophes, fonctionnaires dès le 
berceau, tenaient en leurs mains l'administration dont les bu- 
reaux étaient leur patrimoine séculaire; élevés dès leur enfance 
dans le travail de cet organisme, ils y vivaient comme chez eux, 
et la. tradition avait créé à leur bénéfice une possession d'état 
qui ne leur était pas disputée. Tout se faisait par eux, et par 
conséquent tout se faisait pour eux. 

C'était autre chose en Hongrie. Là, les Magyares n'étaient ni 
unis, ni pacifiques, ni lettrés, ni philosophes, ni fonctionnaires, 
et ils eussent presque rougi de servir dans les bureaux de l'ad- 
ministration. Mais ils étaient guerriers, querelleurs, violents, des- 
potes, et dominant en vainqueurs, et à la mode des conquérants. 



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les races qui pullulaient tout autour d'eux. Aussi longtemps que 
dura le prestige de la race guerrière, il n'y eut de fort et d'ap- 
parent dans la Hongrie que les Hongrois proprement dits, les 
Magyares, qui, le sabre au côté, le plumet ou l'aigrette au bon- 
net, la pelisse sur le dos et les bijoux étalés sur leur éclatant 
pourpoint, parlaient au nom de tous et gouvernaient par le cou- 
rage, la prestance et la force, tout ce qui vivait sur l'ancien 
Royaume de Saint-Étienne. 

En vérité il n'y avait alors que des Allemands et des Hongrois, 
les autres dormaient et augmentaient. Le dualisme, tel qu'il 
existe aujourd'hui dans l'Austro-Hongrie, eût été alors un état 
de choses presque normal, et de fait il exista quelque temps sous 
une autre formule. 

Mais depuis cinquante ans, la supériorité allemande et hon- 
groise a suivi sans interruption une progression décroissante; 
non pas que ces peuples aient perdu les qualités auxquelles ils 
devaient leur préséance ; mais parce que tout autour d'eux, les 
Slaves et leurs congénères ont grandi et se sont élevés au ni- 
veau supérieur pour s'y rencontrer désormais avec leurs anciens 
maîtres ; aussi forts qu'eux et plus nombreux qu'eux. 

C'est pourquoi le dualisme austro-hongrois est une fiction 
destinée à disparaître sous la pression irrésistible de la réalité 
et à faire place à un système politique plus approprié à tous 
les peuples qui en forment les véritables éléments. Il ne peut 
pas y avoir de dualisme là où on est plus de deux. Ou bien s'il 
y a dualisme, c'est au détriment de tous les autres. 

Un des résultats de cette organisation est de diminuer consi- 
dérablement la liberté d'action et la force matérielle de la monar- 
chie Austro-Hongroise qui subit, bon gré malgré, les embarras 
d'un état politique anormal et transitoire. Aussi ne faut-il pas 
s'étonner que le dualisme austro-hongrois jouisse de toutes les 
faveurs du Cabinet de Berlin; c'est précisément l'ordre de choses 
qui convient à la Prusse, car il oblige l'Autriche à l'immobilité 
et s'oppose au développement naturel de ses véritables forces. 

Les intérêts de la Prusse et de la Hongrie, bien que.partant 
d'un point tout opposé, se rencontrent ici sur le même terrain 
et se confondent pour ainsi dire d'eux-mêmes. En effet, les 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Hongrois ne peuvent ignorer qu'ils tiennent, dans l'organisa- 
tion actuelle de l'Empire d'Autriche, une place qui n'est plus 
en proportion ni avec leur nombre ni avec leur force relative ; 
il est donc nécessaire qu'ils fortifient leur position par un point 
d'appui extérieur ; ils l'ont trouvé ; leur intérêt leur commande 
de le conserver à tout prix. C'est pourquoi la Hongrie sera 
quelque temps encore le trait d'union qui rattachera la monar- 
chie autrichienne à la politique prussienne, soit par une 
alliance définie, soit par l'intimité des relations amicales. 

Mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, il faudra tôt ou tard 
rentrer dans la vérité de la situation et ce jour-là le dualisme 
aura vécu. 
La Prusse en prendra facilement son parti. Ce qu'elle désire, 
'est une Autriche faible, mais surtout faible en Allemagne. 
Or, si le dualisme est remplacé par la fédération rationnelle et 
monarchique de tous les peuples de l'Empire, si l'élément, slave 
prend dans la monarchie la place que lui assigne sa valeur 
numérique, l'Autriche, plus forte il est vrai, dans son ensemnle, 
cessera néanmoins d'être une Puissance allemande, ce qu'elle 
est encore aujourd'hui, malgré le traité de Prague qui lui en 
conteste le droit. 

Faut-il conclure de ce qui précède que M. de Beust ait eu tort 
de prendre pour but de ses premiers efforts un accord qui par 
sa nature même, devait être transitoire ? — Nous ne le croyons 
pas. Le nouveau ministre, d'ailleurs, n'avait pas le choix ; il ne 
pouvait pas rester en conflit avec toutes les provinces, avec tous 
les partis de l'Empire ; il fallait à tout prix se rapprocher de 
quelqu'un ; il se rapprocha du plus important et du mieux équipé 
de ses adversaires. C'est là l'explication et la justification de son 
entreprise. , . 

Pour mener à bonne fin ce travail de restauration intérieure 
il fallait non-seulement la paix, mais en quelque sorte une trêve 
de préoccupations étrangères qui permit au nouveau Cabinet de 
concentrer toute son énergie sur les questions administratives. 
Aussi M. de Beust voulut-il, dès le premier jour, rompre ouvei'- 
tement, officiellement, avec son passé remuant et saxon. Dans 
une dépêche circulaire, adressée aux légations autrichiennes, et 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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publiée dans la Gazette de Vienne il s'exprimait ainsi : — « Je n'ai 
d'autre ambition que de me rendre digne de la confiance de 
l'Empereur, et de consacrer ma vie entière à son service. Tout en 
utilisazit pour ce service l'expérience que j'ai pu acquérir sur 
un autre terrain, je me considère cependant comme dégagé de 
mon pas-sp politique du jour oii, grâce à la volonté de S. M. Im- 
périale et Royale Apostolique, je deviens Autrichien... Ce serait 
me supposer, surtout au début de ma nouvelle carrière, un 
étrange oubli de mes devoirs, que de me croire capable d'y 
apporter de< affections ou des rancunes dont au reste je me sens 
parfaitement exempt. » 

Tout cela allait de soi dans une certaine mesure. Il était évi- 
dent que l'Empereur François-Joseph ne l'avait pas pris pour 
qu'il fît autre chose que les affaires de l'Autriche. Mais cet auto- 
da-fé des affections et des souvenirs ! En vérité on n'en demandait 
pas tant ; et l'exagération de ces assurances aurait produit un 
effet contraire à celui qu'on en attendait si elles n'avaient été 
accompagnées de développements qui en tempéraient l'expres- 
sion. 

A Berlin, on jugea convenable et habile d'applaudir au choix 
Impérial, et le baron de Werther fut chargé par le Président du 
Conseil d'en exprimer sa satisfaction personnelle. — « Dans la 
Confédération du Nord, soit comme ministre saxon, soit comme 
député au Parlement des confédérés, le baron de Beust, avait 
dit M. de Bismarck, eût été un adversaire peut-être gênant; mais 
au ministère des Affaires Etrangères d'Autriche, il ne nous 
effraye en aucune façon ; il y trouvera de quoi occuper son 
activité et son intelhgence, et, quant à nous, il sera plus facile 
de s'entendre avec lui qu'avec ses prédécesseurs, n 

_ En même temps que M. de Werther répétait au nouveau mi- 
nistre autrichien ce compliment bien calculé pour flatter son 
amour-propre, il se disait chargé de démentir officiellement le 
bruit que l'on faisait courir d'une alliance éventuelle de la 
Prusse et de la Russie contre l'Autriche. ~ « Jamais, disait-il, il 
n en avait été question un seul instant ; au contraire, le Cabinet 
de Berlin considérait comme une nécessité d'entretenir désor- 
mais avec Vienne des relations amicales, car la Prusse, comme 
1 Autriche, avait besoin de repos pour régler ses questions inté- 
rieures. » 



II 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLi:. 



1 



Mais les paroles ne suffisent pas pour couvrir la voix, encore 
plus puissante, des faits. On était au '1 décembre, quaad M. de 
Werther tenait ce langage conciliant et presque affectueux, et 
précisément en ce moment même on recevait à Vienne la preuve 
des encouragements substantiels que M. de Bismarck envoyait 
à Pesth aux adversaires du Gouvernement. 

Aussi faut-il faire deux parts bien distinctes entre les déclara- 
tions officielles qui coururent les Chancelleries et les confi- 
dences privées ou secrètes qui s'échangeaient en dehors des 
documents authentiques. Il est certain que ce dépouillement 
complet de l'ancienne nature était chez le nouveau ministre plus 
fictif que réel ; il en convenait lui-même chaque fois qu'il y 
avait quelque intérêt à le faire, et c'était précisément le cas avec 
les Puissances occidentales, et notamment la France, dont il 
avait jadis, comme Saxon, toujours recommandé l'alliance à 
l'Autriche. 

— Sous ce rapport, disait-il volontiers aux personnes compéten- 
tes, son sentiment était toujours le même; ce qu'il avait conseillé 
avec conviction, il ne pouvait faire autrement que de le prati- 
quer avec empressement. L'alliance de l'Autriche avec la France 
devait être le but de ses efforts et la base de toute la politique 
autrichienne. Mais les alliances ne pouvaient être durables, et 
surtout avantageuses, que lorsque le concours des alliés offrait 
certaines conditions d'égalité et de réciprocité. Or, c'était ce qui 
manquait à l'Autriche; en l'élat actuel des choses elle ne pou- 
vait offrir son concours dans des conditions qui répondissent à. 
sa dignité et à sa véritable valeur. 

Donc, pour le moment, le Gouvernement autrichien, tout 
entier à l'œuvre de reconstruction qui s'imposait à son activité 
après les désastres de l'été, devait se contenter de cultiver autant 
que possible ses bons rapports avec la France et de les dévelop- 
per en multipliant les relations commerciales et industrielles 
des deux pays. Il espérait trouver en France des dispositions 
également bienveillantes, et cet échange de bons procédés et 
de rapports sympathiques servirait de préparation, peut-être 
de transition, jusqu'à l'époque où l'Autriche, revenue à son étal 
normal et ayant récupéré ses forces virtuelles, pourrait offrir à 



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428 



L'ALLRMÂGNE NOUVELLE. 



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ceux qui rechercheraient son alliance unyéritable point d'appui. 

Cette époque, M. de Beust la croyait prochaine, et quant à 
l'éventualité d'une alliance austro-française, il la croyait cer- 
taine. Les événements du Nord de l'Allemagne ne lui paraissaient 
pas présenter les conditions de la stabilité ; il prévoyait une lutte 
redoutable entre le Gouvernement prussien et l'élément démo- 
cratique ; il entrevoyait comme conséquence finale, de graves 
perturbations en Allemagne, capables de troubler la paix géné- 
rale. 

D'autre part, les questions d'Orient lui semblaient différées 
plutôt que résolues, et il se félicitait de voir que le Cabinet de 
Vienne pouvait au moins attendre l'heure des solutions, avec la 
confiance qu'aucun intérêt, aucun engagement, aucune diver- 
gence politique ne le sépareraient de la France quand il faudrait 
agir. 

Il pensait même que, sur plusieurs points, les intérêts fran- 
çais et les intérêts autrichiens se rapprochaient considérable- 
ment ; que dans d'autres ils se confondaient, et il trouvait dans 
ce rapprochement les éléments futurs d'une alliance qu'il avait 
toujours rêvée non-seulement pour l'Autriche, mais aussi pour 
le Sud de l'Allemagne, alors qu'il croyait son ancienne patrie, 
la Saxe, appelée à en faire partie. — 

Ainsi parlait M. de Beust le 4 novembre tSCi-, et ce langage 
devait être sincère, car il était logique, sage, prévoyant, et bien 
adapté à la situation. 

Que disait-il à la même époque au Cabinet britannique? 
Quelque chose d'analogue, sans doute 1 Ce qui est certain, c'est 
qu'on en fut satisfait à Londres comme on le fut à Paris, quand 
on y reçut l'écho de ses paroles sympathiques. 

Il n'était pas le seul à douter de la stabilité de l'édifice prussien 
dans le Nord de l'Allemagne, et surtout à prévoir l'imminence 
d'un conflit avec la démocratie germanique. Cette dernière idée 
était alors fort répandue en Allemagne, et nous l'avons déjà vue 
exprimée en termes pour ainsi dire prophétiques par M. von 
der Pfordten dans un entretien qu'il avait eu à Vienne le 
50 juillet de la même année. 

Bien que cette conversation remarquable soit déjà rapportée 



I 



l'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



429 



I 



au chapitre XVII de ce livre, nous répéterons ici le paragraphe 
auquel nous ■venons de faire allusion, parce qu'il complète le 
tableau de la situation finale de l'an 1 866. 

Contrairement à l'opinion de M. de Beust sur l'instabilité de 
l'œuvre prussienne, le ministre bavarois croyait à son dévelop- 
pement. 

« L'Allemagne prussienne, disait-il, deviendra un véritable 
Etat homogène dont la puissance sera immense et redoutable. 
Le seul danger qui la menace sérieusement est l'expansion des 
idées révolutionnaires qui se développeront à l'aide des circons- 
tances, dans de très-grandes proportions, et viendront se 
heurter de front contre le Gouvernement prussien. De là pour- 
ront naître des luttes intestines dont il serait difficile aujour- 

■ d'hui de prédire le résultat ; mais parmi les éventualités de 
l'avenir, il faudrait prévoir une politique agressive et une guerre 

■ étrangère qui peuvent devenir une nécessité ou un moyen de 
salut pour le Gouvernement, lorsque celui-ci, menacé à l'inté- 
rieur par des passions qu'il ne pourra pas contenir, devra à tout 
prix détourner l'ardeur des populations vers un autre but pour 
échapper à sa ruine. Dans ce cas l'Autriche et la Bavière pour- 
raient être pour la Prusse ce que l'Italie a été pour l'Autriche 
dans cette dernière campagne, et si elles ne suffisaient pas 
pour vaincre la Prusse et ses alliés, elles pourraient du moins, 
en paralysant une partie de ses forces, devenir un utile allié 
pour toute autre puissance belUgérante. » 

Comme on le voit par cette citation, les deux ministres alle- 
mands croyaient à une guerre prochaine provoquée par les 
difficultés intérieures de la Prusse aux prises avec le parti révo- 
lutionnaire. 

Douze années ont passé sur ces prévisions, douze années pen- 
dant lesquelles la démocratie allemande a dû s'effacer devant le 
prestige de la conquête et les enthousiasmes de l'orgueil natio- 
nal ; douze années pendant lesquelles l'Allemagne prussienne a 
vécu de l'épée et n'a été qu'une grande armée. Et cependant la 
révolution contenue par les baïonnettes n'en a pas moins jeté 
sur le sol germanique de profondes racines; le socialisme 
allemand a fait des progrès incessants ; il s'étend du Nord au 



430 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



LA 



l*X. 



Sud, et la prophétie de M. von der Pfordten est plus vraie au- 
jourd'liui qu'elle ne l'était au jour où il la fit. 

Les événements de 1866 avaient sensiblement refroidi les re- 
lations de l'Autriche et de la Russie. L'attitude équivoque de 
cette dernière Puissance pendant la guerre avait profondément 
blessé le sentiment national, et la presse, se faisant l'écho de 
l'opinion publique, était presqu'unanime pour accréditer les 
bruits d'un mauvais vouloir réciproque. On allait même jusqu'à 
dire qu'il s'était fait entre le Roi de Prusse et l'Empereur 
Alexandre un accord hostile à l'Autriche. 

Le Cabinet de Pétersbourg fut le premier à provoquer des 
explications devenues pour ainsi dire nécessaires, et le comte 
de Stackelberg fut chargé de donner au baron de Beust les 
assurances les plus satisfaisantes. A cette époque, la Servie était 
en conflit avec la Turquie au sujet de l'occupation de la cita- 
delle de Belgrade ; ce n'était après tout qu'un épisode des que- 
relles séculaires qui se perpétuaient en Orient, tantôt sous une 
forme, tantôt sous une autre, et que la Russie avait soin d'en- 
tretenir pour miner la suzeraineté de Constantinople. De concert 
avec la France, le Cabinet de Vienne avait donné à la Porte des 
conseils de modération qui paraissaient devoir être écoutés. Le 
prince Gortchakoff profita de cette circonstance pour faire ex- 
primer à M. de Beust la satisfaction de l'Empereur Alexandre 
et en même temps protester contre tous les bruits qui circulaient 
sur de prétendues intrigues russes dans la Gallicie ou dans les 
Principautés Danubiennes. — « L'Empereur, disait-il, était au 
contraire animé d'un sincère désir de conserver et de resserrer 
les bonnes relations qu'il entretenait avec la Cour de Vienne. » 

Malheureusement les assurances du Cabinet de Pétersbourg 
venaient se heurter contre des faits sur lesquels il n'était guère 
possible de fermer les yeux, et le jour même où le comte de 
Stackelberg s'en faisait l'interprète au ministère des Affaires 
Etrangères, on y apprenait que des agents russes avaient été 
arrêtés près de Lemberg et reconduits à la frontière. Les preuves 
de la propagande panslaviste étaient si nombreuses et si mani- 
festes que le doute n'était pas permis. 

Mais dans l'opinion de M. de Beust, le véritable danger n'é- 



II 



p 



L' ALLEMAGNE NOUVELLE. 



431 



tait pas en Gallicie; il le voyait en Turquie, en Bulgarie, en 
Servie et en Moldo-Valachie. Ses informations lui faisaient en- 
visager comme certain un prochain soulèvement de toutes les 
populations chrétiennes placées sous l'autorité ou la suzeraineté 
de la Porte. Il devait éclater à la fm de l'hiver, et on avait à 
Vienne les preuves authentiques des manœuvres par lesquelles la 
Russie avait tout préparé. Des renseignements précis, et dont 
on avait pu contrôler l'exactitude, indiquaient les centres de 
propagande, les dépôts d'armes, la quotité des subsides, les 
noms des agents et le cercle de leurs opérations, tout, môme 
jusqu'à leur correspondance. Au moment convenu, la Russie 
devait intervenir résolument et irrésistiblement de tout le poids 
de ses forces disponibles. 

Dans de telles conditions, les Russes, selon toute probabilité, 
devaient au début de la campagne remporter d'éclatants succès, 
et il serait beaucoup plus difficile d'en annuler ou rectifier les 
conséquences que de les prévenir par une entente préalable. 

Or pour prévenir ce soulèvement général des chrétiens, or- 

Iganisé par la Russie pour le mois de mars 1867, et surtout pour 
empêcher cette Puissance d'intervenir à son heure avec toutes 
les forces qu'elle préparait et réunissait à cet effet, M. de Beusl 
pensait que le meilleur moyen était de convoquer une con- 
férence spéciale chargée de régler les rapports de la Turquie 
avec les provinces chrétiennes, sujettes ou vassales, tout en 
faisant la part légitime des droits de chacun et des garanties 
nécessaires pour en assurer l'exercice. 

Peut-être cette conférence ne pourrait-elle pas réussir à créer 
un état de choses définitif et irréprochable, mais c'était le seul 
moyen, dans son opinion, de conjurer les sinistres projets qui se 

préparaient. 

Peut-être même cette proposition de conférence n'aurait-elle 
d'autre effet que de hâter l'heure de l'explosion; mais dans ce 
cas la crise lui paraissait devoir être d'autant moins redoutable, 
qu'on en précipiterait davantage l'époque et le dénouement. 

Enfin, comme conclusion de ces prévisions, et on peut dire de 
ces ouvèrturos, le nouveau ministre faisait observer aux Puis- 
sances occidentales que, par sa position géographique, et peut- 



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432 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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être aussi pour d'autres raisons, on pourrait choisir avec avan- 
tage la ville de Vienne comme lieu de réunion pour les pléni- 
potentiaires. 

Les explications et protestations du comte de Stackelberg 
avaient donc tout au plus réussi à sauver les apparences. M. de 
Beust leur opposait ses informations certaines, il les communi- 
quait régulièrement aux Puissances occidentales, et cherchait 
à déjouer avec leur concours les efforts de la Russie. 

En reproduisant ici la substance du langage qui se tenait alors 
à Vienne, nous avons voulu faire surtout ressortir jusqu'à que) 
])oint ces questions orientales sont restées ce qu'elles étaient,8ans 
que le temps ait rien changé aux causes ni aux conséquences. 

Ce qui se faisait en 1 867 a continué sans interruption pendant 
dix ans ; mêmes subsides, mêmes encouragements, mêmes 
préparatifs; et chaque fois que le conflit devenait imminent, 
il se faisait un tempérament provisoire qui en reculait l'é; 
chéance. 

Un jour vint cependant où l'Europe deséquilibrée se vit en 
présence du conflit qu'elle n'avait pu ni prévenir, ni détourner. 
On essaya de la conférence ; mais il n'était plus temps; et d'ail- 
leurs l'accord politique qui en eût fait la force en 1867 avait 
depuis longtemps cessé d'exister. La conférence ne servit à rien, 
si ce n'est à constater l'impuissance de la nouvelle Europe. 

Au commencement de décembre 1 866, l'Empereur Alexandre 
causait à Pétersbourg avec un diplomate étranger; il lui parlait 
de ses grandes préoccupations relativement au sort des sujets 
chrétiens de la Porte, et de la nécessité de leur venir en aide. 
— « Si tout le monde, dit l'Empereur, abandonne les chré- 
tiens, il faudra bien que je marche à leur secours, et mon 
peuple entier me suivra pour cette sainte guerre. » 

Cette phrase, recueillie comme un avertissement grave, pres- 
que comme une menace, fit le tour des chancelleries et y pro- 
duisit une certaine sensation. Mais alors la Turquie passait, à 
tort ou à raison, pour un élément nécessaire de l'équilibre eu- 
ropéen; les souvenirs de la guerre de Crimée étaient encore 
trop voisins ; le traité de Paris était encore debout, et l'Empe- 
reur de Russie ne partit pas en guerre. 




10 11 12 13 14 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



433 



Douze ans plus tard, tout était changé ; l'équilibre européen 
s'était brisé et on ne l'avait pas reconstitué ; la force ayant rem- 
placé LE DRorr, les Puissances se fortifiaient pour se défendre et 
pour vivre ; les traités avaient été violés, déchirés ou méprisés. 
Du moment où quelqu'un de fort voulait la guerre, personne ne 
pouvait l'empêcher. 

La même phrase, identiquement la même phrase, se fit en- 
tendre à Pétersbourg dans le Palais Impérial : — « Si tout le 
monde abandonne les chrétiens, il faudra bien que je marche à 
leur secours et mon peuple entier me suivra pour cette sainte 
guerre. » — Et la guerre commença. 

Ce rapprochement à douze ans de distance est si remarquable 
que nous aurions hésité à le reproduire si nous n'étions en 
mesure d'en garantir et d'en prouver l'authenticité. 

nous reste à parler de l'Italie. Dès le premier jour, le Cabi- 
net de Florence reçut à Vienne les témoignages non équivoques 
d'une sympathie chaleureuse. Ce fut un revirement politique 
aussi complet que remarquable. Le nouveau ministre était protes- 
tant, et comme tel, fort bien vu des ennemis de la papauté. Ita- 
liens, Israélites, libéraux ou libres-penseurs, tous fondaient des 
espérances sur son avènement au pouvoir, et cependant si le 
baron de Beust avait sacrifié sur le bureau du ministère les sou- 
venirs de son passé saxon pour y substituer le sentiment exclusif 
do ses devoirs autrichiens, il avait dû placer au premier rang 
de ces devoirs le respect de la rehgion de sa nouvelle patrie. 

Sous ce rapport, les débuts ne laissèrent rien à désirer. Le 
rapprochement avec l'Italie était sage et habile; il s'explif[uait 
de lui-même par les circonstances, et le Saint-Siège n'eut pas 
tout d'abord à en souffrir dans ses relations avec Vienne. Mais 
bientôt après, quand le Cabinet crut devoir se forlilicr au Par- 
lement par un appoint libéral plus considérable, quand il vou- 
lut ménager tous les partis pour se créer une popularité qu'il 
trouvait lente à venir, ce fut la tradition séculaire de l'attache- 
ment de l'Autriche au Saint-Siège qui fit les frais de ces nou- 

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velles alliances, et l'Italie parut gagner en faveur ce que Rome 
perdit eu respect. 

La première partie des mémoires d'où sortent les pages quoi. 
vient de lire s'arrête à la Hn de 1866 ; c'est aussi ce que nous 
voulons faire, sauf à reprendre plus tard le récit de ces souw- 
nirs. Arrêtons-nous donc au seuil de l'année 1867; ne le fran- 
chissons pas; mais avant do fermer ce dernier chapitre, jetons 
un regard rétrospectif sur ce passé qui s'éloigne. Nous n'avons 
parlé que de l'Allemagne, laissant à dessein, hors du champ de 
nos études, bien d'autres questions locales ou européennes qui 
tiennent cependant une place considérable dans cette période 
si tourmentée. Ces questions, nous les retrouverons toutes 
encore, s'avançant d'étapes eu étapes vers les solutions ou les 
atermoiements de l'heure présente. En réalité, un seul fait capital 
résume les péripéties de ces quatre années que nous venons de 
parcourir , c'est la transformation de l'Allemagne courbée sous 
l'omnipotence prussienne et le déchirement de l'ancienne juris- 
prudence internationale. 

Nous avons eu plus d'une fois, dans le cours de notre récit, 
l'occasion de- signaler les conséquences inévitables de cette ré- 
volution dans les rapports des nations entre elles, et dans les con- 
ditions désormais nécessaires de leur sécurité et de leur exis- 
tence. Quelque dures que soient ces conséquences, quelque rui- 
neuses qui- soient les mesures qu'elles entraînent, la vie des 
peuples est à ce prix, aussi longtemps que le droit méconnu cl 
banni de la nouvelle Jurisprudence, laissera le monde à la merci 
de la force. 

Le sort des peuples est do vivre désormais sous la menace 
perpétuelle d'une agression qui n'est contenue que par l'appa- 
reil de la résistance. Un instant de faiblesse peut amener la 
ruine. En face de la force, il faut la force. Cent canons d'un 
côté exigent cent canons de l'autre, et malheur à ceux qui s'ou- 
blieraient une heure à l'ombre d'un traité ou d'une alliance ! 
La loi de la matière ne connaît d'autre équilibre que celui des 
pesanteurs égales; et c'est la loi nouvelle. 

Est-il possible d'admettre que le monde se soumette éternel- 



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L'ALLE.MAGNK PiOCYKLLIi. 



433 



I 



lement à cette loi grossière et barbare contre laquelle protestent 
tous les progrès de la vraie civilisation? Combien de temps les 
notions du droit et de la justice seront-elles impunément mé- 
connues par ceux qui possèdent la force? C'est le secret do la 
Providence; mais ce qu'on peut assurer sans craindre de se 
tromper, c'est que cet état de choses anormal est destiné tôt ou 
tard, bientôt peut-être, à disparaître dans quelque cataclysme. 
Déjà un observateur attentif pourrait découvrir les indices 
d'une réaction salutaire dans la politique générale. La doctrine 
de non-intervention, la théorie paradoxale de la localisation des 
conflits et de l'abstention absolue des tiers, tous ces sophismcs 
érigés en principes par les forts au bénéfice de leurs violences 
et de leurs convoitises, commencent à être jugés d'après les 
fi'uits qu'ils ont portés. Les maux que les congrès cherchent à 
réparer ne pourraient-ils donc pas chercher à les prévenir? Que 
leur manque-t-il pour constituer au service du droit une force 
collective qui en impose le respect? Il nous paraît impossible 
que cette question ne se lève pas d'ici à quelque temps devant 
l'Europe fatiguée. Il nous paraît impossible qu'elle ne devienne 
pas le point de départ d'une nouvelle jurisprudence entre les 
nations. 



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ANNEXES 



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I.etlic de l'Empereur Kapoléon à i\. Drouyn de Lhuys, datée de Paris 
du il juin 18C6. 



« Palais des Tuileries, le M juin 1866. 

« Monsieur le Ministre, au moment où semblent s'évanouir 
les espérances de paix que la réunion de la Conférence nous 
avait fait concevoir, il est essentiel d'expliquer par une circu- 
laire aux agents diplomatiques à l'étranger les idées que mon 
Gouvernement se proposait d'apporter dans les conseils de l'Eu- 
rope et la conduite qu'il compte tenir en présence des événe- 
ments qui se préparent. 

« Cette communication placera notre politique dans son véri- 
table jour. 

« Si la conférence avait eu lieu, votre langage, vous le savez, 
devait être explicite ; vous deviez déclarer, en mon nom, que je 
repoussais toute idée d'agrandissement territorial tant que 
l'équilibre européen ne serait pas rompu. En effet, nous no 
pourrions songer à l'extension de nos frontières que si la carte; 
de l'Europe venait à être modifiée au profit exclusif d'une 
grande Puissance, et si les provinces limitrophes demandaient, 
par des vœux librement exprimés, leur annexion à la France. 



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<! Eli dehors de ces circonstances, je crois plus digne de 
notre pays de préférer à des acquisitions de territoire le pré- 
cieux avantage de vivre en bonne intelligence avec nos voisins, 
en respectant leur indépendance et leur nationalité. 

« Animé de ces sentiments et n'ayant en vue que le maintien 
de la paix, j'avais fait appel à l'Angleterre et à la Russie pour 
adresser ensemble aux parties intéressées des paroles de con- 
ciliation. 

« L'accord établi entre les Puissances neutres restera à lui 
seul un gage de sécurité pour l'Europe. Elles avaient montré 
leur haute impartialité en prenant la résolution de restreindre 
la discussion de la conférence aux ciuestions pendantes. Pour 
les résoudre, je croyais qu'il fallait les aborder franchement, 
les dégager du voile diplomatique qui les couvrait, et prendre 
en sérieuse considération les vœux légitimes des souverains et 
des peuples. 

« Le conflit qui s'est élevé a trois causes : 
« La situation géographique de la Prusse mal limitée ; 
« Le vœu de l'Allemagne demandant une reconstitution poli- 
tique plus conforme à ses besoins généraux; 

« La nécessité pour l'Italie d'assurer son indépendance natio- 
nale. 

« Les Puissances ne pouvaient vouloir s'immiscer dans les 
affaires intérieures des pays étrangers; néanmoins les Cours 
qui ont participé aux actes constitutifs de la Confédération ger- 
manique avaient le droit d'examiner si les changements ré- 
clamés n'étaient pas de nature à compromettre l'ordre établi en 
Europe. 

_ « Nous aurions, en ce qui nous concerne, désiré pour les 
États secondaires de la Confédération une union plus intime, 
une organisation plus puissante, un rôle plus important; pour 
la Prusse, plus d'homogénéité et de force dans le Nord; pour 
l'Autriche, la maintien do sa grande positfon en Allemagne. 
Nous aurions voulu en outre que, moyennant une compensation 
équitable, l'Autriche pût céder ia Vénétie à l'Italie; car si, de 
concert avec la Prusse, et sans se préoccuper du traité de 
1852, elle a fait au Daneniark une guerre au nom de la natio- 
nalité allemande, il me paraissait juste qu'elle reconnût on 
Italie le môme principe en complétant l'indépendance de la 
péninsule. 

« Telles sont les idées que, dans l'intérêt du repos de l'Eu- 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



439 



rope, nous aurions essayé de faire prévaloir. Aujourd'hui il est 
à craindre que le sort des armes seul n'en décide. 

'.( En face de ces éventualités, quelle est l'attitude qui con- 
vient à la France? Devons-nous manifester notre déplaisir 
parce crue l'Allemagne trouve les traités de 4818 impuissants à 
satisfau'e ses tendances nationales et à maintenir satranquil- 
:lité? 

« Dans la lutte qui est sur le point d'éclater, nous n'avons 
que doux intérêts : la conservation de l'équilibre européen, et 
le maintien de l'œuvre que nous avons contribué à édifier en 
Italie, Mais, pour sauvegarder ces deux intérêts, la force morale 
delà France ne suffit-elle pas? Pour que sa parole soit écoutée, 
sera-t-elle obligée de tirer l'épée? Je ne le pense pas. Si, malgré 
nos efforts, les espérances de paix ne se réalisent pas, nous 
sommes néanmoins assurés par les déclarations des Cours enga- 
gées dans le conflit, que, quels que soient les résultats de la 
guerre, aucune des questions qui nous touchent ne sera résolue 
sans l'assentiment de la France. Restons donc dans une neutra- 
lité attentive, et, forts de notre désintéressement, animés du 
désir sincère de voir les peuples de l'Europe oublier leurs 
querelles et s'unir dans un but de civilisation, de liberté et de 
progrès, demeurons confiants dans notre droit et calmes dans 
notre force. 

« Sur ce, Monsieur le Minist-e, je prie Dieu qu'il vous ait en 
sa sainte garde. 

« Signé : Napoléon. » 



ANNEXE N" 2. 

Convention d'armistice conclue par la Prusse avec la Bavière, en date 
de Nikolsbourg, le '8 juillet 1866. 



.^rt. 1 . _ Un armistice de trois semaines aura lieu, à partir 
du 2 août, entre les troupes royales prussiennes et les troupes 
rovales bavaroises. 

Art. 2. — Les détails plus précis de l'armistice, ainsi que la 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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ligne de démarcation pour les troupes des deux Etats, seront 
réglés sur les bases de l'uti possidetis par les commandants 
en chef de l'armée prussienne du Mein, et du corps de ré- 
serve, d'un côté, et de l'armée bavaroise de l'autre. 

Art. 3. — Le Gouvernement bavarois s'oblige à faire eia sorte 
qu'il ne soit mis aucun obstacle au retour immédiat dos troupes 
des Etats du nord de l'Allemagne qui se trouvent encore à Ulm, 
à Rastadt et à Mayence, dans leurs foyers, et pour qu'elles 
puissent rentrer chez elles sous l'apphcation des dispositions 
d'usage pour l'entretien. 

Le soussigné, plénipotentiaire royal prussien, déclare en 
môme temps que S. M. le Roi de Prusse a autorisç son com- 
mandant de l'armée du Mein à accorder aussi aux troupes des 
Gouvernements de Wurtemberg, de Bade et du grand-duché de 
Hesse qui se trouvent en face de lui, un armistice commençant 
le même jour et de la môme durée, sur la base de l'uti-possidetis, 
aussitôt qu'ils le demanderont. 

Après la conclusion de l'armistice, des négociations sur une 
paix entre S. M. le Roi de Prusse et S. M. le Roi de Bavière, 
S. M. le Roi de Vurtemberg et LL. AA. RR. les Grands-Ducs 
de Bade et de Hesse Damstadt seront ouvertes à Berhn. 

Nikolsbourg, le 28 juillet 1866. 



, Signé.: De Bismarck. 
Signé : Baron de Pfordten. 



ANNEXE N°3. 



Loltro de l'Empereur Napoléon au Roi Victor-Emmanuel, 
de Saint-Cloud, 11 août 1866. 



date 



« Monsieur mon frère, 



» J'ai appris avec plaisir que Votre Majesté avait adhéré h 
l'armistice et aux préliminaires de paix signés entre le Roi de 




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Ul 



Prusse et l'Empei'eur d'Autriche. 11 est donc probable qu'une 
nouvelle ère de tranquillité va s'ouvrir pour l'Europe. Votre 
Majesté sait que j'ai accepté l'offre de la Vénétie pour la pré- 
server de toute dévastation et prévenir une effusion de sang 
inutile. Mon but a toujours été de la rendre à elle-même afin 
que l'Italie fût libre des Alpes à l'Adriatique. Maîtresse de ses 
destinées, la Vénétie pourra bientôt par le suffrage universel 
exprimer sa volonté. 

» Votre Majesté reconnaîtra que dans ces circonstances l'action 
de la France s'est encore exercée en faveur de l'humanité et de 
l'indépendance des peuples. 

» Je vous renouvelle l'assurance des sentiments de haute 
estime et de sincère amitié avec lesquels je suis, 
» De Votre Majesté, 



» Le bon frère. 



Signé : Napoléon. 



Saint-Cloud, -11 août 1866. 



ANNEXE N» i. 

Noie circulaire da gouvernement Hanovrion aux Cours étrangères 
en date du S juillet 1866. 



* 



Au nom du Gouvernement du Roi, le soussigné a l'hon- 
neur de porter à la connaissance de S. Exe. M... Ministre des 
affaires étrangères de..., les faits suivants, qui jettent une vive 
lumière sur les événements qui se sont passés récemment. 

Après que le Roi, l'auguste maître du soussigné, à la tête de 
son armée, eut quitté Gœttingue et marché par Heiligenstadt 
et Mûlhausen vers Langensalza, sans avoir rencontré l'ennemi, 
un capitaine de Saxe-Cobourg, von Zielberg, se fit annoncer 
comme parlementaire. Il proposa l'intercession du duc de Saxe- 
Cobourg pour la conclusion d'une convention avec la Prusse. 

25. . 




10 11 12 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 






1%' 



irr, 

l'i-i-"" 



Comme ce capitaine von Ziellserg n'avait pas de légitimation, le 
Roi le fit retenir au quartier général et envoya M. de Jacobi, 
major de l'état-major, à Gotha, pour prendre des informations 
sur la mission du capitaine von Zielberg. Dans l'inlervalle, le 
Roi avança son armée et établit son quartier général à Langen- 
salza. 

Sans y être autorisé, le major Jacobi proposa au duc de Saxe- 
Cobourg le projet d'une convention qui accordait à l'armée 
hanovrienne le libre passage vers le sud, à condition qu'elle 
prendrait l'engagement de ne pas se battre contre la Prusse 
durant une période à déterminer. Plus tard, cette dernière con- 
dition fut, en présence de l'aide de camp général, colonel Dam- 
mers, précisée en ce sens que cette période serait fixée à une 
année. 

Ces deux propositions furent faites sans autorisation aucune 
de la part de S. M. le Roi. 

A la suite de cette proposition, le Ministre-Président prussien 
de Bismarck informa, au moyen d'une dépêche télégraphique, le 
duc de Cobourg que le Roi de Prusse avait accepté comme 
condition du libre passage de l'armée hanovrienne vers le sud, 
son abstention durant une année de toute hostilité contre la 
Prusse, et que l'aide de camp général d'Alvensleben arriverait 
au quartier général pour régler les détails de cette convention. 

Le duc de Saxe-Cobourg fit parvenir au Roi la dépêche télé- 
graphique susdite du comte de Rismarck. 

En réponse. Sa Majesté adressa immédiatement au duc la 
lettre ci-jointe en copie, et envoya, en outre, le chef d'escadron 
von der Wcnse à Gotha, pour apporter au major Jacobi l'ordre 
de rompre toutes les négociations et de revenir sans retard. 

Ceci eut lieu le ï4 juin, à midi, et Sa Majesté se mit aussitôt 
en marche avec l'armée, se dirigeant vers Eisenach, qui n'était 
occupé que par deux bataillons. La prise d'Eisenach devait nous 
assurer la jonction avec le sud et la possession des lignes ferrées 
par lesquelles les forces prussiennes devaient se joindre. 

La brigade Bulow, marchant à l'avant-garde, rencontra l'en- 
nemi près de Mechterstedt et lui offrit le combat. Les Prussiens 
furent refoulés et notre avant-garde s'était déjà avancée au-delà 
d'Eisncnach. Nos troupes, partout victorieuses, étaient sur le 
point de prendre cette ville, lorsque le commandant de la 
brigade reçut du major Jacobi une dépêche télégraphique de 
Gotha, mandant que la convention était définitivement conclue 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



443 



elque, par conséquent, les hostilités devaient cesser. La bri- 
gade de Bulow se conforma à cet ordre, abandonna les avan- 
tages acquis et se retira dans ses positions. La marche de toute 
la colonne fut ainsi entravée, et la nuit étant intervenue, le 
Roi, qui se trouvait à deux lieues en avant d'Eisnenach, établit 
son quartier général dans le château de Grossbehringen. 

Le lendemain 25, au matin, arriva l'aide de camp général 
prussien d'Alvensleben. 11 fit valoir quelques objections contre 
la condition acceptée par le Roi de Prusse par l'entremise du 
duc de Cobourg, et ajouta qu'il lui serait difficile d'appuyer cet 
arrangement. En attendant les négociations qui devaient amener 
la décision définitive de S. M. le Roi de Prusse, un armistice fut 
conclu. Sa Majesté se réservait pendant vingt-quatre heures sa 
résolution à l'égard de la proposition prussienne relative à 
l'abstention pendant une année de prendre part aux hostilités 
contre la Prusse. 
Confiantes dans cet armistice, les troupes entrèrent dans leurs 
I cantonnements. Le lieutenant-colonel Rudorfî, de l'état-major, 
' se rendit même dans la soirée au quartier général du général 
Vogel von Falkenstein, pour s'entendre sur l'arrangement des 
quartiers avec l'avant-poste prussien. Ce général déclara au 
colonel Rudorff qu'il ignorait la conclusion d'un armistice et 
qu'il attaquerait pendant la nuit. 

En attendant, les Prussiens avaient durant toute celte mut 
employé des convois militaires, pour jeter dans Eiscnach une telle 
quantité de troupes, qu'il ne fallait plus songer à la prise de cette 
ville Le lendemain, au matin, arriva un officier du quartier gé- 
néral du général Vogel von Falkenstein, lequel déclara a S. M. 
le Roi que les Prussiens allaient attaquer. Le Roi protesta contre 
cette violation du droit des gens, au nom de tous les souverains 
de l'Europe et au nom de l'honneur de toutes les armées civih- 
=ées Sa Majesté chargea l'officier de rapporter ces paroles en son 
nom au Roi de Prusse, et d'y ajouter que l'histoire stigmatiserait 
la conduite du général Vogel von Falkenstein, qui méconnaissait 
arbitrairement un armistice conclu solennellement par ordre de 

son Roi. ,, . j- 1 „ 

Par suite de la violation de l'armistice, 1 armée se rchra dans 
ses positions près de Langensalza,où le Roi établit son quartier 

^7^27 à dix heures du matin, le généra! Fliess, venant du côté 
de Gotha, attaqua nos positions près de Langensalza avec 1b,000 



^ 






|*ï-- 



444 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



OU 20.000 hommes, d'après le dire des prisonniers. Nos troupes, 
exténuées de fatigue par suitede marclies forcées, sans être bien 
pourvues de vivres, se battirent avec une bravoure extraordinai- 
re et parvinrent, vers quatre heures, à rejeter lesPrussiens dans 
le plus grand désordre vers Gotha, leur firent 860 prisonniers 
et prirent deux canons. Nous avions environ 15.000 hommes 
dans le combat. La perte des Prussiens n'a pas été publiée offi- 
ciellement, mais elle doit avoir été considérable. 

Le lendemain, 28, le Roi apprit que le corps d'armée du 
général de Manteuffel tout entier arrivait par les chemins de fer 
par Magdebourg et Nordhausen pour nous prendre à revers, et 
que, par conséquent, l'armée se trouvait cernée par 50 à 60.000 
hommes. 

Le lieutenant-général von Arentschild, commandant del'armée, 
le colonelCardemann,chef de l'état-major, et tous les brigadiers, 
ayant, sur l'honneur militaire et sur le serment de fidélité prêté 
au drapeau, déclaré devant Dieu et leur conscience, que, par 
suite de l'extrême fatigue et du manque de munitions de guerre 
l'armée était hors d'état d'accepter un combat inégal, d'autant 
plus qu'à peine y avait-il des vivres pour une journée, le Roi 
autorisa le général Arentschild à conclure une capitulation mi- 
litaire, afin de ne pas sacrifier, sans utilité, la vie des enfants du 
pays dans un combat qui ne pouvait avoir une issue favorable. 

Cette capitulation fut conclue le 29 au matin à Langensalza, 
entre le général Arentschild et le général prussien de Manteuffel. 

Le Roi n'a conclu aucun traité pohtique. 

Le soussigné saisit cette occasion, etc. 



k 



ANNEXE N° 5. 



Traité de cession do la Vénélie par l'Autriche à la France. 24 août 1866. 






g Leurs Majestés l'Empereur des Français et l'Empereur d'Au- 
triche, Roi de Hongrie et de Bohême, désirant régler la cession 
de la Vénétie, antérieurement convenue entre leurs Majestés, 
ont nommé pour leurs plénipotentiaires à cet effet, savoir : 
Sa Majesté l'Empereur des Français, 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



44b 



Le duc de Gramont, son Ambassadeur près sa Majesté Impé- 
riale et Royale Apostolique, etc. 

Et Sa Majesté l'Empereur d'Autriche, Roi de Hongrie et de 
Bohême, 

Le comte de Mensdorff-Pouilly, lieutenant général, son cham- 
bellan et conseiller intime, etc. 

Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs, trou- 
vés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants ; 
Art. t. — Sa Majesté l'Empereur d'Autriche cède le Royaume 
Lombard-Vénitien à Sa Majesté l'Empereur des Français, qui 
l'accepte. 

Art. 2. — Los dettes qui seront reconnues allerentes au 
Royaume Lombard-Vénitien, conformément aux précédetits du 
traité de Zurich, demeurent attachées à la possession du terri- 
toiT'P ccdc 

Elles seront fixées ultérieurement par des commissaires spé- 
ciaux, désignés à cet effet par Sa Majesté l'Empereur des Fran- 
çais et Sa Majesté l'Empereur d'Autriche. 

" Art. 3. — Un arrangement particulier, dont les termes seront 
arrêtés entre les commissaires français et autrichiens autorisés 
à cet effet, déterminera, conformément aux usages militaires et 
en maintenant tous les égards dus cà l'honneur de l'Autriche, le 
mode et les conditions de l'évacuation des places autrichiennes. 
Les garnisons autrichiennes pourront emporter tout le maté- 
riel transportable. 

Un arrangement ultérieur sera conclu par les commissaires 
spéciaux, relativement au matériel non transportable. 

Art. 4. — La remise effective de possession du Royaume 
Lombard-Vénitien par les commissaires autrichiens aux commis- 
saires français aura lieu après la conclusion de l'arrangement 
concernant l'évacuation des troupes et après que ha paix aura 
été signée entre Leurs Majestés l'Empereur François-Joseph et 
le Roi Victor-Emmanuel. 

Art 5 — Les commandants des troupes autrichiennes s en- 
tendront, pour l'exécution de ces clauses , avec les autorités 
militaires qui leur seront désignées parles commissaires fran- 
çais, sauf recours, en cas de contestation, aux dits comnussaires 
de SaMajesté l'Empereur des Français. 

Art 6 — La présente convention sera raliflee, et les ratilica- 
tions en seront échangées à Vienne, dans le plus bref délai 
possible. 



44G 



I, 'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



-h: 
ÏÏy .■ 



En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs l'ont signée et 
y ont apposé le cachet de leurs armes. 
Fait en double expédition, à Vienne, le 24 août 1866. 

Signé : Gramokt. 

Alexandre, comte MENSDORFF-PouaLY. 



l9- 



Trailé clo Paix entre la 



ANNEXE X» 6. 

Prusse et l'Autriche signé à Prague le 23 août 
1866. 

RÉSUMÉ DU TRAITÉ. 






1''^ 



PLÉNIPOTENTIAIRES : 

Prusse. Le baron de Werther. 
Autriche. Le baron de Rrenner. 

Au nom de la Très-Sainte et Indivisible Trinité! S. M. le Roi 
de Prusse et S. M. l'Empereur d'Autriche animés du désir de 
rendre à leurs pays les bienfaits de la paix, ont résolu de 
changer en un traité définitif les préliminaires signés à Nikols- 
bourg le 26 juillet 4 866. 

Art. I<"- — Entre S. M. le Roi de Prusse et S. M. l'Empereur 
d Autriche, ainsi qu'entre leurs héritiers et descendants et les 
Etats et sujets des deux parties, il y aura désormais une paix 
et une amitié perpétuelles. 

Art. 2. — En vue de l'exécution de l'article 6 des prélimi- 
naires de paix signes le 26 juillet de l'année courante à 
iMkolsbourg, et après que S. M. l'Empereur des Français, a fait 
déclarer officiellement le 29 juillet ej«S'/em à Nikols'bourg par 
son ambassadeur accrédité près de S. M. le Roi de Prusse • 
« Qu'en ce qui concerne le Gouvernement de l'Empereur, la 
Venetie est acquise à l'Italie pour lui être remise à la paix, - 
S. M. 1 Empereur d'Autriche accède également, pour sa part, à 
cette déclaration et donne son consentement à la réunion du 
Royaume Lombard-Vénitien au royaume d'Italie, sans autre con- 
dition onéreuse que la liquidation des dettes qui ront recon- 



I 






T/ÂLLIÎMXGNE NOUVELLE. 



447 



nues afférentes aux territoires cédés conformément au précé- 
dent traité de Zurich. 

/^i-t, 3. _ Des deux parts les prisonniers de guerre seront 
remis immédiatement en liberté. 

,^rt. 4. _ s. M. l'Empereur d'Autriche reconnaît la dissolu- 
tion de la Confédération germanique telle qu'elle a existé jus- 
qu'ici, et donne son assentiment à une organisation nouvelle de 
l'Allemagne, sans la participation de l'Empire d'Autriche. Sa 
Majesté promet également de reconnaître l'imion fédérale plus 
étroite qui sera fondée par S. M. le Roi de Prusse au nord de la 
ligne du Mein, et déclare consentir à ce que les États Alle- 
mands situés au sud de cette ligne contractent une union dont 
les liens nationaux avec la Confédération du nord de l'Alle- 
magne feront l'objet d'une entente ultérieure entre les deux 
parties, et qui aura une existence internationale indépen- 
dante. . , , p, . o nr 1 

j^rt. 5. — S. M. l'Empereur d'Autriche transfère a b. M. le 
Roi dé Prusse, tous les droits que la paix de Vienne du 30 oc- 
tobre 1864 lui avait reconnus sur les duchés de Schleswig et de 
Holstein, avec cette réserve que les populations des districts 
du nord du Schleswig, seront de nouveau réunies au Dane- 
mark, si elles en expriment le désir par un vote librement 

émis. , o m ru 

^^^,t 6 — Conformément au désir exprime par b. M. 1 Empe- 
reur 'd'Autriche, S. M. le Roi de Prusse se déclare prêt a 
laisser subsister, lors des modifications qui doivent avoir heu 
en Allemagne, l'état territorial du Royaume de Saxe dans son 
étendue actuelle, en se réservant, par contre, de _ régler en 
détail, par un traité de paix spécial avec S. M. le Roi de Saxe, 
les questions relatives à la part de la Saxe dans les frais de 
-uerre, ainsi qu'à la position future du royaume de Saxe dans 
îa Confédération du nord de l'Allemagne. En revanche, S. M. 
l'Empereur d'Autriche promet de reconnaître la nouvelle orga- 
nisation que le Roi de Prusse établira dans le nord de 1 Alle- 
magne, y compris les modifications territoriales qm en seront la 

'Xt 7?- Répartition des propriétés fédérales de l'ancienne 

Confédération. . ,. , 

^Yvt. 8. - L'Autriche pourra reprendre ce qui lui appartient 

en tout ou en partie. ,^ 

Art. 9 et 10. — Règlement des pensions pour les cmploje» 



m 






448 



L'ALLEÏIAGNE KOUVr.LLE. 






1^ 



fédéraux, holsteinois et sieswigeois. Personne ne sera recherché 
pour sa conduite poJiticiue. 

Art. '11. — S. M. l'Empereur d'Autriche prend l'engagement 
de payer à S. M. le Roi de Prusse, la somme de cjuarante mil- 
lions de thalers de Prusse, pour couvrir une partie des frais 
que la guerre a occasionnés à la Prusse. Mais il y a lieu de 
retrancher de cette somme le montant de l'indemnité des frais 
de guerre que S. M. l'Empereur d'Autriche a encore le droit 
d'exiger des duchés de Schleswig et de Holstein, en vertu de 
l'article -1 2 du traité de paix du 30 octobre 1 864 précité, soit 
1 5 millions de thalers, plus 5 millions comme montant des frais 
d'entretien de l'armée prussienne supportés par les pays de 
l'Autriche occupés par cette armée, jusqu'au moment de la con- 
clusion do la paix, de manière qu'il ne reste plus à payer comp- 
tant que 20 minions de thalers de Prusse. 

Art. i 2. — Règlement pour la prompte évacuation du terri- 
toire autrichien par les troupes prussiennes. 

Art. 13. — Rétablissement de tous les traités et conventions 
existant avant la guerre en tant qu'ils ne sont pas contraires au 
nouvel ordre de choses. Réserves à l'endroit de la convention 
monétaire et des traités de douane et de commerce. 

Art. 14. —Les ratifications seront échangées à Prague, dans 
huit jours au plus tard. 



ANNEXE N° 7. 

Traite de paix entre la Prusse et la Saxe-Royale signé à Berlin 
le U octobre 1866. — Extrails et Analyse. 



Plénipotentiaires : 

Prusse; M. de Savigny. 

Saxe : Le baron de Friesen et le comte de Hohenthal. 

S. M. le Roi de Prusse et S. M. le Roi de Saxe, animés du 
désir de rétablir des relations réciproques interrompues 



il 



' viaOflH^BnniRnraranRS' 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



449 



par la guerre et de les régler pour l'avenir, ont désigne, a 
l'effet de uésçocier un traite de paix à conclure dans ce but, 
pour leurs plénipotentiaires, S. M. le Roi de Prusse, son con- 
seiller actuel, chambellan et ministre plémpotentiaire Ctiarlgs- 
Frédéric de Sayigny, chevalier de l'ordre prussien de 1 Aigle 
Rouge de première classe, etc.; et S. M. le Roi de Saxe, son 
ministre des finances, Richard, haron de Fnesen, grand-croix 
de l'Ordre du Mérite civil de Saxe, etc.; et son conseï 1er prive 
actuel Charles-Adolphe, comte de Hohenthal, grand-croix de 
l'Ordre du Mérite royal de Saxe, etc. 

Qui, après l'échange de leurs pouvoirs, trouves en bonne 
forme, sont tombés d'accord sur les stipulations suivantes : 

j^rt 1"- — Entre S. M. le Roi de Prusse et S. M. le Roi de 
Saxe leurs héritiers et successeurs, leurs Etats et sujets, U j 
aura désormais et pour toujours paix et bonne amitie. 

Art "> — S. M. le Roi de Saxe, en reconnaissant et accep- 
tant l^s dispositions du traité P^limmaire conclu, le 2C juillet 
1866; entre la Prusse et l'Autriche a «ik°lf «"^S' ^" , S- 
qu'elles ont rapport à l'avenir de l'Allemagne et en particulic 
de la Saxe, accède pour lui, ses héritiers et successeurs et pou 
ie royame de Saxe aux art. 1 à 6 de l'aUiance conclue le 
\\ aoM dernier à Berlin entre S. M. !« «^-.^e Prusse dim 
nart et S A. R. le grand-duc de Saxe-^fteimar etdauties 
Cernements Allemands, d'autre part, et les déclare oW^a- 
toires pour lui, ses héritiers et successeurs et pour le royaume 
de Saxerde même que S. M. le Roi de Prusse é end également 
au rovaume de Saxe les promesses qui y sont faites, 
au^oyaum^ réorganisation nécessaire d'après cela des trou- 
pefsaxonnes, qui devront former partie intégrante de 1 arme 
de la Confédération du Nord et être placées comme te te sous 
le commandement général du Roi de P™sse aura heu sitô^ 
mie les dispositions générales à prendre par la Contedeiatioa 
du Nord aront été arrêtées sur la base des propositions de 
réforme de la Confédération du 10 jmn dernier 

Art. 4. - Dans l'intervalle, en ce qui concerne la gaim^on 
de la forteresse de Kœnigstein, le retour des troupe saxonnes 
pn Saxe les congés à donner aux hommes, les garnisons pio 
vLi^es'des tZpes saxonnes remises sur le pied de paix, seront 
réglés i^ai les dispositions particulières arrêtées en même temps 
que la conclusion du présent traite. -,„„i.);nTi inter- 

Art. 5. - En ce qui concerne aussi la représentation intci 



m^ém 



iiii|iiii|iiii|iiii|iiii|iiii|iiii|iiii|iiiii 

cm 1 2 3 4 



9 10 11 12 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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M 









nationale de la Saxe, le Gouvernement royal saxon se déclare 
prêt à la régler d'après les principes qui seront adoptés par la 
Confédération du Nord en général. 

Art. 6, 7, 8. — Le Roi de Saxe s'engage à paver à S. M. le 
Roi de Prusse, la somme de dix millions de thalers. — Modalité 
et échéances du paiement. 

Art. 9. — Le Gouvernement militaire prussien, et le commis- 
sariat civil prussien à Dresde cessent leurs fonctions et seront 
remplaces par un ordre de choses conforme aux nouvelles con- 
ventions. 

Art. 10. — Règlement de la liquidation des droits et proprié- 
tés résultant de l'ancienne Confédération germanique. 

Art. 11 et 12.— Rétablissement du Zoll-Verein et des anciens 
traités en tant qu'ils ne sont pas altérés par le présent traité. 

Art. 13, 14, 15. — Cession de chemins de fer cà la Prusse 
moyennant compensation. 

Art. 16 et 17. — Les administrations des postes et des télé- 
graphes passent à la Prusse. 

Art. 18. — Le monopole sur le sel sera aboli en Saxe le jour 
ou il sera supprimé en Prusse. 

Art. 19. — Amnistie réciproque pour les Prussiens ou Saxons 
compromis par suite de la guerre. 

Art. 20. — Liquidation et annulation de certains droits uni- 
versitaires dont la Prusse était grevée en faveur de l'Université 
de Leipzig. 

Art. 21 . —Délimitation nouvelle et géographique de certaines 
paroisses mixtes situées sur les frontières. 

Art. 28. — Restitution à la Saxe des objets faisant partie de 
la propriété de 1 Etat et qui ne peuvent pas être considérés 
comme butm de guerre d'après les principes du droit inter- 
national. De ces objets font partie les locomotives, tenders, 
\vagons et rails saisis sur les chemins de fer, de même crac les 
approvisionnements ou métaux précieux et autres produits vé- 
naux enlevés dans les mines royales de FreibersT. 

Art- 23- — La ratification du traité est fixée au 28 octobre 
oc la présente année. 



I 



3 



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r rj.'rrr.-r-i r 



L'ALLEMAGNE !SOl!VELLIÎ. 



4SI 



ANNEXE N- 8. / 

Loi dccrclant l'annexion à la monarchie prussienne, du royaunjc do 
Hanovre, do l'Elecloral do liesse, du duché de Nassau et de la villo 

I libre de Francfort. 20 seplembrc 1866. 
Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu, roi de Prusse, etc., etc., 
ordonnons, avec Fassentinient des deux chambres du Parlement, 
ce qui suit : 

§ 1 . — Le Royauni.e de Hanovre, l'Electoral de Hosse, le Duché 
de Nassau et la ville libre de Francfort seront incorporés, pour 
toujours, à la monarchie prussienne, conformément à l'article 
2 de la constitution do l'Élat prussien. 

§ 2. — La constitution prussienne entrera en vigueur dans ces 
pays le 1" octobre 1867. Les dispositions modificatives com- 
plémentaires et exécutoires, nécessaires à cet effet, seront dé- 
terminées par des lois spéciales. 

§ 3. — Le ministère est chargé de l'exécution de la présente 
loi. 

Fait en original, signé de notre main et scellé de notre sceau. 

20 septembre 1866. 



ANNEXE N" 9. 

Adresse présentée au Roi de Prusse le 30 août 1866, par une dépulalion 
du Hanovre pour demander la conservation de l'indépendance du 
royaume de Hanovre (I). 

Sire, de nombreuses adresses couvertes de plus de soixante 
mille signatures viennent d'être envoyées à Votre Majesté. On y 

1(1) Cette adresse fut remis': au Roi par MM. Munchiuisen, ancien Mi- 
nistre des Affaires Etrangères, de Schleiircgel, vice président du triuunal 
suprême et do Rossing, Conseiller au trésor public. 



:|, 




cm 









45-2 



L'ALLEMAGNE NOUVI-XLE. 



1*,^ 






fait appel à la sagesse et à l'amour de justice de Votre Majesté, 
pour qu'elle laisse exister la dynastie de notre Royaume. 11 au- 
rait été facile d'augmenter promptement le nombre de ces signa- 
tiu-es, si le commissaire civil de Votre Majesté n'avait pris les 
mesures les plus sévères contre la propagation de ces adresses 
exprimant les désirs unanimes du pays dans la forme la plus mo- 
deste. Mais nous ne sommes pas venus pour nous plaindre de 
ces mesures ; nous savons combien de telles démarches sont 
contraires aux nobles sentiments de Votre Majesté. Mais on craint 
dans le Hanovre que ces adresses ne soient point parvenues à 
Votre Majesté ; du moins jusqu'à présent les signataires n'ont 
pas reçu de réponse, tandis que les journaux publient toutes les 
réponses gracieuses dont Votre Majesté a honoré les pétitions 
en faveur de l'annexion, signées par un petit nombre de per- 
sonnes qu'on n'oserait nullement regarder comme les représen- 
tants du peuple hanovrien. 

C'est pourquoi nous avons cru devoir vous exprimer les sen- 
timents de l'immense majorité de nos concitoyens. Soyez con- 
vaincu, Sire, qu'en présence des succès victorieux des armes 
prussiennes, nul Hanovrien à quelque parti qu'il appartienne 
ne conteste plus que la Prusse seule est appelée à présider 
l'union projetée et que chacun s'empresserait à lui accorder, sans 
réserve aucune, toutes les prérogatives qu'elle croirait néces- 
saires pour accomplir sa mission. Mais la population duHanow 
n'est point convaincue que, dans ce but, il faille sacrifier noh'c 
Etat, capable, à son avis, de subsister môme après la restric- 
tion de sa souveraineté ; elle ne croit pas non plus que son 
souverain puisse être un voisin douteux pour la Prusse. En tout 
cas, l'autorité militaire de la Prusse, telle qu'elle lui sera 
accordée, suffirait pour écarter tout danger, alors même que, 
après la solution de la question, la fidélité du bien plus faible 
voisin n'était pas suffisamment garantie par la situation des 
doux pays, par la similitude du caractère de leurs populations, 
par l'égalité de leurs intérêts économiques. Si néanmoins lo 
souverain actuel n'offrait pas les garanties nécessaires. Votre 
Majesté n'ignore pas qu'il s'est déclaré prêt à abdiquer en faveur 
du successeur au trône. 

A notre avis il s'agit donc de savoir s'il est plus utile à l" 
Prusse d'avoir deux millions d'alliés fidèles et dépendants 
d'elle, que d'acquérir autant de sujets subjugués contre leur 
gré, où ceux qui sont sincèrement dévoués à la monarchie se 




L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



433 



[retireraient avec dépit des affaires publiques, tandis que les 
Ces renforceraient des éléments hostiles à la couronne de 

rSpSnt^S-encore qu'à la sagesse de Votre Majesté, nous 

: ^^^^otrSe^ -teu^^^e plaire à détrôner un prince dont 
la d naSppartier^t auLyaume depuis mill^a.^ e q.n P o H 
également sa couronne par la grâce de Diei a le detKmci 
mrce aue interprétant autrement que les con=,oilleis de voue 

^ Ejestl Tè droil fédéral, il s'est cru '-absolument c^^pej 
kdonter promptement la politique allemande de Votie Majesté 
ît Sue complication funeste l'a forcé de fau;e marcher on 
armée contre L troupes de Votre Majesté qm jusqu alors na- 

Xe tl^s ^Siï i.S^^bles, Dieu vous a Mt maître 
du ok dm prince votre proche parent Près du cercr>eil 
H^Frnest Vu-uste feu le père de Votre Majesté a un jour solen- 

econnaSants ornera Votre Majesté d'un laurier bien plus 
iérisSe que ne vous offrira l'assujettissement d un faible 
ennemi. 



l 



Réponse du Uoi de P.usse à l'adresse présentée le 30 août 1866 par 
Le dépulaUon d» Hanovre pour demander la conservaUon de 1 indé- 
pendance da i-oyaume de Hanovre. 

,i vpf.ns avec plaisir. Messieurs, car j'estime les 
, '° ''"^'llemS attachés à u^e dynastie qui, pendant des 
'■°rs aïit m S le fruit de l'attachement et du dévouemen 
siècles a fait muiuie Hanovriens, s'ils n'avaient fait 

^Ï^^^démS manifestant leurs sentiments tout dévoues 
our leur maison. royale ma proche paren^.^ ^^^ ^^^^^ 
voîiSJtliti^r ;S:s intentions et après des luttes 



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-.^S^^iiÙJ 



NI INI UN UN UN lin lin lin III 



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4o4 



L'ALLEJIAG.NE POL'VKLLK, 






§-é à annexer les Etats 



bien graves, m'ont irrévocablement obli; 
de quelques-uns de mes anciens alliés. 

Lorsque je suis arrivé à ma position actuelle, j'ai déclaré no 
vouloir faire que des conquêtes morales. 

On s'est souvent moqué de ce mot, on s'en est raillé, on Fa 
même persiflé; et néanmoins je vous assure positivement que 
SI je passe, aujourd'hui dans ma soixante-dixième année, à des 
conquêtes violentes, je ne l'ai fait que forcé par l'inimitié de mes 
prétendus alliés et par mes devoirs envers la Prusse confiée à 
ma direction. 

Déjà lors de la création de la Confédération germanique, les 
Etats qui craignaient que l'essor déjà visible de la Prusse ne 
portât attemte à leur influence ont pourvu à ce que le territoire 
de la Prusse fût séparé par des Etats indépendants. Grâce à 
des minuties toujours renouvelées, nourries principalement par 
1 influence de l'Autriche et par la corruption de la presse alle- 
mande, française et anglaise, on a profité sans cesse de cette 
situation pour inspirer l'inquiétude à l'égard de la Prusse, qu'on 
accusait de ne songer qu'à empiéter sur l'autonomie de ces 
Etats et a faire des conquêtes ; on a réussi à opposer des obs- 
tacles a tous les efforts que la Prusse, en ménageant consciea- 
cieusement les droits de tous ses alliés, a faits pour faire pros- 
pérer les intérêts matériels et moraux de l'Allemagne et pour 
inspirer de l'harmonie à la Diète germanique. 

Ces efforts n'ont pas manqué de succès ; nos rapports, d'abord 
assez intimes avec le Gouvernement du Roi Ernest-Auguste, 
ont bientôt fait place à une attitude peu amicale du Hanovre, 
hostile môme pendant les complications politiques des der- 
nières années, sans que la Prusse v eût donné sujet 

Tel était l'état des choses, quand l'Autriche ne cessait pas 
d attaquer et de troubler ma position dans le duché de Hols- 
tein, tellement qu à la fin la situation devint insupportable à la 
Prusse Avant d être poussé à l'extrémité, j'ai réussi à retarder 
le perd par la conclusion du traité de Gastein, mais non pas à 
1 écarter entièrement ; car pendant la durée de ce traité, les 
voiles qui avaient recouvert la véritable intention de l'Autriche, 
de commencer le combat pour l'influence prépondérante en 
Allemagne, tombèrent l'un après l'autre. La Prusse aurait 
sacrilie son existence si elle avait refusé le combat 

Deux bases étaient absolument nécessaires pour mener à 
fm ce grand combat : 



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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



1° La conviction de la jnsticc des prétentions prussiennes, 
sans laquelle on ne pouvait rien espérer de la Providence ; 

2° L'instrument pour l'aire la guerre, l'armée prussienne. 

Je n'ai jamais douté que l'instrumeut ne fût solide ; car pen- 
dant toute ma vie je me suis voué au développi'mont des insti- 
tutions militaires. 

Quant aux prétentions de la Prusse, je les ai crues justes, 
parce que la Prusse ne pourrait exister si elle renonçait à l'ac- 
complissement de ces prétentions. C'est ainsi que je me suis 
décidé à accepter le combat, le cœur serré, bien serré, et lais- 
sant la fin à Dieu. La Providence s'est visiblement manifestée 
dans les résultats de cette guerre. 

■Vous connaissez l'attitude de votre Gouvernement avant et 
pendant tous les événements. Vous connaissez le vole du 1 4 juin, 
contraire au droit fédéral, qui admettait l'exécidion à laquelle 
je ne me serais jamais soumis, mais qui démasquait l'intention 
de violer le droit fédéral au détriment de la Pi'usse. Vous con- 
naissez les négociations relatives à la neutralité ; vous savez que 
j'ai vainement proposé l'alliance dans la nuit du M juin ; vous 
êtes instruits de la catastrophe de I.angensalza, dans laquelle 
je n'ai pas été le vainqueur, mais qui a eu pour suite l'anéan- 
tissement de l'armée hauovrienne. 

J'ai sérieusement pesé la mesure que vous désirez empêcher. 
Parent de la maison du Hanovre, je n'ai rempli qu'un devoir 
très-douloureux en me décidant à annexer le ïfojaume. Mais 
j'ai été obligé de dédommager ma Prusse dos grands sacrifices 
qu'elle a faits, et d'obvier <à de nouveaux périls auxquels_ nous 
Serions exposés sans nous avoir vi'aisendjlablcraeut concilié le 
Hanovre. 

J'espère qu'un jour la confiance mutuelle établie entre nous 
vous donnera toute satisfaction. 



\MNEXEN'' 10. 

Prolestalion adressée par le Roi Georges aux puissances européennes 
contre l'incorporallon du royaume de Hanovre dans la monarchie 
prussienne, en date du 2.3 septembre 1866. 

Nous, George V, par la grâce de Dieu Roi de Hanovre, Prince 



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INI INI UN UN UN lin lin lin lin 



Ivl,.» 
jlj.'' 

1^ 



456 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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\rf. 



royal de la Grande-Bretagne cl d'Irlande, Duc de Cumbeiiand, 
Duc de Brunswick et de Lunebourg, etc., etc., etc. 

En présence des faits qui viennent de s'accomplir et dont 
l'exposé suit ci-après, savoir : 

Le 15 juin de cette année. Sa Majesté le Roi de Prusse, 
notre cousin germain et jusqu'alors notre allié, a fait envahir 
notre Royaume, en violant les droits les plus légitimes et les 
plus sacrés. 

La conduite de notre Gouvernement, pendant le conflit, qui, à 
notre profond regret, avait éclaté entre l'Autriche et la Prusse, 
ne pouvait donner lieu à une mesure aussi injuste. 

Au contraire, animé du désir le plus sincère et le plus ardent 
de voir s'aplanir les dissentiments qui avaient surgi entre les 
deux membres les plus puissants de la Confédération germa- 
nique, et cherchant à prévenir les malheurs qui devaient résulter 
d'une guerre entre Allemands, notre Gouvernement a fait tout 
ce qui était en son pouvoir pour rester dans des rapports 
d'amitié, tant avec la Prusse qu'avec l'Autriche, et pour con- 
server sa faculté d'agir près la Diète, dans un sens de paix et 
de conciliation. 

Le Gouvernement prussien nous ayant exprimé le désir de 
nous voir demeurer neutre dans une guerre éventuelle, nous 
avons accédé à ce désir. Seulement, nous avons fait déclarer 
à Berlin que les conditions particulières de cette neutralité ne 
pourraient être réglées que dans le cas où la Confédération ger- 
manique viendrait à être dissoute de fait. Notre accession à la 
proposition do la Prusse était parfaitement conforme aux cir- 
coustances, puisque le droit fédéral, en défendant aux membres 
de la Confédération de se faire la guerre entre eux, leur iutcr- 
disait, par conséquent, de prendre part à une guerre qui, 
malgré cette défense, auivait éclaté entre des Gouvernements 
faisant partie de la Confédération. 

Pour motiver les actes d'hostilité dont la Prusse s'est rendue 
coupable envers notre Royaume, on a prétendu tout récem- 
ment à Berlin que, pendant le cours des négociations relatives 
à la neutralité en question, nous avions pris, envers le Cabinet 
de Vienne, l'engagement de faire opérer nos troupes conjoin- 
tement avec le corps d'armée autrichien stationné dans le 
Holstein. 

Cette assertion est complètement fausse. 

Notre Gouvernement s'est cru engagé par l'assurance qu'i' 



;.ng,t-r.r^t-r.j,y- *it'j :,- ■é--Ji*'iJ^^K, 



\ 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



437 



f 



avait donnée de vouloir observer la nculralitc pour le cas où le 
pacte fédéral viendrait à se dissoudre ; et ce n'est que dans 
l'éventualité où notre pays aurait été attaqué par la Prusse, que 
uous aurious accepté le secours que Sa Majesté l'Empereur 
d'Autriche avait bien voulu nous faire offrii-. Mais plein de 
confiance en la loyauté du Gouvernement prussien, nous avons 
l'ait répondre à Sa Majesté Impériale que nous croyions n'avoir 
pas besoin de ce secours. 

Eu conséquence, le corps d'armée autrichien qui avait servi à 
occuper le Holsteiu a traversé nos États sans s'y arrêter et en 
.-iiivant la route la plus courte, pour se rendre dans le midi de 
l'Allemagne. 

Vers la mémo époque, nous avons permis au corps d'armée 
prussien, placé sous les ordres du lieutenant-général de Man- 
loulîel, de passer par notre territoire pour se rendre à Muiden. 

Notre conduite, en cette circonstance, a donc répondu aux 
principes do la plus stricte neutralité. 

Nous étions bien loin de nous attendre alors que le Roi de 
Pi'usse ferait servir, à quelques jours de là, ce même corps de 
troupes pour s'emparer de notre pays. 

Notre armée était sur un pied complet de paix, parce que nous 
nous appuyions sur la neutralité qui nous avait été assurée, et 
dont les négociations, quoique ajournées, devaient être reprises 
ca temps opportun, en ce qui concernait les conditions spéciales 
de son exécution, conformément aux déclarations expresses et 
réitérées que le comte de Platen-Hallermund, notre ministre 
des Affaires Étrangères, avait faites à ce sujet au Prince d'Isen- 
burg, ministre de Prusse. 

Notre Gouvernement n'avait donc point fait acheter de che- 
vaux, ni pris la moindre mesure à laquelle on put attribuer un 
caractère d'armement militaire. 

Tout ce que les journaux prussiens ont dit depuis quelque 
temps à l'égard des prétendus armements du Hanovre, ne repose 
sur aucun fondement et n'a dû servir qu'à égarer l'opinion 
publique et à pallier les actes inqualifiables de violence qui ont 
été commis contre nous, contre notre Royaume et nos sujets. 

'l'oujours animé du même esprit de modération, de concilia- 
tion et d'inqjartialité, uous avions donné à notre envoyé près la 
Diète l'ordre de se prononcer contre la proposition de l'AuLriclie 
du 14 juin, en tant qu'elle avait pour but do faire prendre à 
la Confédération germanique parti contre la Prusse, et de ne 

26 



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4b8 



L'ALLEMAG^NE NOUVELI.E. 



voter pour la mobilisation proposée qu'en tant qu'elle n'etail 
pas dirigée contre cette dernière puissance, mais qu'elle ton- 
dait uniquement au maintien de la tranquillité et de la sùrele 
du territoire fédéral. 

Les allég-ations que les organes de la Prusse ont faites dan? les 
derniers temps contre notre politique à cet égard sont égale- 
ment dépourvues de toute consistance^ ^ 

L'attitude que notre Gouvernementavait obseryéc, dès 1 origine 
du conîlit, nous donnait donc lieu d'espérer que notre Royaume 
et nos fidèles sujets se trouveraient en dehors des atteintes 
d'une guerre qui semblait devenir plus imminente do jour en 

jour. . 

Mais quelle ne fut pas notre douloureuse surprise, lorsque, 
le 15 juin dernier, le Cabinet de Berlin, feignant d'oublier tous 
les antécédents de la question, fit présenter à notre Gouverne- 
ment une sommation dont le but n'était pas do nous inviter a 
régler, de commun accord, les conditions définitives de la neu- 
tralité qu'on nous avait offerte et à laquelle nous avions consenti 
en principe, mais de nous faire abandonner, en faveur de la 
Prusse, certaines prérogatives essentielles de notre souverai- 
neté, une partie de l'indépendance de notre Royaume et bon 
nombre de droits légitimes de nos sujets, quoique notre souve- 
raineté et l'indépendance de notre Royaume eussent été recon- 
nues et garanties par l'FAirope entière. 

On ne nous laissait qu'un jour de réflexion pour nous décider, 
et l'on nous menaçait de guerre pour le cas où nous refuserions 
de nous soumettre aux volontés de la Prusse. 

Après, avoir entendu nos ministres, nous prîmes, sur leur con- 
seil unanime et parfaitement conforme à notre manière devoir, 
la résolution de faire déclarer à l'envoyé du Roi de Prusse que 
les propositions qui venaient de nous être, soumises étaient 
inacceptables ; mais que notre Gouvernement demeurant iné- 
branlable dans la conviction que le droit fédéral défendait toute 
guerre entre les membres de la Confédération, ne prendrait 
aucune mesure militaire contre le Gouvernement prussien, son 
allié, aussi longtemps que les frontières du Hanovre ne seraient 
pas attaquées ; et qu'il ne renonçait pas à l'espoir que les rap- 
ports de bon voisinage qui avaient existé jusqu'alors entre les 
deux Gouvernements seraient maintenus intacts. 

Notre résolution ayant été communiquée à l'envoyé de Prusse, 
celui-ci y répondit par une déclaration de guerre, contre la- 



L'ALI.KMAGNB NOUV'.'ÎJ.K. 



43-J 



(|iirlle notre Ministre des Affaires Étrangères protesta imnié- 
(liatement. 

Ceci se passait à minuit, dans la soirée du 15 au 16 juin 
dernier. 

Mais dès cinq heures de l'après-midi, dans cette même journée 
du 1 o juin, le corps d'armée du général Mantenlïcl avait débarqué 
dans les environs de Harbourg, et y pi'it une attitude hostile 
avant la déclaration de guerre. 

Nous signalons à la réprobation de tous les honnêtes gens 
le procédé du Gouvernement prussien, qui, surprenant notre 
bonne foi, avait su obtenir de nous une permission pour le 
passage de ses troupes à travers notre territoire dans le but 
secret de l'envahir. 

Nous signalons à l'indignation du monde civilisé cette agres- 
sion, en pleine paix, contre les États d'un Souverain ami, 
parent et allié; et nous sommes persuadé que le monde entier 
condamnera avec nous cet outrage fait k la morale pnbhque, 
au droit des gens, au droit des traités et aux usages des nations 
policées ! 

Nous sommes, en même temps, convaincu que tous les 
hommes impartiaux se diront avec nous que l'intention bien 
arrêtée et préméditée du Gouvernement de la Prusse était depuis 
longtemps de s'emparer de nos États ; que la proposition do 
neutralité qui nous avait été faite n'avait eu pour objet que de 
nous bercer d'une fausse sécurité ; que le Cabinet de Berlin nous 
avait offert à dessein des conditions d'alliance , humiliantes, 
sachant que nous ne pouvions les accepter, et que, enfui, quelle 
qu'eût été la ligne de conduite que nous eussions suivie, il nous 
aurait été bien difficile, sinon impossible, de nous soumelti'e aux 
violences du Gouvernement prussien. 
' Dans l'impossibilité où se trouvait notre armée de repousser 
efficacement l'invasion des forces prussiennes, qui venaient de 
tous cédés fondre sur notre Royaume, dont elles occupaient les 
frontières dejuiis plusieurs jours, nous concentrâmes nos troupes 
à Gœttingue, afin de les conduire ensuite au delà de la sphère 
d'action de la Prusse. 

Arrive près d'Eisenach, nous entr.âmes en négociation relati- 
vement à une trêve d'ai'mes qui nous avait été ofl'erte, et qui 
fut consenLie de part et d'autre. Mais avant qu'elle fût expirée, 
nos Iroupes se virent atta(|uées par l'armée prussienne, con- 



460 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



i:J 



l'oi'incment à un ordre que celle-ci avait reçu du général Vogol de 
Falckenstein. 

C'était là une seconde violation flagrante de tous les droits et 
usages en vigueur parmi les peuples civilisés! 

Quoique notre armée se trouvât sur le pied de paix, et que 
ses forces fussent presque épuisées, en conséquence des fati- 
gues, des privations et des marches forcées auxquelles elle avait 
dû se soumettre pendant plus de huit jours consécutifs, elle 
n'en remporta pas moins, à Langensalza, une victoire brillante 
sur les Prussiens. 

Le lendemain, malheureusement, la voyant cernée de toutes 
parts par des forces trois fois supérieures, et n'ayant point 
de secours à espérer, nous nous résignâmes à accepter une capi- 
tulation pour ne pas répandre inutilement le sang de nos valeu- 
reux soldats. 

Aussitôt que la guerre entre l'Autriche et la Prusse sembla 
arriver à son terme, nous nous rendîmes à Vienne, où les 
négociations de paix venaient de s'ouvrir, et nous adressâmes 
à Sa Majesté le Roi de Prusse qui se trouvait à iSikolsbourg, 
une lettre dans laquelle nous lui exprimions notre désir sincère 
d'entrer de notre côté en négociations de paix avec lui. 

Contrairement à tous les usages admis entre Souverains, 
notre lettre ne fut pas acceptée par Sa Majesté le Roi de 
tarasse. 

Malgré cela nous avons essayé d'assurer la conservation de 
notre Royaume par tous les moyens en notre pouvoir. A cette 
fin, nous étions même disposé à abdiquer nos droits royaux 
en faveur de notre fils bien-aimé et héritier de notre Couronne, 
le Prince Royal Ernest-Auguste, pour le cas où la Prusse le 
mettrait immédiatement en possession de la Coui'oune et du 
Royaume de Hanovre. D'un autre côté, nos fidèles sujets 
bravant courageusement le régime rigoureux, arbitraire, despo- 
tique, que leur a imposé l'administration prussienne, n'ont 
laissé échapper aucune occasion de manifester leur désir ardent 
de rester sous une dynastie qui leur est chère, qui, depuis 
mille ans, a partagé les destinées du pays et qui a fait tous ses 
efforts pour assurer sa prospérité et pour consolider son bien- 
être. 

Vains efforts ! 

Sa Majesté le Roi de Prusse, après avoir occupé notre 
Royaume d'une manière subreptice, a cru pouvoir en prendre 






L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



4Ç1 



( 



(Iclinitivcment possession et l'a déclaré annexé à ses États, le 
20 septembre de cette année. 

le s°ul nif.lif qn'allègiie le GoLwerncment prnssien pour 
iiislilier cet acte arbitraire, inouï dans les fastes do l'histoire 
d'Allemagne, c'est celui qu'il prétend trouver dans le droit de 

'^°0r" le droil de conquête suppose une guerre faite confor- 
mément ans principes du droitdes gens. Mais il n'y a jamais eu, 
entre nous et le Roi de Prusse, une guerre de cette nature, 
n'niil-urs comme nous l'avons déjà dit plus haut, elle ne pou- 
vni't avoir lieu selon les lois fondamentales de la Confédération 
o-ermaniquc, et elle devait être moralement impossible de la 
part d'un de nos proches parents, d'un Souverain ami, d uû 

Prince Allemand. , ... 

Par conséquent, nous nous sommes trouve purement et sim- 
nlement dans le cas d'une défense légitime, en lace d une agres- 
iïo,i que rien ne justifiait et que nous n avons point pro- 

"""Erprésence donc des faits que nous venons d'exposer, nous 
nrolestons hautement et solennellement : . , u ■ 

^Contre l'invasion injustifiable que les corps d'armée du Ro 
de Prusse se sont permise dans notre territoire, le tb jmn 1866 

et les iours suivants ; 
Contre l'occupation de notre Royaume par ces mêmes corp» 

'^Contre' les usurpations de nos droits et prérogatives commises 
par iS agents de la Prusse, et contre celles qu'ils pourraient 

'ToTtïlTsTmmages que nous et notre ujaison Royale avons 
subis ou que nous aurions à subir encore de la part de la Prusse 
sous le rapport de notre propriété, de nos revenus ou de nos 
hiPiis de auelque nature qu ils soient; 

foiitre es spoliations qu'a éprouvées le trésor public du 
Hanov!^! sous Fadministration prussienne, et contre celles quil 
„n,„'ni1 avoir à supporter à l'avenir ; 

^ f ont ■eles poursuites, pertes et préjudices auxquels nos 
fidMes suiels ont pu être exposés, en conséquence des acies 

n usL et iUégaux'de l'administ.;ation du Ro de Prusse, ou 
3,,nels ils i.ourraicnt être exposes dans la suite , 

Cotre es entraves que la dite administration a mises, d'une 

mSe brutal" , aux nianifestations de nos bien-aimés sujets en 



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2 3 4 



9 10 11 12 






I*.- 






Irr. 



V- 



<62 



L'ALLKiMAGXE NOUVELIJÎ. 



faveur de la conservation de notre dynastie et de l'indépen- 
dance du Hanovre, taudis qu'elle a provoque et favorisé, par les 
manœuvres les plus déloyales, des manifestations en sens con- 
ireiirc j 

Contre le mauvais vouloir du Roi de Prusse, qui a repoussé 
les démarches que nous avons laites ou que nous avons ordonné 
de laire près do lui ou de son Gouvernement, afin de rétablir 
la paix entre nous ; 

Enfin, nous protestons surtout, à la face de l'univers, contre 

no,EtV'o'°'''°'' ''° °°*'^' "'^J'^''™e et contre son incor- 
poiaton a la Prusse, annoncée comme définitive le 20 septembre 
de celte année amsi que contre toutes les conséquences de cet 
n^nl f '™'!, '^"° ""^^^ incorporation ou annexion est une 
vfoV«tinn°nV' f ':. ™f ^P°liation coupable et odieuse, une 
du d ï ?.^''^''*' des traités européens, de tous les principes 
ronnés ^'"' l'inviolabilité des Etats et des Cou- 

succtseuS'T-r ''^'''"'^^"''' quenous faisons aussi pour nos 
meure à 'L^H ?''; ^f°'^'^''^ principalement pour but de 
nou annârS nn. ""^^ ^""'"^^ ^'' "^^"^ ^e souveraineté qui 
sanctioEer. f' '"^r '^'^ descendance, et qui ont té 
sanctionnes et garantis par les Puissances européennes 

reconnu 2r;"' ''^^1'' "' ^""^es les Puissances qui ont 
persuadé cnmr'"'"'"',''' '' ' '"dépendance de notre RoVaunie. 
aue h W "T'!' ■^°"'™°^' qu'elles n'admettront jamais 

aufourdbni /.rf o ''™"' P"^^^^"'"" *«' P'™"Pe, appliqué 
Ssence de^fl? ^■"'''' J^°"""'" ™^"^'^«' d™s la sidte 
timèïdu "Londe ''' '"' '"""^^"^'"«^ '' ^° ^°- '-^ É^ats légi- 

drSL^'dfsôrr/ v" "î"" "°"' "'^ renoncerons jamais à nos 
rôns totiorr"''^' •r"^' '^t^**' ^^ qne nous considére- 

usuS o/dnrn' '^''°! '"'^°'''' •'" «conséquence de cette 
ïurifestl'auïur "^'*°"' '°"*^ ^'^ responsabilité sur celui 

doS'pourSrs.'^" '""'■'■""'' •^' ^'"-^ '■"'^^'■--^■^ •-' ««"-"l 
lalusticfdf na? ''' •5^-''^"^™'="!* f"LL"'s plein de confiance en 
"Mnc Piovidence ne tardera pas à mettre un terme aux ma- 



l,'ALLi:MAGiNE NOUVl'LLK. 



4C3 



chinatioiis, aux iniquités et aux violences dont tant d'Etats et 
de peuples sont victimes en ce moment avec nous et avec nos 
braves Hanovriens. 

Hietzing, près Vienne, le 23 septembre 1866. 
Signe •• George, Rex. 
Contresigné .■ Le comte de Platen-Halli rmum). 



ANNEXE NMI 



Trailé do Paix entre l'Autriche et l'Italie signé à Vienne le 3 oclobre 

1860. 

ANALYSE DES ARTICLES. 

Plénipotentiaires : 

Autriche, le comte de Wimpfl'eu ; 

Italie, le comte de Menabrea. 

Au nom de la Très-Sainte et Indivisible Trinité ! 

S. M. l'Empereur d'Autriclic et S. M. le Roi d'Italie ayant 
résolu d'établir entre leurs États respectifs une paix sincère et 
durable : S. M. l'Empereur d'Aivlriche ayant cédé à S. M. l'Em- 
pereur des Français le Royaume Loinhardo-Vénitien : S. M. l'Em- 
pereur des Français, de son côté, s'étant déclaré prêt à reconnaître 
la réunion du dit i-oyaume Loiubardo-Vénitien aux États de 
S. M. le Roi d'Italie, sous réserve du consentement des popula- 
tions dûment consultées : 

S. M. rEiupcreurd'AulrichcetS.M. le Roi d'Italie ont nommé 
|)0ur leurs plénipotentiaires, savoir : 

S. M. l'Empereur d'Autriche : le sieur Félix, comte Wimpll'en, 
son chambellan actuel, envoyé et ministre plénipotentiaire en 
mission extraordinaire, etc. 

S. M. le Roi d'Italie : le sieur Louis Frédéric, comte Menabrea, 
sénateur du Royaume, grand-cordon de l'ordre militaire de 
Savoie, etc., etc. 



'M 



464 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE, 



I 



Lesquels après avoir échangé leurs pleins pouvoirs respectifs, 
trouvés eu bonne et due forme, sont convenus des articles sui- 
vants : 

Art. 1"'. — 11 y aura, à dater du jour de l'échange des ratifi- 
cations du présent traité, paix et amitié entre S. M. l'Empereur 
d'Autriche et S. M. le Roi d'Italie, leurs héritiers et leurs suc- 
cesseurs, leurs Etats cl sujets respectifs à perpétuité. 

Art. %. — Les prisonniers de guerre autrichiens et italiens 
seront immédiatement rendus de part et d'autre. 

Art. 3. — S. M. l'Empereur d'Autriche consent à la réunion 
du Royaume Lombardo-Vénitien au Royaume d'Italie. 

Art. 4.— La frontière du territoire cédé est déterminée par les 
confins administratifs actuels du Royaume Lombardo-vénitieu. 

Une commission militaire instituée par les deux puissances 
contractantes sera chargée d'exécuter le tracé sur le terrain 
dans le plus bcef délai possible. 

Art. 5. — L'évacuation du territoire cédé et déterminé par 
l'article précédent commencera immédiatement après la signa- 
ture de la paix et sera terminée dans le plus bref délai possible, 
conformément aux arrangements concertés entre les comrais- 
saii'cs spéciaux désignés à cet efl'et. 

Art. 6. Le Gouvernement italien prendra à sa charge : 

1 ' La partie du Monte Lorabardo Vencto qui est restée à l'Au- 
triche en vertu de la convention conclue à Milan en 1860 pour 
l'exécution de l'article 7 du traité de Zurich; 

2° Les dettes ajoutées au Monte Lombardo Vcneto depuis le 
4 juin 18"9 jusqu'au jour de la conclusion du présent traité; 

3° Une somme de 3.^ millions de florins, valeur autrichicnue, 
argent effectif, pour la partie de l'emprunt de 18a4 affirente à 
la Vénétie pour le prix du matériel de guerre non transpor- 
ta b le. 

Le modo du paiement de cette somme de 3o millions de flo- 
rins, valeur autrichienne, argent effectif, sera, conformément 
au précédent traité de Zurich, déterminé dans un article addi- 
tionnel. 

Art. 7, S, 9. — Création d'une commission composée de dé- 
légués de l'Autriche, de l'Italie et de la l'rance pour procéder à 
la liquidatioTi en tenant compte de tous les intérêts engagés. 

Art. 10, M, 12, 13. — Dispositions relatives à l'exploitation 
des chemins de fer Austro-Lombards et à la séparation des pro- 
priétés et obligations respectives. 



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L'ALLEMAGNE KOUVELLE. 



465 



Art. 14, lij, 16. — Dispositions relatives au droit d'optioa 
laissé pendant un an aux sujets Lomljards-Vénitiens civils et mi- 
litaires. 

jVrt. ,17. — Rôglement des pensions civiles et militaires. 

Art. 18. — Dispositions relatives à la cession des archives vé- 
nitiennes et à l'usage réciproque des titres et documents admi- 
nistratifs, politiques et historiques. 

Art. 19. — Facilités douanières accordées réciproquement 
aux habitants limitrophes. 

Art. 20, 21. — Rétabhssement des traités et conventions con- 
flrmés par le traité de Zurich en 1859, et révision prochaine de 
ces traités. 

Art. 22. — Les princes et les princesses de la maison d'Au- 
triche, ainsi que les princesses qui sont entrées dans la famille 
impériale par voie de mariage, rentreront, en faisant valoir leurs 
titres, dans la pleine cl entière possession de leurs propriétés 
privées, tant meubles qu'immeubles, dont ils pourront jouir et 
disposer sans être troublés en aucune manière dans l'exercice 
de leurs droits. 

Art. ^3. — Arauistie pleine et entière pour tous les individus 
compromis à l'occasion des événements politiques survenus 
dans la péninsule jusqu'à ce jour. 
Art. 2i. — Fi.Kation des ratifications à bref délai. 



ANNEXE N" 12. 

Ciiculaiic du Marquis de la Valette, minisire de rintérieur, chargé par 
intérim du portefeuille des Aflaires Etrangères, sur les événements 
d'Allemagne, en date du 46 septembre 1866. 

Monsieur, le Gouvernement de l'Empereur ne saurait ajourner 
plus longtemps l'expression de son sentiment sur les événements 
qui s'accomplissent en Allemagne. M. de Moustier devant rester 
absent quelque temps encore. Sa Majesté m'a douné_ l'ordre 
d'exposer à ses agents diplomatiques les mobiles qui dirigent sa 
politique. 

La guerre qui a éclaté au centre et au sud de 1 Europe a 
détruit la Confédération germanique et constitué définitivement 
la nationalité italienne. La Prusse, dont les limites ont ete agraa- 



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4C6 



L'ALLEMAGÎN E PiOUVKI.I.E. 



dies par la victoire, domine sur la rive droite du Mcin. L'Autri- 
che a perdu la Vénétie; elle est séparée de l'Allemasne. 

En face de ces changements considérables, tous les Etats se 
recueillent dans le sentiment do leur responsabilité, ils se de- 
mandent quelle est la portée de la paix récemment intervenue, 
quelle sera son influence sur l'ordre européen et sur la situation 
internationale de chaque Puissance. 

L'opinion publique en l^rance est émue. Elle flotte incertaine 
entre la joie d e voir les traités de 1 8 1 6 détruits et la crainte que 
la puissance de la Prusse ne prenne des proportions excessives, 
entre le desir du maintien de la paix et l'espérance d'obtenir par 
la guerre un agrandissement territorial. Elle applaudit à l'af- 
franchissement complet de l'Italie, mais veut être rassurée sur 
les dangers qui pourraient menacer le Saint-Père. 

Les perplexités qui agitent les esprits, et qui ont leur reten- 
tissement a 1 étranger, imposent au Gouvernement l'obligation 
de dire nettement sa manière de voir. 

La France ne saurait avoir une politique équivoque. Si elle 
est atteinte dans ses intérêts el dans sa force par les changements 
importants qui se font en Allemagne, elle doit l'avouer franche- 
ment et prendre les mesures nécessaires pour garantir sa sccu- 

Hn M ^ f ""^ P'^'''^ "*-'" '""''^ transformations qui s'opèrent, elle 
doit le déclarer avec sincérité et résister aux appréhensions exa- 
fnf?.n '/ fPP'-ec-ations ardentes qui, en excitant les jalousies 
nternationales, voudraient l'entraîner hors de la route qu'elle 
uoit suivre. ^ 

,JvtZff^''\ '''' incertitudes et fixer les convictions, il faut 
envisager dans leur ensemble le passé tel qu'il était, l'avenir tel 
qu 11 se présente. 

réunTssift'''''1' "^"f ^"/«"^^-nous ? Après 1 81 5, la Sainte-Alliance 

ÏÏS Rhin 7 r "^r? '°"^ '^^ P°"P'^^' ^'"P'- ''O"''^' 
Prus P Pn A ; , ^'«"^eration germanique comprenait, avec la 

le Luxen. "•"'' ^.^ ™'"'°"^ d'habitants, s'étendait depuis 

Trente oTn?'^ l'^'î"'' '^^''^'^'^ ' d^'P"''^ ^^ Baltique jus.pi'à 
Places forVprr.^^T™'' "^ "''" '^'^'"'"''^^ ^« f«'' ««"t™"e par cinq 
£ parTes n In Tl°î ' "°^''l i^^^'""" stratégique était encha' 
difflcn Itém^ ' "''* combinaisons territoriales. La moindre 
Prusse sL^.? "°"V'°"'™"' "'°''' ^^'"^ !•' ««"«"''e 0" «vec la 
triche s,pl' .f°'f '' T' l'^^'l'^niag'ncsur le Hhin, avec l'Au- 
ouès les L/'' ■ ""^ '^*^'"'°"'' *'^'^^'t se dresser contre nous 
toutes les forces réunies de la Confédération. L'Allemagne an- 



mmm 



L-ALLEMAGNE KOCVKLLli. 



467 



irii.'iiieimc, inexpugnable, sur l'Adige, pouvait s'avancer, le mo- 
!!!entvcnu, jusqu'aux xVlpes. L'Allemagne prussienne avait pour 
avant-garde sur le Rhin tous ces Etats secondaires sans cesse 
agités par des désirs de transformation politique et disposés à 
considérer la France comme l'ennemie de leur existence et de 
leurs aspirations. 

Si l'on en excepte l'Espagne, nous n'avions aucune possibilité 
lie contracter une alliance sur le continent. L'Italie était mor- 
celée et impuissante ; elle ne comptait pas comme nation. La 
Prusse n'était ni assez compacte ni assez indépendante pour sa 
détacher de ses traditions. L'Autriche était trop préoccupée de 
conserver ses possessions en Italie pour pouvoir s'entendre inti- 
mement avec nous. 

Sans doute, la paix longtemps maintenue a pu faire oublier 
les dangers de ces organisations territoriales et de ces alliances, 
car ils n'apparaissent formidables que lorsque la guerre vient à 
éclater. Mais cette sécurité précaire, la France l'a parfois obte- 
nue au prix de l'elTacement de son rôle dans le monde. Il n'est 
pas contestable que, pendant près de quarante années, elle a 
rencontré debout et contre elle la coalition des trois Cours du 
Nord, unies par le souvenir de défaites et de victoires communes, 
par des principes analogues de Gouvernement, par des traités 
solennels et des sentiments de défiance envers notre action 
libérale et civilisatrice. 

Si, maintenant, nous examinons l'avenir de l'Europe trans- 
formée, quelles garanties présente-t-il à la France et à la paix 
du monde '! La coalition des Irois Cours du Nord est brisée. Le 
principe nouveau qui régit l'Europe est la liberté des alliances. 
Toutes les grandes Puissances sont rendues les unes et les au- 
tres à la plénitude de leur indépendance, au développement 
régulier de leurs destinées. 

La Prusse agrandie, libre désormais do toute solidarité, assure 
l'indépendance de l'Allemagne. La France n'en doit prendre 
aucun ombrage. Fière de son admirable unité, de sa nationalité 
indestructible, elle ne saurait combattre ou regretter l'œuvre 
d'assimilation qui vient de s'accomplir et subordonner à des 
sentiments jaloux les principes de nationalité qu'elle représente 
et professe à l'égard des peuples. Le sentiment national de l'Al- 
lemagne satisfait, ses inquétudes se dissipent, ses inimitiés s'é- 
teignent. En imitant la France, elle fait un pas qui la rapproche 
et non qui l'éloigné de nous. 



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468 



L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



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Au midi, l'Italie, dont la longue servitude n'avait pu étoindrt 
le patriotisme, est mise en possession de tous ses élcmcntsdt 
grandeur nationale. Son existence modifie profondément les 
conditions politiques de l'Europe; mais, malgré des suscep- 
tibilités irréfléchies ou des injustices passagères, ses idé(^s, ses 
principes, ses intérêts la rapprochent de la nation qui a vereé 
son sang pour l'aider à conquérir son indépendance. 

Les intérêts du Troue pontifical sont assui'és par la convention 
du 1B septembre. Cette convention sera loyalement exécutée. En 
retirant ses troupes de Rome, l'Empereur y laisse, comme ga- 
rantie de sécurité pour le Saint-Père, la protection de la France. 

Dans la Baltique comme dans la Méditerranée surgissent des j 
marines secondaires qui sont favorables à la liberté des mers. 
L'Autriche, dégagée de ses préoccupations italiennes et ger- 
maniques, n'usant plus ses forces dans des rivalités stériles, 
mais les concentrant à l'est de l'Europe, représente eucorcunc 
puissance de 35 millions d'àmes qu'aucune hostilité, auciit 
intérêt ne sépare de la France. 

Par quelle singulière réaction du passé sur l'avenir, l'opiaioi, 
publique verrait-elle non des aUiés, mais des ennemis de la 
France dans des nations affranchies d'un passé qui nous fut lios- 
tile, appelées à une vie nouvelle, dirigées par des principes qui 
sont les nôtres, animées de ces sentiments de progrès qui for- 
ment le lieu pacifique des sociétés modernes? 

Une Europe plus fortement constituée, rendue plus homogène 
par des divisions territoriales plus précises, est une garantie pour 
la paix du continent et n'est ni un péril ni un dommage pour 
notre nation. Celle-ci. avec l'Algérie, comptera bientôt plus de 
40 millions d'habitants ; l'Allemagne, 37 millions, dont 29 ihnv 
ta Confédération du iS'ord, et 8 dans la Confédération du Sud; 
l'Autriche, 35 ; l'ItaUe. 25; l'Espagne, 18. Qu'y a-t-il dans celte 
distribution des forces européennes qui puisse nous inquiélor? 
Une puissance irrésistible, faut-il le regrcttei>. pousse les 
peuples à se réunir en grandes agglomérations on faisant dispa- 
raître les Etats secondaires. Cette tendance naît du désir d'as- 
surer aux intérêts généraux des garanties plus efficaces. Peut- 
être est-elle inspirée par une sorte de prévision providenlicllc 
des destinées du monde. Tandis que les anciennes populations 
du continent, dans leurs territoires restreints, ne s'accroisseni 
qu avec une certame lenteur, la Russie et la République de^ 
Etats-Unis d Amérique peuvent, avant un siècle, compter cha- 



SSSÊSSSSSSsssaeenv,- 



L'ALLKMAGMB NOUVIÎLLE. 



400 



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cunc 100 millions d'hommes. Uuoiqno les progrès do ces deux 
grands Empires ne soient pas pour nous un sujet d'inquielude, 
et qu'au contraire nous applaudissions à leurs généreux eflorts ^ 
en faveur des races opprimées, il est de l'intérêt prévoyant des 
nations du centre européen de ne point rester morcelées en tant 
d'Etats divers sans force et sans esprit public. 

La politique doit s'élever au-dessus des préjugés étroits et 
mesquins d'un autre âge. L'Empereur ne croit pas que ta gran- 
deur d'un pays dépende de l'aiïaiblisscmenldes peuples qui I en- 
lourent et ne voit do véritable équilibre que dans les vœux satis- 
faits des nations de l'Europe. En cela, il obéit à des convictions 
anciennes et aux traditions de sa race. Napoléon l"' avait prévu 
les changements qui s'opèrent aujourd'hui sur le continent eu- 
ropéen. Il avait déposé le germe de nationalités nouvelles : dans 
la péninsule, en créant le royaume d'Italie ; en Allemagne, en tai- 
.^ant disparaître deux cent cinquanlc-trois États indépendants. 

Si ces conditions sont justes et vraies, l'Empereur a en raison 
,'accepter ce rôle de médiateur qui n'a pas été sans gloire, d ar- 
rêter d'inutiles et douloureuses effusions de sang, de modérer 
le vainqueur par son intervention amicale, d'atténuer les consé- 
quences des revers, de poursuivre, à travers tant d'obstacles, le 
rétablissement de la paix. Il aurait au contraire méconnu sa 
haute responsabilité si, violant la neutralité promise cl pro- 
clamée, il s'était jeté à l'improviste dans les hasards et une 
grande guerre, d'une de ces guerres qui réveillent les liâmes 
de races et dans lesquelles s'entrechoquent des nations entières. 
Quel eiH été, en effet, le but de cette lutte engagée spontane- 
meut contre la Prusse, nécessairement contre 1 Italie ? Une con- 
quête, un agrandissement territorial ! Mais le Gouvernement 
Impérial a depuis longtemps appliqué ses principes en matière 
(l'extension de territoire. Il comprend, il a compris les annexions 
commandées par une nécessité absolue, réunissant à la patrie des 
iwpulations ayant les mêmes mœurs, le même esprit nationa 
que nous, il a demandé au libre consentement de la Savoie ni 
du comté de Nice le rétablissement de nos frontières naturelles. 
La France ne peut désirer que les agrandissements territoriaux 
qui n'altéreraient pas sa puissante cohésion ; mais elle doit tou- 
jours travailler à son agrandissement moral ou politique, en fai- 
sant servir son influence aux grands intérêts de la civilisation. _ 
Son rôle est de cimenter l'accord entre les puissances qiu 
veulent à la fois maintenir le principe d'autorile et favoriser lo 

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L'ALLEMAGNE NOUVELLE. 



progrès. Cette alliance enlèvera à la révolution le prestige du pa- 
tronage dont elle prétend couvrir la cause de la liberté des peu- 
ples, et conservera aux grands États éclairés la sage direction du 
mouvement démocratique qui se manifeste partout en Europe. 

Toutefois, il y a dans les émotions qui se sont emparées du 
pays un sentiment légitime qu'il faut reconnaître et préciser. Les 
résultats de la dernière guerre contiennent un enseignemeul 
grave et qui n'a rien coûté à l'honneur de nos armes ; ils nous 
indiquent la nécessité, pour la défense de notre territoire, de 
perfectionner sans délai notre organisation militaire. La nation 
ne manquera pas à. ce devoir, qui ne saui'ait être une menace 
pour personne ; elle'a lejuste'orgueil de la valeur de ses armées; 
ses susceptibilités, éveillées par le souvenir de ses fastes mili- 
taires, par le nom et les actes du souverain qui la gouverne, ne 
sont que l'expression de sa volonté énergique de maintenir hors 
de toute atteinte son rang et son influence dans le monde. 

En résumé, du point de me élevé où le Goirvcrnetncnl Impé- 
rial considère les destinées de l'Europe, l'horizon lui paraît dé- 
gage d eventuahtés menaçantes ; des i)rohlèmes redoutables, qui 
devaient être résolus parce qu'on ne les supprime pas, pesaient 
sur les destinées des peuples; ils auraient pu s'imposer dans des 
temps plus difflciles ; ils ont reçu leur solution naturelle sans 
trop de violentes secousses et sans le concours dangereux des 
passions révolutionnaires. 

Une paix qui reposera sur de pareilles bases sera une paix 
durable. '^ 

Quant à la France, de quelque côté qu'elle porte ses regards, 
elle n aperçoit rien qui puisse entraver sa marche ou troubler 
sa prospérité. Conservant avec toutes les puissances d'amicales 
relations, dirigée par une politique qui a pour signes de sa 
force la générosité et la modération, appuyée sur sou imposante 
umte, avec son génie qui rayonne partout, avec ses trésors et 
son crédit qui fécondent l'Europe, avec ses forces mililaires dé- 
veloppées, entourée désormais de nations indépendantes, elle 
demeurera non moins respectée. 

Tel est le langage que vous devez tenir dans vos rapports avec 
le Gouvernement auprès duquel vous êtes accrédité 
Agréez, etc. 




Signé .- La Valetie. 



TABLE 



Prologue . 



CHAPITRE PREMIliR. 

Carlsbad en 1863. — Les Juifs de Gallicie. — 
Hélène de Russie. — Arrivée du Roi do Prusse. 
le Général de Uanleuffel. — Juin el juillet 1803. 



La Grande-Uuchesse 

— M. de Bismarck et 

S 



CHAPITRE 11. 

Vienne en 1863. — Visite de M. Tliicrs. — Les journaux Viennois. — 
La Cour et la Société. — Mœurs populaires. — Les Iliéâlres. — Les 
bals par souscription 17 

CHAPITRE ÎIL 

Confédération Germanique. — Antagonisme fédéral de l'Autriche et de 
la Prusse. — Projets de Réforme fédérale proposés par M. de Beust 
et unanimement rejetés. — Menaces de la Prusse. — Visite de l'Empe- 
reur d'Autriche au Roi de Prusse. — Dernier congrès des Souverains 
Confédérés à Francfort en 1863 36 

CHAPITRE IV. 

L'Insurrection Polonaise. — Essais de médiation de l'Angleterre, de la 
France et de l'Autriche. — La Prusse appuiç la Russie.;. . 83 



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TABLE. 



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CHAPITRE V. 

Conflil enlrc le Danemark et l'Allemagne jusqu'à l'avènement du Roi 
Christian IX le 18 novembre 1863 64 

CHAPITRE VI. 

La Guerre du Danem,irk. — La Conférence de Londres. — Du 13 novem- 
bre dg63 au 26 juin 1864 82 

CHAPITRE VII. 

Guerre du Danemark. — Trêve de six semaines. — Entrevue du Roi de 
Prusse et de l'Empereur d'Autriche à Carlsbad en 1864. — Légendes 
de Carlsbad. — Reprise des hostilités 105 









CHAPITRE VIII. 

Conclusion de la paix avec le Danemark. — Visite du Roi de Prusse i 
la Cour devienne. —Un dîner chez le comte deRechbcrg. 1Î7 

CHAPITRE IX. 

Projet de rencontre entre le Roi de Prusse et les trois empereurs. - 
M. de Bismarck et le prince Gortschakoff. — Le comte de Rechbcrg- 
M. do Schmerling et le comte de Mensdorff. — Le Natlonal-Vcrcin. - 
Nouvelle Jurisprudence , (50 

CHAPITRE X. 

Désaccord de la Prusse et de l'Autriche, et de ces deux puissances avec 
l'Allemagne. — Visite du princs Frédéric-Charles à Vienne. — Oonflil 
dans les Duchés ^^i 

CHAPITRE XI. 

Convention de Gastein. — Annexion du Duché de I.auenbourgàla 
Prusse jjj 



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473 



CHAPITRE XII. 

I/Âutriche et la Prusse adressent des remontrances au Sénat de Franc- 
fort. — Manifestation dans le Holstein. — Négociations de la Prusse 
avec rilalie. — Ouverture du Cabinet devienne on faveur d'une inter-r 
vention pacifique des Puissances non allemandes. — Le Gouvernement 
français déclare à l'Italie qu'il ne la soutiendra pas si elle attaque 
l'Autriche. — Consentement non officiel donné par le Gouve-ncment 
français au traité de l'Italie avec la Prusse. — Conséquences de cette 
politique. — La neutralité des Puissances el le droit nouveau. —Le 
Cabinet de Berlin accuse l'Autriche d'armements imaginaire?. — Ar- 
restation d'un espion prussien en Bohêmn 22S 

CHAPITRE XIII. 

La Prusse propose à Francfort un nouveau projet de réforme fédérale. 
L'Autriche propose un désarmementsimultané.— Réponse évasive de la 
Prusse. — Le Général Bénédek. — Propositions relatives à la cession 
de la 'Vénétie en échange de la neutralité italienne. — Refus de l'Italie. 

— Projet de conférence. — Occupation du Holstein par les Prussiens. 

— Rupture diplomatique. — La Frarco, l'Angleterre et la Russie. 251 



CHAPITRE XIV, 

Le Roi do Prusse nie l'existence du traité avec l'Italie. — M. de Bismarck 
et le Général Govone. — Fin de la Confédération germanique. — For- 
ces respectives de la Prusse et de l'Autriche. — Commencement des 
hostilités. — Confraternité germanique. — Custozia et Sadowa. — 
Cession de la Vénétie. — Médiation de la France. — La Prusse offre 
un armistice de trois jours à des conditions refusées par l'Autri- 
che 2^9 



CHAPITRE XV. 

Le Cabinet de Berlin engage l'Autriche à renoncer à la médiation fran- 
çaise. — Intervention de la France. — On renonce à appuyer l'inter- 
vention par une démonstration militaire. — Conséquences de cette 
résolution. — Préliminaires de paix proposés par la France et accep- 
tés par les belligéranls. — Suspension dos hostilités. — Conférences 




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TABLE. 



de Nikolsbourg. — Signature de l'armistice et des préliminaires de 
paix par la Prusse, l'Autriche et la Bavière 311 



CHAPITRE XVI. 

Négociations entre la France et la Prusse au sujet de compensations 
territoriales réclamées par la France. — Le Cabinet de Berlin propose 
de les prendre ailleurs qu'en Allemagne. —Les négociations demeu- 
rent sans résultat Récit inexact d'une entrevue entre MM. de Bis- 
marck et Benedetti. — Séjour de M. Von der Pfordten à Nikolsbourg. 
— Deux versions différentes sur les incidents de ce séjour. — Pro- 
gramme politique du Gouvernement bavarois 33!) 



CHAPITRE XVII. 

Conventions d'armistice avtc le Wurtemberg, Bade et Hesse-Darmstatd. 

— Difficultés soulevées par l'Italio. — Armistice entre l'Autriche et 
l'Italie. — Le Roi de Hanovre et le Duc de Nassau à Vienne. — Traités 
de paix définitifs de la Prusse avec le Wurtemberg, Bade et la Bavière. 

— Traité de Cession de la Vénétie à la France par l'Autriche. —Traité 
de paix de la Prusse avec l'Autriche et avec la Saxe. . . 364 

CHAPITRE XVlll. 

Loi d'annexion du Hanovre, de la Hesse Électorale et de Kassau à la 
Prusse. — Traités de paix de la Prusse avec la liesse GrandDucale, 
la principauté de Reuss et lo Duché de Saxe-Meiningen. — Traité de 
paix entre l'Autriche et l'Italie. — Saisie de la fortune privée du Roi 
de Hanovre. — Traités militaires — Démission de M. Drouyn de Lhuys. 

— Nomination de M. de Bcust au ministère des Affaires Étrangères à 
tienne 393 



CHAPITRE XIX. 

Programme politique du nouveau ministre. — Le dualisme Austro-Hon- 
grois. — Rapports de l'Autriche avec la Russie. — Indices d'un pro- 
chain soulèvement dans les provinces turques. — Projet de conféren- 
ces. — Rapports de l'Autriclie et de l'Italie. —Réflexions finales. 418 



TABLE. 



47S 



AMEXE no i. (V. p. 275.) 

Lettre do l'Empereur Napoléon à M. Drouyn de Lhuys, datée de Paris 
du H juin 1800 _ .i37 

ANNEXE no 2. (V. p. 3So.) 

Convention d'armistice conclue par la Prusse avec la Bavière, en date 
de Kikolsbourg, le 28 juillet 1866 439 

ANNEXE no 3. (V. p. 373.) 

Lettre de l'Empereur Napoléon au Boi Viclor-Emmanuel, en date de 
Sainl-Cloud le -11 août -1866 440 

ANNEXE no 4. (V. p. 377.) 

Note circulaire du Gouvernement Hanovrien aux Cours étrangères en 
date du S juillet 1866 441 

ANNEXE no S. (S. p. 384.) 

7'raité de cession de la Yénétie par l'Autriche à la France, 24 août 
1866 444 

ANNEXE no 6. (V. p. 387.) 

Traité de paix entre la Prusse et l'Autriche signé à Prague le 23 août 
1866. — Résumé du traité 446 

ANNEXE no 7. (V. p. 391.) 

Traité de paix entre la Prusse et la Saxe Royale signé à Berlin, le 21 oc- 
tobre -1866. — Extraits et Analyse . 448 

ANNEXE no 8. (V. p. 393.) 

Loi décrétant l'annexion à la monarchie prussienne, du royaume de 
Hanovre, de l'Électoral de liesse, du duché de Kassau et de U ville 
libre de Francfort, 20 septembre 1866 4SI 



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ANNEXE no 9. (V. p. 395.) 

Adresse présentée au Roi de Prusse le 30 aofu 186fi, par une députalioi 
du Hanovre pour demander la conservation de l'indépendance di 
Royaume de Hanovre 451 

Réponse du Roi de Prusse à l'adresse présenléc le 30 août 1866 par une 
députation du Hanovre pour demander la conservation de l'indépen- 
dance du royaume de Hanovre 453 

ANNEXE no 10. ^V. p. 393.) 

i'ioleslalion adressée par le Roi Georges aux puissances européennes 
contre l'incorporation du Royaume do Hanovre dans la monarchie 
prussienne, en date du 23 septembre 1866 435 

ANSEXK no 11. (V. p. 399.) 

Tfaité de paix entre l'Autriche et l'Italie signé à Vienne le 3 octobre 
1866, — Analyse des articles 463 

ANNEXE no <2. (V. p. 412.) 

Circulaire du Marquis do la Valette, ministre de l'Intérieur, cliargé par 
intérim du portefeuille des Affaires Étrangères, sur les éTunemenlE 
d'Allemagne, en date du 16 septembre 1866 463 

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rari».— hrprimeric <!e E. DO^iNAUD, rue Gassclto, 1. 



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